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21 août 2019 3 21 /08 /août /2019 17:30

La fin du mythe de l’héritage gréco-romain 3/3

 

Le Prophète illettré

 

On a voulu faire de Mohammed le disciple des Juifs ou des Nestoriens. C’est ignorer combien Juifs et Nestoriens eux-mêmes, enveloppés dans les  courants infiniment complexes de la religiosité orientale, n’étaient que des éléments parmi d’autres.

 

Dans l’attitude du Prophète il y avait certainement la volonté de mettre un terme aux débats byzantins où s’étaient épuisés Arius et Athanase, Nestorius et Cyrille, Théodora et saint Sabas. Homme de son temps, homme de sa société, Mohammed traita des problèmes de sa société et de son temps. Homme d’action et de décision, il voulut apporter à la crise religieuse une solution radicale par un enseignement qui s’adressait à tous les habitants de l’Empire troublés par les incertitudes théologiques. S’adressant à tout le monde, Mohammed fut  écouté de tout le monde et surtout des évêques et ecclésiastiques qui avaient pris part aux différents conciles. Beaucoup virent en lui une sorte de Chrétien. S’inspirant d’une conception exotique de l’univers arabe doublée d’une impardonnable ignorance de l’histoire, les commentateurs traditionnels se sont malheureusement employés à faire de Mohammed un songeur et de sa prédication une théosophie pour campagnards. Interprétation fantaisiste que dénoncent les faits.

C’est dans les salons, dans les églises, dans les milieux intellectuels et avertis, dans les ministères et les services impériaux tout autant que dans les campagnes que la voix de Mohammed eut d’emblée un vaste retentissement. La fine fleur des grands esprits s’y rallia avec enthousiasme, car elle portait un appel d’une haute valeur métaphysique. La preuve en est qu’en un clin d’œil toutes les cités de l’Orient s’y convertirent comme à une doctrine familière qui embrassait en une synthèse simple les dogmes fondamentaux de la culture orientale. Comment admettre que l’Islam ait pu militairement conquérir avec une poignée de cavaliers un espace s’étendant de l’Indus à la Garonne ? Est-il sérieux, est-il sensé d’admettre que des capitales puissantes qui avaient fait trembler les Goths et les Huns, les Perses et  les Scythes, se soient agenouillées aux premiers hennissements d’un cheval du Hedjaz ? On ne fera croire cela à  personne. La vérité demande réparation.

 

Forçant leur imagination jusqu’au comble du fantastique, nos professeurs d'histoire nous montrent d’énormes escadrons de cavaliers d’Allah sillonnant les terres, de l’Indus à la Garonne, passant des chaînes de montagnes, des déserts ou des amoncellements de forteresses en un prodigieux tour de passe-passe. Or, si Carthage se rend en 698, si en l’espace de 7 ans toute l’Espagne puissante et riche des Wisigoths,  tombe dans l’allégeance califale, si en 720 la Gaule narbonnaise devient « arabe », si en 711 le Sind et le Pendjab sollicitent la protection omeyyade c’est bien parce que  tous ces gens accourent vers la nouvelle source de manne et de confort qu’est redevenu l’empire nilo-mésopotamien reconstitué sous la bannière du Dieu unique, c’est-à- dire de l’Islam et du Christianisme « hérétique ».

 

Si au VIIe et au VIIIe siècles l’Empire des Califes s’étend des Pyrénées aux Indes, absorbant plus ou moins l’Aquitaine, l’Espagne, la Sicile, l’Italie méridionale et les Balkans, ce n’est point parce que les « Arabes », ont à ce  qu’on dit conquis ces régions manu militari. C’est parce que ces terres étaient traditionnellement dans la zone économique et culturelle des anciens empires araméens. Les Araméens, que nous avons par la suite appelés Arabes, s’y sentaient chez eux, que ces territoires fussent gouvernés par les Pharaons, les Ptolémées, Darius, Byzance ou les Califes. Les populations qui y vivaient n’ont  vu au cours des siècles se modifier ni leur langue ni leur  civilisation. Arabes elles étaient, arabes elles sont restées. Sans faille ni divorce.

 

Les diverses occupations étrangères n’ont guère mordu sur l’essentiel. Par saint Augustin nous savons que la langue araméenne était à son époque de pratique courante en Afrique du nord ; elle l’était  aussi en Espagne et si la langue de la péninsule ibérique est encore si riche de termes arabes, elle ne le doit pas à  quelques cavaliers fantômes de Tariq ben Ziyad ; ces cavaliers, quand ils mirent pied à terre, trouvèrent de l’autre côté des colonnes d’Hercule des gens qui parlaient à peu près comme eux, tout comme les Maures, les  Numides, les Carthaginois, les Libyens. Saint Augustin, qui s’exprimait lui-même en araméen, sa langue natale, nous apprend qu’interrogés sur eux-mêmes les paysans de son diocèse d’Hippone (aujourd’hui Bône ou Annaba) se déclaraient originaires de  Palestine, de race cananéenne : « interrogati rustici nostri quid sint punice respondent chanani ». Il n’y a donc jamais eu ni conquête ni domination arabe ; la vérité est que sous le nom d’Arabes, les peuples de la Méditerranée orientale et méridionale ont recouvré au grand jour une souveraineté politique exercée à partir d’Alexandre et jusqu’au v ii° siècle par des dynasties étrangères à leur sol. Les manuscrits du haut Moyen-âge ne désignent-ils pas sous le nom d’Arabes ou de Sarrazins les populations méditerranéennes non germaniques et de religion autre que celle de Rome ? La chanson de Roland nous décrit à Roncevaux un combat contre les Sarrazins. Or ces Sarrazins étaient des Basques... Très curieusement les Chrétiens d’Afrique et d’Espagne, pour se différencier des Catholiques romains s’appelaient entre  eux « Punici christiani », c’est-à-dire « Chrétiens de Palestine ». Il y avait donc à l’époque de Charlemagne, et  même après lui, des « Chrétiens arabes » et des « Chrétiens romains ». Voilà qui éclaire vivement des obscurités de l’histoire et remet en cause jusqu’aux fondements  de notre enseignement scolaire.

 

La civilisation par les Langues

 

Le prophète Mohammed et les Califes ont donc rendu l'Orient à lui-même, rendu l’Orient à la Divinité Unique d’une façon si probante que toutes les religions et les métaphysiques orientales s’y reconnaissent et s’y confondent. Ils ont également restauré la langue araméenne puisque le Coran a porté à la perfection sonore, sémantique et syntaxique l’antique parler du peuple nilo-mésopotamien. La langue arabe est en effet la première langue organisée de l’humanité méditerranéenne, précédant celle d’Homère et lui donnant ses lois. Depuis l’appel du Prophète  qui l’a réveillée à une vie moderne, elle est remontée du fond des âges dont elle a ramené les résonances monumentales pour s’imposer à des centaines de millions d’hommes. C’est par elle que nous autres Européens nous pourrons procéder à une nouvelle lecture de nos Ecritures et de notre histoire. Nous y verrons singulièrement plus clair. La connaissance de la langue arabe nous aidera non seulement à dépasser le petit horizon d’Athènes et de Rome pour retrouver les grands espaces de l’Orient toujours vivant, mais encore à participer pleinement à l’avenir de la nouvelle société qui se dégage de nos nébuleuses. Nous en avons la certitude. De même qu’il parait  nécessaire que le monde arabe, pour retrouver le fil d’Ariane qui le relie à l’Occident, s’adresse à la culture grecque, car elle est l’intermédiaire unique entre le Levant et le Couchant. Le jour où les universités arabes remettront en honneur l’étude du Grec et où l’Europe découvrira le trésor de la culture arabe, les deux arcs de la  voûte se rejoindront en une réconciliation méditerranéenne qui ne sera pas seulement d’ordre architectural.

 

Cette réconciliation rétablirait la continuité de la civilisation rompue au milieu du VIIIe siècle par le divorce  survenu entre Rome et l’Orient. S’estimant les seuls héritiers des Césars mais sans égards pour le vrai caractère de ces derniers qui s’étaient montrés plus orientaux qu’européens, les évêques de Rome, au nom de l’apôtre Pierre, avaient voulu soumettre l’Orient à leur obédience. Ils venaient d’essuyer un grave échec puisqu’ils étaient parvenus, par leur intransigeance, à rassembler en une seule force nationale le Christianisme oriental, l’Islam et le Judaïsme, trois religions arabes par la langue et par la tradition. Ils ne se tinrent pas pour battus et entreprirent un long combat de reconquête par toutes les voies de la doctrine, de la politique, de la guerre. Ayant besoin pour cela de s’appuyer sur une puissance temporelle, ils choisirent la famille germanique des Carolingiens. Date capitale dans l’histoire de l’Europe et signe de mauvais augure, en 754 Pépin le Bref et le pape Etienne II s’entendent pour fonder un Etat pontifical sous la protection de  la dynastie carolingienne ; les cités byzantines d’Italie passent sous une souveraineté romano-germanique ; celles qui demeurent dans la mouvance de Constantinople sont désormais considérées comme ennemies. Par cet acte de séparation l’église latine, bien qu’il lui fût impossible de renier ses origines araméennes, n’en remettait pas moins son sort entre les mains des peuples germaniques.

 

Désormais les langues arabe et grecque furent  écartées au profit du latin. Les clercs catholiques se donnèrent pour mission de magnifier le rôle de l’empire romain, reléguant en marge de l’histoire la Palestine, Babylone, l’Egypte, l’Asie entière, rétrécissant notre vision  au seul territoire européen. C’est ainsi que s’esquisse le Saint Empire romain germanique, bizarre assemblage de termes contradictoires qui à eux seuls constituaient déjà une provocation. L’alliance doctrinale entre les princes  d’Europe et le pontificat de Rome devait s’assortir rapidement d’une alliance économique, politique et militaire dont les conséquences sont présentes à notre esprit : mise à l’index de tout ce qui est arabe (Juifs, hérétiques divers,  Cathares, Espagnols, Provençaux, Siciliens appelés Sarrazins pour les besoins de la cause), Croisades, sac de Byzance, expéditions coloniales, envoi de missionnaires catéchistes, tentatives d’opposer les Chrétiens d’Orient entre eux ou de les unir contre l’Islam, efforts pour amener certaines communautés juives à pactiser avec une  Rome germanisée contre l’Orient araméen, sans voir ce  qu’il y a de paradoxal dans une telle manœuvre. Cette énumération suffirait à expliquer le genre de relations qui  depuis 1 200 ans dresse le monde oriental contre une Europe qui a voulu délibérément se détacher de lui en l’an 754.  Vue sous cet angle, la nature exacte de l’expédition sioniste en Orient se décèle aisément ; elle n’est rien d’autre qu’une Croisade de plus ; elle répond aux mêmes impératifs stratégiques et dominateurs que les desseins de Godefroy de Bouillon ou des inspirateurs de la IV' Croisade  qui vit le pillage de l’Etat chrétien de Byzance par d’autres chrétiens...

 

La réforme constantine

 

Le iv' siècle sous le principat de Constantin, puis de Constance, Julien et Théodose le Grand fut employé à tenter de maintenir un semblant d’unité à l’empire partagé géographiquement  en quatre préfectures, à garantir les frontières et surtout peut-être à fonder enfin une religion d’Etat à opposer à l’église sassanide. Il était fort malaisé en des  pays où les dogmes et les églises étaient infiniment nombreux, variés, mariés les uns aux autres, nuancés à l’infini, d’imposer un culte unique. Constantin s’y employa ;  sa mère l’impératrice Hélène était chrétienne et avait  entrepris une enquête à travers la Palestine, pour retrouver les traces matérielles de la vie du Christ. Constantin n’était point un disciple ardent du Christ ; catéchumène toute sa vie il reçut le baptême in articulo mortis ; tout  compte fait la « suprema divinitas » du paganisme philosophique ne lui paraissait guère éloignée de la doctrine  chrétienne. Mais estimant que le christianisme pouvait être la religion de synthèse propice à ses desseins, il commença par proclamer, dans l’Edit de Milan en 313, la  liberté du culte chrétien, sans pour autant mettre les autres à l’index ; il n’en fit pas moins discrètement fermer  des temples « païens ». Restait à savoir quel christianisme serait pratiqué. Le prêtre alexandrin Arius insistait sur le caractère humain du Christ, affirmant qu'il était  non pas dieu, mais une créature de Dieu et que par conséquent appeler Marie « theotokos » (mère de Dieu) relevait de l’imposture. Un autre alexandrin, Athanase,  enseignait au contraire l’absolue divinité du Christ, point de vue tout mystique et hors des catégories rationnelles. Or, il se trouvait que, par bien des arguments, la doctrine d’Arius rejoignait les théories de Manès et de l’église sassanide, église ennemie. Il importait donc qu’Arius fût condamné. A cet effet Constantin présida en personne, en 325, le Concile de Nicée en Bithynie et y prononça le discours inaugural. Arius fut sommé de se rétracter, tandis que les pères conciliaires adoptaient l’acte de foi rédigé par Athanase, sanctifié depuis, et qui est celui-ci : « Nous croyons en un seul seigneur, Jésus-Christ, fils de Dieu, fils unique du Père. Dieu né de Dieu, Lumière issue de Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré et non créé, consubstantiel au Père. »

 

Outre l’acte de foi, le Concile édicte vingt canons ou règles de discipline : le 6e canon reconnaît à l’évêque d’Alexandrie, en territoire égyptien, les mêmes pouvoirs et privilèges qu’à l’évêque de Rome sur l’Italie ; fait notable, le 7e canon refuse d’accorder à l’évêque d’Aelia (nom officiel de Jérusalem ) une préséance autre qu’honorifique, alors les évêques d’Antioche et de quelques autres provinces jouissent « d’anciens droits » dont la nature n’est pas précisée. Enorme événement que ce Concile. Pour la première fois à l’ouest de l’Euphrate l’Etat tentait d’imposer au peuple une religion, contrevenant ainsi gravement à la  tradition méditerranéenne dont l'œcuménisme et le cosmopolitisme avaient été les caractéristiques plusieurs fois  millénaires.

 

Il est vrai que Constantin ne faisait que riposter à l’attitude des autorités sassanides, premières coupables en cette affaire. Mais la notion même de concile  était révolutionnaire et insolite ; l’idée que des prêtres, des hommes de Dieu, puissent se rassembler pour condamner d’autres prêtres ou un autre dieu, parut intolérable à la plupart des habitants de l’Orient arabe qui n’y virent qu’un artifice des gouvernements. Nous qui sommes habitués aux conflits idéologiques et religieux, nous avons du mal à imaginer la consternation dont fut  frappé l’Orient à l’annonce des décisions de Nicée interprétées comme une double déclaration de guerre, aux  Sassanides d’abord, à la tradition arabe ensuite.

 

De cette année 325 date une histoire nouvelle faite de troubles  religieux profonds qui ne sont que les réactions nationales et populaires aux initiatives d’un pouvoir impérial tenu désormais pour étranger. Pendant que de nombreux disciples d’Arius prennent le chemin de Ctésiphon, où on leur fait le meilleur accueil, la cité d ’Antioche ne se plie qu’avec réticence aux injonctions du Concile de Nicée. Le danger est grand que l’Asie mineure devienne un satellite des Sassanides. Pour obvier au mouvement sécessionniste, l’empereur Théodose le Grand réunit, en 381, le Concile de Constantinople et tint à rendre à l’Egypte un hommage remarqué ; non seulement il fit condamner une seconde fois l’arianisme mais encore, se rendant à l’argumentation des théologiens alexandrins, le concile proclama que l’Esprit procédait du Père et du  Fils. La doctrine trinitaire était née. Le prestige d’Alexandrie s’accrut au point que son patriarche fut regardé  comme l’héritier des pharaons et digne d’un siège pontifical qui eût bénéficié en Orient d’une autorité égale à  celle du pape, évêque de Rome.

 

https://drive.google.com/file/d/0ByKzK-4F0VPWZHBOZGJpdmRaSEE/view

 

                            

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

 

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commentaires

R
Merci pour ces informations. <br /> This is an excellent post.
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