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17 février 2013 7 17 /02 /février /2013 09:53

Forest

 

 

Éclaircissement 

(Partie 3) 

 

Il reste un dernier point à régler, et qui touche aux arguments en détail des deux parties. Nous avons expliqué plus haut, qu’en fait, ils se rejoignent pour la plupart, et que chacun parle d’un point particulier de la question. C'est pourquoi il faut replacer chaque argument dans son contexte pour éviter de sombrer dans un dialogue de sourds. Nous avons répondu par le passé à une dizaine d’arguments de l’adversaire. Récemment, l’un d’entre eux a voulu nous faire entrer dans un raisonnement qui tient sur un château de cartes, dans le sens où si on enlève une seule carte, c’est tous le château qui s’écroule. L’une de ses cartes devait nous faire dire que le kufr, selon ibn el Qaïyim, se résumait au juhûd (renier) d’un enseignement de l’Islam. C’est ce qui lui permettait de dire que ahl el fatra n’étaient pas des mécréants, selon cette définition, mais sans n’être non plus des musulmans, d’où la règle sur laquelle tient son château de cartes, du ism et du hukm.

 

Or, je lui ai ensuite expliqué que de confiner le kufr dans le juhûd était propre au murjite. Mais là, c’était enlever une carte, alors il est entré dans un discours de safsata que les grecs appelaient sophisme, et qui est un raisonnement faux, ayant l’apparence d’un raisonnement logique et qui est fait dans le but de tromper.

 

Pourtant, je lui avais donné un texte où ibn el Qaïyim avait dévoilé ses intentions, et qui parlait d’ahl el fatra, non des musulmans. Texte que je remets ici : « L’Islam, c’est l’unicité d’Allah et Son adoration unique sans lui vouer d’associé ; il consiste également à croire en Allah et à Son Messager (r) et à suivre ses enseignements. Quiconque ne fournit pas cela n’est pas un musulman. Si, certes, il n’est pas un mécréant renieur (kâfir jâhîd), c’est un mécréant ignorant (kâfir jâhil). »[1] Qu’entend ibn el Qaïyim par kâfir jâhil ? La réponse se trouve deux pages plus loin où l’auteur nous y dévoile ses intentions en ces termes : « Allah (U) ne châtie personne avant l’iqâma el hujja, comme le formule les Versets : [Nous n’allions châtier personne avant d’envoyer un messager],[2] [Des messagers avertisseurs et annonciateurs afin que les hommes ne puissent opposer à Allah aucun argument après leur venue].[3] Nombreux sont les exemples de ce genre dans le Coran qui nous informe que seul celui qui a reçu le message d’un prophète mérite le châtiment dans la mesure où la preuve divine est appliquée contre lui, et qui correspond au pécheur qui reconnait sa faute. »[4]

La page suivante, il explique encore plus en détail : « Deux individus méritent le châtiment : le premier consiste à se détourner de la preuve d’Allah par négligence et à ne pas la vouloir ni la mettre en pratique ni mettre en pratique ce qu’elle implique. Le deuxième consiste à s’en détourner par orgueil après l’avoir reçue et à délaisser ses implications.

Le premier c’est du kufr i’râdh,

Et le deuxième, c’est du kufr ‘inâd.

Quant au kufr el jahl sans que la preuve d’Allah ne soit venue et sans n’avoir la possibilité d’y avoir accès, c’est ce genre de kufr au sujet duquel Allah n’applique pas le châtiment, pas avant que la preuve prophétique ne soit établie. »[5]

 

Il n’est donc pas question du kufr juhûd, mais du kufr jahl. Dans ce même raisonnement, l’adversaire se sert de certaines paroles de ce même ibn el Qaïyim pour dire que le muqallid (suiveur) ignorant n’est pas excusé par son ignorance. Mais, en réalité, ce même ibn el Qaïyim relativise son discours. Il précise ailleurs en effet, en parlant des adeptes des sectes (khawârij, mu’tazila,murjiya, etc.) qu’ils sont plusieurs catégories d’individus. L’un d’entre eux est un muqallid ignorant qui n’a aucune clairvoyance ; dans son cas, il ne devient ni kâfir, ni fâsiq (pervers), et on ne doit pas refuser son témoignage, étant donné qu’il n’est pas en mesure d’étudier la vérité.[6] Il n’est donc pas question d’une manzila baïna el manzilataïn !

 

Il distingue donc entre le muqallid ignorant de l’époque de la fatra qui est un kâfir jâhil et le muqallid ignorant parmi les musulmans. Et quand bien même son discours engloberait également les muqallid musulmans, il fait allusion à une catégorie bien déterminée, qui est soit de se détourner de la vérité par négligence comme nous l’avons vu avec le kufr i’râdh et tafrît soit de s’en détourner par orgueil, comme nous l’avons vu avec le kufr ‘inâd. L’élève d’ibn Taïmiya nous met en garde de confondre entre les deux formes de muqallid ; entre celui qui a la possibilité d’apprendre et celui qui n’en a pas la possibilité, ce qui rejoint notre raisonnement.

 

Il explique que ces deux catégories d’individus existent bel et bien et que le premier n’est en aucun cas excusable.[7] Il explique ailleurs que la deuxième catégorie d’individu a un autre statut.[8] Si c’est un muqallid jâhil, il est effectivement un mécréant qui est excusable dans le sens où le Jour de la résurrection il sera éprouvé pour rejoindre ensuite soit le Paradis soit l’Enfer. Et si c’est un muqallid musulman, il est excusable dans le sens où il ne perd pas son affiliation à la religion (ism) et son statut d’adepte de l’Islam (hukm), wa Allah a’lam !

 

Je vais donner un dernier exemple qui écroule le château de carte, en sachant qu’ensuite chacun l’interprète et se console à sa façon, hadhâ mablaghuhum mi el ‘ilm !

 

L’adversaire utilise une parole de l’Imam ibn Battin dans laquelle il affirme sans ambages que celui qui se trompe en général (mukhtî), ou qui commet une erreur d’interprétation (mu-awwil) et l’ignorant ne sont pas excusables conformément au Coran, à la sunna, et à l’unanimité des savants.[9]

 

Avant de répondre à cet argument, il convient de préciser qu’il faut distinguer entre les questions évidentes, qui ne sont pas propres rappelons-le au shirk akbar, et les questions subtiles de la religion. Il est vrai que pour les premières, l’erreur d’interprétation et l’ignorance ne sont pas une excuse. Non en elles-mêmes, mais parce qu’il est inconcevable de se tromper dans un domaine où les choses sont aussi claires, contrairement aux questions subtiles dans lesquelles même des grands savants commettent des erreurs.[10] Concernant, les erreurs d’interprétation pour les questions subtiles de la religion, l’Imam Shâfi’î ramène un consensus à son époque disant qu’elles sont excusables.[11] Même discours chez ibn Hazam,[12] ibn Taïmiya,[13] et ibn Hajar el ‘Asqalânî.[14] Certains savants comme Sheïkh el ‘Uthaïmîn, entrent plus dans les détails. Ils font une autre distinction pour le ta-wîl excusable entre le ta-wîl musawwa’, dans le sens où il a une origine dans la langue arabe, même si la conclusion est fausse et le ta-wîl ghaïr musawwa’ qui n’a aucune origine dans la langue arabe.[15]

 

Bref, ibn Battin fait allusion aux questions évidentes dont fait partie le shirk akbar. Mais, me direz-vous, qu’est-ce qui nous fait dire cela ? Nous disons, le contexte et surtout la suite du passage que l’adversaire utilise et dans lequel l’auteur voit le ‘udhr bi el jahl dans les questions subtiles de la religion. Ensuite, il nous fait comprendre que ce discours est relatif, car en reprenant le passage d’ibn Taïmiya qui ne donne pas de circonstance atténuante à certaines catégories d’individus, il nous en dévoile la raison. Autrement dit, car les erreurs en questions touchent aux questions évidentes de la religion. De plus, le discours d’ibn Taïmiya relativise, car il parle en fait de Râzî, en voulant dire que les gens de son acabit n’ont pas le droit à l’erreur sur des choses aussi claires. Ce qui n’est pas le cas des muqallid ignorant. On voit bien que ce discours est relatif comme nous le disons depuis le début.

 

Par ailleurs, en s’arrêtant sur le consensus revendiqué par ibn Battin, nous verrons que d’autres savants comme l’Imam el Qarrâfî el Mâliki,[16] et Mohammed Rashîd Ridhâ[17] font le même constat. En sachant que le dernier cité fait exception au nouveau converti et au bédouin qui habite loin des villes, ce qui rejoint notre discours.

 

Or, pour être plus précis, il faudrait dire que cette opinion est celle de la majorité des savants, comme le rapporte l’Imam hanafite Sadr e-Dîn el Qûnawî et ‘Alî el Qârî.[18]

 

En outre, dans un autre passage, l’Imâm ibn Battin nous fait part du fond de sa pensée, en expliquant qu’en donnant des excuses à un ignorant dans les questions claires, cela implique de confiner le kufr dans le juhûd,[19] – comme nous demande de le faire l’adversaire que je n’accuse pas d’être un murjite – ce qui n’est pas tout à fait vrai, comme nous l’avons vu dans l’introduction. Lui-même nuance la chose dans certains passages de son œuvre où, certes, il démentait les paroles d’Ibrahim ibn ‘Ajlân qu’il attribuait à ibn Taïmiya et ibn el Qaïyim sur le ‘udhr bi el jahl, car à ses yeux, ce serait confiné le kurf dans le… ‘inâd.[20] Néanmoins, il a également d’autres paroles qui n’ont pas moins d’autorité que celles-ci. Qu’on en juge : « Ses paroles – qu’Allah lui fasse miséricorde –[21], disant qu’il n’est pas possible de les taxer d’apostats (kaffar), pas avant de leur avoir exposé les enseignements du Messager (r), ou en d’autres termes, qu’il n’est pas possible de les kaffar en personne, ou en particulier, en affirmant par exemple qu’un tel est un kâfir ou toute autre formule du genre. Cependant, nous disons que tel acte relève de la mécréance et que l’auteur de cet acte est mécréant. Il a donc jugé dans l’absolu que l’auteur d’un tel acte est un kâfirun nombre de fois incalculable dans ses ouvrages. Il a même relevé le consensus disant que l’auteur de ces pratiques païennes est un apostat… »[22]

 

Trois hypothèses sont possibles pour résoudre ce mystère : soit, l’Imam réfute ceux qui refusent dans l’absolu de kaffar l’ignorant dans le domaine du tawhîd, même celui qui vit en terre musulmane et qui a les possibilités de le connaitre, alors qu’ibn Taïmiya et son élève, précise que l’excuse est accordée au nouveau converti, ou au bédouin qui vit loin des villes, certes, mais pas à tout le monde. J’espère que l’adverse conçoit la nuance ; soit, un peu comme l’adversaire, toute proportion gardée, ibn Battîn pénétrait mal la tendance des deux Imams sur ce point précis ; soit, il est tout simplement revenu sur sa première tendance. Quoi qu’il en soit, la tendance des deux Imams est claire sur ce point, comme nous l’avons expliqué précédemment.[23]

 

Ainsi, en regroupant les paroles des uns et des autres, on arrive mieux à pénétrer leurs intentions de leurs auteurs, ou tout au moins, à conjuguer entre elles. Il reste à préciser que dans certains passages, les savants donnent, dans l’absolu, le statut d’un acte en particulier, sans préciser que son auteur est excusable. Cela ne remet nullement en question ses autres discours sur le ‘udhr bi el jahl. Car, comme nous le disons depuis toujours, il faut distinguer entre le hukm el mutlaq (son statut dans l’absolu) et le hukm el mu’aïyin (un cas particulier). Il serait trop long de reprendre un à un les arguments de l’adversaire, je me suis contenté d’en citer deux, ici. Il suffit de garder en mémoire la classification citée plus haut, pour que les choses deviennent plus claires, wa Allah a’lam !

 

Par : Karim Zentici



[1] Tarîq el hijrataïn (p. 411). Mithat ibn el Hasan Âl el farrâj est l’auteur de la recension du livre kitâb mufîd el mustafîd fî kufr târik e-tawhîd de Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb. Mu par un certain zèle, ce qui peut être compréhensible, il reproduit les paroles d’ibn el Qaïyim que nous venons de citer, mais il ne fait pas l’effort de tourner les deux pages suivantes, où il aurait découvert pourtant les vraies intentions de l’auteur.

[2] Le voyage nocturne ; 15 voir les tafsîr d’e-Tabarî et d’ibn Kathîr.

[3] Les femmes ; 165 voir les tafsîr d’el Baghawî et de Shanqîtî.

[4] Tarîq el hijrataïn (p. 413).

[5] Tarîq el hijrataïn (p. 414).

[6] El Qâsimî a rapporté ses paroles dans son tafsîr (5/1309).

[7] Tarîq el hijrataïn (p. 412).

[8] E-tafsîr el qaïyim (p. 359-360).

[9] El intisâr (p. 46).

[10] ‘âridh el jahl (p. 51).

[11] El umm (6/205).

[12] El fisal (6/205).

[13] Majmû’ el fatâwa (5/563), et manhaj e-sunna (5/239).

[14] Fath el Bârî (12/304).

[15] Majmû’ e-thamîn (2/63).

[16] Sharh tanqîh el fusûl (p. 439).

[17] Hâshiya e-rasâil e-najdiya (4/517).

[18] Voir : ‘âridh el jahl (p. 571-583).

[19] E-durar e-saniya (10/400).

[20] Voir : risâla fî bayân e-shirk wa ‘adam i’dhâr jâhilihi (p. 30).

[21] En parlant des paroles d’ibn Taïmiya dans son radd ‘ala el bakrî (p. 376) auxquelles l’adversaire n’a jamais répondu.

[22] Voir : el intisâr li hizb el muwahhidîn (p. 29) ; il est compilé dans majmû’a ‘aqîda el muwahhidîn.

[23] nawâqid el îmân el i’tiqâdiya du D. Mohammed ibn ‘Abd Allah ibn ‘Alî el Wuhaïbî (1/282-283).

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