La tawba d’ibn Taïmiya
(Partie 3)
Remarque du traducteur :
Il est intéressant ici de citer un extrait de l’introduction à la profession de foi d’ibn Taïmiya la Wâsitiyya d’Henri Laoust, qui ne peut être soupçonné de prendre le parti du Sheïkh. Ce dernier souligne en effet : « Condamnée à l’emprisonnement le 23 ramadhân 705/8 avril 1306, Ibn Taymiya, nous l’avons dit, ne fut libéré que le 26 rabî’ I 707/25 septembre 1307.[1] L’obstination qu’il apporta à ne vouloir accepter aucune concession sur le texte de la Wâsitiyya explique en grande partie la longueur de cet emprisonnement. Plusieurs tentatives eurent cependant lieu pour obtenir sa libération. L’initiative paraît en avoir été prise par l’émir Salâr qui avait eu l’occasion de rencontrer Ibn Taymiya lors des affaires mongoles et qui – on peut le supposer tout au moins – avait pu se rendre compte de l’impopularité, en Syrie, de cette arrestation.
La première tentative eut lieu le 4 avril 1307 dans la nuit précédant la fête de la rupture du jeûne (30 ramadhân 706 au 1 shawwâl 706). Elle échoua.[2] Une seconde tentative eut lieu peu de temps après le 27 dhu el hijja706/29 juin 1307. L’émir Salâr ménagea une rencontre entre le cadi Ibn Makhlûf et les deux frères d’Ibn Taymiya Zayn al-Dîn et Sharaf al-Dîn. On discuta de théologie mais on ne put se mettre d’accord sur le redoutable problème des attributs divins. On se sépara sans résultat.[3] Une troisième démarche fut tentée le 14 safar 707/15 août 1307, à la citadelle, où Ibn Taymiya rencontra le cadi chafiite Badr al-Dîn b. Jamâ’a. Une fois de plus la rencontre n’aboutit à rien.[4] C’est en partie grâce à l’émir Muhannâ b. ‘Îsâ (m. 736), le chef des Âl al-fadhl, surnommé le Roi des bédouins, qu’Ibn Taymiya allait obtenir sa libération. Dans la notice qu’il consacra à Muhannâ, Ibn Kathîr nous dit qu’Ibn Taymiya jouissait d’une grande autorité auprès de cet émir qui était lui-même nous dit-on, un homme fort pieux.[5]
Le vendredi 23 rabî’ 707/22 septembre 1307 l’émir Muhannâ, nous dit-on, se rendit à la prison et obtint d’Ibn Taymiya qu’il l’accompagnât chez Salâr où plusieurs docteurs de la Loi l’attendaient. De longues discussions de nouveau s’engagèrent sur les problèmes soulevés par la Wâsitiyya. Ibn Taymiya resta chez Salâr et la discussion reprit le dimanche sur l’ordre du Sultan. Les jurisconsultes furent plus nombreux mais les quatre grands-cadis s’excusèrent de ne pouvoir venir. « L’émir Salâr, nous rapporte ibn Kathîr, accepta leurs excuses et ne les obligea pas à comparaître bien que le sultan eût donné l’ordre de les convoquer et de faire en sorte que cette réunion eût une issue heureuse ».[6] Ibn Taymiya fut effectivement libéré, mais il dut rester au Caire et ne put retourner en Syrie où l’émir bédouin avait demandé l’autorisation de le ramener avec lui.[7] Il y a précisément tout lieu de penser d’autre part que c’est pour l’émir Muhannâ b. ‘Îsâ, dont la mouvance avait Palmyre (Talmur) pour centre principal, qu’Ibn Taymiya composa la Tadmuriyya, la Profession de foi de Palmyre, à une date qu’il est difficile de fixer, certainement après sa libération en septembre 1307 soit sur la fin de son séjour au Caire, soit après son retour en Syrie en 712/1313.
Écrite dans une langue châtiée, méthodiquement composée, s’adressant à un public moins populaire, la Tadmuriyya reprenait les idées de la Hamawiyya et de la Wâsitiyya sur le problème des attributs et la conception générale de la religion. Elle s’efforçait, comme les deux précédentes professions de foi et souvent dans les mêmes termes, de dégager les règles d’une exégèse scripturaire destinée à permettre aux différentes sectes qui divisaient la communauté de trouver, dans leur fidélité au Coran et à la Sunna, leurs options de foi fondamentales. »[8]
Cette version des faits présentée par un non-musulman colle malheureusement plus à la réalité que celle étalée par les coreligionnaires qui étaient pour la plupart rappelons-le détracteurs du Sheïkh el Islam. Riche d’enseignements, elle nous intéresse à plus d’un titre. Peut-être aurons-nous l’occasion d’y revenir dans un prochain article.
Gloire à Toi Ô Allah ! Et à Toi les louanges ! J’atteste qu’il n’y a d’autre dieu (digne d’être adoré) en dehors de Toi ! J’implore Ton pardon et me repens à Toi !
Par : Karim Zentici
[1]Ibn el Mu’allim et e-Nuwaïrî parlent du vendredi 23 rabî’ el Awwal 707 h. soit une différence de 3 jours, mais la suite du texte donne plus de détail sur la chose (N. du T.).
[2]Voir : el bidâya wa e-nihâya d’ibn Kathîr (14/42). Henri Laoust ne dit pas qu’il fut prévu de libérer ibn Taïmiya de prison sous la condition qu’il revienne sur certains points de sa croyance. On réclama en vain six fois sa présence. En effet, il n’a pas répondu à la convocation de ses juges. Voir : el bidâya (14/44).
[3]Idem. (14/43). Henri Laoust ne dit pas que Sharaf al-Dîn fustigea le chef de file des ennemis de son frère sur des points comme el ‘arsh, le Kalam d’Allah, et le nuzûl d’Allah. Voir : el bidâya (14/48).
[4]Idem. (14/45).
[5]Sur l’émir Muhannâ, voir : el bidâya (14/172).
[6]Henri Laoust ne dit pas qu’ils inventèrent des excuses pour éviter d’affronter ibn Taïmiya, dont le savoir dépassait, sans exagération, tout leur savoir réuni. Voir : el bidâya (14/48).
[7]El bidâya (14/45).
[8]La Wâsitiyya d’Henri Laoust (p. 31).