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13 mars 2019 3 13 /03 /mars /2019 09:47

Quelques règles élémentaires

du takfîr

 

Voir : e-takfîr wa dhawâbituhu de Sheïkh Ibrahim e-Ruhaïlî.

 

D’un point de vue terminologique, il faut savoir que le kufr correspond pour certains savants à tout ce qui s’oppose à la foi ou pour la plupart, à renier n’importe quel enseignement du Prophète (r) ; cela concerne aussi bien les masâil el ‘ilmiya (ou usûl pour certains) que les masâil el ‘amaliya (ou furû’ pour certains). Notons qu’il s’agit dans cette définition du kufr akbar (majeur). C’est d’ailleurs de cette façon qu’il est utilisé dans les textes, sauf si le contexte spécifie qu’il s’agit du kufr asghar (mineur).

 

Ainsi, les textes font plus souvent allusion aux kufr akbar, bien qu’il puisse s’agir du kufr asghar ou, comme le formulent les savants, du kufr dûn kufr. C’est le cas pour la question du hukm bi ghaïri mâ inzala Allah, dans la mesure où son auteur ne l’autorise pas moralement (c’est la question de l’istihlâl), comme le souligne ibn Taïmiya et Sheïkh ibn Bâz.[1] Il peut s’agir également du kufr e-ni’ma (l’ingratitude). Dans ces deux cas, on parle de kâfir de façon relative, non de façon absolue.

 

Le kufr est également nommé dans les textes, shirk (association), zhulm (injustice), et fisq (perversité). Il y a donc un shirk dûn shirk, du zhulm dûn zhulm et du fisq dûn fisq, comme il y a un shirk akbar, un zhulm akbar et un fisq akbar. En tenant compte de ces notions, on s’éloigne des deux tendances extrêmes : el hijrâ wa e-takfîr et des murjites.

 

Pour certains savants, le kufr est synonyme du shirk, pour d’autres, le kufr a un sens plus général.[2] En fait, le shirk comme nous allons le voir, est l’un des facteurs du kufr parmi tant d’autres. C’est pourquoi, les savants disent que tout shirk est du kufr, mais que le contraire n’est pas vrai, bien que les textes puissent utiliser le shirk dans le sens du kufr, conformément à la règle (itlâq el juz ‘ala el kull). Le contraire est aussi valable, on parle alors d’itlâq e-shaï bi ba’dh shu’abihi.

 

Le kufr se subdivise selon plusieurs critères :

1- En fonction de son statut, il se divise en kufr akbar et kufr asghar :

Le kufr akbar s’oppose radicalement à la foi et touche à l’essence même de la foi (asl el îmân) et son auteur est voué à l’enfer éternel. On parle de kufr mukhrij min el milla.

Le kufr asghar s’oppose pour sa part à une foi parfaite réclamée (kamâl el iman el wâjib), mais ne fait pas sortir son auteur de la religion. On parle de kufr ghaïr mukhrij min el milla. Tous les petits et les grands péchés entrent dans cette catégorie.

 

2- En fonction des motivations de son auteur et de ses facteurs, le kufr se subdivise en six grandes catégories :

 

Premièrement el inkâr : (renier : quand on parle de sa provenance, autrement dit le cœur), e-takdhîb (démentir : quand on parle de l’organe par lequel il se matérialise), et du kufr el jahl (ignorance : quand on parle de sa motivation). Il est à noter que cette catégorie est peu courante en raison de la venue des prophètes par lesquels la preuve d’Allah est établie contre les hommes.[3]

Deuxièmement el juhûd : qui consiste à reconnaitre Allah avec le cœur, sans le traduire dans les paroles, comme c’est le cas pour Pharaon.

Le kufr juhûd : se divise en deux catégories :

  • en kufr mutlaq qui concerne le tahwîd e-rububiya, les lois d’Allah ou la mission des messagers ;
  •  et en kufr muqaïyid qui consiste à renier une obligation, un interdit, ou n’importe quel enseignement de la religion.[4]

Troisièmement el ‘inâd : qui consiste à reconnaitre Allah avec son cœur et dans les paroles, mais sans pour autant se soumettre à sa religion comme Abû Tâlib. Dans ce sens, nous avons le fameux kufr el îbâ (par refus) et el istikbâr (par orgueil) d’ibn Qaïyim qui concerne notamment Shaïtan et la plupart des Juifs.

Quatrièmement e-nifâq : qui consiste à reconnaitre la religion avec la langue sans n’y adhérer avec le cœur. C’est le cas des hypocrites. Il est certes différent du kufr au niveau des apparences, mais en regard du devenir de son auteur dans l’au-delà, c’est une forme de kufr. Là aussi, il est question de nifâq akbar et  nifâq asghar.

Cinquièmement el i’râdh : qui consiste à se détourner du message et à ne pas vouloir l’entendre sans forcément le démentir ou le renier.

Sixièmement e-shakk : qui consiste à ne pas totalement être convaincu du message prophétique.

 

3- En fonction des membres avec lequel il se matérialise, il se divise en trois catégories :

El kufr el qalbî : qui concerne les éléments de la croyance qui touchent au kufr akbar (comme le reniement, le scepticisme, l’association dans les trois domaines du tawhîd : Rububiya, Ulûliya, el Asmâ wa e-Sifât).

El kufr el qawlî : qui concerne les paroles et touche aussi bien le kufr akbar que le kufr asghar. Il faut savoir ici que les paroles traduisent la croyance. Celui qui apostasie avec la langue, apostasie immanquablement avec le cœur, contrairement aux jahmites pour qui les paroles extériorisent la croyance, sans relever du kufr en elles-mêmes ; c’est le dalîl zhâhir. Ainsi, peu importe que celui qui prononce le kufr soit convaincu par ses paroles ou non, étant donné qu’il les a dites en toute âme et conscience (tatâbuq e-zhâhir bi el bâtin). Seul le mukra (qui les prononce sous la contrainte) est excusable.

El kufr ‘amalî : qui concerne les actes et qui se subdivise en

  • en mukhrij min el milla qui correspond aux actes s’opposant littéralement à la foi (blasphémer, se prosterner devant une idole, uriner sur le Coran) ;
  • et ghaïri mukhrij min el milla comme le hukm bi ghaïri mâ inzala Allah et târik e-sâlat comme le souligne ibn el Qaïyim.[5]

 Ainsi, il est plus précis de classer le kufr de cette façon que de le classer en ‘amalî pour parler du kufr asghar et i’tiqâdî pour parler du kufr akbar étant donné que certains actes du domaine du kufr ‘amalî relèvent du kufr akbar.

 

4- En fonction de savoir s’il provient d’un non-musulman ou d’un musulman, il se divise en deux catégories pour lesquelles la loi prévoit des statuts différents :

Kufr as : qui sont les non-musulmans (qui se divisent en « adeptes du Livre » et païens)

Kufr târî : c’est l’apostasie (ridda) qui se vérifie également au niveau du cœur, des paroles et des actes.

 

5- En fonction de son statut dans l’absolu (mutlaq) et appliqué sur un cas particulier (mu’aïyin) :

Le kufr el mutlaq a deux degrés : il peut concerner une croyance, une parole ou un acte (trinité, blasphème, manichéisme, etc.) comme il peut concerner une communauté particulière (Juifs, chrétiens, shiites duodécimains, et jahmites). Pour le cas particulier, le kufr el mu’aïyin n’est effectif qu’après avoir rempli certaines conditions pour le prononcer et avoir palier à toute restriction possible.

Il est à noter trois choses ici :

  1. les branches du kufr n’ont pas toutes la même gravité et le même statut en regard de la loi, comme nous l’avons déjà vu.
  2. Une seule personne peut avoir en même temps en elle des branches du kufr et des branches de l’islam, des branches de l’hypocrisie et de la foi, des branches du shirk (riyâ) et du tawhîd. La balance penche d’un côté ou de l’autre en fonction de l’intensité de chacune.
  3. Celui qui commet du kufr asghar perd le statut de croyant véritable (mu-min), bien qu’il reste musulman.

 

Il revient uniquement aux textes scripturaires de définir les éléments qui font ou qui ne font pas sortir de la religion. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre que le takfîr est le droit exclusif d’Allah. Cela ne signifie nullement qu’on n’a pas le droit de taxer un musulman d’apostat dans l’absolu, comme on pourrait le comprendre des paroles de certains savants comme Sheikh el ‘Uthaïmin.

                                             

Parfois le kufr consiste à ne pas se soumettre à la Loi divine : cela se traduit au niveau des croyances qui vont à l’encontre des enseignements de la religion, des paroles (pour celui qui ne prononce pas le premier pilier de la foi, ce qui relève du kufr akbar) et des actes (qui touchent aux quatre autres piliers de l’islam).

 

Parfois, il consiste à enfreindre un interdit : il est de deux sortes :

Primo: les actes qui relèvent du kufr akbar à l’unanimité des savants ; ils s’opposent radicalement à la foi et vont à l’encontre des fondements mêmes de l’islam. Ils se vérifient également au niveau de la croyance, des paroles et des actes (comme la prosternation devant une idole, le blasphème, le shirk dans les trois domaines du tawhîd, le panthéisme, la réincarnation, la Trinité).

Secundo : les actes qui ne relèvent pas du kufr akbar à l’unanimité des savants et qui ne s’opposent pas à la foi même (l’adultère, l’alcool, le meurtre, l’usure, le vol, le mensonge, la désobéissance aux parents, etc.). C’est dans ce sens-là qu’il faut comprendre les paroles des traditionalistes disant qu’ils ne vouent aucun musulman à l’anathème en raison d’un péché commis. Il faut le comprendre dans la mesure où ce péché n’est pas en relation avec l’essence même de la foi. Cela concerne donc autant les grands que les petits péchés, contrairement à la croyance des kharijites et des mu’tazilites, qui condamnent à l’Enfer éternel l’auteur d’un grand péché.

 

Enfin, les détails que nous avons cités précédemment sur les questions du kufr (au niveau de la croyance, des paroles et des actes) concernent le domaine de l’absolu ou du cas général (du kufr el mutlaq). Quant au cas particulier (kufr el mu’aîyin), il faut attendre d’établir les preuves prophétiques contre son auteur (iqâmat el hujja) avant de statuer sur lui…

 

Ainsi, le takfîr est un sujet complexe, qu’il ne faut pas prendre à la légère. On ne peut s’y aventurer sans tenir compte de nombreux paramètres et facteurs. C’est dans ce sens que les traditionalistes disent qu’il appartient aux textes[6] et aux savants,[7] non qu’il soit interdit dans l’absolu d’exclure un cas particulier du giron de la religion. Le musulman scrupuleux est sur ses gardes ; il ne fait pas preuve d’un zèle injustifié, et ne il joue pas sur un terrain glissant. Surtout si l’on sait qu’un tel jugement est lourd de conséquences.

 

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

[1] Voir : minhaj e-sunna (5/131) et fatawa ibn Bâz (3/990-991).

[2] Sheïkh el fawzân dit à ce sujet : « Il y a entre eux des points communs et des différences. Tout mushrik est un kâfir, mais le contraire n’est pas forcément vrai étant donné qu’il existe plusieurs catégories de kufr : juhûd, takdhîb, ta’tîl. Dans ces cas, on parle uniquement de kâfir non de mushrik, étant donné que leur auteur ne croit pas en Dieu. Quant au mushrik, ce dernier croit en Allah, bien qu’il adore un autre avec Lui. Telle est la différence entre le mushrik et le kâfir. » [Voir durûs min el Qur-ân el Karîm (p. 181)]

[3] Ibn el Qaïyim explique : « Deux individus méritent le châtiment : le premier se détourne de la preuve d’Allah par négligence et ne veut ni la mettre en pratique ni mettre en pratique ce qu’elle implique. Le second s’en détourne par orgueil après l’avoir reçue et il délaisse ses implications.

Le premier touche au kufr i’râdh,

Et le second au kufr ‘inâd.

Quant au kufr el jahl sans que la preuve d’Allah ne soit venue et sans avoir la possibilité d’y avoir accès, c’est ce genre de kufr au sujet duquel Allah n’applique pas le châtiment, pas avant que la preuve prophétique ne soit appliquée. » [Voir : tarîq el hijrataïn (p. 414)]

[4] Voir : Madârij e-sâlikîn (1/335-337) dans lequel ibn el Qaïyim souligne que le juhûd se concrétise de deux façons : soit le juhûd el mutlaq (intégral) en reniant toute la Législation musulmane soit le juhûd muqaïyid (partiel) en reniant une ou plusieurs lois.

En outre, la nuance entre le takdhîb et le juhûd se résume en deux points :

  1. Le kufr juhûd consiste à démentir avec la langue, tout en ayant connaissance de la chose au fond de soi.
  2. Le kufr juhûd est alimenté par l’obstination.

Voir : madârij e-sâlikîn d’ibn el Qaïyim (1/367).

[5] E-salât wa hukm târikihâ (p. 37).

[6] Voir : majmû’ el fatâwa (12/252) et manhâj e-sunna (5/92) d’ibn Taïmiya.

[7] Voir : i’lâm el mawqi’în (1/10) d’ibn el Qaïyim, el istiqâma (1/165) d’ibn Taïmiya et sharh el ‘aqîda e-tahâwiya (p. 436), majmû’ el fatâwa (12/487-488) et manhâj e-sunna (5/158) d’ibn Taïmiya.

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commentaires

R
This is an excellent post.
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