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5 avril 2018 4 05 /04 /avril /2018 17:18

 

 

La naissance d’une Nation

(Partie 1)

 

Le judaïsme, le christianisme et l'islamisme ont été enfantés par cette branche de la famille sémitique constituée par les juifs et les Arabes.

Gustave Le Bon.[1]

 

L’Arabie heureuse, le (second) berceau de l’Humanité

 

…à la place d'un désert, les nouveaux arrivants ont trouvé un paradis terrestre constitué de grandes prairies. L'occupation de ce nouvel Éden aurait duré plusieurs millénaires avant que l'homme ne poursuive sa conquête du monde.[2] 

 

Le Prophète prédit que l’Heure de la fin du monde ne sonnera pas avant que la Péninsule arabique ne retrouve ses fleuves et sa végétation abondante.[3]

 

On a peine à se représenter l'Arabie autrement que comme une masse désertique de pierres et de sables, comme un brasier qui se consume lentement sous un soleil dévorant. Contrairement à beaucoup d'autres contrées du monde, c'est un pays où le rôle primordial de la terre a été confisqué au profit de la lumière et du ciel. Il semble avoir été façonné dans une substance immatérielle et ses horizons ressemblent moins à des paysages qu'à ces images incandescentes qui naissent au cœur du feu.

Pourtant, il n'en fut pas toujours ainsi. Car les historiens nous assurent qu'en des temps immémoriaux, quand l'Europe gisait ensevelie sous le linceul blanc de l'époque glacière, l'Arabie était une contrée verdoyante et fertile, irriguée par plusieurs fleuves, un pays souriant où les pâturages alternaient avec les forêts.

Quelle fut la vie de cette Arabie fraîche et boisée, où les sources bruissaient au fond des clairières ? Nous n'en savons rien, car aucun témoignage n'en est parvenu jusqu'à nous. Sans doute sa faune était-elle semblable à celle de l'Afrique et des Indes, entre lesquelles elle servait de trait d'union. On devait y rencontrer des mammouths et des aurochs, des buffles et des gazelles, des aigles et des léopards. Mais tout cela n'est plus.[4]

 

Paran

 

J’ai complété d’Issa la lumière imparfaite.

Je suis la force, enfants ; Jésus fut la douceur.

Le soleil a toujours l’aube pour précurseur.

Victor Hugo

 

La Bible parlait déjà de cette plaque incandescente, qui, telle une chaudière flanquée dans le couloir du salon, fut maintenue à l’écart des grandes civilisations parsemées le long du Croissant fertile, et du pourtour méditerranéen : « L'Éternel est venu du Sinaï, Il s'est levé sur eux de Séir, Il a resplendi de la montagne de Paran. »[5]

 

Ces versets désignent les trois grands mouvements monothéistes qui ont jalonné l’Histoire de l’Humanité récente. Il compare leur impact sur le devenir des hommes à la rotation journalière du soleil, qui, à l’aube, apparait timidement. Puis, à mesure qu’il envahit le ciel, ses rayons dévorent l’ombre jusqu’à atteindre le zénith. Le Sinaï fait allusion à Moïse, Séir à Jésus qui vit le jour dans les environs de cette terre où poussent le figuier et l’olivier, et Paran à Mohammed, le dernier des prophètes. Le Coran rendra également hommage à ses trois localités que Dieu prend en serment : (Par le figuier et l’olivier • Par le mont Sinaï • Par ce pays paisible).[6] Ici, l’ordre chronologique est abandonné au profit d’une hiérarchie partant de la moins prestigieuse à la plus prestigieuse des manifestations du culte du Dieu unique : le christianisme, le judaïsme, et l’islam.

 

D’autres passages de l’Ancien Testament évoquent la montagne de Paran qui joua un rôle crucial dans l’échiquier de la prophétie que le Très-Haut mettait en place.[7] Entre autres, il y eut cette rencontre qui féconda, à l’abri des regards, le destin du dernier acte de la folle aventure des terriens. Passé inaperçu, le Pentateuque se chargea d’immortaliser ce dialogue qui opposa l’Ange Gabriel à Agar servante de Sara : « L'ange de l'Éternel la trouva près d'une source d'eau dans le désert, près de la source qui est sur le chemin de Schur. 8 Il dit : Agar, servante de Saraï, d'où viens-tu, et où vas-tu ? Elle répondit : Je fuis loin de Saraï, ma maîtresse. 9 L'ange de l'Éternel lui dit : Retourne vers ta maîtresse, et humilie-toi sous sa main. 10 L'ange de l'Éternel lui dit : Je multiplierai ta postérité, et elle sera si nombreuse qu'on ne pourra la compter. 11 L'ange de l'Éternel lui dit : Voici, tu es enceinte, et tu enfanteras un fils, à qui tu donneras le nom d'Ismaël ; car l'Éternel t'a entendue dans ton affliction. 12 Il sera comme un âne sauvage ; sa main sera contre tous, et la main de tous sera contre lui ; et il habitera en face de tous ses frères. 13 Elle appela Atta-El-roï le nom de l'Éternel qui lui avait parlé ; car elle dit : Ai-je rien vu ici, après qu'il m'a vue ? 14 C'est pourquoi l'on a appelé ce puits le puits de Lachaï-roï ; il est entre Kadès et Bared. 15 Agar enfanta un fils à Abram ; et Abram donna le nom d'Ismaël au fils qu'Agar lui enfanta. 16 Abram était âgé de quatre-vingt-six ans lorsqu'Agar enfanta Ismaël à Abram. »[8] Bien sûr, la version coranique est sensiblement différente de celle-ci qui concède, malgré tout, le mérite de poser les grandes lignes de ce qui conviendra d’appeler l’évènement fondateur de la civilisation islamique.

 

La muraille du désert protège Paran contre les grandes invasions

 

L’Arabie resta à l’écart de ces mouvements houleux se tramant le long du Croissant fertile qui apportait sa contribution à la civilisation. Repliée sur elle-même, immobile et silencieuse, elle se refusait au temps, au changement, à l’Histoire. Le monde civilisé ne parvenait pas à franchir le rideau de feu qui la dérobait aux regards. Parce qu‘elle demeurait inconnue, on la croyait heureuse. Le peu qu’on savait d’elle était vague et contradictoire. De temps à autre, un marchand venant des Indes, qui apportait à Tyr ou à Byblos des bijoux, de l’ivoire ou de la myrrhe, parlait avec émerveillement des royaumes qu’il avait traversés au cours de son voyage et faisait des descriptions enthousiastes des cités cachées derrière les sables du désert. Des scribes et des savants s’emparaient de ces légendes, et leur conféraient, sans contrôle, le sceau de leur autorité.

 

Voulant savoir quelles réalités se cachaient derrière ces fables, l’empereur Auguste chargea le proconsul d’Egypte Aélius Gallus d’envahir la péninsule pour s’emparer des citadelles dont on lui vantait la richesse. Le proconsul rassembla ses légions, leur ordonna de revêtir leurs lourdes cuirasses d’airain, et s’enfonça avec elles au mur de l’Arabie (4 avant J.C.). Il ne trouva qu’une terre stérile et désolée, habitée par des tribus sauvages, qui avaient à peine figure humaine. La plupart des légionnaires périrent de soif au cours de l’expédition. Les autres succombèrent à la chaleur et à l’épuisement. Leurs dépouilles, groupées par centuries, furent abandonnées aux oiseaux de proie. Les nomades qui passèrent par là, quelques semaines plus tard, trouvèrent leurs cadavres à moitié recouverts par le sable, serrant encore leurs glaives dans leurs poings décharnés. Sur le conseil d’Aélius, Rome renonça à conquérir la péninsule. L’Arabie demeura donc inviolée et isolée du monde, « car c’était une contrée aride et inhospitalière, un pays violent et cruel, peuplé d’habitants aussi violents et aussi cruels que leur pays ».

Là où il y avait un peu d’eau, un puits rond au milieu d’une oasis ou sur les plages, quelques tribus avaient réussi à bâtir des hameaux en brique et en torchis. Le reste de la population menait une existence misérable. Elle était constituée par des bergers nomades qui poussaient devant eux de maigres troupeaux, à la recherche d’une pâture plus maigre encore. Hirsutes, faméliques, et dénués de toute culture, leur seule richesse était leur vitalité. Mais celle-ci était immense, comme tout ce que le désert suscite au cœur de l’homme.[9]

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

 

[1] Les plus anciennes traditions des Arabes ne remontent pas au-delà d'Abraham, mais la linguistique nous prouve qu'à une époque beaucoup plus reculée, toutes ces vastes régions comprises entre le Caucase et le sud de l'Arabie étaient habitées sinon par une même race, au moins par des peuples parlant la même langue. L'étude des langues dites sémitiques démontre en effet que l'hébreu, le phénicien, le syriaque, l'assyrien, le chaldéen et l'arabe ont une étroite parenté et par conséquent une commune origine.

Gustave Le Bon.

[3] Depuis les travaux pionniers de McClure en 1976 sur le climat de la Péninsule arabique, nous connaissons l’existence de deux périodes humides au cours des 30 derniers millénaires. Les lacs, de forme allongée, avaient parfois plusieurs kilomètres de longueur. D'après l'épaisseur des différentes couches, McClure estime que ces lacs ont pu avoir de l'eau en permanence durant un certain temps : de plusieurs années à plusieurs centaines d'années. On n'a retrouvé ni restes de poissons ni restes d'oiseaux, mais les os de Vertébrés sont assez abondants, avec une faune comprenant non seulement des oryx et des gazelles, mais aussi des bovidés et, même, le genre Hippopotamus, qui exige une eau permanente. McClure estime qu'à cette époque, en raison de pluies de mousson estivales assez marquées, les dunes, stabilisées, étaient couvertes d'une végétation arbustive ou herbacée du type actuel, mais beaucoup plus dense et luxuriante qu'aujourd'hui.  

Voir : http://www.persee.fr/docAsPDF/paleo_0153-9345_1992_num_18_1_4560.pdf

Voir également : http://books.openedition.org/cefas/1585?lang=fr#bodyftn4

[4] Jacques Benoist-Méchin, Ibn Séoud ou la naissance d’un royaume.

Les chasseurs du Rub Al-Khali chassaient l'oryx, la gazelle, le guépard, le chacal, l'hyène, le renard et l'autruche. Les lacs, nombreux, couvraient chacun plusieurs km2 et certains, comme celui de Jubba, étaient très vastes. Les données sont indicatrices d'eaux stagnantes, mais au-dessus elles témoignent de la présence d'eaux douces telles qu'on en trouve aux latitudes moyennes, avec des profondeurs de l'ordre de la dizaine de mètres.

Le chercheur Whitney remarque qu’en Arabie occidentale, une phase humide aurait permis l'établissement d'une couverture végétale assez dense, et aurait été ensuite remanié par le ruissellement.

Voir : http://www.persee.fr/docAsPDF/paleo_0153-9345_1992_num_18_1_4560.pdf

[5] Deutéronome ; 33.1-3 

[6] Les Figuiers ; 1-3

En exégèse à ce Verset, ibn Jarîr e-Tabarî souligne : « Ce pays paisible est épargné de se faire attaquer ou envahir par ses ennemis. Une autre hypothèse avance que paisible (amîn) à le sens ici d’abri, d’asile, de refuge. » Jâmi’ el bayân (30/341-342).

[7] Notamment : « Dieu vient de Témân, le Saint du mont Parân. Sa majesté comble le ciel. Sa louange emplit la terre. La lumière devient éclatante. Deux rayons sortent de sa propre main : c’est là le secret de sa force.» Habaquq ; 3.3-4

[8] La Genèse ; 16.7-16

« sa main sera contre tous, et la main de tous sera contre lui » semble être une malversation de : « sa main sera au-dessus de tous, et la main de tous sera sous la sienne. » Le sens est ainsi radicalement différent ! Par ailleurs, l’expression « âne sauvage » qu’André Chouraqui traduit par « onagre humain » est une transformation du terme hébreu para désignant la multitude, et qui colle mieux au contexte.

[9] Jacques Benoist-Méchin, Ibn Séoud ou la naissance d’un royaume.

 

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