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11 janvier 2016 1 11 /01 /janvier /2016 11:18

Le salafisme : apolitique ou pragmatique ?

(Partie 2)

Le sujet

Voici un extrait de l’article qui perturba plus d’un salafi : http://www.nawa-editions.com/extrait-iif-le-salafisme-secularise-vers-une-foi-laique/

Pour le réfuter, ne serait-ce qu’en partie, je me contenterais ici de reproduire la conclusion du livre : on a le gouverneur qu’on mérite (kamâ takûnû yuwallâ ‘alaïkom) du Sheïkh Abd el Mâlik Ramadhânî.

Voir également : http://www.mizab.org/#!la-condamnation-publique-du-gouverneur/c1h2o

La règle que cette étude tente à démontrer n’est nullement teintée de fatalisme,[1] elle ne cautionne encore moins la sinistre situation qui nous entoure, et elle n’incite pas forcément à agir, si ce n’est que dans le bon sens. La question n’est pas tant de savoir s’il faut ou non faire bouger les lignes, mais comment s’y prendre. C’est la raison pour laquelle, elle fut l’objet d’une si grande attention par les hommes de science qui visent à sensibiliser les consciences et donner un sens à leur combat. Toute action doit avoir un but, mais pour cela, il faut se donner les moyens adéquats sans se perdre en route. Notre discours s’adresse à tout le monde, et en particulier à deux catégories d’individus :

  1. La branche politique des mouvements islamistes, en sachant que la politique fait partie de la religion, comme démontrer dans le présent ouvrage.
  2. La branche armée de ces mouvements, en sachant que le djihâd est le sommet le plus haut de la religion (littéralement sanâm est la bosse du chameau ndt.).

Les premiers se perdent dans une lutte acharnée pour atteindre les sommets du Pouvoir, et les seconds sont assoiffés de sang. Il incombe donc de mettre le doigt sur le véritable fléau qui accable les musulmans, et de s’attaquer à la maladie à la racine, car cibler les symptômes est la première étape au remède. Il va sans dire que tous les échelons de la société sont responsables de la corruption qui la mine. Il est évident que les lois positives instaurées par le chef de l’autorité tirent le peuple vers le bas, mais cela ne doit pas nous faire oublier que c’est la décadence du peuple qui entraine la mise en place d’un gouverneur dépravé à sa tête : [C’est ainsi que Nous infligeons aux injustes le joug des uns sur les autres pour prix de leurs mauvais agissements].[2]

Selon une loi universelle, la réforme des âmes est le seul chemin à même d’améliorer le berger et son troupeau : [Allah n’allait pas sceller le sort d’un peuple sans que celui-ci ne sombre dans la déchéance].[3] Le Maitre des messagers fit de ce principe un leitmotiv qu’il répétait inlassablement en introduction à ses sermons : « Nous cherchons refuge auprès de Lui contre les maux de nos âmes et les méfaits de nos actions ! »[4] Alors, à quoi bon faire l’autruche, et s’enfermer dans une fuite en avant !

Je fus motivé, en écrivant ce modeste ouvrage, par un sentiment de compassion envers tous ces vains efforts étendus à des pans entiers de la prédication. Tant d’énergie aurait pu être économisée si tous ces acteurs animés par les meilleures volontés s’étaient éclairés des textes et de la biographie de l’élite des hommes qu’une lutte incessante opposait à leurs nations insoumises. Ils auraient ainsi gagné un temps précieux par la Volonté d’Allah, et auraient pu obtenir des résultats extraordinaires dans une période très courte. Malheureusement, nombreux sont ceux qui se sont perdus dans l’une des deux orientations évoquées plus haut, et qui ne récolteront de leurs efforts, outre la fatigue, que des fruits amers, le jour où des visages seront contrits : [Confondus et harassés par leurs vains efforts].[5]

Cette désillusion frappe toute autant nos amateurs zélés en politique, qui n’ont pratiquement d’autre culture qu’une certaine presse à scandale ; ces papiers qui s’intéressent de près aux dérapages des hommes publics qu’ils connaissent aussi bien que leurs propres fils. Ne parlons pas de leur contribution à la da’wa qui se résume à sans cesse lancer des invectives contre l’élite qu’ils vouent en pâturage à la plèbe. Ils se répètent tellement qu’on dirait qu’ils cherchent à faire apprendre une table par cœur. Il faut dire qu’ils sont un véritable centre d’attraction pour un auditoire qui malheureusement est bien pauvre en science religieuse. On a l’impression que, depuis un moment déjà, les nouvelles générations n’ont rien d’autre au bout des lèvres. Ha, le fameux fiq el wâqi’ (actualité ndt.) qui prend une place démesurée dans les cœurs à tel point qu’on ne lui accorde aucune pause, même pendant les vacances ! Tant d’ardeurs et tant d’argents ont été investis pour finir en queue de poisson, quel gâchis !

Par ailleurs, la cause politique qui remue tant les passions débouchent presque tout le temps sur des bains de sang qui entraine un nombre incroyable de victimes. À vouloir concrétiser son rêve, on se retrouve à panser ses plaies ! Et pendant ce temps-là, le peuple, sacrifié sur l’autel de la répression, paie les pots cassés ! S’il avait, au minimum, enrichi sa culture religieuse pour renoncer aux hérésies et aux pratiques païennes qui polluent son quotidien, il aurait beaucoup gagné. Que nenni ! Les leaders n’ont pas le temps de s’arrêter à ce genre de bagatelles…

Après tant d’années, leur projet, qui s’enlise indéfiniment, n’a pas avancé d’un iota. Ils ne veulent pas brûler les étapes, pensent-ils, mais le fait est qu’ils se font toujours couper dans leur élan. Ils vont de désillusions en désillusions. Ils s’incrustent sur le devant de la scène sur la pointe des pieds. Au début, ils sont remplis de bonnes intentions, et d’idées nouvelles pour sortir le peuple de sa torpeur intellectuelle. Ils s’annoncent en véritable prophète en leur pays. Mais, ils sont très vite rattrapés par des ambitions mondaines sous couvert de ne pas laisser la place aux laïcs ni aux traitres. Là, ils se rendent compte que leurs nouveaux intérêts sont incompatibles avec leurs grandes idées, alors ils vont de concession en concession jusqu’à vendre pratiquement leur religion. Ils troquent leur habit de prophète, et renoncent au plus vieux métier du monde : l’annonce de la bonne parole. Ils deviennent de plus en plus gourmands jusqu’au jour où l’ogre, qu’il ne fallait pas réveiller, se dresse devant eux. Les lendemains sont tragiques…[6]

Souvent, les leaders islamiques ont un discours populiste pour rallier le maximum à leur cause, en faisant fi des véritables causes à l’origine de la décadence, comme ses lignes tentent de le démontrer depuis le début. À vouloir satisfaire les attentes immédiates du peuple, ils en oublient de l’éduquer. Ils leur donnent donc ce qu’ils veulent : un discours enflammé qui les éloigne davantage d’une véritable prise de conscience, qui, en principe, devrait les pousser à leur autocritique, à un repentir sincère. Les mots, tel un puissant opium, ont ce pouvoir de faire oublier les problèmes réels. Allah (U) révèle : [Et ne soyez pas comme ceux qui ont tellement oublié Leur Seigneur qu’ils ont fini, par une action de Leur Seigneur, par s’oublier eux-mêmes ; ceux-là sont les pervers].[7]

Ce principe est si précieux que les traditionalistes l’ont inséré dans leurs ouvrages qui recensent le crédo orthodoxe. Ibn ‘Abd el ‘Izz, qui l’érige en article de foi, établit : « Les gouverneurs en place donnent éventuellement des ordres qui sont contraires à la Loi divine. Le cas échéant, il ne faut pas leur obéir, car l’obéissance à Allah et à Son Messager passe avant la leur. Néanmoins, leur tyrannie éventuelle ne remet nullement en question le pacte d’allégeance noué avec eux. En effet, les inconvénients qu’engendre la rébellion sont largement supérieurs à ceux qu’on était censé enlever. Endurer leur injustice est un moyen efficace pour expier les péchés et gagner une plus grande récompense. Allah (I) nous a infligé leur joug à cause de nos crimes, en sachant que la punition céleste est de même nature que les péchés. Alors, redoublons d’efforts pour revenir à Dieu à travers un repentir sincère et la vive résolution de nous réformer : [Tout malheur qui vous frappe n’est que le fruit de vos actes bien que, pour beaucoup d’entre eux, Il n’en tienne pas rigueur][8] ; [Et le jour où vous essuyâmes une cuisante défaite, après avoir triomphé à deux reprises, vous vous demandâtes alors : Comment en sommes-nous arrivés là ? Réponds-leur : ne vous en prenez qu’à vous-mêmes][9] ; [Le bien qui t’arrive procède d’Allah, mais le mal qui te frappe procède de toi][10] ; [C’est ainsi que Nous infligeons aux injustes le joug des uns sur les autres pour prix de leurs mauvais agissements].[11]

Un peuple désireux de se libérer de la tyrannie de son émir doit lui-même renoncer à l’injustice. Selon Mâlik ibn Dînâr, le Tout-Puissant révéla dans un Livre ancien : « Moi, Dieu, Souverain suprême, Je détiens dans Ma Main le cœur des rois que Je distille aux différents peuples en fonction de leur fidélité à Mes Lois ; les bons peuples jouiront d’un pouvoir clément et les mauvais peuples tomberont sous le joug d’un tyran. Ne vous dispersez pas à maudire vos rois, mais préoccupez-vous plutôt à vous repentir, et Je mettrais un peu de douceur dans leur cœur. » Fin de citation. »[12]

Peu importe que nous ayons affaire avec une annale israélite, car le Prophète (r) nous accorde son aval, à travers le hadîth : « Il n’y a pas de mal à ce que vous rapportiez les propos des enfants d’Israël. »[13] Surtout dans la mesure où celle-ci ne s’oppose nullement aux fondements de notre religion, et que dire alors si l’on sait qu’elle cadre parfaitement avec ceux-ci, comme nous l’avons vu précédemment. Une autre annale de ce même Mâlik ibn Dînâr la corrobore à merveille. En voici l’énoncé : « j’ai lu dans les Psaumes : Je tire vengeance contre l’hypocrite en infligeant contre lui un hypocrite comme lui ; en les montant l’un contre l’autre, Je me venge des deux à la fois. Un Verset du Coran exprime exactement ce principe : [C’est ainsi que Nous infligeons aux injustes le joug des uns sur les autres].[14] »[15]

On comprend mieux pourquoi ibn Taïmiya la cite dans son fameux minhâj e-sunna, avec l’adage qui sert de titre à cet ouvrage, avant de conclure : « Chaque époque se caractérise par des évènements qui sont le reflet des hommes qui l’ont traversée. »[16] Ailleurs, il signe : « J’ai démontré à d’autres endroits que le changement du khalifat en système monarchique n’est pas seulement la faute de l’élite, mais les sujets en sont en partie responsables, car on a le gouverneur qu’on mérite, et : [C’est ainsi que Nous infligeons aux injustes le joug des uns sur les autres].[17] Nous avons établi ailleurs en nous inspirant de preuves textuelles exhaustives, que les sujets ont le devoir d’obéissance à l’émir, mais sans que cela n’entraine de désobéir à Allah, en plus de lui prodiguer le bon conseil, d’endurer ses abus, et ses décisions iniques, répondre à son appel au djihad, faire l’office sous sa direction, etc. soit toutes les bonnes actions qui réclament obligatoirement sa présence, et qui entrent sous le principe de s’entraider à faire le bien.

En parallèle, il ne faut pas cautionner ses mensonges, ses injustices, se soumettre à ses ordres qui vont à l’encontre de la religion, etc. soit toutes les mauvaises actions qui reviennent à s’entraider à faire le mal.

Il incombe également, comme avec n’importe qui d’autre, de lui prodiguer la morale (ordonner le bien et interdire le mal) dans les limites légitimes, notamment lui faire parvenir les enseignements de la religion, sans n’y faire défection sous l’impulsion d’un sentiment de lâcheté, d’un cupide égoïsme, de la peur des représailles ou de l’appât du gain poussant à vendre les Versets du Coran à un vil prix. Le bon conseil ne doit pas non plus être prodigué en vue d’avoir une ascendance sur lui ou sur le peuple, ni par jalousie, orgueil, ostentation. Il faut éviter toute action qui engendrerait un mal plus grand (révolte armée qui entraine des guerres intestines), conformément aux principes traditionalistes de notoriété publique qui s’inscrivent en adéquation avec les textes prophétiques, car on ne rend pas le mal incarné par leur injustice, par un mal plus grand. »[18]

Nous en arrivons donc aux questions fatidiques en vogue dans les milieux de la da’wâ : est-il autorisé d’intégrer le Parlement d’un État qui est géré par des lois positives ? Est-il autorisé de s’attarder sur la réforme politique sans passer par ce moyen ? Comme le font souvent ces individus en manque de reconnaissance qu’il cache derrière les meilleures intentions, et un grand zèle religieux.

Ou encore : est-il autorisé de récupérer ses droits en exerçant des pressions sur les Nations par le biais de manifestations ou autre ? La gloire musulmane passe-t-elle par la suprématie technologique et économique ?

Désormais, nous nous rendons compte de l’impertinence de ces questions. Les débats qu’elles suscitent sont plus stériles qu’autre chose. Déjà, le simple fait qu’elles traversent l’esprit trahit une méconnaissance flagrante de la mission des prophètes.

Pour être plus clair, prenons l’exemple de deux cultivateurs qui exploitent un champ sur lequel ne poussent que de mauvaises herbes. L’un se contente de ramasser la récolte, tandis que l’autre laboure la terre en vue de revivifier ses racines qu’il arrose régulièrement. Lequel des deux a les meilleures compétences en agriculture ?

Un Verset nous offre la réponse : [Ne vois-tu pas qu’Allah compare une bonne parole, à un bel arbre aux racines profondes et dont les branches tendent au ciel • Pour donner des fruits en toute saison, avec la permission de Son Seigneur ; C’est ainsi qu’Allah se sert de paraboles pour pousser les hommes à la méditation • La mauvaise parole est, elle, comme un arbre malingre n’arrivant pas à se détacher du sol, la cause à des racines trop instables].[19]

Je nourris l’espoir que la jeunesse, notamment ceux qui s’initient à la prédication, comprenne la raison profonde pour laquelle les grands savants contemporains n’ont pas trempé dans ce genre d’aventures téméraires conduisant aux désordres. Qu’ils se fassent une bonne opinion de leurs ainés ayant agi, à la lumière des textes, en toute connaissance de cause. Ils ne furent motivés dans leur position ni par une lâcheté opiniâtre ni par une quelconque ambition pécuniaire.

Quand Allah veut du bien à quelqu’un, Il lui facilite l’accès à l’adoration du moment, et l’éloigne de ce qui ne le regarde pas. Aujourd’hui, l’adoration du moment se résume à la plume, une forme particulière du djihad. Les aventures guerrières ne sont pas à l’ordre du jour en regard d’une conjoncture défavorable aux musulmans. Le savoir est une arme imparable au service de l’individu et de la communauté. Chacun apporte sa brique à l’édifice en renforçant ses connaissances pour les transmettre aux autres dans les limites de ses moyens. Les savants et les étudiants en science religieuse, notamment, ont un rôle primordial à jouer dans cette phase périlleuse, mais incontournable.

Les gens simples ont la tâche ardue de s’occuper de leur famille, en mettant à leur disposition les outils pour les former culturellement. Les dons d’argent représentent également un sacrifice pour la cause d’Allah (constructions d’écoles, imprimerie d’ouvrages qui furent recommandés par les érudits, enregistrement et distribution d’audio aux membres de la communauté, mais aussi aux non-musulmans, etc.). Surtout ne jamais mésestimer ce genre d’actions assimilées par les textes à un grand djihad à qui il incombe à tout un chacun. Le Coran, qui est la source d’inspiration du djihad par la plume, nous dit bien : [Alors ne cède pas à la volonté des infidèles, et sers-toi de ce Livre pour leur livrer un grand combat].[20] Pour ibn el Qaïyim, il s’agit du plus grand des combats.[21] Autrement dit, la plume à l’ascendant sur l’épée.

Allah est Celui qui concède la réussite !

Traduit par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

http://www.mizab.org/

[1] Mu’âdh ibn Jabar, l’auteur de la citation: « Critiquer l’émir revient à critiquer l’Ordre d’Allah qui l’a désigné à la tête des musulmans. » Selon une version, Khâlid ibn Ma’dân ajouta : « Cela te plairait-il, toi fils d’Adam, de critiquer l’Ordre d’Allah ? » Rapporté par ibn Zanjawaïh dans el amwâl (n° 33), et Abû ‘Amr e-Dânî dans e-sunan el wârida fî el fitan (n° 144).

[2] Le bétail ; 129

[3] Le tonnerre ; 11

[4] Rapporté par les quatre recueils de sunan et authentifié par l’Albânî dans la recension dont ils furent l’objet.

[5] Les tourments sombres du jugement dernier ; 3

[6] D’après ibn Abî Shaïba (7/272), avec une chaine narrative authentique, Mohammed ibn el Hanafiya a dit : « Méfiez-vous de ces troubles qui entrainent les curieux dans leur sillage. Ces gens-là – les rois – ont un règne limité que les forces conjuguées de tous les hommes ne pourraient enlever sans la permission d’Allah. C’est aussi impossible que d’enlever les montages ! »

[7] Le rassemblement ; 19

[8] La concertation ; 30

[9] La famille d‘Imrân ; 165

[10] Les femmes ; 79

[11] Le bétail ; 129

[12] Sharh el ‘aqîda e-tahâwîya avec la recension de Sheïkh el Albânî (p. 381).

[13] Rapporté par el Bukhârî (n° 3461).

[14] Le bétail ; 129

[15] Rapporté avec une chaine narrative authentique par ibn Abî Hâtim dans son tafsîr en exégèse au Verset en question.

[16] Voir : minhâj e-sunna (4/546).

[17] Le bétail ; 129

[18] Majmû’ el fatâwâ (35/20).

[19] Ibrâhîm ; 24

[20] Le discernement ; 52

[21] Voir : miftâh dâr e-sa’âda (1/70).

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