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5 juillet 2019 5 05 /07 /juillet /2019 14:09

Initiation à la science de la canonisation du Coran 1/3

 

[C’est Nous qui avons révélé ce Rappel, et à c’est à Nous à qui il revient de le préserver].[1]

 

Cet article réfute le chercheur islamologue Hassan Chahdi et son Sheïkh François Déroche, le premier pour avoir prétendu que seul l’esprit du Coran fut entièrement conservé, ou pour être plus juste, qu’éventuellement seul l’esprit du Coran soit retenu pour sa transmission, et le second pour avoir jeté le discrédit sur le grand traditionniste Zuhri qui aurait inventé le hadîth sur les « sept lettres » du Coran.

 

Voir : majmû’ el fatâwâ (13/389-403).

 

On posa la question à Sheïkh el Islâm ibn Taïmiya au sujet du propos prophétique : « Le Coran fut révélé de sept manières. »[2] Que signifient les « sept manières » (sab’a ahruf) dont il est question ? Est-ce que les « sept lectures », imputées aux spécialistes (Nâfi’, ‘Âsim, etc.) correspondent à ce hadîth, ne serai-ce que l’une d’entre elles ? Pour quelles raisons l’écriture du codex final a-t-il suscité des divergences de lectures entre les grands spécialistes ? Est-il permis d’utiliser des lectures singulières qui sont rapportées notamment par el A’mash et ibn Muhsin ? Si oui, est-il permis de les utiliser au cours de la prière ? Si vous voulez bien nous répondre, que Dieu vous récompense !

 

En réponse : c’est une question pointue qui a intéressé les spécialistes des disciplines diverses tels que les légistes, les traditionnistes, les exégètes, les théologiens spéculatifs, les linguistes, etc. Des ouvrages spécialisés lui furent consacrés, dont le Sheïkh Abû Mohammed ‘Abd e-Rahmân ibn Ismâ’îl ibn Ibrahim d’obédience shaféite et l’un de ses plus récents auteurs. Plus connu sous le nom d’Abû Shâma, il coucha par écrit sharh e-shâtibya. Il faudrait recenser les opinions des spécialistes, et analyser en détail leurs arguments pour y dégager les plus pertinents. Une étude exhaustive des textes prophétiques liés à cette problématique serait aussi indispensable pour l’éluder, sans n’oublier les autres types de preuves légales. Malheureusement, faute de temps, un long développement ne serait pas approprié ici pour ce genre de réponse. Je me contenterais toutefois d’offrir une synthèse sur le sujet pour mieux se représenter ses enjeux.

 

Nous disons donc qu’à l’unanimité des savants de références, les  sab’a ahruf dont font mention le hadîth au sujet de la révélation du Coran ne correspondent pas aux fameuses « sept lectures ». L’Imâm Abû Bakr ibn Mujâhid est l’instigateur de la première compilation des différentes récitations à l’orée du troisième siècle de l’Hégire (8, 9ième siècle Apr. J.-C., ndt.). Originaire de Bagdad, il prit l’initiative de rassembler les lectures en vogue dans les cinq grands pôles scientifiques : Bassora et Koufa pour l’Irak, la Syrie, et les deux Lieux saints Médine et la Mecque. Il s’agit des centres névralgiques de la diffusion de la prophétie (Coran, sunna) et des matières religieuses qui l’étudient comme l’exégèse, le hadîth, le fiqh, le culte, les mœurs, etc.  

Il regroupa donc les lectures de sept spécialistes notoires parmi les plus grandes références en la matière en vue de concorder leur nombre avec les  « sept lettres » qui caractérisent le Saint Coran. Jamais il n’a prétendu, ni d’ailleurs aucun autre savant, que cela désignait la même chose ; tout comme il n’a jamais avancé qu’il était interdit d’avoir recours à une récitation non répertoriée par ses soins.

 

D’ailleurs, une grande référence en qiraât déplora qu’ibn Mujâhid préféra Hamza à Ya’qûb el Hadhramî, le doyen de la grande mosquée de Bassora, et le maitre des grands « récitateurs » de la ville au début du second siècle du calendrier hégirien. À sa place, il les aurait intervertis. Les musulmans sont également d’accord pour dire qu’il n’existe aucune contradiction notoire entre les différentes variantes. Au contraire, il s’agit de synonymes ou des mots ayant des sens très proches. ‘Abd Allah ibn Mas’ûd nous en donne une illustration : « Cela revient à dire « viens », « avance », ou « approche » pour exprimer la même chose ! »[3]

 

Les termes employés ne sont pas nécessairement équivalent en tout point, mais tous, en tout cas, sont aussi vrais et aussi pertinents les uns que les autres. La pluralité des vocables choisis exprime un enrichissement, non un antagonisme (il s’agit d’une divergence de pluralité, non d’opposition).

 

Un hadîth qui remonte au Prophète (r) illustre parfaitement cette règle : « Le Coran fut révélé de sept manières, nous enseigne-t-il, peu importe que tu achèves un Verset par [Allah est Absoluteur et Tout-Miséricordieux] ou [Allah est Puissant et Sage], puisqu’Il n’est pas autrement ; à condition de ne pas employer des Noms exprimant la Miséricorde divine dans un contexte de châtiment, et inversement. »[4]

 

Voici plusieurs exemples de variantes reconnues : [rabbannâ bâ’id] et [bâ’id] [Saba ; 19] ; [illâ an yakhâfâ an lâ yuqîmâ] et [ illâ an yukhâfâ an lâ yuqîmâ ] [La vache ; 229] ; [wa in kâna makruhum li tazûla] et [li yazûla minhu el jibâl] [Ibrâhîm ; 46] ; [bel ‘ajibta] et [ bel ‘ajibtu] [Les rangées d’anges ; 12], etc.

Certaines variantes, qui globalement ont le même sens, détectent certaines nuances, comme : [yakhda’ûn] et [ yukhâdi’ûn ] [La vache ; 9] ; [yakdhibûn] et [yukadhdhibûn] [Ibrâhîm ; 46] ; [lamastum] et [ lâmastum] [Les femmes ; 43] ; [ hattâ yathurna] et [wa yathurna] [La vache ; 222], etc. 

Ces variantes qui émettent des nuances au niveau du sens sont toutes aussi vraies les unes que les autres. Celles-ci ont la même valeur sacrée que n’importe quel Verset du Coran comparé à d’autres Versets. Nous y donnons foi, et nous adhérons à leurs enseignements que nous traduisons dans la pratique. Il est inadmissible de favoriser une lecture aux dépens de sa variante sous prétexte qu’elles seraient contradictoires, car : « Qui renie une seule lettre du Coran, prévient ‘Abd Allah ibn Mas’ûd, le renie en entier. »

 

Au demeurant, la plupart des variantes n’offrent aucune distinction conséquente au niveau de la signification et de leur construction syntaxique. Celles-ci intègrent les lectures dites « principales » qui s’intéressent à la différence de prononciation entre les variantes rencontrées lors de la récitation : vocalisation de la hamza, accents toniques, inflexions et variations vocaliques (syllabes longues/brèves, synérèses), inclinaisons, et signes diacritiques interchangeables, la prononciation de la lettre «  » avec ou sans emphase. Celles-ci ne constituent aucune problématique, contrairement à celles qui dénotent une variété de morphèmes ayant une influence sur la signification d’un passage donné.

 

Or, que nous ayons affaire à une divergence de forme exclusive ou à une divergence de fond et de forme, dans les deux cas, nous ne repérons aucun changement significatif de la phrase. Ces variations de formes s’arrêtent donc sur la différence de prononciation d’un seul et même vocable. Elles sont encore différentes des variantes de forme qui constatent des mots différents pour exprimer la même chose. On parle alors de synonymes dont la fonction est de fournir des compléments d’information n’ayant aucune incidence sur l’idée générale de la phrase. Les variations de forme intègrent logiquement une même « lettre » parmi les sept révélées par le Seigneur de l’Univers. Leur place au sein d’une même « lettre » est plus justifiable que celle des variantes de forme ou de fond dont l’écriture est conforme à la vulgate othmanienne prévue pour les diverses options de vocalisation et de points diacritiques.

 

C’est pourquoi, il y a consensus chez les savants musulmans parmi les anciens et les grandes références soulignant l’interdiction d’imposer à grande échelle la récitation des « sept lectures ». Il est tout à fait possible d’utiliser la lecture d’el A’mash, le maitre de Hamza ou de Ishâq ibn Ya’qûb à condition qu’elle soit certifiée chez l’utilisateur en question, au même titre que les variantes de Hamza et de Kisâî. Sur ce point règne un consensus chez les savants de référence. La plupart des Imâms qui connurent la lecture de Hamza, à l’instar de Sofiane ibn ‘Uyaïna, Ahmed ibn Hanbal, Bishr ibn el Hârith, optèrent pour les versions des deux maitres médinois Abû Ja’far ibn el Qi’qâ’, et Shaïba ibn Nassâh, mais aussi celles des doyens  bassoriens tels que les maitres de Ya’qûb ibn Ishâq, aux dépens des variantes de Hamza et de Kisâî.

 

Les déclarations des spécialistes sur ce thème n’échappent pas aux connaisseurs. Nous remarquons notamment que les grandes sommités d’Iraq ont recensé dans leurs écrits dix ou onze lectures ayant autant de traces historiques que les sept lectures classiques. Ils récitaient ces « versions concurrentes » lors et en dehors de l’office rituel, ce qu’aucun érudit ne leur a jamais contesté. Il y a donc un consensus sur ce point.

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

[1] El Hijr ; 9

[2] Le chercheur ‘Abd el ‘Azî Qârî a mené une étude exhaustive de ce hadîth tant au niveau de sa chaine narrative que de sa signification dans les milieux spécialistes. Hadîth el ahruf e-sab’, qui est le titre de cette étude, nous apprend en substance qu’il règne encore aujourd’hui une énorme énigme sur l’interprétation des « sept lecture ». Mohammed Amîn Shanqîtî, l’un des plus grands exégèses des temps modernes fera l’aveu qu’il n’est jamais parvenu à la déchiffrer. C’est d’ailleurs paradoxalement la clef qui met à mal la thèse orientaliste, car pour jeter le discrédit sur ces « sept lecture », il faut déjà savoir à quoi celles-ci correspondent. Ce qui en soi est un miracle. Pourtant, les islamologues nous ont habitués à inverser les rôles, là où le Coran montre sa splendeur, ils y voient des failles. Une chose est sûre est qu’ils sont passés maitres dans l’art de la suspicion et des insufflations fallacieuses en vue de déstabiliser les musulmans les plus crédules qu’ils savent incultes en la matière. L’autre volet de cette recherche porte sur l’analyse technique du texte en question. Il en ressort, mais est-ce étonnant, qu’il soit communément transmis et admis par les spécialistes. Celui-ci est répertorié par pratiquement tous les recueils de hadîth. Il fut rapporté, en effet, par Bukhârî, Muslim, Tirmidhî, Nasâî dans son sunan, mais aussi dans ‘amal el yawm wa el laïla, Abû Dâwûd, Mâlik, ibn Hibbân, el Qâsim ibn Sallâm, Abû Dâwûd e-Tiyâlisî, Ahmed, Abû Ya’lâ, Abd e-Razzâq, ibn Abî Shaïba, Tabarânî, Tahâwî avec de nombreuses versions dans mushkirat el âthâr, Tabarî, el Baïhaqî, et el Hâkim.

En outre, dans fadhâil el Qur-ân, ibn Kathîr a enregistré ses différentes voies narratives, et ibn Hajar s’est chargé d’en faire l’explication, tout comme ibn Qutaïba, et Daïnûrî.

Il fut également l’objet d’une analyse approfondie de la par de ‘Ijlî, Abû Shâma, comme nous allons le voir ici, et ibn el Jazarî.

Dans sa chaîne narrative, nous trouvons en amont des Compagnons illustres tels que trois des Califes ‘Omar, ‘Uthmân, ‘Alî, Ubaï ibn Ka’b, ‘Abd Allah ibn Mas’ûd, Abû Huraïra, Mu’adh ibn Jabal, Hishâm ibn Hakîm ibn Hizâm, ibn ‘Abbâs, el ‘Amr ibn el ‘Âs, Hudhaïfa ibn el Yamân, ‘Ubâda ibn Sâmit, Sulaïmân ibn Sard el Khuzâ’î, Abû Bakra el Ansârî, Abû Talha el Ansârî, Anas ibn Mâlik comme le rapporte Ubaï, Samura ibn Jundub, Abû Juhaïb el Ansârî, ‘Abd e-Rahmân ibn ‘Awf, et même une femme Ayyûb.

Il fut rapporté également par l’intermédiaire d’Abd e-Rahmân ibn ‘Abd el Qârî, el Muswar ibn Makhrama (si on s’en tient à l’hypothèse qu’il compte parmi les Compagnons).

Nombreux sont les successeurs de la première génération et les grandes références de la religion qui ont narré ce hadîth grâce à une multitude de voies et de chaines narratives.

La seule histoire qui opposa Omar à Hishâm nous est parvenue grâce à trois voies narratives (ce point à lui tout seul démonte la thèse du spécialiste numéro un mondial de la canonisation du Coran) ; l’une venant de l’Imâm Mohammed ibn Shihâb Zuhrî sur lequel François Déroche a jeté son dévolu, qui l’a entendu de ‘Urwa ibn Zubaïr, qui l’a lui-même entendu d’Abd e-Rahmân ibn ‘Abd el Qârî. Il est rapporté également d’après ibn Shihâb, selon l’Imâm Mâlik, selon ‘Uqaïr ibn Khâlid, selon Ma’mar ibn Râshid el Azdî, selon Yûnas ibn Yazîd, le captif de Mu’âwiya, ‘Abd e-Rahmân ibn ‘Abd el ‘Azîz el Ansârî, Fulaïh ibn Sulaïmân el Khuzâ’î, et Shu’ab ibn Abî Hamza.

La seconde voie passe par Ishâq ibn ‘Abd Allah ibn Abî Talha, selon son père, selon son grand-père, selon ‘Omar ibn el Khattâb.

La dernière voie, qui elle est faible, part de ‘Ubaïd Allah ibn ‘Omar, selon Nâfi’, selon ibn ‘Omar, selon son père ‘Omar.

El Bukhârî le fait remonter à Abd e-Rahmân ibn ‘Abd el Qârî et el Muswar ibn Makhrama, pour lequel nous l’avons vu son affiliation aux Compagnons est controversée, qui le rapportent directement d’Omar.

[3] Narration rapportée par Sa’îd ibn Mansûr (n° 34), et Abû ‘Ubaïd dans fadhâil el Qur-ân (n° 752), etc. avec une chaine narrative authentique.

[4] Hadîth authentique rapporté selon Ubaï ibn Ka’b par Ahmed (5/124), et Abû Dâwûd (n° 1477).

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commentaires

R
Merci beaucoup pour cet article très complet.
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