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4 juin 2013 2 04 /06 /juin /2013 17:25

Jahm ibn Safwân

(Partie 7)

L'école théologique d'Alexandrie

L'école théologique d'Alexandrie, dite aussi le Didascalée, fut une des grandes écoles théologiques des premiers siècles du christianisme. Sa méthode théologique était symbolico-allégorique. L'influence de Platon et du néoplatonisme y est manifeste. Elle s'opposa à l'école théologique d'Antioche qui prônait une méthode historico-littérale. Elle eut des filiales en Palestine et en Pamphylie.

Origène, l'un des premiers Pères de l'Église, est à l'origine de la Lectio divina, fondée sur l'interprétation selon les quatre sens des Écritures.

Les quatre sens sont les suivants :

  • historique,
  • allégorique,
  • tropologique,
  • et anagogique.

La Lectio divina est pratiquée dans les monastères. Le pape Benoît XVI a relancé la Lectio divina lors de sa catéchèse du 2 mai 2007.

Philon

Il symbolise le judaïsme d’Alexandrie, étape vers le christianisme, dans la mesure où celui-ci est à la fois issu du judaïsme et de l'hellénisme. Pour les chrétiens, Philon est juif et rabbin. Mais pour les juifs orthodoxes qui représentent une minorité, lui et sa communauté d'Alexandrie sont les prototypes des « juifs assimilés ». Il est convaincu que le monothéisme de Moïse est universel et veut en convaincre ses lecteurs grecs. Confronter Philon et Aristote n’est pas un exercice aisé et peut conduire à commettre anachronismes ou erreurs d’interprétation.

Les traités de Philon écrits il y a plus de deux mille ans, s’inscrivent dans la filiation de la morale platonicienne, il puise également ses sources dans l’approche éthique d’Aristote, exposée notamment dans l’Éthique à Nicomaque, et surtout celle des stoïciens. Philon apporte un enseignement moral qui trouve son inspiration dans la méthode allégorique, en expliquant la Torah comme les Grecs, et notamment les stoïciens, expliquaient les récits homériques. Philon a été inspiré par certains principes aristotéliciens, la tradition des stoïciens et une tradition gréco-égyptienne propre à Alexandrie.

Connaissant parfaitement les systèmes philosophiques grecs, Philon est à ce point influencé par Platon qu'il en épouse même le style, avec toutefois les hellénismes des Juifs d'Alexandrie. On cite souvent ce jeu de mots d'un contemporain : « Philon platonise, Platon philonise ». Ses textes sont intéressants pour l'étude de la philosophie néo-platonicienne, mais surtout pour sa lecture de la Bible, qu'il lisait dans la traduction des Septante. Il fait notamment des personnages bibliques des allégories. Il est bien possible qu'il ignorât l'hébreu, mais la question est controversée.

Son système philosophique se résume en trois thèses bibliques, dont :

La transcendance de Dieu, et l’inconnaissabilité de Dieu. L’homme ne peut saisir l’essence de Dieu ni par le sens ni par l’intelligence. Philon pose ici une limite nette au pouvoir de la philosophie et de la théologie. Philon a créé la théologie négative : dans le De somniis I.67, il décrit Dieu comme indicible (arrêtos) et comme incompréhensible (akatalêptos). On retrouvera cette thèse de l’inconnaissabilité de Dieu chez les Cappadociens (Basile de Césarée, Jean Chrysostome).

Selon Claude Tresmontant, Philon d'Alexandrie aurait influencé les premières communautés chrétiennes. Selon Ceslas Spicq, l'auteur de l'épître aux Hébreux, selon lui Apollos originaire d'Alexandrie, serait un disciple de Philon converti au christianisme.

La théologie négative

La théologie négative est une approche de la théologie qui consiste à insister plus sur ce que Dieu n’est pas que sur ce que Dieu est. Cette théologie peut sembler paradoxale puisque Dieu dit de lui-même : « Je suis celui qui est ».

La théologie négative peut être développée de deux façons :

  • par négation (démarche apophatique, du grec apophasis: négation)
  • ou par abstraction (méthode aphairétique, du grec, aphairesis : abstraction).

L'apophatisme, ou méthode aphairétique, est une démarche intellectuelle par laquelle toute idée que l'on se fait de la divinité se voit démasquée dans son inadéquation à délimiter ce qui est sans limite.

Par exemple, l’affirmation : « Dieu existe », ne peut se concevoir en théologie négative. Pas plus que : « Dieu est miséricordieux ». L’expression de la transcendance s’exprime uniquement par des propositions négatives et par un recours à l’abstraction, et ultimement par le silence, car même une proposition d'apparence négative est une affirmation concernant l'indicible sur lequel rien ne peut être affirmé. Dire que « Dieu n'est pas miséricordieux » est, in fine, une affirmation toute aussi positive que d'affirmer que « Dieu est miséricordieux », puisque Dieu n'est ni miséricordieux, ni ne l'est pas. La démarche apophatique vise l'expérience directe de l'absolu par l'abolition de toute adhérence intellectuelle aux concepts. Autrement dit, cette démarche vise sa propre négation, sa propre fin dans l'éveil spirituel.

Ce mode de pensée puise son origine dans la philosophie antique. On le retrouve dans la pensée théologique chrétienne ainsi que dans certains courants philosophiques modernes qui se sont intéressés aux formes du langage. La théologie négative chrétienne apparait clairement pour la première fois chez Pseudo-Denys l'Aréopagite qui fait des emprunts à Damascius, philosophe néoplatonicien antichrétien. On retrouve ces mêmes influences dans le soufisme. L'Extrême-Orient a développé à sa façon, et ce bien avant l'occident, une théologie apophatique qui s'exprime dans le bouddhisme, le taôisme, l'hindouisme et bien d'autres traditions.

Le concept d’abstraction est présent dans l’Antiquité, à la fois dans la tradition péripatéticienne et dans celle de l’Académie. Il s’agit d’une opération intellectuelle intuitive qui prétend séparer dans les formes l’essentiel du non-essentiel. Cette forme de soustraction, les Anciens l’appliquent d’abord à la mathématique pour définir la surface par retranchement du volume, la ligne par retranchement de la superficie et ainsi de proche en proche jusqu'à l’unité primordiale. En étendant ce concept à la logique, le prédicat attribut du sujet et le sujet lui-même se présentent comme une somme : la négation du prédicat est assimilée au retranchement et l’opération intellectuelle abstraite de séparation apparaît comme une opération négative.

Une telle démarche ressortit foncièrement de l’idéalisme dans la mesure où la connaissance remonte, par soustraction et négation, de la réalité tangible à la réalité invisible, de l’immanent au transcendant. Elle présente à la fois un côté négatif, l’opération de retranchement, et un côté positif, la perception intuitive des réalités supérieures. L’abstraction se présente comme une démarche ontologique qui permet d’atteindre les formes supérieures de la connaissance.

Plotin

Plotin (205 - 270 après J.-C.) était un philosophe grec de l'Antiquité tardive. Il fut le fondateur d'un courant philosophique appelé « néoplatonisme », qui influença de manière profonde la philosophie occidentale. Il installa son école à Rome en 246, et son premier disciple fut Amélius. Sa relecture des dialogues de Platon fut une source d'inspiration importante pour la pensée chrétienne, en pleine formation à l'époque, puis pour saint Augustin. L'intégralité de ses écrits a été publiée, par un autre disciple fidèle, Porphyre de Tyr, dans les Ennéades.

La pensée de Plotin est originale en ce qu'elle approfondit la réflexion de Platon et d'Aristote sur la nature de l'Intelligence, mais aussi et surtout en ce qu'elle pose un au-delà de l'intelligence, à savoir l'Un. Pour Plotin, l'univers est composé de trois réalités fondamentales : l'Un, l'Intelligence et l'Âme. L'homme qui fait partie du monde sensible doit, par l'introspection, remonter de l'Âme à l'Intelligence, puis de l'Intelligence à l'Un et accomplir ainsi une union mystique avec le dieu par excellence.

Plotin connaissait bien ses prédécesseurs philosophes. Dans ses traités se trouvent de nombreuses allusions (explicites ou non) à Aristote, aux péripatéticiens, au stoïcisme, à l'épicurisme ou encore aux gnostiques auxquels il s'opposait. Mais Platon est de loin celui qui retint le plus l'attention de Plotin. Si la philosophie de Plotin fut appelée le néoplatonisme, c'est bien parce que celui-ci avait pour référence majeure l'œuvre de Platon.

Les thèses de Plotin puisent en effet leurs sources dans les textes de Platon. Plotin retourne chercher chez Platon des thèmes importants : la transcendance de l'Un comme premier principe (Le Parménide), le problème de l'un et du multiple, la théorie des Idées (La République), les genres de l'être (Le Sophiste), etc.

L'Un est le principe suprême pour Plotin : cela signifie qu'il contient en lui-même sa propre raison d'être, qu'il n'a besoin d'aucun autre principe d'ordre supérieur pour « exister ». Il est absolument transcendant, à tel point qu'il n'est pas possible de dire ce qu'il est. Il ne se laisse déterminer par aucune catégorie existante ; il n'est même pas à proprement parler. Cet Un qui ne contient pas l'être est pur non-être, non pas par défaut, mais par éminence. Il est assimilé au Bien, par Plotin qui reprend, pour expliquer sa fonction, l'image du Soleil dans La République de Platon (voir allégorie de la caverne). L'Un précède tous les existants, il est leur condition de possibilité, il est leur source. Il ne contient en lui aucune multiplicité, aucune altérité, aucune division et il n'est pas sujet au changement ; il est entièrement Un.

D'une part, l'émanation explique que l'Un engendre l'Intelligence. Ensuite, l'Intelligence, elle-même sujette à la procession, engendre une réalité inférieure à elle, l'Âme et, enfin, l'Âme produit à son tour le monde sensible qui lui n'est plus le principe de rien du tout. D'autre part, la théorie de l'émanation montre que la procession est un processus logique qui ne dépend pas de la volonté d'un Créateur. Cette attitude vis-à-vis de l'origine du monde constitue une différence capitale entre le néoplatonisme païen (de Plotin) et le néoplatonisme chrétien d'un saint Augustin. En effet, ici contrairement aux penseurs juifs et aux premiers chrétiens, il n'y a aucun « acte » créateur à l'origine du monde, il n'y a aucune volonté divine à l'œuvre dans la création. L'Un donne naissance à tout, sans qu'il faille voir là l'action de sa volonté, à proprement parler.

L'Un est immuable et immobile, il n'a pas d'esprit, pas de volonté. Il est absolument transcendant et, à ce titre, il serait erroné de penser que le mouvement de procession d'où naît l'Intelligence l'affecte en quelque façon que ce soit. L'Un n'y perd rien, il ne se divise pas non plus, ni ne se morcelle en une multitude d'êtres inférieurs. Il reste entier mais « déborde » en quelque sorte vers les niveaux de la réalité qu'il domine et soutient.

L'Un se comporte à l'égard du réel un peu comme le Soleil qui, par ses rayons, donne aux objets la possibilité d'être vus, sans pour autant que l'intensité de sa lumière en perde quelque chose. L'Un est absolument transcendant, mais il est aussi immanent en tout. Il n'est nulle part, mais il est partout. Tout a rapport, à des degrés divers, à l'Un, qui est la mesure de toutes choses. Puisque tout est issu de lui, directement (dans le cas de l'Intelligence) ou indirectement, puisqu'il n'y a pas de séparation entre l'Un et le monde comme entre Dieu et sa création, tout est également lié à lui. Il est donc possible de retrouver en chaque être la trace de ses principes supérieurs. Ce mouvement de retour vers ses propres principes est appelé la « conversion », et jouera un rôle primordial dans la mystique de Plotin.

La philosophie de Plotin est généralement décrite comme une philosophie de la contemplation. Le but de l'homme sur Terre est de renouer avec sa vraie nature. Il doit donc se détourner du monde sensible, des passions, pour se concentrer d'abord sur la raison, sur la vie de l'intelligence qui est ce qu'il y a de proprement humain en lui. Mais en voulant être soi-même, en se tournant vers la partie la plus élevée de son âme, l'homme sort de sa condition et perd du même coup son identité. Il gagne en unité et se rapproche du divin, du Bien. Pour atteindre la sagesse et le bonheur, l'homme doit continuer ce mouvement introspectif, la conversion, jusqu'à retrouver en lui l'Intelligence et, au-delà d'elle, l'Un dont elle est issue. Cet idéal du bonheur (que Plotin semble avoir atteint quatre fois) est une union mystique avec Dieu, la contemplation de Dieu dans l'extase. André Bord rapproche ainsi la philosophie de Plotin des visions extatiques de saint Jean de la Croix, dans la mesure où elle préfigure la conception chrétienne de l'âme incarnée pouvant se tourner vers Dieu, par l'introspection.

Ce caractère ésotérique des écrits de Plotin est encore renforcé par l'utilisation particulière qu'il fait du langage. Pour Plotin, le langage ne peut pas rendre compte de toute la réalité. L'Un se dérobe à tout énoncé à son sujet ; étant au-delà de l'être, au-delà de la vérité, il est impossible de dire quoi que ce soit à son sujet. L'Un est ineffable ; on ne peut lui attribuer aucune détermination particulière. En cela, Plotin est le père de la théologie apophatique, ou théologie négative. Le seul discours possible sur l'Un est un discours négatif ; on ne peut pas dire ce que l'Un est, on peut simplement essayer de l'approcher en disant ce qu'il n'est pas, ou en parvenant à le contempler.

Remarque

Les néoplatoniciens identifient les dieux avec les Idées platoniciennes. Mais Plotin et Porphyre considèrent la pratique religieuse comme indigne du sage, parce qu'il est capable d'atteindre Dieu directement par l'élévation spirituelle de sa pensée, tandis que Jamblique, Proclos et l'école néoplatonicienne d'Athènes s'efforcent d'observer le plus religieusement possible les rites traditionnels.

Pierre Hadot, Études de philosophie ancienne, 1998, p. 353-354.

À suivre…

Par : Karim Zentici

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