La tawba d’Abû el Hasan
(Partie 2)
Voir : el ashâ’ira fî mîzân ahl e-sunna (p. 713-726) de Faïsal el Jâsim.
Deuxièmement : dans el ibâna, mais aussi dans maqâlât el islâmiyîn et risâla ilâ ahl e-thaghr, el Ash’arî étale certains points du dogme. Il traite notamment des Attributs divins à la manière des anciens qui s’oppose à la tendance ash’arite. Il adhère en effet au sens littéral des Attributs et interdit de se tourner vers le ta-wîl (l’interprétation). Il considère même que les auteurs d’une telle démarche sont des innovateurs et des jahmites.[1] Il ne fait donc aucune allusion au tafwîdh que lui imputent les ash’arites. Bien au contraire. Il affirme plutôt explicitement qu’il faut prendre les Attributs d’Allah au sens propre et au sens littéral. Les Versets qui parlent des Attributs sont, à ses yeux, clairs et compréhensibles. Il réfute donc de les interpréter ou de les prendre au sens figuré. Nous sommes ainsi loin de la tendance kullâbite, et cela confirme qu’il s’agit bel et bien dans ces ouvrages d’une autre phase.
Un autre élément le confirme. Certains ash’arites pour le moins téméraires, avancent en effet, qu’Abû el Hasan écrivit el ibâna pour se protéger des traditionalistes. Abû Alî el Ahwâzî avance à ce sujet : « El Ash’arî a écrit un livre sur la sunna que ses adeptes mettent en avant pour faire rempart aux traditionalistes… Ce livre porte le nom d’el ibâna. Il l’écrivit lors de son séjour à Bagdad. Pourtant, il n’a pas réussi à gagner les faveurs des hanbalites qui décidèrent de l’exclure (hajr).
J’ai entendu dire Abû ‘Abd Allah el Hamrânî : lorsqu’el Ash’arî entra à Bagdad, il se rendit chez el Barbahârî et lui raconta : « J’ai réfuté les paroles d’el Jubbâî et d’Abû Hâshim, j’ai détruit leurs arguments, ainsi que ceux des Juifs, des chrétiens, et des mazdéens, ils donnaient leurs arguments et moi je donnais les miens. » Il parla longuement, et lorsqu’il se tut, el Barbahârî lui lança : « Je ne comprends ni un peu ni la majeure partie de tes paroles, je connais uniquement celles d’Abû ‘Abd Allah Ahmed ibn Hanbal. » Une fois sortie de chez lui, il composa el ibâna qui ne fit aucun succès. Lors de son séjour à Bagdad, il ne reçut aucune notoriété jusqu’au jour où il dut quitter la ville. »[2]
Cette histoire laisse entendre que l’ibâna ne répond pas aux critères ash’arites, sinon il n’aurait pas été écrit pour plaire aux traditionalistes sensés être ses opposants. Il ne s’agit pas ici de donner crédit à cette hypothèse, mais retenons que dans l’esprit de certains ash’arites kullâbites, l’ibâna s’oppose à leur croyance et rejoint celle des traditionnalistes.
El Kawtharî lui-même, pourtant un opposant notoire et féroce des ahl e-sunna, avoue que l’ibâna d’el Ash’arî réfute la tendance kullâbite. Il l’aurait écrit selon lui par complaisance envers les traditionnalistes et leur Imam de l’époque el Barbahârî. En introduction à l’insâf d’el Bâqallânî, il fait le commentaire suivant : « Quant à l’ibâna qu’il présenta à el Barbahârî les premiers temps qu’il embrassa la croyance traditionaliste, il renferme certaines opinions non fondées. L’intention de ses auteurs, c’est de rallier [les opposants] graduellement à la vérité, mais cela fut en vain ; bien qu’une main étrangère ait touché au texte. À la fin de sa vie, après avoir vacillé entre le laxisme (tafrît) et le rigorisme (ifrât), il opta pour la modération, comme le rapportent ses adeptes, contrairement aux allégations d’ibn Kathîr. »[3]
Dans son épitre e-dhubb ‘an Abî Hasan el Ash’arî, el Qâdhî Kamâl e-Dîn Abû Hâmid Mohammed ibn Dirbâs (m. 659 h.) déclare : « Sachez mes frères… que le livre el ibâna ‘an usûl e-diyâna, écrit par Abû Hasan ‘Alî ibn Ismâ’îl el Ash’arî tient lieu de crédo auquel il adhéra jusqu’à sa mort. Il représente sa confession après avoir quitté l’i’tizâl par la grâce et la bonté d’Allah. Toute opinion imputée à ce dernier qui contredit ce livre, est considérée comme abrogée et délaissée par son auteur. Comment pourrait-il en être autrement, alors qu’Abû Hasan y déclare explicitement qu’il extériorise sa confession à laquelle adhèrent, comme il le rapporte, les Compagnons, les tâbi’în (leurs successeurs), les grandes références traditionnistes passées, et l’Imam Ahmed ibn Hanbal (u). Celle-ci est conforme au Livre d’Allah et à la sunna de Son Messager !
Est-il alors pertinent de dire qu’il embrassa une autre pensée ? Qu’on nous dise à laquelle ? Aurait-il délaissé le Livre d’Allah et la sunna du Prophète d’Allah ? Se serait-il opposé aux Compagnons, à leurs successeurs, et aux grandes références traditionnistes passées ? Lui, qui savait pertinemment que telle était leur tendance. Il serait honteux de penser qu’un simple musulman puisse le faire, que dire alors des grandes références de la religion !
« De grands imams parmi les légistes, les lecteurs, les traditionnistes musulmans et bien d’autres mentionnent et font les éloges de cet ouvrage. Ils le déchargent de toute innovation qu’on lui impute. »[4]
Troisièmement : dans maqâlât el islâmiyîn, el Ash’arî confesse que le kullâbisme est une secte dissidente au traditionalisme. Il y expose l’opinion de ses partisans sur de nombreuses questions et aucune fois, il considère qu’ils comptent parmi les traditionnistes. S’il avait été kullâbite, il n’aurait pas fait cette distinction entre les kullâbites et les partisans duhadîth ; il aurait utilisé une seule désignation pour les deux tendances.
Quatrièmement : un autre indice confirme notre propos. Les néo-ash’arites en effet, ne se réfèrent jamais dans leurs écrits aux trois ouvrages d’Abû el Hasan que nous avons évoqués (maqâlât el islâmiyîn, risâla ilâ ahl e-thaghr, et el ibâna). Ils cherchèrent même en vain à discréditer l’ibâna répandu dans le public, car trop gênant à leurs yeux.
Cinquièmement : dans l’introduction de l’ibâna, Abû el Hasan confesse qu’il suit les pas d’Ahmed, qui à ses yeux est l’Imam des traditionalistes. Il ne dit jamais qu’il est l’élève d’ibn Kullâb et ne s’inspire nullement de ses écrits. Il va sans dire qu’ibn Kullâb se différenciait de l’Imam d’ahl e-sunna qui était un fervent opposant aux grandes références kullâbites comme el Hârith el Mahâsibî et ses amis ; il les considérait même comme des jahmites. Ainsi, si el Ash’arî avait été partisan du kullâbisme, il ne se serait jamais identifié à ibn Hanbal.
À suivre…
Traduit par :
Karim Zentici
[1] Voir : el ibâna (p. 41, 43, 44, 51, 77, 97-103, 104, 106, 107, 108, 110, 111, 112, 117), maqâlât el islâmiyîn (1/265, 271, 284, 285, 290, 345, 2/186, 205) et risâla ilâ ahl e-thaghr (p. 212, 218, 232-236).
[2] Ibn Taïmiya rapporte cette histoire dans el fatâwa el kubrâ (5/341).
[3] Voir l’introduction à l’insâf (p. 11).
[4] E-dhubb ‘an Abî Hasan el Ash’arîd’ibn Dirbâs (p. 107).