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4 août 2019 7 04 /08 /août /2019 11:34

 

Est-il vrai que les musulmans ont fabriqué une fausse version de l’AT ? 2/4

 

Bilan

                                                                                   

Alfred Morabia décrit avec beaucoup de sérénité les travaux d’ibn Taïmiya qui, pourtant, prend à partie les membres de sa communauté. On sent qu’il lui voue presque de l’admiration, ou, en tout cas, il lui reconnait son érudition, son équité, son exactitude scientifique au niveau des faits relatés et au niveau… des sources. Il ne prend pas une posture hautaine et méprisante, il ne laisse pas entendre que le doyen damascène est nul en hébreux, que sa réfutation est faible dans le domaine des annonces prophétiques ni qu’il est un affabulateur collectionneur de faux écrits. Il n’est pas infatué de lui-même tel un loup dans une bergerie,[1] il ne se donne pas en spectacle devant des admirateurs en extase…

 

Il se contente de ramener des faits d’une valeur historique inestimable. On apprend dans un premier temps qu’ibn Taïmiya reprend à son compte les écrits des polémistes et hérésiographes musulmans. Je l’avais déjà remarqué avec Le cadi Ja’farî et son fameux Takhjîl man harrafa at-Tawrât wal  Injîl dont j’ai traduit les 84 annonces de Mohammed dans la Bible. Cet auteur est mort en l’an 668 de l’Hégire, soit exactement 70 ans avant ibn Taïmiya, ce qui réduit considérablement le champ d’investigation de notre énergumène. Il va bien falloir que tu nous dises à quelle date exacte fut fabriqué Barnabé afin que nous fassions les mêmes recoupements hasardeux dignes de l’inspecteur Gadget ! Parmi les sources d’inspiration du polémiste hanbalite, il y a ibn Hazm, mais est-ce vraiment une révélation ? Sauf que ce dernier est mort en 1064. Donc, là nous sommes sortis, sans le moindre doute possible, du champ d’investigation de notre grand enquêteur, à moins qu’il nous démontre que Barnabé existait déjà à cette époque.

 

L’une des sources bibliques fondamentales que le Sheïkh d’ibn el Qaïyim a probablement utilisé n’est autre que Samaw'al al-Magribi, un mathématicien-médecin juif converti à l’Islam et qui a rendu l’âme aux environs de 1175. Ce dernier a consacré une réfutation à l’adresse de ses anciens coreligionnaires, et jusqu’à preuve du contraire, on ne peut le soupçonner d’ignorer la culture biblique ni d’avoir injectés des extraits d’une fausse Thora dan ses écrits. On l’aurait su. Une autre référence judéo-chrétienne qu’ibn Taïmiya reprend à son compte est Paul d’Antioche qui fait l’objet de sa fameuse réfutation aux chrétiens. L’activité littéraire de l’évêque de Sidon semble se situer entre 1140 et 1180, et toujours pas de trace d’une fausse Bible.

 

Alors, certes Alfred Morabia constate que les passages de la Bible empruntés par ibn Taïmiya pour démontrer que tous les prophètes d'Israël qui ont annonce la venue du Messie n'ont jamais soutenu que celui-ci serait le fils de Dieu, sont souvent tronqués. Or, Morabia le dit lui-même, il semble les avoir empruntées a l'ouvrage chrétien qu'il réfute ou a ses prédécesseurs hérésiographes et polémistes musulmans. J’avais constaté moi-même que les passages de la Bible qu’ibn Taïmiya utilise dans son jawâb e-sahîh sont parfois inexistants dans les versions actuelles. Et c’est d’ailleurs cette traduction, car bien sûr, nous savons tous désormais que notre spécimen n’est pas arabophone, qui a mis la puce à l’oreille à notre génie qui s’accroche à n’import quelle branche morte !

 

Il n’y a rien d’étonnant à ce que des différences soient notées d’une Bible à l’autre. J’avais moi-même utilisé pour cette traduction la version œcuménique et celle D’André Chouraqui qui dénotent parfois des divergences sensibles. Récemment, dans le cadre d’un article consacré à démontrer l’identité de l’enfant-sacrifice par la Bible (et même un peu avant en réalité), je suis tombé sur ce Verset Exode 5.1  « Moïse et Aaron se rendirent ensuite auprès de Pharaon, et lui dirent : Ainsi parle l’Éternel, le Dieu d’Israël : Laisse aller mon peuple, pour qu’il célèbre au désert une fête en mon honneur. »[2] Au milieu de toutes ces traductions qui tournent autour de la célébration d’une fête en l’honneur de Yahvé en plein désert, on dégote : « Ensuite, Moïse et Aaron vinrent dire au Pharaon : « Ainsi parle le SEIGNEUR, Dieu d’Israël : Laisse partir mon peuple et qu’il fasse au désert un pèlerinage en mon honneur. » Là, nous parlons de versions contemporaines entre elles, alors que dire de celles qui datent de 1000 ans. Il n’est pas sorcier d’y trouver des passages antagonistes avec celles d’aujourd’hui. Le problème, c’est que notre ami cherche désespérément à nous prouver que la Bible fut conservée, quitte à passer par ce genre de subterfuge, et quitte à passer pour un imbécile – quand on aime on ne compte pas –  ou bien est-ce lui qui prend ses ouailles pour des imbéciles !

 

Or, si nous nous penchons sur les travaux d’un autre chercheur, nous verrons que Paul d’Antioche n’est qu’un maillon de la chaine, tout comme la Lettre de Chypre qu’ibn Taïmiya s’évertue à fustiger. Laurent Basanese apporte de nouveaux éléments dans notre enquête dans Réponse raisonnable aux chrétiens ?  Il souligne que le Damasquin hanbalite répond à Élie de Nisibe, important évêque syro-oriental du Ve/XIe siècle, lequel eut des discussions théologiques de haute volée avec le vizir Abu al-Qasim al-Magribi, homme de grande culture et écrivain. Le théologien arabophone et grand historien chrétien a disparu en 1046, et toujours aucune trace d’un faux écrit biblique. Laurent Basanese procède à un tableau de comparaison entre le contenu de ses sept Entretien et les passages qu’ibn Taïmiya reproduit de cet ouvrage, et il s’est rendu compte de la similitude entre ces deux écrits, mais est-ce étonnant ? Notons qu’ibn Taïmiya consacre un long passage dans sa réfutation aux chrétiens où il fustige d’un point de vue purement rationnelle l’idée soutenue par Élie de Nisibe, et que Karim Hanifi reprend sans ambages mot pour mot, et selon laquelle la Bible ne fut  pas sujet à des pieux mensonges de la part des scribes, et qu’elle fut donc restée intacte et homogène à son époque.

 

Cela veut dire que cette démonstration d’ibn Taïmiya est valable pour démonter l’allégation incongrue de Sirugue qu’ibn Taïmiya aurait utilisé une fausse version de la Bible, pour défendre l’idée justement que la Bible fut conservée, ouf, on va y arriver !

 

Voici un extrait dans lequel Karim Hanifi en prend pour son grade et passe pour un menteur : « Les chrétiens pourraient avancer que le fils de Marie a validé cette Thora falsifiée. Ce à quoi nous répondons qu’il n’était déjà même pas en mesure de leur imposer de croire en lui et de lui obéir, alors comment aurait-il pu s’attacher à la réécriture du Pentateuque avec tous les exemplaires qui étaient entre les mains de ses contemporains ? Ces contemporains qui étaient près à faire couler son sang et à le mettre en croix, tellement il était impuissant face à leur rébellion. Il n’avait donc aucun moyen de réformer leurs écrits. Ce dernier se contenta d’entériner l’ensemble de la loi mosaïque, avec quelques abrogations et modifications qui restent, malgré tout, limitées. Cette loi mosaïque fut en partie travestie au niveau de l’esprit, à l’image de la lapidation que les juifs ont rejetée malgré qu’elle soit mentionnée noir sur blanc dans la Bible hébraïque.

 

Il existe une autre hypothèse selon laquelle la falsification partielle de la Bible eut lieu après l’avènement de l’Islam. Le nom de Mohammed notamment fut sciemment effacé des copies que les Juifs et les chrétiens avaient à disposition. Cela ne veut pas dire que tous les exemplaires sur la surface de la terre furent soumis à cette opération. Les nouvelles versions en partie travesties gagnèrent bientôt les rangs des deux communautés, et supplantèrent les copies originales pour devenir la norme. Nombreux sont les témoignages de musulmans qui eurent accès à ces originaux qui se faisaient de plus en plus rares. Ils remarquèrent très vite des variantes d’une version à une autre. Il est possible de le constater à notre époque en comparant les Thora juive, chrétienne et samaritaine qui décèlent des différences significatives entre elles.

 

L’Évangile loge à la même enseigne, tout comme les Psaumes qui dénotent des divergences encore plus substantielles d’une version à une autre. Nous ne parlons même pas des Livres historiques ou des prophètes. Cet état de fait ébranle le mythe de la version uniforme de la Bible. Les mêmes arguments que les pro-uniformités de la Bible utilisent pour éloigner l’hypothèse d’une quelconque altération se retournent contre eux. Car, ils démontrent en fait qu’il est impossible de le démontrer. Ils disent, en effet, qu’il est matériellement inconcevable que le Clergé et les rois s’entendent à falsifier toutes les copies existantes. Pour les placer face à leurs contradictions, il suffit de leur prouver que leur vision est encore plus invraisemblable. Eux qui prétendent que le Clergé et les rois auraient vérifié les traductions écrites dans soixante-douze langues en procédant à une comparaison entre toutes les copies existantes, pour arriver à la conclusion qu’elles sont uniformes. Il est donc plus invraisemblable de prétendre qu’elles sont uniformes que de prétendre qu’elles sont toutes falsifiées. Dans les deux cas, il est impossible de toutes les comparer. Dans l’hypothèse où il serait possible de les réunir de façon exhaustive, le cas échéant, il serait plus facile de les falsifier que de toutes les comparer. Il est plus facile de falsifier dix copies que de les vérifier une par une.

 

J’ai moi-même constaté des modifications énormes d’une Bible à une autre. J’ai eu sous la main plusieurs versions des Psaumes qui sont toute aussi différentes les unes que les autres. J’ai également pu lire plusieurs passages de la Thora utilisée par l’Église nestorienne et qui diffère de celles des autres confessions chrétiennes. Pourtant, [aux yeux d’Élie de Nisibe,] elle serait intacte et authentique, car communément transmise. Nous pouvons dire la même chose pour l’Évangile. Il est donc absurde de prétendre qu’il est désormais impossible de la modifier.

 

Il n’est déjà même pas possible de vérifier toutes les versions traduites juste en arabe, alors que dire du reste de la Septante ? Contrairement au Coran, il existe peu de candidats juifs pour mémoriser l’AT, et aucun chrétien ne peut se vanter de connaitre par cœur la Bible dans sa propre langue, alors que dire dans soixante-douze langues ! Et, en admettant qu’une poignée de chrétiens la contiennent effectivement dans le cœur, ce serait des cas rares, et donc, insuffisant pour la préserver des aléas.

 

Ainsi, la falsification a été possible avant qu’une même version se multiple, non après. Ensuite, cette même version est susceptible d’être manipulée à certains endroits, tout en gardant une ossature homogène. Ce cas de figure est tout à fait envisageable, et c’est même ce que nous constatons pour la Bible actuelle.

 

Je suis tombé sur une version des Psaumes dans laquelle le nom de Mohammed est explicitement cité, alors qu’après vérification, il est absent des autres versions. Il est donc tout à fait concevable que la description du Prophète (r) apparaissent uniquement dans certaines d’entre elles. Notre postulat de départ, selon lequel Mohammed est nommé dans la Bible est indéfectible, car c’est le Coran qui le dit. Nous avons déjà le v. 157 de la s. Les murailles, mais aussi : [Et lorsque Jésus fils de Marie fit savoir à son peuple : enfant d’Israël, Allah m’envoya vers vous en tant que Messager pour corroborer la Thora qui fut révélée avant moi, et pour annoncer la venue prochaine d’un Messager du nom d’Ahmed, mais dès lors qu’il leur présenta des preuves éclatantes, ils crièrent à la magie manifeste !].[3]

 

À l’époque du Messager, il y avait de nombreuses versions de la Bible répandues un peu partout dans le monde. De deux choses l’une, soit des modifications ont été opérées sur seulement certains exemplaires, soit son nom est toujours présent dans toutes les versions existantes. Cette dernière hypothèse fut retenue par, notamment, de nombreux rabbins et prêtres convertis [à l’image de Samaw'al al-Magribi ? ndt.]. Ces derniers se sont évertués à recenser tous les passages des annonces de Mohammed dans la Bible.

 

Dans tous les cas, personne n’est en mesure d’affirmer formellement le contraire après avoir vérifié toutes les versions en circulation. Une telle allégation est un pur mensonge, et son auteur est un vulgaire menteur, car il parle sans connaissance, affirme sans preuve, et prétend l’impossible ! »[4]

 

Ainsi, Alfred Morabia constate avec nous qu’ibn Taïmiya a eu entre les mains plusieurs versions fort différentes des Psaumes. Le Sheïkh témoigne également qu’il a eu sous les yeux des versions de la Bible venant de ses contemporains convertis, et donc, aucune trace d’une fausse Bible, qu’on en juge : « Après comparaison, les termes hébreux sont très proches des termes arabes dans la formation des racines des mots. J’ai entendu certains vocables de la Thora en hébreu, de la part de certains convertis, et je me suis rendu compte que la similitude entre les deux langues est telle que j’arrive à déchiffrer bon nombre de leur vocabulaire en m’appuyant uniquement sur la langue arabe. »[5]

 

Maintenant qui entre ibn Taïmiya et Karim Hanifi est un vulgaire menteur et un imposteur ?

 

Et ce n’est pas fini. Car, parmi les références bibliques d’ibn Taïmiya, il y a le grand théologien perse Ibn Qutaïba (m. 889 apr. J.-C.) qui réfutent les Scripturaires d’une belle manière, et toujours aucune trace d’une fausse Bible à cette époque. D’ailleurs, il est intéressant de constater qu’en 889 à Cordoue, le chrétien mozarabe Ḥafṣ b. Albar traduit les psaumes du latin en arabe. Le médecin de Bagdad, Hunayn ibn Ishâq, chrétien nestorien aurait donné la première traduction de la Bible en arabe au milieu du IX e siècle seulement, mais elle n'a pas été préservée. Elle avait été réalisée, en ce qui concerne la Bible hébraïque, à partir de la Septante, tandis que le moine Jean II d’Antioche n’avait, avant lui, réalisé que la première traduction des seuls évangiles au VII e siècle. Le rabbin Saadia Gaon réalisa une traduction de la Bible hébraïque à partir de l'hébreu au x e siècle, et toujours aucune trace d’une fausse Bible arabe, bien sûr jusqu’à preuve du contraire (cela veut dire que d’emblée nous n’excluons pas cette hypothèse, mais il faut juste le prouver), alors nous sommes tout ouïe…

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

[1] Selon el Khallâl, Sufiân [probablement e-Thawrî] a dit : « L’amour du pouvoir est plus alléchant aux yeux d’un homme que l’or et l’argent, et quand on aime le pouvoir on est à l’affût des défauts des autres. »

Tabaqât el hanâbila (2/14).

[3] Les rangs ; 6 « Aux yeux de certains spécialistes, souligne ibn Taïmiya, Ahmed est à la forme superlative pour exprimer sa propension à louer Dieu au-delà de n’importe qui. Autrement dit, il serait le louangeur qui loue Dieu sans cesse. Cette définition serait synonyme du Paraclet évoqué dans l’Évangile de Jean, qui, selon une hypothèse signifie « le grand loueur ». La plupart des chrétiens optent toutefois pour « le sauveur ». » Voir : El jawâb e-sahîh li man baddala din el Masîh (5/298).

[4] Voir : El jawâb e-sahîh li man baddala din el Masîh (3/5-52).

[5] Majmû’ el Fatâwâ (4/110).

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commentaires

R
Merci pour ces informations. <br /> This is an excellent post.
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