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17 juin 2020 3 17 /06 /juin /2020 13:59

La foi est-elle synonyme de calvaire sur terre ? 4/6

 

 

Extraits du traité de l’amour révérenciel d’ibn Taïmiya.  

 

L'adversité plonge l’homme dans le désespoir et l’ingratitude, car il appréhende de ne plus retrouver les jours heureux que Dieu lui a gratifié par le passé ; mais dès que le malheur se dissipe, il renoue avec l’ingratitude et, armé de la vaine espérance qu’il sera désormais épargné, il reprend le cours de sa vie comme si de rien n’était. Au lieu d’accueillir ce nouveau départ avec humilité, il nargue ses semblables en se sentant à l’abri d’un nouveau déboire : (mon malheur est derrière moi), se targue-t-il en public.

 

Cette versatilité est récurrente chez lui : (l'homme est par nature habité par l’angoisse • Le moindre malheur l’effondre • Et la moindre acquisition le rend cupide).[1] Il ne supporte pas l'adversité qui le met dans tous ses états, mais aussitôt qu’une bonne nouvelle lui est annoncée, il retombe dans ses travers avec une débordante avidité. Il est trop souvent oublieux : (L’homme est naturellement enclin à l’injustice et à l’ingratitude)[2] ; (Sans cesse, l’homme fait preuve d’ingratitude envers Son Seigneur)[3] ; (Nous avons offert aux cieux, à la terre ainsi qu’aux montagnes la charge de la Loi qu’ils ont déclinée sous prétexte qu’elle était trop lourde, alors l’homme, cet être insensé empli d’injustice, l’a acceptée • Ce choix a décidé du sort de ces hommes et ces femmes hypocrites et idolâtres contre lesquels s’exerce la sentence implacable du Seigneur qui enveloppe de Son Pardon les croyants et les croyantes, car Il est Absoluteur et Tout-Miséricordieux)[4] ; (Dis-leur à ces païens : quand bien même vous aviez en votre possession les trésors intarissables qui émanent de la Miséricorde de Mon Seigneur, vous seriez tentés de les dépenser avec parcimonie tant l’idée de les épuiser vous hanterait l’esprit, car l’homme, par nature, est enclin à l’avarice)[5] ; (L’homme n’a de cesse de réclamer l’abondance, mais dès qu’un malheur le frappe le voilà accablé au bord du désespoir • Il suffit que Nous lui prodiguions quelque faveur mettant un terme à son malheur pour qu’il se pavane aussitôt : ceci est mon dû ! D’ailleurs, je n’ai pas l’impression que la fin du monde viendra, et de toute façon, si je devais retourner à Mon Seigneur, je suis convaincu qu’Il va me combler ; sauf que Nous allons bientôt confronté les impies à leurs crimes, et, ce jour-là, Nous leur ferons goûter un châtiment terrible • Nous comblons l’homme de tous les bienfaits, mais à chaque fois, plein de suffisance, il tourne le dos à la vérité, et au premier malheur, il Nous implore avec de chaudes prières)[6] ; (Quand sur la mer le danger vous menace, vous vous tournez uniquement vers Lui sans penser à vos idoles, mais une fois qu’Il vous ramène au bord sains et saufs, vous retournez à vos mauvaises habitudes, car, c’est dans sa nature, l’homme a toujours été ingrat).[7]

 

En parallèle, les croyants reçoivent les éloges en récompense à leur patience aussi bien dans l’aisance que dans l’adversité, et plus particulièrement au moment où bat son plein l’affrontement avec les infidèles. Leur patience s’exprime également dans le domaine religieux grâce à cette ferveur assidue qu’ils lui consacrent : (C’est seulement au prix de la patience et des bonnes œuvres qu’il gagnera le pardon et une grande récompense).[8] Cela dit, il est plus aisé de patienter dans la difficulté que dans l’aisance : « Par le passé, nous avions la force d’endurer l'adversité, raconte un dignitaire parmi les Compagnons, mais aujourd’hui, nous avons du mal à gérer la prospérité dont nous sommes comblés. »

 

La pauvreté et la richesse sont des épreuves tellement difficiles que le Prophète (r) consacrait des invocations pour s’en préserver.[9] Il avait aussi prévenu ses Compagnons que les portes de l’opulence allaient bientôt s’ouvrir à eux, et que cette épreuve qui les attend sera loin d’être de tout repos : « Je jure par Allah, s’exclama-t-il, que ce n'est pas la pauvreté qui m’inquiète le plus pour vous, mais plutôt la prospérité qui se profile et qui risque de produire le même effet sur vous que sur les peuples anciens ayant baigné dans l’opulence après avoir connu la misère. Ce sont bien les richesses pour lesquelles ils se sont querellés, qui ont précipité leur perte, et bientôt, vous y serez confrontées. »[10]

 

[Les deux facteurs qui parasitent la foi]

 

Or, une déficience au niveau de la foi est le résultat de deux scénarios possibles : la capacité et l’incapacité d’agir. Dans la première hypothèse, étant mu par la capacité d’agir, les intéressés se livrent aux pires exactions telles que l’adultère, l’association, le blasphème infondée, l’iniquité, le renoncement au rite collectif, et à l’invocation exclusive, etc. chacun a des degrés différents en fonction des tempéraments et des moyens d’action. En effet, selon une loi naturelle, l’action est la somme de la volonté et de la capacité. La capacité associée à une âme mauvaise génère des atrocités sans limites, à l’instar des grands tyrans de l’Histoire tels que Pharaon qui, en plus de posséder un pouvoir d’action despotique, sont animés par des pulsions malsaines qu’ils sont incapables de maitriser. Leur manque de scrupule religieux élargit considérablement leur capacité de nuisance. Soit tout l’inverse des croyants qui, autant que faire se peut, se plient à la Volonté de Dieu, loin de cette fougue rebelle impulsant la tyrannie. 

 

D’autre part, cette foi branlante ouvre la voie à tous les débordements et les vices flirtant avec l’apostasie et l’hypocrisie. Si pour une raison ou pour une autre, ces pervers n’ont pas suffisamment de pouvoir pour mener à bien leurs sinistres desseins, ils rampent devant les puissants en vue de les manipuler à leur guise. Ils sont si lâches qu’ils se laissent aller à la panique au moindre incident. Ils ne sont pas suffisamment armés spirituellement pour garder leur lucidité et relativiser les évènements. Ils sont terrorisés à l’idée de perdre leurs acquis, et ils risquent gros s’ils ne prennent pas le dessus sur leurs émotions, ce qui en général est le cas.

 

Ces traits de caractères s’imposent chez les peuples semi-nomades non familiarisés avec la prophétie et le savoir à l'exemple des turco-mongols, des tatares et des arabes de l'ère préislamique. Ils font preuve d’une fougue indomptable lorsqu’ils sont en situation de force, et ils courbent aussitôt l’échine face à un envahisseur plus puissant. Soit tout le contraire des croyants qui gardent leur dignité dans les moments difficiles : (Ne fléchissez pas et ne vous affligez pas, et vous sortirez vainqueur de cet affrontement, si vous êtes de véritables croyants).[11] Les musulmans ont toujours le dessus même lorsqu’ils perdent sur le champ de bataille. Deux vers de Ka'b ibn Zouhaïr vante les vertus des Compagnons :

 

Jamais, ils ne se targuent de leur victoire,

Et, jamais, ils ne s'accablent dans la défaite

 

Il est prescrit pour dompter une âme mauvaise soit une action de sa part en se réformant intérieurement soit une action extérieure en l’empêchant d’agir, car la synergie de la volonté et de la possibilité décuple le risque de dégâts.

 

L’action préventive se situe à deux niveaux ; au niveau de l’introspection, ce qui ne pose aucun problème avec une âme prédisposée à faire le bien, et au niveau de la prévention en la dissuadant d’agir par des moyens coercitifs quand c’est possible, sinon, on se contente de la sermonner pour la ramener à la raison. Le but de cette double opération est d’optimiser, dans la limite des moyens, le bon côté de l’être humain en sensibilisant sa conscience pour l’encourager à aller dans le bon sens ou en endiguant sa capacité de nuisance avec une action sur sa volonté et une autre sur sa capacité. Certes, nul changement ni aucune force n’a lieu sans l’aide d’Allah !

 

Finalement, nous voyons bien que sur cette terre le croyant s’épanouit davantage que l’infidèle, car il exploite au mieux, pour assurer son bien-être, les éléments qui l’entourent et avec lesquels il a suffisamment de distance pour éviter qu’ils absorbent son attention. Là où il se sent en prison grâce à sa modération, le mécréant s’imagine dans un paradis à cause de sa cupidité. La vie sur terre est une prison en comparaison au bonheur éternel, mais elle est aussi un paradis en comparaison à l’Enfer éternel.

 

Le mécréant est foncièrement mauvais même quand il a du mal à exprimer son mal. Le cas échéant, il n’est pas en phase avec lui-même, car il ne demande qu’une chose, c’est de laisser libre-court à ses désirs insatiables. À la moindre occasion, il s’en donne à cœur joie sans modération ni interruption. Les tyrans, les êtres plus immoraux, sont les exemples parfaits de cette osmose redoutable entre la volonté et la capacité. Ils sont toujours en quête d’évènements à même d’aiguiser leurs cinq sens. Cette boulimie prédatrice exacerbe leur paranoïa, et leur peur des intrigues confine à la démence. Cette angoisse infernale les rend poltrons, et jamais ils ne connaissent la paix intérieure ni le bien-être malgré la luxure débordante de leur somptueux palais. La moindre opportunité qui leur échappe donne l’occasion à d’interminables lamentations et à de longs remords aux accents de calvaire.

 

Le croyant, pour sa part, est en paix avec lui-même grâce à un cœur sain qui transpire la sérénité et le contentement. En pleine possession de ses moyens, il profite du savoir utile qu’il a emmagasiné et qu’il concrétise sous forme de bonnes actions le propulsant vers les sommets de la béatitude à la douceur indescriptible. Les barrières qui font obstacle à la réalisation de ses nobles ambitions ne l’importunent pas outre mesure, car le savoir religieux et les bonnes intentions qui agrémentent sa conscience compensent ce manque et ce handicap. En cela, il est un éternel satisfait.

Ces phénomènes anthropologiques sont à la fois très tangibles et validés par l’expérience. Là où il y a erreur chez la plupart des gens, c’est d’assimiler le bonheur à la vie licencieuse à laquelle se livrent les dépravés pour en avoir goûté quelques échantillons. Ils n’ont pas idée à quel point les pieux sont pénétrés de la saveur suave de la foi, car eux-mêmes ne l’ont jamais réellement goûtée. Malheureusement, la majorité des êtres humains sont ignorants, sourds, et insensés. Ils doivent cette carence à leur faible expérience de la foi et de ses véritables effets. Nombreux sont les penseurs qui accusent une connaissance superficielle des enjeux profonds et des intérêts incroyables qui se cachent derrière les Commandements divins. Ils accusent une double défaillance intellectuelle, une touchant au destin et à la Loi, et l’autre à la foi élevée que décèle le cœur des vertueux. Ils appréhendent mal, car ils en sont étrangers, les mécanismes de l’épanouissement du cœur, malgré les parasites intrinsèques à l’homme tels que l’injustice faisant obstruction à la pleine reconnaissance des bienfaits innombrables parfumés de la Grâce généreuse et de l’Agrément de Dieu dont il est comblé et lui faisant ainsi encourir le courroux du ciel.

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

[1] Les échelons célestes ; 19-21

[2] Ibrâhîm ; 34

[3] Les coursiers ; 6

[4] Les coalisés ; 72-73

[5] Le voyage nocturne ; 100

[6] Les Versets détaillés ; 49

[7] Le voyage nocturne ; 67

[8] Hûd ; 11

[9] Selon un hadîth rapporté par el Bukhârî et Muslim.

[10] Rapporté par el Bukhârî et Muslim.

[11] La famille d'Imrân ; 139

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commentaires

S
tres bon article; merci beaucoup
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