Tout sur le djihad II
(Partie 2)

Le djihad n’est pas une fin en soi (sauf peut-être au niveau individuel), l’élasticité de la religion ne justifie pas d’abroger une loi immuable, bien qu’elle ne soit pas adaptée à toutes les conjonctures
Ibn el Qaïyim : « La Législation d’Allah se situe là où il y a un intérêt pour les hommes. »
« Une étude exhaustive des textes du Coran et de la sunna, rappelle ibn Taïmiya, nous montre que la responsabilité d’un tiers est conditionnée à la capacité de connaitre et d’agir. En étant incapable de fournir l’un de ses deux éléments, il ne lui en est pas tenu rigueur, car : [Allah n’impose rien à la personne qui soit au-dessus de ses capacités].[1] »[2] Ailleurs, il renchérit : « Quand Allah ordonne de Lui obéir et de Le craindre, c’est uniquement dans la mesure du possible, conformément au Verset : [Craignez Allah dans la mesure du possible].[3] Un hadîth nous apprend également : « … et ce que je vous ordonne, faites-le dans la mesure du possible. »[4] »[5]
Ainsi, ce principe est conforme à la tendance des anciens, et à la majorité des savants. Allah n’impose rien qui soit au dessus de nos forces, et les obligations sont restreintes à la capacité de les faire. La punition prévaut uniquement quand on délaisse volontairement une obligation ou en enfreignant une interdiction, et cela, bien sûr, après avoir établi la preuve céleste contre un fautif éventuel.[6]
L’histoire prophétique, explique ibn Taïmiya, nous montre qu’il vaut mieux dans certaines situations se concilier l’ennemi en nouant des accords de paix et en lui offrant des largesses. Un imâm peut s’imaginer à tort avoir la force pour lui tenir tête. Dans ce cas, l’intérêt réclame de renoncer à ce projet.[7]
Le Très-Haut interdit à La Mecque de prendre les armes contre les païens, comme le relate le Verset : [Ne vois-tu pas ceux à qui il fut demandé de retenir leurs mains].[8] Les premiers musulmans avaient pour mission d’endurer la persécution Quraïshites, et de ne pas leur en faire grief jusqu’au jour où le Coran leur révéla de nouvelles dispositions.[9]
La législation progressive du djihâd ; en sachant que la période mecquoise n’est pas abrogée
Les Juifs tiraient en dérision dans leurs propos le Prophète (r) qui ne réagissait pas, et cela, pour plusieurs raisons :
Premièrement : à cette époque, les musulmans étaient encore faibles ; il leur était enjoint d’endurer le mal des fils d’Israël et des païens ; la piété était de rigueur. Puis, quand l’Islam prit de l’ampleur, ce statut fut abrogé, et la guerre fut légiférée ; les Juifs furent alors frappés d’un tribut en gage de leur soumission. Il va sans dire que le dhimmî n’est pas capable d’ennuyer ouvertement les musulmans, sinon il ne serait pas soumis. Certains donnent le nom d’abrogation à ce changement d’attitude envers les ennemis. Pour d’autres, il ne s’agit pas de cela, mais d’une nouvelle situation qui réclame de nouvelles lois, comme le Coran l’avait promis pendant la période de patience.
En réalité, cette divergence porte plus sur la forme que sur le fond, car lorsque les musulmans retombent dans un état de faiblesse, ils doivent se comporter comme à la période mecquoise. La chose varie donc en fonction des endroits et des époques, et les Versets qui enjoignent à la patience restent en vigueur jusqu’à la fin du monde. Personne ne conteste qu’à Médine, le Prophète (r) appliquait les peines contre les hommes qui affichaient leur hypocrisie, et il fit des expéditions punitives contre les Juifs et les païens. Peu importe qu’on donne ou non le nom d’abrogation à cette nouvelle orientation.[10]
Ainsi, pendant la période mecquoise, le djihad n’était pas encore légiféré, et la patience était de mise. L’émigration offrit aux adeptes de la religion naissante un lieu sûr où il pouvait se renforcer, et d’où partiraient les expéditions militaires. Ils ne s’attaquaient pas à ceux avec qui ils avaient noué des accords de paix. Si le meilleur des hommes (r) avait eu la mauvaise idée de punir chaque mécréant et chaque hypocrite, la plupart des arabes y auraient vu d’un mauvais œil, et auraient renoncé à intégrer sa religion, car trop dangereuse. Allah (I) révèle : [N’obéis pas aux infidèles ni aux hypocrites, ne prêtent pas attention à leurs nuisances ; et repose ta confiance en Allah, Il te suffit comme protecteur].[11] Cette sourate fut révélée à Médine après la bataille du fossé. Le Messager (r) n’était pas suffisant fort pour s’occuper d’eux ; toute répression aurait engendré un grand désordre dans les rangs. Après la conquête de La Ville sainte, les habitants de la Péninsule embrassèrent la religion en masse, et les rapports de force n’étaient plus les mêmes.
Le temps était venu de se tourner vers les Byzantins. La Révélation mit sur la voie les adeptes de la religion naissance. La sourate Le repentir polissait les derniers commandements divins ; le djihad, le pèlerinage et la morale (ordonner le bien et interdire le mal) furent légiférés. La mission de Mohammed (r) touchait à sa fin : [Aujourd’hui, je vous ai parachevé votre religion, Je vous ai parfait de Mes bienfaits, et Je vous ai agréé l’Islam comme religion].[12] Trois mois plus tard, le sceau des messagers rendait l’âme. Il fallait évidemment préparer le terrain : rompre les traités avec les païens. Le ton était donné : [Ô Prophète ! Combats les mécréants et les hypocrites, et sois dur avec eux].[13] Il annonçait l’abrogation de : [N’obéis pas aux infidèles ni aux hypocrites, ne prêtent pas attention à leurs nuisances].[14]
Les hypocrites n’avaient plus à cette époque d’alliés pour les défendre ; le Prophète (r) avait le champ libre pour faire régner la loi à Médine, et personne n’allait s’en plaindre, car toute la région était rentrée dans les rangs. L’intransigeance devint de rigueur. Selon les savants, la sourate Les coalisés vint abroger les prescriptions précédentes. En voici un autre passage : [Si les hypocrites, les malades du cœur et les perturbateurs à Médine ne cessent pas, Nous te lancerons contre eux, et ils ne viendront plus ou presque te côtoyer dans ses murs ; ils sont maudits ! Où qu’ils soient, ils sont rattrapés].[15] En d’autres termes, ils ne s’aviseront plus désormais à injecter leurs venins. La religion triomphante n’allait plus tolérer de telles exactions.
Ainsi, quand la conjoncture est favorable aux hypocrites, nous mettons en pratique le v. 48 de la s. Les coalisés. De la même manière qu’en état de faiblesse, il nous est demandé de fermer les yeux sur leurs manœuvres, et attendre que la roue tourne. C’est à ce moment qu’on fait preuve de détermination, conformément au v. 9 de la s. e-tahrîm.[16]
La patience porta ses fruits, car, pour la première fois, les membres de la communauté hébraïque furent frappés d’un tribut qui témoignait de leur soumission, et les campagnes militaires s’étendirent au-delà du littoral du hijâz. L’ère khalifienne s’aligna aux dernières résolutions prophétiques, et il y aura toujours jusqu’à la fin du monde, un groupe qui se détache de la communauté pour porter haut l’étendard de la vérité.
Le musulman s’adapte aux différentes conjonctures qu’il rencontre, sans sortir, en cela, des directives du Coran. Quand il en a la force, il défend bec et ongles l’honneur de sa religion, et fait front aux injures que son Prophète (r) endure, et dans les moments de faiblesse, il craint Dieu dans la mesure du possible.[17] Le grand ibn Taïmiya offrit des circonstances à ses pauvres contemporains du Hijâz – déjà mal garni par l’expansion de l’innovation et de la débauche – et du Yémen, qui, incapables de tenir tête à l’envahisseur tatar, s’empressèrent de lui envoyer une missive pour lui afficher leur allégeance. Quand le roi païen s’essaya aux armées de Halab où il rencontra une forte résistance, ce fut une autre paire de manches.[18]
[1] La vache ; 286
[2] Majmû’ el fatâwâ (2/164).
[3] E-taghâbun ; 16
[4] Rapporté par el Bukhârî (n° 7288), et Muslim (n° 1327), selon Abû Huraïra (t).
[5] Majmû’ el fatâwâ (31/92).
[6] Majmû’ el fatâwâ (19/227).
[7] Majmû’ el fatâwâ (4/442).
[8] Les femmes ; 77
[9] Majmû’ el fatâwâ (4/442-443).
[10] E-sârim el maslûl (2/443-444).
[11] Les coalisés ; 48
[12] Le repas céleste ; 3
[13] E-tahrîm ; 9
[14] Les coalisés ; 48
[15] Les coalisés ; 60-61
[16] E-sârim el maslûl (3/681-683).
[17] E-sârim el maslûl (2/412-414).
[18] Majmû’ el fatâwâ (28/533).