Ibn Taïmiya et la philosophie
(Partie II)
E-Shihristânî (m. 548 h.) pour sa part, était l’un des adeptes du Kalâm, les plus versés en hérésiographie. Malgré cela, il reste perplexe devant certaines énigmes que soulève la théologie. C’est pourquoi, il les expose sans faire de choix.[1] Par ailleurs, il n’était pas familiarisé à la pensée d’Aristote et des anciens grecs. Il s’appuie uniquement des livres d’ibn Sînâ pour témoigner de leurs idées.[2] S’il est vrai qu’il répond à certaines idées fausses des philosophes, il leur concède néanmoins certains principes tout aussi faux. En cela, son débat avec ces derniers est sans grande consistance.[3] E-Razî (m. 606 h.) ressemble dans une large mesure à el Ghazâlî dans sa versatilité et ses contradictions. Quoi que ces deux penseurs ne soient pas des exceptions car bien que les « scolastiques » en général s’adonnent à des polémiques sans fin, ils ne se tournent quasiment jamais vers les textes scripturaires de l’Islam.[4] E-Râzî avait un penchant pour les philosophes athées, bien que leur pensée lui fût principalement transmise par l’intermédiaire d’ibn Sînâ et d’Abû el Barakât ibn Mulkâ.[5] Le plus versé dans les sciences du Kalâm et de la philosophie à son époque, el Âmûdî (m. 631 h.) était le penseur dont la croyance était plus proche des principes de l’Islam.[6] Comme la plupart des Mutakallimûn, ibn Sînâ était la référence à travers laquelle il avait accès à la pensée grecque.[7]
El Abharî (m. 663 h.) était très à l’aise dans le domaine de la philosophie et de l’observation. Ces contemporains le préféraient à son coreligionnaire el Armawî (m. 682 h.). El Abharî a pris plus qu’un autre la défense de la philosophie contre les Ash’arites et les Mu’tazilites.[8] Mais il ne concède pas à ces devanciers que le monde est ancien, et réfute ce concept à travers une analyse qui reprend les mêmes arguments que les nôtres. Il avait donc plus d’affinité avec la religion musulmane.[9] Son contemporain el Armawî réfutait souvent les idées de Râzî, en utilisant ses propres paroles contre lui étant donné qu’il se contredisait énormément d’un livre à l’autre. Cela lui fut donc chose facile mais il est à noter que parfois el Armawî comprenait mal les intentions de son adversaire. Il arrivait même que ses réfutations manquent de consistance et qu’elles passent carrément à côté de la vérité.[10]
[En définitive], el Fârâbî, ibn Sînâ, e-Sahrawandî, Abû Bakr ibn e-Sâigh, et ibn Rushd s’inspiraient uniquement des péripatéticiens qui furent les disciples d’Aristote, leur maître à penser qui est à l’origine de l’essor du Muntiq (la logique grecque). Ces idées sont reprises par el Ghazâlî dans Maqâsid el Falâsifa et sa réfutation e-Tahâfut ; elles sont reprises également par e-Râzî dans el Murakhkhas et el Mabâhis el Mashraqiya, et par el Âmûdî dans Daqâiq el Haqâiq wa Rumûz el Kunûz.[11] Pour cerner la philosophie, il n’est donc pas suffisant de regarder dans les œuvres des penseurs musulmans étant donné que la philosophie est bien plus vaste et elle ne s’arrête pas à la pensée d’Aristote, surtout si l’on se penche sur la pensée des anciens grecs.[12] Le fait est qu’ils n’en avaient aucune connaissance et qu’ils ne l’ont pas rapporté dans leurs œuvres. C’est pourquoi, il convient à l’observateur de se tourner vers les œuvres des historiographes musulmans pour mieux appréhender l’évolution de la philosophie et avoir accès aux diverses écoles de pensée.[13]
El Maqâlât d’Abû ‘Îsâ el Warrâq (m. 247 h.) est l’un des premiers livres d’hérésiographie. Bon nombre d’opinions philosophiques qu’il recense sont inexistantes chez les auteurs qui s’inspirent d’ibn Sînâ tels qu’el Ghâzâlî, e-Shihristânî, et d’e-Râzî.[14] Il inspira les hérésiographes qui vinrent après lui à l’instar de e-Nûbakhtî, el Ash’arî, et d’e-Shihristânî.[15] Malgré la multitude d’opinions qu’elles rapportent, les œuvres du genre ne se penchent jamais vers les opinions des prédécesseurs musulmans non qu’ils n’aient pas voulu les citer mais tout simplement parce qu’ils ne les connaissaient pas.[16] e-Nûbakhtî (m. 310 h.) a écrit el Ârâ wa e-Diyânât dans lequel il réfute intelligemment la logique aristotélicienne.[17] Abû el Hasan el Ash’arî (m. 324 h.) est l’auteur de Maqâlat ghaïr el Islâmiyîn, qui est plus épais que Maqâlat el Islâmiyîn.[18] Il y rapporte certaines opinions et divergences des philosophes grecs dans les mathématiques et les sciences de la nature, omises par des grands auteurs comme el Fârâbî et ibn Sînâ. Son œuvre est plus enrichissante que celle d’e-Shihristânî (m ; 548 h.) auteur d’el Milal wa e-Nihal, car il était plus précis et plus scrupuleux dans sa retranscription des textes originaux.[19] Il était plus érudit dans le domaine de l’hérésiographie sans compter qu’il connaissait mieux l’orthodoxie musulmane, et qu’il avait un savoir plus étendu en général que ce dernier…[20]
Voir Mawqif Sheïkh el Islam ibn Taïmiya min el Falâsifa par le D. Sâlih el Ghâmidî
Traduit pour Islam.house par :
Karim ZENTICI
[1] Manhâj e-Sunna(5/269-270).
[2] E-Rad ‘alâ el Muntiqyîn (105).
[3] Bayân Talbîs el Jahmiya (1/8).
[4] Dar Tarârudh el ‘Aql wa e-Naql (1/325-375).
[5] Majmû’ el Fatâwâ(5/570).
[6] Nagdh el Muntîq (156).
[7] Dar Tarârudh el ‘Aql wa e-Naql (3/66).
[8] Idem. (1/385).
[9] Idem. (1/387).
[10] Idem. (1/345).
[11] Idem. (1/157).
[12] Idem. (1/57).
[13] Voir : Manhâj e-Sunna (5/283).
[14] Idem. (5/283-284).
[15] Idem. (2/516).
[16] Idem. (5/268).
[17]Idem. (5/268).
[18]Idem. (2/224).
[19]Idem. (5/383).
[20]E-Nubuwwât (220).