Dialogue avec Karim Hanifi I/3
Explication
Il est possible de déceler la raison de cette mystérieuse liaison entre le Coran et la Thora à travers le contenu de certains des Versets que nous avons cités précédemment. À titre d’exemple, nous pouvons recenser : (Nous révélâmes la Thora de laquelle émanent droiture et lumière)[1] jusqu’à : (Nous te révélâmes, en toute vérité, le Livre venu corroborer les anciennes Écritures et faisant force d’autorité. Alors, appuie-toi dessus pour arbitrer les litiges que te soulèvent les fis d’Israël, et ne cède pas à leurs passions au dépend de la vérité qui y prévaut).[2]
Ces Versets dévoilent la raison pour laquelle les deux missions ont été rassemblées dans un seul contexte. Dans la sourate le Repas céleste, le Tout-puissant fait les éloges de la Thora auxquelles Il fait suivre les éloges du Coran. Il met l’accent sur l’autorité que constitue ce dernier sur l’ensemble des messages dont la Thora fait partie. Autrement dit, il en est le Juge, le Témoin, et le Dépositaire loyal. Il en est le Juge pour les avoir abrogés, le Témoin car ils ont été falsifiés alors qu’il est sauvegardé. Il en est le Dépositaire étant donné que tous les enseignements de ces derniers en accord avec lui correspondent à la vérité ; et tout ceux qui le contredisent sont automatiquement jugés faux (voir éventuellement abrogés, ndt.) comme Allah le déclare clairement dans le verset : (Ce Coran expose aux fils d’Israël la plupart des discordes qui les opposent).[3] Ce rapprochement veut probablement nous dire que s’il est reconnu les mérites des Livres sacrées précédents, cela n’autorise pas à les mettre en pratique après l’avènement de Mohammed (r) puisque le Coran fait autorité sur eux.
C’est pourquoi, ibn Taïmiya a souligné dans le contexte que nous avons désigné précédemment à l’occasion de la sourate Le voyage nocturne, dans son ouvrage tafsîr Âyât ashkalat : « (En vérité, ce Coran guide vers le chemin le plus droit)[4] : Il est plus droit que celui des dépositaires de la Thora. De plus, il est plus juste au niveau de la direction que le Livre précédent. Malgré la particularité de la Thora à guider sur le droit chemin, le Coran a une plus grande propension à le faire. C’est pourquoi, ce Verset est cité juste après celui dans lequel il est dit : (Nous avons octroyé à Moïse le Livre qui a servi pour les enfants d’Israël de guide).[5]. Ensuite, Il dit : ( En vérité, ce Coran guide vers le chemin le plus droit).[6] »[7]
Un autre Verset dans la sourate Les nations agenouillées vient confirmer ce principe : (Puis, Nous t’avons placé sur une voie normative, alors veille à la suivre sans que les passions des ignorants n’exercent sur toi la moindre influence).[8] Le Seigneur Tout-Puissant l’a affirmé après avoir dit : (En vérité, Nous avons concédé aux enfants d’Israël le Livre).[9] Néanmoins, dans la sourate La famille d‘Imrân, le passage suivant en l’occurrence : (Lui qui, en toute vérité, te révéla progressivement le Livre venu corroborer les anciennes Écritures telles que la Thora et l’Évangile qu’Il révéla • Auparavant en guise de bonne direction pour les hommes. Puis, il révéla le Livre du discernement).[10] Allah a fait suivre dans cette énonciation le Coran à la Thora et l’Evangile en le nommant Furqân, le différenciateur (que nous avons traduit pas le Livre du discernement). Il exprime ainsi cette qualité recensée en lui qui est la particularité de trancher entre le vrai et le faux. Cela va certainement dans le sens qu’il est impératif pour toute nation en quête de la vérité, de suivre le Coran indépendamment des autres Livres révélés, après l’avènement de la mission Mohammadienne.
Ibn el Qaïyim précise à ce sujet : « Il a évoqué la révélation du Coran le Guide, le Différenciateur qui correspond à la victoire venant trancher entre le vrai et le faux. La subtilité dans le fait de lier la victoire à la bonne direction (le droit chemin, ndt.), c’est que tous deux ont la propension à trancher entre le vrai et le faux. Ainsi, le Très Haut dénomme el Furqân la chose à l’origine de la victoire offerte à Ses Serviteurs comme dans le Verset suivant : (… pour peu que vous croyez en Dieu et à la Loi que Nous avons révélé à Notre serviteur le jour de gloire (Furqân) qui vit s’affronter les deux armées).[11]
Il a donc cité les deux principes : la révélation descendue le jour de gloire qui correspond à la victoire de Badr ; le jour où Allah a séparé le vrai du faux en donnant la victoire à Son messager et à Sa religion, en opposition à l’humiliation et à la débâcle qu’Il a infligé à Ses ennemis. »[12]
Ainsi, Allah mentionne ce genre de Versets pour exprimer la nécessité de suivre le Coran en particulier indépendamment des autres Livres comme nous l’avons déjà vu à travers notamment : (À présent, voici un Livre béni que Nous révélons, alors honorez ses Lois).[13] C’est pourquoi, lorsque le Seigneur a mis les croyants en garde de suivre la confession des gens du Livre, Il dit : (Les Juifs et les Chrétiens ne seront jamais satisfaits de toi aussi longtemps que tu daignes te soumettre à leur confession. Dis-leur : la voie du Seigneur est pourtant la meilleure. Et si, d’aventure, tu t’avisais à te plier à leurs passions, malgré les enseignements qui te sont parvenus, tu ne trouveras en Allah ni soutien ni protecteur).[14] Il est dans ce contexte fait mention aux adeptes du noble Livre : (Ceux à qui Nous avons donné le Livre, ils le lisent fidèlement, ceux-là y croient réellement, mais les autres qui le renient sont les véritables perdants).[15] Ibn ‘Abbâs donne l’explication suivante : « Ils le suivent fidèlement. » ‘Iqrima, qui n’est autre que le rapporteur d’ibn ‘Abbâs, clarifie : « Ne vois-tu pas que tu peux dire : quelqu’un lit les traces de quelqu’un, c'est-à-dire qu’il le suit. (Par le soleil et sa clarté • Et par la lune quant elle le suit).[16] Mot à mot : quant elle le lit. »[17]
Cette description concerne indépendamment les gens du Livre ou les Compagnons (compte tenu de la fameuse divergence sur la question entre les exégètes). Quoi qu’il en soit, les gens du Livre reçoivent les éloges dans la mesure où ils croient au Coran et où ils le suivent effectivement comme nous l’avons déjà vu.
Et l’Évangile ?
Si l’on demandait pourquoi la plupart de ces Versets font mention uniquement de la Thora indépendamment de l’Évangile ? Nous dirions parce que l’Évangile est dans la continuité de la Thora, et qu’il en est le complément. Ibn Kathîr l’a notifié en faisant l’explication des versets 38 à 51 de la sourate Les récits : « Il est élémentaire pour les gens doués de raison que le Très-Haut n’a pas descendu du ciel parmi les différents livres révélés, de plus complet, de plus vaste, de plus clair, de plus illustre, et de plus noble que le Livre révélé à Mohammed (r), le Coran en l’occurrence. Le Livre accordé à Moïse fils d‘Imrân se situe tout de suite après lui, dans sa noblesse et sa magnificence. Ce Livre qu’Allah a décrit ainsi : (Nous révélâmes la Thora de laquelle émanent droiture et lumière, et à partir de laquelle les prophètes dévoués à Dieu, font régner la justice sur les juifs, au même titre que les rabbins et les docteurs de la Loi, ces dignes témoins et gardiens de leur héritage).[18] Tandis que l’Évangile fut révélé pour justement compléter les enseignements de la Thora, et pour défaire certaines interdictions passées infligées aux Israélites. »[19]
Cette analyse est corroborée par le Verset suivant qui fait dire à Jésus : (Je viens aussi confirmer la Thora qui fut transmise avant moi, mis à part quelques interdits que je vous soulage désormais).[20] Compte tenu que le Coran et la Thora s’avèrent plus achevés que les autres Livres, Allah les a désignés ainsi : (Dis-leur : Alors, apportez-moi un livre céleste plus éclairé que ces deux-là afin que je le suive, si vous êtes vraiment sincères).[21]
En résumé, cette fameuse liaison a pour fonction de couper court à toute suspicion éventuelle concernant la pérennité des Livres abrogés bien que l’amalgame soit de taille. En effet, tous proviennent du Seigneur de l’univers. L’un est donc motivé par les éloges que peuvent susciter même dans l’absolu, les livres précédents, l’autre s’applique à en faire les éloges par rapport à leur premier statut, avant d’avoir subit toute altération.[22]
À la lumière de l’analyse précédente, il devient clair que les relatifs éloges émis par le Tout-Puissant à l’adresse de la Thora et de l’Évangile mettent en exergue le statut illustre du Coran qui exerce dessus un droit de regard et d’éventuelles corrections qui font suite à leur altération volontaire. En cela, ces fameux éloges ne pointent que les textes originaux qui restent malgré tout soumis à l’approbation du Coran, ce qui, en aucun cas ne ressort de la méthode hanifiya, ne serait-ce que de manière implicite. Ainsi, si on veut écrouler son château de cartes sur lequel il a construit toute sa rhétorique, il suffit de démontrer que l’Ancien et le Nouveau Testaments furent sujets à des falsifications volontaires, en plus des erreurs innombrables qui les parsèment. Ce sera donc l’objet de notre prochain article, si Dieu nous prête vie, qui mettra sérieusement à mal la pierre angulaire de sa fragile démonstration ! Que Dieu nous vienne en aide !
Par : Karim Zentici
[1] Le Repas Céleste ; 46
[2] Le Repas Céleste ; 48
[3] Les fourmis ; 76
[4] Le voyage nocturne ; 9
[5] Le voyage nocturne ; 2
[6] Le voyage nocturne ; 9
[7] Tafsîr Âyât Ashkalat (1/424).
[8] Les nations agenouillées ; 18
[9] Les nations agenouillées ; 16
[10] La famille d‘Imrân ; 3-4
[11] Le butin ; 41
[12] Badâi’ el Fawâid (2/253).
[13] Le bétail ; 155
[14] La Vache ; 120
[15] La Vache ; 121
[16] Le soleil ; 1-2
[17] Narration rapportée par Abû ‘Ubaïd dans Fadhâil el Qur-ân (p. 130), ibn Jarîr dans son tafsîr (2/388 et 492), et ibn el Muqrî dans el Mu’jam (n° 105) avec une chaîne narrative authentique.
[18] Le Repas Céleste ; 44
[19] Voir : el Jawâb e-Sahîh d’ibn Taïmiya (6/517).
[20] La famille de ‘Imrân ; 50
[21] Les récits ; 49
[22] J’emprunte à longue analyse au livre raf’ e-zhull wa e-sighâr du Sheïkh ‘Abd el Mâlik Ramadhânî.