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7 novembre 2011 1 07 /11 /novembre /2011 21:14

Hydrangeas

 

Calomniez… calomniez…

Il en restera toujours quelque chose !

(Partie 1) 

 

Au Nom d’Allah, le Très-Miséricordieux, le Tout-Miséricordieux. Louange à Allah le Seigneur de l’Univers ! Que le Salut et les Prières d’Allah soient sur le maître des premières et des dernières générations, notre maître et notre Prophète Mohammed, ainsi que sur sa famille, ses Compagnons, et tous ceux qui suivent leur voie et qui s’accrochent à leur tradition jusqu’au Jour des comptes !

 

croyez qu’il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde qu’on ne fasse adopter aux oisifs d’une grande ville, en s’y prenant bien… tout à coup, ne sait comment, vous voyez la calomnie se dresser, siffler, s’enfler, grandir à vue d’œil. Elle s’élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, éclate et tonne, et devient un cri général. (Beaumarchais).

 

Ibn Battûta raconte qu’au cours de son séjour à Damas, il fit la rencontre d’ibn Taïmiya, dont voici les détails : « …. je me trouvais à Damas. J’étais donc présent un vendredi au sermon qu’il prononça du haut du minbar(chaire ndt.) de la grande mosquée et dans lequel il déclara : « Allah descend au premier ciel comme je le fais actuellement. » Puis, il descendit d’une marche du minbar. »[1]

 

Quelle est la valeur historique de ce témoignage qui est devenue un « cri général » et qui attise encore les foudres de beaucoup d’hommes et de femmes sur l’un des personnages les plus controversés de l’histoire musulmane ? Une telle accusation résiste-t-elle à l’instigation ? C’est ce que nous allons essayer de dévoiler dans les prochaines lignes.[2]

 

1- La question qui se pose d’elle-même, c’est comment Sheïkh el Islam aurait-il pu être l’auteur de ces paroles ? Lui, dont les œuvres regorgent de réfutations contre les mushabbiha, appelés à tort anthropomorphistes, et les mujassima (les assimilateurs[3]), mais aussi contre les mu’attila (les négateurs) et les mufawwidha (les sceptiques en quelque sorte). Voici l’un des passages de ses ouvrages, pour n’en citer qu’un, dans lequel il étale, sans détour, sa croyance : « Il incombe de croire formellement qu’aucune créature n’est semblable au Très-Haut dans tous les Attributs par lesquels Il se qualifie. Lui donner n’importe quelle caractéristique des créatures, c’est commettre indubitablement une erreur. Il est complètement faux de dire qu’Il descend, bouge, se déplace comme un homme descend du toit d’une maison, ou qu’Il libère Son Trône dans le sens où Il quitte un endroit pour en occuper un autre. Il incombe de préserver le Très-Haut de ce genre de description. »[4]

 

2- Ibn Battûta confesse : « J’entrai dans cette ville le jeudi, neuvième jour du mois de ramadhân, le sublime, de l’année 726 »[5] Soit le 9 août 1326, qui était en réalité un samedi. Or, à cette époque, ibn Taïmiya faisait un séjour en prison, et qui fut d’ailleurs le dernier. Entré en juillet de la même année, il devait y mourir deux ans plus tard. Il fut, à la suite d’une intrigue, impitoyablement condamné en raison d’une vielle fatwa qui portait la marque du wahhabisme (sic), et qui dénonçait, au grand dam de notre aventurier, les pèlerinages des tombeaux saints ![6] Une telle nouvelle ne pouvait échapper à ses oreilles.

 

3- IbnBattûta est lui-même un personnage controversé. Il est plus un « grand voyageur » qu’un historiographe rigoureux, à l’inverse d’un ibn Khaldûm. En cela, bien que plus méthodique, il se rapproche plus de Marco Polo, qui fut pratiquement son contemporain. Il aimait également plagier les ouvrages d’ibn e-Jubaïr, quoique cela soit compréhensible dans une certaine mesure. Il décrivait des lieux qu’il n’avait pas visités,[7] comme les pyramides ou des événements auxquels il n’avait pas participé. Au sujet de la caravane du Mahmal qui part du Caire pour se rendre annuellement au pèlerinage de La Mecque, nous pouvons lire en bas de notes de la traduction française de son recueil : « Il est par conséquent peu probable qu’Ibn Battûta ait pu jamais assister à cette procession, puisque pendant le mois de radjab 726 (juin 1326) il se trouvait en haute Égypte et à son voyage de retour en 1348 il précise qu’à son arrivée au Caire la caravane de radjab était déjà partie. »[8]

 

4- Il nous habitue à ce genre d’anachronisme, comme en témoigne son passage à Médine, où il dit avoir rencontré un homme, qui lui a révélé un drôle de songe, et au sujet duquel il affirme : « il vint à la ville de Dihly, capitale du pays de l’Inde, dans l’année quarante-trois. Il se mit sous ma protection, et je racontai devant le roi de l’Inde l’anecdote de sa vision. » Stéphane Yérasimos, le commentateur de la présente traduction fait remarquer : « 1342-1343 mais à cette date Ibn Battûta avait déjà quitté Dihli. »[9] Là aussi, Abû ‘Abd Allah est excusable dans une certaine mesure. Il avait plus la vocation de faire la fresque de ces aventures qui s’étendent sur de nombreuses années, une fois de retour au pays, que de s’imposer le journal scrupuleux de sa vie quotidienne. C’est pourquoi, pour sa défense, comme le lui conçoit l’auteur de l’introduction française, il se peut qu’il décrive une ville qu’il prétend avoir vu à l’aller, ou à son premier voyage aux Lieux saints, alors qu’il ne l’a pas visité avant son retour. C’est peut-être ce qu’il faut comprendre dans les paroles du commentateur soulignant : « Sindjar, qui se trouve à cent vingt kilomètres à l’ouest de Mossoul, est complètement en-dehors de l’itinéraire d’Ibn Battûta qui se dirige vers Mardin ; il n’aurait pu la visiter qu’à son retour. »[10] La note suivante est encore plus éloquente : « Ibn Battûta, parti du Caire vers le 17 juillet et arrivé à Damas le 7 août (1326 ndt.), n’a pu effectuer qu’un trajet direct entre Jérusalem et Damas. Le très grand nombre des lieux visités ci-dessous ont dû l’être pendant ses passages en 1332 et 1348. »[11]

 

5- L’homme de Tanger nous donne une vision païenne et parfois « animiste » de la religion de ses ancêtres qui n’a rien à envier aux Juifs, aux chrétiens, aux soufis et aux shiites duodécimains. Son parcourt initiatique est jonché de mausolées présumés des grands personnages qui traversent de long en large le patrimoine arabo-musulman. En sombrant dans le fantastique, voire dans le fétichisme, il conforte l’idée que le sceau des Prophètes (r) s’inspire des coutumes païennes en vogue dans la péninsule, pour fonder sa religion. Il sape ainsi le premier principe sur lequel repose la dernière religion monothéiste et qui consiste à rendre le culte exclusif au Seigneur de l’univers. Opposant farouche à ibn Taïmiya, ne serait ce que dans les faits, personnage mystique et attrayant, il est l’instrument idéal entre les mains d’un orientalisme militant. Parfois même, il glisse et raconte des aberrations, ou pour le moins, il ne vérifie pas ses sources ! En voici trois exemples :

 

-          Il prétend que le tombeau de Zacharie est planté au milieu de la mosquée omeyyade à Damas, alors qu’il est habituellement attribué au prophète Yahya (Jean-Baptiste).[12]

-          Dans la même page, il avance avoir lu l’assertion fondée sur l’autorité de sufiân e-Thawrî selon laquelle : « La prière dans la mosquée de Damas équivaut à trente mille prières. »[13] La prière y serait ainsi plus honorifique qu’à Médine et à el Quds.

-          Selon lui enfin, les voyageurs qui naviguent sur la mer de la Chine ont coutume, lorsque le vent leur est contraire et qu’ils craignent les pirates, de faire un vœu à Abû Ishâq.[14] En cela, ils en font plus que les païens d’antan qui : [lorsqu’ils montent en bateau, ils implorent Allah en lui vouant le culte exclusif].[15]

 

Par : Karim Zentici

 

 

 

  

 



[1] Rihla ibn Battûta (1/110).

[2] Voir : Hayât Sheïkh el Islâm ibn Taïmiya de Mohammed Bahjat el Baïtâr (p. 43-49) et l’introduction à la recension de Sharh hadîth e-Nuzûl d’ibn Taïmiya faite par le D. Mohammed el Khumaïs (p. 34-38).

[3] Terme emprunté à Yahya Michot, qui, malheureusement parfois, lâche maladroitement sa plume contre ibn Taïmiya. Peut-être, nous montre-t-il ainsi qu’il sait se détacher d’un homme pour qui il voue son admiration !

[4] Voir : Sharh hadîth e-Nuzûl (p. 359), mais aussi (p. 78). Pour les détails du terme « haraka » (mouvement, déplacement), voir : daf’ e-shubah el habashiya ‘an Sheïkh el Islâm ibn Taïmiya de Murâd Shukrî Suwaïdân (p. 121-123).

[5] Ibn Battûta Voyages I. De l’Afrique du Nord à La Mecque : Traduction de l’arabe de C. Defremery et B.R. Sanguinetti (1858) Introduction et notes de Stéphane Yérasimos (p. 168). La version arabe parle du 19 ramâdhan.

[6] Voir : sîra Sheïkh el Islâm ibn Taïmiya d’Islâm el Husâmî el ‘Abbâdî (405-429).

[7] Voir : la traduction française que nous avons signalée ci-dessus (p. 104).

[8] Idem. (p. 111).

[9] Idem. (p. 230). Ibn Taïmiya explique que parfois des djinns se présentent à quelqu’un en rêve sous une forme humaine pour lui embellir l’idée qu’il est plus méritoire de se réfugier auprès du mausolée d’untel [voir : (talkhîs kitâb el istighâtha (2/591)].

[10] Idem. (p. 387).

[11] Idem. (p. 133).

[12] Idem. (p. 177). Tout rite consacré à cet endroit relève de l’innovation honteuse [(voir : majmû’ el fatâwa (27/48)].

[13] Idem. Selon Sheïkh el Islâm, il n’y a aucun texte prophétique authentique vantant les vertus de la grande mosquée de Damas [(voir : majmû’ el fatâwa (27/48)]. 

[14] Idem. (p. 355).

[15] L’araignée ; 65

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