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8 avril 2018 7 08 /04 /avril /2018 11:09

 

 

La naissance d’une Nation

(Partie 4)  

 

 

 

Hagar allaita son bébé et épuisa l’eau de son outre. Tous deux furent pris par la soif. Comme elle le voyait se tordre de douleur, elle s’éloigna de lui pour ne pas souffrir ce triste spectacle. Elle se rendit à Safa qui était le monticule le plus proche ; elle grimpa dessus pour dominer la vallée du regard et chercher de l’aide, mais elle ne vit personne. Elle se déplaça. Une fois en bas de Safa, elle se retrouva dans l’oued. Elle leva un empan de son vêtement et se mit à courir à perdre haleine, car d’en bas, elle ne voyait plus son fils. De l’autre côté de l’oued, Marwa se dressait devant elle. Elle l’escalada pour scruter l’horizon, dans l’espoir de trouver quelqu’un, mais en vain. Sa détermination resta intacte, elle revint sur ses pas et réitéra le même parcourt à sept reprises.

 

« C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, les pèlerins font le parcours entre Safa et Marwa. », explique  un propos prophétique. Arrivée enfin sur le mont Marwa, elle entendit un bruit. « Chut ! » se dit-elle a elle-même.  Après l’avoir entendu à nouveau, elle s’écria : « Tu t’es fait entendre, si tu as quelques secours à proposer. » Elle se retrouva face à l’ange qui tâta le sol du talon – ou de l’aile –, et l’eau se mit à jaillir. Elle l’entoura de ses mains et remplit son outre à ras-bord. Elle chercha à contenir cette source qui se formait sous ses yeux : « Zam (stop) ! Zam ! », mais sans succès.

 

Selon ibn ‘Abbâs, le Prophète (r) commenta : « Qu’Allah fasse miséricorde à la mère d’Ismâ’îl, si ses mains n’avait pas touché à la source pour y puiser l’eau, Zem-zem coulerait aujourd’hui en surface. »[1] Elle en but, reprit-il, et allaita son bébé.

 

« Ne craignez rien, vous ne serez pas laissés à l’abandon, dit l’ange, à cet endroit se trouve la Maison d’Allah que cet enfant et son père vont édifier. Allah ne laissera pas ses habitants à l’abandon. » Une fois (re)construit, le haut édifice de la Kaaba dominait comme une colline. À la saison des pluies, les torrents le contournaient de part et d’autre.

 

Avec le temps, le puits de Zem-zem fut enseveli, mais ‘Abd el Muttalib le grand-père du Prophète (r) lui redonna vie. La distribution de l’eau (siqâya) revint à son fils el ‘Abbâs et à sa postérité. Il avait la charge de distribuer Zem-zem et l’eau potable ; la tradition (sunna) recommande d’en boire.

 

La vision d’Abd el Muttalib :

 

Sur le chemin du retour, une caravane de la tribu yéménite Jurhum avait fait halte non loin de l’endroit où se produisit le miracle. Un oiseau qui tournoyait dans le ciel leur indiquait, à leur grande surprise, qu’il y avait un point d’eau juste en dessous de lui. Pourtant, aucune source n’était signalée dans la région. Pour étancher leur curiosité, ils envoyèrent deux hommes en reconnaissance. Ceux-ci découvrirent un puits près duquel se tenait une femme. Ils se rapprochèrent et lui demandèrent l’autorisation de s’installer près d’elle. Elle accepta, elle qui avait besoin de compagnie, sans oublier de leur rappeler au passage que cette fontaine souterraine ne leur appartenait pas. Ils se plièrent à sa volonté et allèrent chercher le reste de la caravane.[2] Jurhum était une branche de la tribu Qahtân dont les membres sont les descendants des Arabes primitifs.[3] Ismâ’il grandit au milieu d’eux, il apprit leur langue et prit une de leurs filles pour épouse. Ses descendants, dont ‘Adnân l’ancêtre de Mohammed (r) est issu, sont les Arabes d’adoption.[4] Après la mort de sa mère, Ismâ’il aida son père Ibrahim à élever les fondations de la Kaaba.

 

La Mecque commençait à grandir, mais ses habitants respectaient de moins en moins son caractère sacré. Ils encourraient la punition divine et durent quitter les Lieux saints, car comme son nom l’indique, Mekka éteint l’ardeur des tyrans ou selon une autre hypothèse, elle chasse les pervers de son enceinte.[5] La tribu des Banû Bakr aidés des Ghabashân – tout deux issus des Khuzâ’a – décidèrent de se faire justice eux-mêmes et expulsèrent les Jurhum de l’enceinte sacrée. Après vingt et un siècle de règne des Jurhum, les Khuzâ’a prenaient le relais de l’entretien du Temple.[6] Conscient d’une défaite certaine, le roi Mudhâdh ibn ‘Amr el Jurhumî avait pris soin, avant de se sauver au Yémen (qui était la terre de ses ancêtres), de dissimiler ses richesses dans le puits de Zam-zam. Puis, il l’ensevelit pour interdire à ses ennemis l’accès à la source principale en eau de la ville.[7] Trois cents ans plus tard, naquit Qusaï ibn Kilâb qui grandit aux frontières du Shâm (l’ancienne Syrie). Armée d’une forte personnalité, il allait changer le destin de La Mecque. De la descendance de ‘Adnân de la lignée d’Ismâ’îl, il se maria dans un premier temps à la fille du gouverneur de la Ville sainte qui, comme nous l’avons vu, revint aux mains des Khuzâ’a. Ce fut par se biais qu’il bâtit sa renommée auprès de ses concitoyens. Il devint riche, et monta très vite les échelons dans la société.

 

Un beau jour, la tribu de Khuzâ’a se retourna contre lui. Les historiens donnent plusieurs explications à cette rupture. Pour certains, Qusaï aurait voulu reprendre le règne de son ancêtre Ismâ’îl ; pour d’autres, son gendre lui aurait fait hériter de l’entretien du Temple et des Lieux saints ; d’autre enfin avancent qu’un des membres de Khuzâ’a lui aurait vendu la Ka’ba en échange d’une cruche de vin. Quoi qu’il en soit, furieux, les Khuzâ’a prirent les armes aux côtés des Banû Bakr. En face, Qusaï avait monté une armée de Qurayshites et obtint le soutien des Kinâna. De violents combats eurent lieu. Ils se soldèrent par la victoire de Qusaï. Après arbitrage, les antagonistes renoncèrent au prix du sang ; l’entretient du Temple revint aux descendants d’Ismâ’îl, les Qurayshites et l’administration de la ville aux Khuzâ’a. La renommée des Qurayshites, qui s’étaient emparés de la capitale économique et spirituelle des Arabes, prenait de l’ampleur à travers toute la Péninsule.[8]

 

Or, à cette époque Zam-zam était toujours introuvable. Après la mort de Qusaï, ses enfants se partagèrent, non sans tension, l’administration des Lieux saints. Aux Banû ‘Abd Manâf revenait l’approvisionnement des pèlerins en eau (siqâya). Shaïba el Hamd ibn Hâshim ibn ‘Abd Manâf ibn Qusaï fut élevé dans le giron de son oncle el Muttalib, à qui il doit le surnom d’Abd el Muttalib (le serviteur d’el Muttalib). Quand Abd el Muttalib, qui deviendra le grand-père de l’Envoyé (r), hérita de son oncle la fonction de siqâya, il ne savait pas qu’un grand destin l’attendait.

 

Cet évènement n’a pas échappé au chroniqueur ibn Ishâq qui l’a répertorié en intégralité. Il nous raconte qu’un jour, le grand-père de l’Ami d’Allah (r) entra dans le Hijr de la Kaaba pour y faire un somme.[9] Il vit en songe qu’on lui demandait de déterrer Taïba, mais il ne savait pas à quoi ce nom correspondait. Le lendemain, le même rêve se renouvela, mais cette fois il s’agissait de Barra. Il vécut la même chose les deux jours suivants, et à chaque fois l’endroit qu’il fallait déterrer changeait de nom ; il s’agissait pour la troisième nuit de Madhnûna, et pour la quatrième de… Zamzam.[10]

 

Ce nom étrange demeurait pour lui une énigme que sa vision nocturne, désormais coutumière, allait résoudre. La nuit suivante, il vit le lieu où il fallait creuser. Le lendemain, il se rendit à l’endroit en question accompagné d’el Hârith, qui était alors son seul fils. Il se mit à creuser et dès qu’il découvrit le puits, il proclama la grandeur d’Allah. Les Qurayshites comprirent qu’il avait atteint son but. Ils vinrent à sa rencontre et lui rappelèrent que ce puits appartenait à leur ancêtre Ismâ’îl, et qu’ils avaient dessus autant de droits que celui qui l’avait retrouvé. Il y avait déniché notamment deux gazelles en or qui appartenaient à la tribu de Jurhum. Ils y avaient caché également leurs sabres et leurs armures…[11] Avant d’entamer les recherches, Hishâm avait fait le vœu à Dieu que s’il menait sa mission à bien et qu’il engendrait dix enfants mâles, d’en égorger un par reconnaissance envers Ses bienfaits immenses.

 

Après l’histoire du puits, ibn Hâshim avait gagné l’estime de ses concitoyens et le rang des Banû ‘Abd Manâf grandissait jour après jour. Il engendra dix enfants mâles et devait désormais remplir son vœu. Il tira au sort pour désigner lequel de ses fils devait mourir. À chaque fois, le sort désignait celui qui était le plus cher à ses yeux ; celui-là même qui, plus tard, mettra au monde le sceau des Prophètes : c’était ‘Abd Allah ! Les oncles de l’enfant et les notables de Quraysh cherchèrent à l’en dissuader. Il décida alors de tirer au sort pour choisir lesquels entre ‘Abd Allah ou cent chameaux devait-il sacrifier. Le décret d’Allah porta sur les bêtes,[12] ‘Abd Allah fut sauvé, car l’humanité attendait l’avènement prochain de son fils, ce qui en soit est un signe précurseur à sa prophétie. La prière de ses ancêtres Ibrahim et Ismâ’il devait ainsi être exaucée : [Seigneur ! Envoie-leur un Messager issu des leurs afin qu’il leur récite Tes Versets, qu’il leur enseigne le Livre et la Sagesse, et qu’il les purifie, Tu es certes le Dieu Puissant et Sage].[13]

 

« A l'égard d'Ismaël, je t'ai exaucé. Voici, je le bénirai, je le rendrai fécond, et je le multiplierai à l'infini ; il engendrera douze princes, et je ferai de lui une grande nation. »[14]

 

Abraham, qui avait réussi ses durs « travaux », devint un exemple pour tous les adeptes du monothéisme jusqu’à la fin du monde. Le Coran lui rend hommage à maints endroits : [N’avions-nous pas déjà offert à la famille d’Ibrâhîm le Livre et la sagesse, en plus d’un vaste royaume ?][15] ; [qui vous a élu sans ne vous accablez de la moindre gêne dans votre religion qui est celle de votre père Abraham, lequel vous a donné dans les Écritures antérieures le nom de musulmans que vous gardez encore dans ce Livre, afin que le Prophète soit témoin que le message vous ait été transmis, et que vous-mêmes soyez témoins que les hommes l’aient bien reçu][16] ; (Qui donc se détournerait de la confession d’Abraham à moins d’être un insensé, Nous l’avons élu ici-bas, et, dans l’autre monde, il siègera parmi les justes • Lorsque Son Seigneur lui ordonna de se soumettre, il répondit promptement, je me soumets au Seigneur de l’univers • Abraham, et Jacob par la suite, fit cette recommandation à ses fils : Mes Enfants, Dieu a choisi pour vous cette religion, alors soyez-y soumis jusqu’à la mort).[17]

 

 

Couvés à l’ombre du grand théâtre qui se jouait à ciel ouvert sur la carte du monde, le temps était enfin venu pour les Arabes de la Péninsule d’entrer en scène afin d’écrire leur propre page dans le grand registre de l’Histoire des hommes. Les plans du Seigneur sont impeccables.

                           

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

 

[1] Voir : Fath el Bârî (6/402).

[2] Rapporté par el Bukhârî (n° 3364).

[3] Qahtân est mentionné dans l’Ancien Testament sous le nom de Yoqtân (voir : la Genèse ; 10.26).

[4] Voir : Fadhâil mâ zam-zam (p. 24).

[5] Voir : Fadhâil Makka du D. Mohammed Ghabbân (1/23-28).

[6] Voir : Fadhâil mâ zam-zam (p. 28).

[7] Voir : Târîkh el Ka’ba du D. Husnî el Kharbûtlî.

[8] Voir : Sîra ibn Hishâm (1/247-249).

[9] Le Hatîm est la partie non finie de la Ka’ba qui entre dans les fondations d’Ibrahim. Il fut appelé ainsi, car il fut détruit (ihtatama) par les inondations et le Hijr doit son nom au mur qui l’entoure. Avant l’avènement de Mohammed (r), les Quraïshites manquaient de moyens pour reconstruire cette partie, car ils n’acceptaient que l’argent honnête. Ils furent obligés de réduire la façade nord et montèrent à l’endroit des fondations un mur qui resta tel quel jusqu’aujourd’hui. Ils lui donnèrent le nom de Hijr Ismâ’îl. Cette appellation fait probablement allusion à la fable selon laquelle le fils d’Ibrahim y serait enterré avec un certain nombre de prophètes. Cette histoire n’est pas crédible, si l’on sait que le Hijr doit son nom à la partie manquante de la Ka’ba.

[10] Voir : Akhbâr Makka d’el Azraqî (2/44-46), Dalâil e-Nubuwwa d’el Baïhaqî (1/93), Sîra ibn Hishâm (1/89-90), el bidâya wa e-nihâya d’ibn Kathîr (2/227).

[11] Cette version est rapportée dans Akhbâr Makka d’el Azraqî.

[12] Idem. (2/42-43).

[13] La vache ; 129

[14] La Genèse ; 17.20

[15] Les femmes ; 54

[16] Le pèlerinage ; 78

[17] La vache ; 130-132

 

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