La critique négative prime sur la critique positive ?
(Partie 1)

Iblis le malin use de ses ruses et de ses malices à l’encontre des traditionalistes (ou plus précisément des traditionnistes ndt.) qui, en toute impunité, se déchirent les uns les autres sous couvert d’appliquer les règles de la critique des rapporteurs au service de leurs instincts les plus vils. Ce fallacieux subterfuge leur accorde le droit de médire à l’encontre de leurs frères sur lesquels ils déversent, bien trop souvent, leur haine, leur jalousie, leur chauvinisme, et leurs mauvais soupçons. S’ils étaient vraiment sincères, ils commenceraient par critiquer leurs propres maitres, sur les traces du grand spécialiste Alî el Madînî qui, malgré le lien fort de parenté qui le liait à son père, remettait en cause ses aptitudes en matière de hadîth.[1] Le devoir de prodiguer le bon conseil à autrui sert malheureusement de paravent pour laver les consciences. Certains poussent la fourberie jusqu’à réserver les prières les plus chaudes en faveur de leur victime ; et, en dignes philanthropes, ils n’ont pas peur d’afficher, non sans affectation, un sentiment de compassion et de pitié, bien enrobé avec des expressions du genre : « Un tel, le pauvre, il traverse une dure épreuve ! »[2]
Sheïkh el ‘Abbad utilise ce passage, dont nous avons fait une libre synthèse, pour déplorer la situation actuelle dans les rangs des traditionalistes.
Dans le conflit qui oppose, aujourd’hui, les traditionalistes entre eux, Sheïkh el ‘Abbd prend également en exemple une citation, qui, cette fois-ci, est signée d’ibn el Qaïyim : « Ne sois pas affligé par celui qui témoigne contre lui-même, en plus du témoignage de tous les gens de science, qu’il n’est pas un savant. Si tu arrives à avoir sous la main un seul savant, qui a pour ambition et pour devise, la preuve textuelle (ou conforme aux textes ndt.), qui garde la vérité entre les yeux où qu’elle soit, sans regarder d’où qu’elle vienne, et de qui elle vienne ; tu ne te sentiras plus isolé, mais en bonne compagnie, même s’il venait à te contredire ; car, si c’est le cas, il te donneras des excuses, contrairement à l’ignare et injuste qui, à la moindre divergence, te rend mécréant ou innovateur sans se baser sur aucune preuve. Ta seule faute avec lui, c’est d’aller à l’encontre de ses idées funestes et de son train de vie coupable. Ne te laisse pas impressionné par la recrudescence de ce genre d’individus, qui, aussi nombreux soient-ils, ne valent pas un seul savant. Quant au savant, à lui tout seul, il vaut mieux que toute la terre remplie de ce genre d’individus. »[3]
Voir : dhawâbit el jarh wa e-ta’dîl du D. ‘Abd el ‘Azîz Âl ‘Abd e-Latif – qu’Allah aie son âme –.
Voir également : http://mizab.over-blog.com/article-l-abecedaire-du-jarh-wa-ta-dil-partie-1-102778595.html
http://mizab.over-blog.com/article-le-jarh-wa-ta-dil-a-la-loupe-partie-1-103460523.html
http://mizab.over-blog.com/article-la-divergence-entre-traditionalistes-partie-1-116655966.html
La critique des rapporteurs en termes détaillés ou imprécis
L’Imam Ahmed affirme : « Il ne convient pas au légiste d’imposer sa tendance aux gens et d’être dur avec eux sur la chose. » Ailleurs, il renchérit : « Ne suis pas aveuglément les hommes pour connaitre ta religion, car ils ne sont pas à l’abri de l’erreur. » Mais encore : « Ne suivez personne aveuglément, ni moi ni Mâlik, ni Shâfi’î ni e-Thawrî, mais apprenez comme nous l’avons fait. » Il disait également : « Comment reconnaitre que quelqu’un a peu de science ? Il suffit de voir s’il suit aveuglément les hommes pour connaitre sa religion… »
Détaillé (mufassir) : quand le critiqueur justifie son jugement
Imprécis, non détaillé (mubham, mujmal) : quand il n’en donne pas la raison.
Les spécialistes n’ont pas un avis uniforme sur l’obligation ou non, en matière de critique de rapporteurs, d’étayer son jugement avec des arguments à la clef. Ces derniers sont partagés en cinq avis :
1- Si la majorité d’entre eux acceptent la critique positive non détaillée, ils sont plus exigeants avec la critique négative pour laquelle ils imposent le détail.
Plusieurs raisons expliquent leur choix :
- Il y a énormément de raisons qui justifient la critique positive qu’il serait trop long de recenser à chaque fois, avec des expressions du genre, il se caractérise par son entrain à effectuer ou à délaisser telle ou telle chose. En revanche, une seule critique négative suffit à étayer son propos ;
- Tout le monde n’a pas la même vision sur les motifs qui justifient une critique négative ; on peut considérer à tort que tel comportement est blâmable, comme on le déplore chez les critiqueurs qui sont connus pour leur intransigeance et leur dureté, ce que ne leur concèdent pas leurs coreligionnaires. Il incombe donc, pour enlever tout amalgame, que le critiqueur mette en avant les raisons qui ont motivé son jugement. Le meilleur exemple est celui de Shu’ba qui refusa la narration d’un rapporteur sous prétexte qu’il montait un mulet, ce qui, à ses yeux, faisait tache sur sa réputation.[4]
2- L’avis qui prône le contraire, soit de corroborer la critique négative non détaillée, mais de n’accueillir la critique positive qu’à condition qu’elle soit détaillée. Là aussi deux raisons sont mises en avant :
- La critique négative provient en général d’un spécialiste qui maitrise son art ;
- Il est facile d’afficher des qualités qui ne sont pas siennes, et d’induire en erreur les observateurs.
3- Toute critique qu’elle soit positive ou négative n’est approuvée qu’à condition qu’elle soit détaillée
Nous l’avons vu, les points de vue sont différents sur les éléments qui motivent un jugement laudatif, et on peut très bien rendre crédible un rapporteur qui ne le mérite pas.
4- Toute critique non détaillée est validée
Là aussi, pour les mêmes motifs évoquer plus haut en faveur de la critique négative ou positive.
5- L’avis d’ibn Hajar
La critique positive est acceptée même non détaillée, tandis que pour la critique négative, la chose est plus complexe, celle-ci se présente sous la forme suivante :
- Dans la situation où le rapporteur est jugé crédible par un spécialiste de référence, seule une critique négative détaillée est à même de déroger ce statut ; même l’appréciation des plus grandes sommités ne peut faire pencher la balance de l’autre côté si elles se contentent de rester vagues. Cette règle puise ses racines dans les propos de l’Imâm Ahmed : « Aucun critiqueur, qui qu’il soit, ne peut remettre en question la crédibilité d’un rapporteur qui jouit d’un statut honorable, sauf s’il détient en main un élément indéniable. »[5] Un jugement laudatif est, en effet, le fruit d’une enquête minutieuse entreprise par des experts qui ont à leur actif une longue expérience. Il faut avoir en mains des preuves solides pour les contredire ;
- Or, il arrive qu’une critique négative non détaillée soit admise, à condition qu’il n’existe, pour la contrebalancer, aucune critique positive d’un imam de référence. Nous avons affaire ici à un rapporteur anonyme, et l’information que nous avons sur lui, aussi minimale soit-elle, offre sur lui des indices qui restent, malgré tout, sans incidence, étant donné que de toute façon, la narration d’un anonyme est rejetée.
N.B. La plupart des annotations que nous trouvons dans les recueils des spécialistes sont laconiques, mais, parfois, certains indices attirent l’attention du chercheur qui va approfondir son enquête. Nous n’interrogeons pas chaque spécialiste sur les motivations qui l’ont poussé à culpabiliser la crédibilité des rapporteurs qu’il rejette, nous dit en substance e-Subkî, mais quelques-fois, le doute nous autorise à ne pas prendre ses commentaires pour argent comptant. Le cas échéant, sauf indice supplémentaire, nous évitons de trancher sur le cas rencontré. Néanmoins, en règle générale, nous lui concédons ces jugements, surtout quand il s’agit d’un grand expert.[6] Ainsi, les jugements laconiques des grandes références ne posent aucun problème, mais, sans remettre en question leur professionnalisme et leur scrupule religieux, parfois, la suspicion prend le dessus sur la confiance que nous leur devons, surtout quand il y a divergence ou quand le critiqueur n’est pas sain de tout reproche. D’où la restriction d’ibn Hajar : « S’il n’existe aucune critique positive en faveur du critiqué, nous acceptons à son encontre toute critique non détaillée venant d’un grand expert. »[7]
Ainsi, dans la mesure où la critique négative non détaillée n’est pas sanctionnée d’un consensus, ou, qu’au minimum, aucun avis ne la contredise, il n’y a aucune raison objective de jeter la suspicion dessus.
À suivre…
Par : Karim Zentici
[1] Voir : tahdhîb e-tahdhîb d’ibn Hajar (5/174-176).
[2] Voir : el muntaqâ e-nafîs min talbîs iblis d’ibn el Jawzî p. 123-125.
[3] I’lâm el mawqi’în (3/397).
[4] Voir : el kifâya fî ‘ilm e-riwâya p. 182
[5] Voir : tahdhîb e-tahdhîb (7/273).
[6] Tabaqât e-shâfi’iya el kubrâ (2/21-22).
[7] Nuzhat e-nazhr p. 73