Mohammed Rashîd Ridâ explique : « La preuve céleste n’est pas établie contre celui qui ne comprend pas la prédication… Cette question fut l’objet d’une divergence entre les grands savants contemporains du Najd lors d’une assemblée de l’Imam ‘Abd el ‘Azîz ibn ‘Abd e-Rahmân ibn Faïsal Âl Sa’ûd à La Mecque. l’argument le plus fort fut en faveur du Sheïkh‘Abd Allah ibn Bulaïhid disant qu’il était essentiel de comprendre la preuve céleste afin qu’elle soit établie ; sa présence en elle-même ne suffisait pas si elle n’était pas comprise. Pour appuyer ses dires, ce dernier s’inspira d’un passage d’ibn el Qaïyim – qu’Allah lui fasse miséricorde – qui était clair sur la question. Il parvint ainsi à convaincre les autres membres de l’assemblée. »[1]
Il fait certainement allusion au passage d’ibn el Qaïyim dans tarîq el hijrataïn et disant que l’iqâma el hujja varie en fonction des époques, des lieux et des personnes. La preuve d’Allah peut ainsi s’appliquer à certaines époques, à certains endroits et contre certaines personnes ; elle ne s’applique pas contre l’enfant, le fou, celui qui a du mal à comprendre le message et qui n’a personne sous la main pour lui expliquer (ou pour lui traduire) en termes compréhensibles. Le cas échéant, il est comme le malentendant qui, ne comprenant pas ce qu’on lui dit, compte parmi les quatre catégories qui, le Jour de la Résurrection, auront un prétexte devant Allah.[2]
Une citation d’Ishâq ibn ‘Abd e-Rahmân vient conforter cette hypothèse. Celle-ci concorde exactement avec la conclusion que nous avons apportée dans l’article Éclaircissement. Voici ce qu’elle dit en parlant du fameux passage de tarîq el hijrataïn : « … ibn el Qaïyim fait uniquement exception à ceux qui n’ont pas accès à la vérité, bien qu’ils la recherchent activement. C’est de ces derniers dont fait allusion les textes des grands spécialistes comme Sheïkh el Islam et son élève. »[3] Il s’attaque ainsi au cœur des revendications d’ibn Jarsîs prétendant, en s’appuyant sur des textes de ces deux Imams, que tous les ignorants sans détail sont excusables. Ainsi, comme nous l’expliquions, l’ignorance n’est pas une excuse en elle-même, mais l’incapacité d’avoir accès à la vérité, à condition, bien sûr, de la rechercher.
SheïkhSulaïman ibn Sahmân rapporte les paroles suivantes d’ibn Jarsîs :« Il n’est pas simple de kaffar le musulman. Les savants, comme Sheïkh ibn Taïmiya et ibn el Qaïyim, sont unanimes à dire que l’ignorant et celui qui commet une erreur et appartenant à cette communauté, fait un acte qui, en principe doit le rendre mushrik ou kâfir, est excusable (ya’dhur bi el jahl wa el khata), jusqu’à ce qu’il ait connaissance de la preuve prophétique de façon claire et limpide et qu’il n’ait aucune confusion sur la question. » Puis, il explique : « Quant à taxer de kâfir un musulman, nous avons vu que les wahhabites ne kaffar pas les musulmans. Sheikh Mohammed ibn ‘Abd el Wahhâb – qu’Allah lui fasse miséricorde – fait partie des gens qui prennent le plus de précautions avant de se prononcer sur le takfîr, à tel point qu’il n’est pas formel sur l’ignorant qui implore un autre qu’Allah parmi les occupants des tombes ou autres, s’il ne trouve personne pour le conseiller et pour lui faire parvenir la hujja par laquelle tous ceux qui s’y opposent deviennent mécréant. »[4]
Il rapporte également un long passage de tarîq el hijrataïn et qui pose la lumière sur les différentes formes de suivisme aveugle. Puis, il conclu avec une citation de son Sheïkh ‘Abd e-Lâtîf que voici : « … ibn el Qaïyim fait uniquement exception à ceux qui n’ont pas accès à la vérité, bien qu’ils la recherchent activement. C’est de ces derniers dont fait allusion les textes des grands spécialistes comme Sheïkh el Islam et son élève. »[5]
Sheïkh ‘Abd Allah Abû Batîn explique à ce sujet : « Prétendre que le Prophète (r) ou un autre peut sauver du châtiment d’Allah ou qu’il peut prendre Sa place est une forme de mécréance manifeste. Nous taxons tout fautif de mécréant après le lui avoir expliqué, s’il est ignorant. »[6] ‘Abd e-Latîf réfute l’accusation selon laquelle l’Imam sortait les gens de la religion sans faire de détails. Il explique qu’il ne se prononce même pas sur celui qui adore l’idole se trouvant sur la tombe d’Abd el Qâdir et celle d’el Badawî en raison de leur ignorance. Il ne diffère en rien de la voie du Prophète (r), sauf que son discours sera plus ou moins détaillé en fonction de la situation.[7]
Ailleurs, il met en lumière les véritables intentions d’ibn Taïmiya et d’ibn el Qaïyim sur la question : « Le discours des deux Sheïkh est suffisamment clair dans tous les passages en question. Ces derniers ne kaffar pas les auteurs de certaines paroles ou de certains actes, étant donné que la chose n’est pas facile à détecter pour ces gens-là, et qu’ils n’ont pas reçu la hujja. Ainsi, ils s’abstiennent de condamner certains fautifs au châtiment avant l’étape de l’iqâma el hujja. Ils parlent de questions bien précises et sur lesquelles il existe une divergence entre les savants de la communauté.
Quant à l’invocation et l’appel au secours des morts, en s’orientant vers eux lors des moments difficiles, tout le monde s’accorde à dire que c’est interdit et que cela relève de la grande association. Nous avons vu précédemment que le Sheïkh condamne à la peine de mort quiconque refuse de s’en repentir… »[8]
Le problème, c’est que Dâwûd ibn Jarsîs ne pénètre pas ces nuances. Il attribue à ibn Taïmiya et à son élève un discours erroné. Il s’imagine qu’ils ne condamnent pas ces pratiques païennes. Pire, il s’imagine que l’erreur dans ces domaines rapporte une récompense dans l’absolu à celui qui n’en a pas connaissance. Or, il incombe de distinguer entre l’acte auquel le Législateur donne le statut d’« association », de « mécréance » ou de « perversité » et la personne. Le fait qu’une personne peut être excusable, cela ne rend en aucun cas son acte louable. Il y a une différence entre le statut d’un acte et le statut de son auteur.[9]
Sheïkh ‘Abd Allah Abâ Btîn se chargea de réfuter la tendance erronée et véhiculée par Dâwûd ibn Jarsîs et ibn ‘Ajlân. Ces deux hommes l’imputaient à ibn Taïmiya et son élève ibn el Qaïyim. Ils prétendaient que l’erreur d’interprétation rapportait systématiquement une récompense en plus du fait qu’elle était excusable. Ils voulaient faire passer l’idée que seul un obstiné pouvait sortir de l’Islam. Le suivisme aveugle et l’ignorance seraient, à leurs yeux, dans tous les cas excusables.
Voici un passage de la réfutation qu’il leur consacra : « Ceux qui polémiquent en faveur des païens s’inspirent de l’histoire de l’homme ayant demandé à sa famille de brûler son corps après sa mort. Ils en concluent que l’ignorant ayant commis un acte de mécréance (kufr) est excusable. Seul un obstiné, à leurs yeux (mu’ânid), peut devenir mécréant…
Dans les ouvrages de figh, les légistes – qu’Allah leur fasse miséricorde – définissent l’apostat comme suit : un musulman qui renie sa religion dans les paroles, les actes, la croyance, ou par scepticisme. Or, c’est l’ignorance qui est la cause du scepticisme. Cela impliquerait de ne pas kaffar les Juifs, les chrétiens, ceux qui se prosternent pour le soleil, la lune, et les idoles en raison de leur ignorance ! On devrait dire la même chose pour ceux qu’Ali ibn Abî Tâlib a condamnés au bûché, alors que nul ne doute qu’ils fussent des ignorants. Les savants – qu’Allah leur fasse miséricorde – sont unanimes à sortir de la religion celui qui ne kaffar pas les Juifs et les chrétiens ou qui tout simplement douterait de leur mécréance. Pourtant, nous sommes convaincus que la plupart d’entre eux sont des ignorants…
Donner une excuse à celui qui commet du kufr par une erreur d’interprétation (ta-wîl), un effort d’interprétation (ijtihâd), une erreur involontaire (khata), par suivisme ou par ignorance, c’est aller à l’encontre du Coran de la sunna et du consensus. Il n’y a aucun doute là-dessus ! Sans compter que les partisans de cette tendance sont obligés d’aller à l’encontre de leur propre principe. Sinon, nul doute qu’ils deviennent eux-mêmes des mécréants. C’est du même ordre que de s’abstenir de kaffar celui qui doute de la mission de Mohammed (r).
Quant à l’homme qui demanda à sa famille de brûler son corps après sa mort, Allah lui pardonna certes, bien qu’il doutait d’un Attribut divin. La raison, c’est que la preuve céleste ne lui était pas parvenue sur le sujet, comme le prétend plus d’un savant.
SheïkhTaq-ï e-Dîn [ibn Taïmiya] – qu’Allah lui fasse miséricorde – explique qu’en doutant d’un des Attributs du Seigneur on devient mécréant ; dans le cas d’un individu qui n’est pas censé ignorer ce point. Ce statut n’englobe pas celui qui n’est pas censé le savoir. C’est la raison pour laquelle le Prophète (r) n’a pas kaffar l’homme ayant douté pourtant du Pouvoir d’Allah, étant donné que la preuve céleste ne lui était pas parvenue. »[10]
À suivre…
Par : Karim Zentici
[1]majmû’ e-rasâil e-najdiya (5/514-519).
[2]Tarîq el hijrataïn (p. 414).
[3]‘aqîda el muwahhidîn wa e-radd ‘alâ e-dhullâl el mubtadi’în (p. 164).
[4]Dhiyâ e-Shâriq (p. 371-372).
[5]Idem. (p. 85-90).
[6]Majmû’ e-rasâil wa el masâil (2/3/130).
[7]Voir : misbâh e-zhalâm (p. 43).
[8]Voir : minhâj e-ta-sîs (p. 265).
[9]Idem.
[10]El intisâr li hisb Allah el muwahhidîn (p. 16-18) ; voir également : e-durar e-saniya (12/72-73) et (12/85). Je reviendrais plus tard in shâ Allah sur ce discours Abâ Btîn qui peut poser problème pour un lecteur non averti.