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19 novembre 2018 1 19 /11 /novembre /2018 09:33

Ghazali, un hérétique ?

(Partie 2)

 

Les innovateurs ne rapportent pas leurs litiges aux textes scripturaires de l’Islam ; ils sont déchirés par des conflits qui sont souvent verbaux, mais qui peuvent aussi être physiques.[1] Leur signe distinctif est de délaisser le chemin des anciens.[2] Ils ne suivent que des conjectures et leurs passions,[3] et, surtout, ils ne prennent pas en référence les textes et le consensus des anciens.[4]

 

En outre, quand on parle de consensus, on fait allusion, plus infaillible, au consensus des anciens.[5]

 

Si cela est clair, nous pouvons déterminer selon quel critère on peut juger une personne de mubtadi’ en disant qu’il correspond à l’auteur de toute innovation répandue chez les savants traditionalistes pour être contraire au Coran et à la sunna en dehors des questions subtiles dans lesquels certains gens ne peuvent discerner la vérité. L’auteur d’une telle innovation est un mubtadi’ qu’il fasse partie des savants ou du commun des gens (‘awâm). Quiconque exhibe une bid’a est, à nos yeux, un mubtadi’. Cela, en ce qui concerne le jugement sur terre. Quant au jugement dans l’Au-delà, nous soulignons que le mubtadi’ auprès d’Allah est celui qui l’est vraiment au fond de lui de sorte qu’il soit conscient de commettre une innovation. Si tel n’est pas le cas, il sera excusé auprès d’Allah. Dans ce point précis, il n’y aucune différence entre le savant et le ‘ammî, comme il n’y a aucun différence entre la bid’a notoire (répandue) et celle qui ne l’est pas.

 

Comme nous ne connaissons pas les cœurs, nous avons établi ce critère pour le jugement terrestre. Pour le jugement dans l’Au-delà, Allah rétribue les personnes pour ce qu’ils cachent dans leurs tréfonds. Ainsi, nous ne pouvons les juger sur terre qu’en fonction des apparences. Nous nous faisons une bonne opinion de celui qui offre une bonne apparence, mais s’il nous montre autre chose, nous en aurons alors une mauvaise sans prétendre, pour autant, ouvrir les poitrines. Nous ne sommes pas responsables de ce que la personne décèle à l’intérieur. L’amour et la haine en Dieu (el wala wa el bara) doivent être fondés uniquement sur les apparences. Nous ne sommes pas mieux que le Prophète, et nous n’avons pas plus d’entrain que lui à voir guider les autres sur le bon chemin. Il ne nous est pas demandé d’ouvrir les cœurs et de sonder les intentions cachées.[6]

 

La complexité d’appliquer ce critère

 

Mais, en réalité, les choses sont beaucoup plus complexes, surtout depuis la vulgarisation des groupes déviants au sein de la Nation.

 

Là où nous voulons en venir, c’est que l’innovation, et, en général, tout ce qui s’oppose au Coran et à la sunna peut provenir d’un individu qui est excusable, à la suite soit d’un effort d’interprétation soit d’un suivisme légal (taqlîd) dans les limites excusables. Il est possible également qu’il n’ait pas les moyens de parvenir à la vérité.[7]

 

Sheïkh el Islam ibn Taïmiya établit que les Textes divins concernant le mauvais devenir de l’homme (wa’îd) et les paroles provenant des grandes références de la religion sur les questions du takfîr (taxer quelqu’un d’apostat), du tafsîq (taxer quelqu’un de pervers), et autres, n’impliquent pas qu’ils faillent les appliquer à une personne en particulier sauf si celle-ci répond aux conditions pour le faire et si toute restriction en est exclue.[8]

 

 « Il n’y a pas de différence en cela entre les questions fondamentales et les questions subsidiaires de la religion, pour ce qui est du châtiment divin dans l’au-delà. Tout individu passible de la menace divine (châtiment, malédiction, courroux) qu’elle soit perpétuelle ou non, ou portant des noms (ism) qui s’y rattachent comme mécréant (pour le takfîr) et pervers (pour le tafsîq). Nous pouvons faire entrer dans cette règle indistinctement les innovations (qu’elles soient dogmatiques ou rituelles) qui touchent à la religion, ou les actes de débauche qui touchent à la vie profane, et auxquels on donne le nom de perversité corporelle.

 

Quant aux différents statuts terrestres, nous pouvons dire la même chose. Autrement dit, le djihad lancé contre les mécréants doit être précédé de la prédication. Le châtiment s’applique uniquement, en effet, à celui qui a reçu la preuve céleste. Nous pouvons dire la même chose pour les punitions des pervers, soit qu’elle n’a pas lieu avant d’avoir établi contre eux la preuve céleste. »[9]

 

Éclaircissement

 

Quand ibn Taïmiya accorde des circonstances atténuantes à des membres affiliés à l’Islam, il fait allusion à deux catégories d’individus : les traditionalistes et les hérétiques. Pour les premiers, il s’agit de les dédouaner de toute condamnation, notamment de l’accusation de fâsiq (pervers, désobéissant), voire de mubtadi’ (hérétique). Pour les seconds, il s’agit déjà de les distinguer des zindiq (hypocrites) dans la mesure où leurs erreurs relèvent de la grande hérésie, et de les dédouaner de toute condamnation, notamment de l’accusation de « désobéissants. ». Si leurs erreurs font suite soit à un effort d’interprétation soit à un suivisme « légal », ils n’en restent pas moins des hérétiques, aussi excusables soient-ils et aussi louables soient-ils ; l’objectif étant de décrire leur situation, d’apporter une information sur leur état, leur méthodologie, non de porter un jugement négatif sur eux, soit de les condamner au statut de pervers, avec toutes les implications qu’une telle sentence entraine sur terre.

 

C’est la raison pour laquelle il n’est pas pertinent de faire entrer pêle-mêle dans le même ensemble tous les passages où le doyen damascène pointe du doigt les causes jouant en faveur des personnes soupçonnables des condamnations de toute sorte. Alors certes, certains de ces fameux passages ont une portée générale, mais ailleurs, et même souvent, ibn Taïmiya procède à une distinction nette entre les savants d’obédience orthodoxe et ceux qui sont coupables d’hérésie.

 

Ainsi, si l’effort (ijtihâd) et l’erreur (ta-wîl) d’interprétation intercède en faveur des membres des deux catégories, cela ne veut pas dire qu’ils sont tous logés à la même enseigne, dans le sens où ils seraient tous catalogués de traditionalistes. Il faut, en effet, distinguer entre ceux qui puisent scrupuleusement leurs argumentations des textes scripturaires de la religion (Coran, sunna, consensus), et ceux qui se tournent vers d’autres référence, à l’exemple du kalâm et de l’inspiration soufie, que l’on regroupe sous la dénomination des « passions », car contraire à la méthodologie orthodoxe. Et donc, un traditionaliste auteur d’une erreur d’interprétation reste affilié à l’orthodoxie sans n’être taxé de « désobéissant » ; tandis qu’un hérétique qui prend ses passions (le kalâm, l’inspiration soufie, etc.) pour référence scripturaire, est désigné en tant que tel, soit un hérétique, sauf qu’il n’est pas taxé de « désobéissant ». Celui-ci est donc épargné des sentences terrestres qu’un tel statut engendre.

 

Le maitre d’ibn el Qaïyim établit en effet au sujet des hauts personnages de la première heure qui ont trempé dans des guerres intestines : « Dans la mesure où, mu par un effort ou une erreur d’interprétation, un rebelle quelconque (bâghî) n’a pas conscience de commettre un crime, et qu’au contraire, il pense agir de bon droit bien qu’il se trompe, il reste, néanmoins, un rebelle. Cette désignation ne signifie pas pour autant qu’il endosse un péché et qu’à fortiori, il soit taxé de « désobéissant ». Les légistes qui imposent des expéditions contre les rebelles induits en erreur par une mauvaise interprétation des évènements, stipulent, malgré tout, que celles-ci ont une dimension sécuritaire, non punitive. Elles visent donc à défendre l’ordre public ; et, bien qu’ils soient combattus par les armes, les insurgés, qui gardent leur respectabilité (‘adâla), ne sont pas associés à des criminels. » [10]

 

Les adeptes des « passions », qui prennent leur distance avec la méthodologie orthodoxe, ne sont pas objectifs. Ceux-ci s’évertuent insidieusement à piocher dans les textes tous les éléments qui corroborent leurs idées funestes. Sinon, ils passent outre, sous le prétexte fallacieux de remettre à Dieu leur sens véritable quand ils ne les tordent pas carrément grâce à l’outil de l’interprétation imagée.

 

C’est sur ce point de discordance que s’opère le divorce entre d’un côté l’orthodoxie et de l’autre côté, l’hétérodoxie empreinte d’hypocrisie. Sans vouloir contester la fidélité des innovateurs à la tradition prophétique qu’ils vénèrent dans une large mesure, ils n’en demeurent pas moins entachés d’hérésie et d’hypocrisie, à mesure qu’ils s’insurgent contre les textes de référence. Si, comme souvent, ils ne se rendent pas compte de cet outrage, sinon, ils crieraient eux-mêmes au blasphème, ils n’ont, le cas échéant, aucun lien avec les hypocrites. Toutefois, ces hérétiques souffrent d’une baisse de foi qu’ils doivent mettre au compte de leurs erreurs. Leurs erreurs qui bénéficient de circonstances atténuantes, malgré cette répercussion indubitable qu’elles engendrent sur leur santé spirituelle, dans le sens où ils échappent à toute sanction.[11]

 

L’anathème ne touche pas indistinctement tout individu coupable d’une erreur ; qu’il soit traditionaliste, innovateur, ignorant, ou égaré, il ne devient pas forcément mécréant ni pervers (fâsiq) ni même désobéissant (‘âsi). La sanction varie en fonction des cas, à l’exemple de la question du caractère incréé du Coran qui a connu maints dérapages au sein des élites religieuses et scientifiques des diverses tendances. De notoriété publique, la plupart d’entre elles adoptent une position qui, sous un angle, est en accord avec la vérité, bien que, sous un autre angle, elles s’en écartent sensiblement. Celles-ci ne la connaissent qu’en partie, et sont relativement des ignorants, quand elles ne s’y opposent pas carrément.[12]

 

Le Sheïkh Taqî e-Dîn explique à ce sujet : « Quant à la question du takfîr, selon la bonne opinion, tout individu de la communauté mohammadienne faisant une erreur suite à un effort d’interprétation ne devient pas mécréant, à condition que son intention soit de parvenir à la vérité. Dans ce cas, son erreur lui est pardonnée. Cependant, dans la situation où, bien qu’on appréhende clairement les enseignements du Messager, on s’en écarte en toute connaissance de cause, pour suivre un autre chemin que celui des croyants, on devient mécréant.

Or, dans la situation où on se soumet à ses passions, tout en faisant preuve de négligence dans la recherche de la vérité, ce qui pousse à parler sans science, on devient un désobéissant condamnable, voire un pervers, sauf si les bonnes actions prennent le dessus sur les mauvaises. »[13]

 

Un cas d’espèce

 

Prenons l’exemple emblématique de Ghazalî qui discutait sur la nature de Dieu à travers la dialectique grecque qu’il assimilait à la Raison ; il la privilégierait clairement aux textes qu’il reléguait au second plan dans sa méthodologie.[14] En regard strict de son approche, et de ses références dans le domaine notamment des Noms et Attributs divins, il est un innovateur (nous faisons volontairement abstraction de son repentir afin de théoriser la chose). Néanmoins, il n’y a aucune corrélation entre ce constat et la condamnation qui en découle éventuellement : l’anathème (mécréant/désobéissant) et la sanction pénale. Contrairement à une vision étroite qui tire notamment ses origines dans les rangs des innovateurs, l’égarement relatif n’est pas systématiquement synonyme de condamnation. Nous constatons que les sources scripturaires du grand Abou Hâmid étaient, en partie, hérétiques, mais nous gardons le bon soupçon à son égard au vu des trésors intarissables qu’il a distillés dans le patrimoine islamique et la grande bibliothèque de l’Histoire de l’Humanité. Nous ne remettons pas en question sa bonne intention de mettre tous les moyens en sa possession pour parvenir à la vérité, sauf qu’il n’y ait pas toujours parvenu : Ami de Ghazali, mais encore plus de la vérité. 

 

L’intérêt supérieur de la religion passe avant la considération que nous portons aux porteurs du savoir à qui nous offrons des circonstances atténuantes. Certaines mesures sévères sont même envisagées pour endiguer le fléau de la propagation de leur déviance. En même temps, nous ne les blâmons pas outre mesure, mais nous ne fermons pas non plus les yeux sur les erreurs qui parsèment leurs écrits, et qui sont aussi dévastateurs qu’un poison saupoudré dans un pot de miel. Dans cet équilibre périlleux que nous avons expérimenté avec le cas de Ghazâlî, s’initient le salut et la voie du milieu, que Dieu ait son âme, et qu’Il l’a reçoive dans Sa Miséricorde !

                           

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

[1] Majmû’ el fatâwâ (17/311-313).

[2] Majmû’ el fatâwâ (4/155).

[3] Majmû’ el fatâwâ (10/370-371).

[4] Majmû’ el fatâwâ (13/62-63).

[5] Majmû’ el fatâwâ (3/157).

[6] Voir : Mawqif el sunna wa el jamâra min ahl el ahwa wa el bida’ (1/124-125)

[7] Majmû’ el fatâwâ (10/371).

[8] Majmû’ el fatâwâ (10/372).

[9] Majmû’ el fatâwâ (10/372).

[10] Majmû’ el fatâwâ (35/76), voir également : (3/230, et 12/495).

[11] Majmû’ el fatâwâ (13/62-63).

[12] Majmû’ el fatâwâ (12/180).

[13] Majmû’ el fatâwâ (12/180).

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18 novembre 2018 7 18 /11 /novembre /2018 09:53

Ghazali, un hérétique ?

(Partie 1)

 « L’erreur peur provenir d’une négligence envers, par exemple, le devoir de suivre le Coran et de lui donner foi, ou elle peut provenir d’une transgression des limites d’Allah en empruntant des sentiers interdits, ou encore d’un penchant vers les passions infondées. Dans ce cas, sous le coup de la menace divine, on est injuste envers soi-même. En revanche, en faisant tous les efforts pour obéir à Dieu et à Son Messager, que ce soit avec le cœur ou dans les actes, et ne recherchant dans ses efforts rien d’autre que la vérité, conformément aux injonctions du Coran et de la sunna, on est excusé pour son erreur. »[1]

 

Rappel

 

Voir : http://mizab.over-blog.com/2018/09/le-takfir-le-tafsiq-et-le-tabdi-version-resumee-partie-1.html

http://mizab.over-blog.com/2018/03/la-vraie-regle-du-hukm-et-du-ism-partie-1.html

http://mizab.over-blog.com/2014/03/les-differentes-categories-d-ignorants.html

http://mizab.over-blog.com/2016/07/les-categories-d-individus-affilies-a-l-islam.html

 

Le signe distinctif des traditionalistes, c’est de prendre en référence les textes du Coran et de la sunna, et le consensus.[2] Les traditionnistes en sont ces plus dignes représentants.

 

Ces derniers suivent fidèlement les pieux Prédécesseurs, ne se prononcent sur aucune chose relevant du domaine de la religion sans s’inspirer du Messager (r) ; ils sont en accord avec les enseignements du Coran et de la sunna. Quant aux innovateurs, ils ne s’inspirent ni du Coran ni de la sunna et ni des annales remontant aux Anciens. Ils se tournent plutôt vers la pensée, la langue, et la philosophie.[3] Ils ne font que suivre des conjectures, qui relèvent de l’ignorance, ou leurs passions qui relèvent de l’injustice. L’ignorance et l’injustice étant les deux parasites faisant obstacle à la vérité, et entamant la sunna. Ils sont les pires fléaux qui ont déchirés les musulmans.

 

Bien sûr, les innovateurs n’ont pas tous le même degré d’éloignement de l’orthodoxie. Il arrive que les auteurs d’une hérésie subtile s’attaquent à des sectateurs ayant mis à mal les grands fondements de la religion. Ils sont donc louables pour leur défense de la religion, bien que, parfois, ils sont amenés à occulter les bons côtés de leurs adversaires en vue de faire triompher la part de vérité qu’ils détiennent à leur actif. Cette injustice les sort des sentiers battus, car on ne combat pas le mal par le mal, ni une hérésie par une autre quand bien même elle serait moins dévastatrices et qu’elle constituerait un moindre mal. Cette démarche est malheureusement caractéristique aux adeptes du Kalâm affiliés au grand ensemble des traditionalistes (ce point mérite de plus amples explications).

 

 « Si ce genre d’individus, souligne ibn Taïmiya, ne fondent pas à partir de leur innovation une tendance avec laquelle ils se séparent de l’union des musulmans et sur laquelle ils fondent leur alliance (l’amour et la haine en Dieu), celle-ci sera mise au compte de la simple erreur. En sachant qu’Allah (I) pardonne ce genre d’erreur aux croyants. Ce fut le cas de bon nombre de grandes références parmi les anciens, qui, suite à un effort d’interprétation, furent les auteurs d’opinion qui allaient à l’encontre du Coran et de la sunna. Ils étaient différents de ceux qui fondaient dessus leur alliance et qui divisaient les rangs des musulmans ; ces derniers taxaient de mécréants ou de pervers tous ceux qui n’allaient pas dans leur sens, et épargnaient tous ceux qui les rejoignaient dans leurs idées et leurs efforts d’interprétation. Ils autorisaient moralement le sang de leurs adversaires, et ne touchaient pas à ceux qui s’accordaient avec eux. Ces gens-là sont les adeptes de la division et de la divergence. »[4]

 

« Or, poursuit-il ailleurs, nombre d’hérétiques épousent sincèrement la foi, bien que l’ignorance et l’injustice les poussent à l’erreur et les éloignent de la sunna. Ces derniers ne sont considérés ni comme des hypocrites ni comme des mécréants. Toutefois, leur injustice et leur animosité les rendent éventuellement pervers ou désobéissants, sinon, ils restent excusables malgré leurs erreurs en raison de leur effort d’interprétation. En outre, proportionnellement à leur foi et à leur piété, ils sont susceptibles de s’élever au rang d’élus d’Allah. »

 

Quelques lignes plus loin, il signe : « Beaucoup de points de ce crédo peuvent échapper à un grand nombre de croyants s’imaginant être en accord avec la vérité, en raison des ambiguïtés qui animent leurs convictions. Ces derniers donnent foi à Allah et à Son Messager aussi bien en apparence qu’au fond d’eux. En cela, ils ne sont pas différents des autres catégories d’innovateurs qui furent induits en erreur. Ils ne sont certainement pas mécréants, mais ils se partagent entre hérétiques et désobéissants ; certains même sont pardonnables en raison de leur erreur d’interprétation. Proportionnellement à leur foi et à leur piété, ils sont susceptibles de s’élever au rang d’élus d’Allah. »[5]

 

La bid’a et ses émules

 

 « La bid’a (l’innovation ndt.)[6] par laquelle nous pouvons considérer que son auteur est un mubtadi’ (innovateur ndt.) correspond à toute initiative connue chez les savants traditionalistes pour être contraire au Coran et à la sunna à l’exemple de la bid’a des kharijites, des râfidhites, des qadarites, et des murjites. »[7]

 

L’innovation incarne : « tout ce qui va à l’encontre du Coran, de la sunna, et du consensus des anciens dans le domaine de la croyance ou de l’adoration. »[8] Ou, en d’autres termes : « tout ce qu’Allah n’a pas légiféré dans le domaine de la religion… Quiconque prend pour religion ce qu’Allah n’a pas légiféré relève de l’innovation, quand bien même celle-ci serait motivée par une mauvaise interprétation. »[9]

 

« Quiconque va à l’encontre du Coran clair, de la sunna répandue, ou du consensus des anciens de la communauté, de sorte qu’il ne soit pas excusable, sera traité comme un innovateur. »[10]

 

Ainsi, l’innovateur est celui qui est connu pour être des gens des passions et de l’innovation, quand bien même son erreur serait pardonnable et qu’il ne mériterait aucune punition. Il reste, malgré tout, un égaré animé par ses passions. Il est capable de délaisser la vérité qui va à leur encontre. Il est possible au même moment qu’il ne sache pas qu’il s’oppose au Messager (r), mais il n’en décèle pas moins de l’hypocrisie et de l’innovation qui sera fonction de son degré d’affront envers Allah et Son Messager,[11] et de son éloignement du Coran et de la sunna.[12]

 

En outre, il se caractérise pour suivre quelqu’un d’autre que le Messager d’Allah (r), parmi ses pères et ses ancêtres, et envers qui il fonde ses sentiments d’amour et de haine ; il aime tous ceux qui sont en accord avec lui, et déteste tous ceux qui sont en désaccord avec lui.[13] Il n’est pas enclin à se cramponner au Coran, à la sunna, et au consensus.[14]

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

[1] Majmû’ el fatâwâ (3/317).

[2] Majmû’ el Fatâwâ (3/346-347).

[3] Cet extrait est retranscrit en résumé : voir notamment : muwafaqat sarîh el ma’qûl li sarîh el manqûl en annotation à manhâj e-sunna (1/222).

[4] Majmû’ el fatâwâ (3/349).

[5] Voir : Majmû’ el fatâwâ (3/352-355).

[6] Sheïkh Ibrahim  e-Ruhaîlî a retenu la définition suivante de l’innovation : c’est toute voie inventée dans la religion qui vient s’opposer à la Législation avec l’intention pour celui qui l’emprunte d'amplifier l’adoration d’Allah.

[7] Majmû’ el fatâwâ (35/414).

[8] Majmû’ el fatâwâ (35/414).

[9] El istiqâma (1/42).

[10] Majmû’ el fatâwâ (24/172).

[11] Majmû’ el fatâwâ (13/63).

[12] Majmû’ el fatâwâ (12/464).

[13] Majmû’ el fatâwâ (3/346-347).

[14] Majmû’ el fatâwâ (12/465).

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19 octobre 2018 5 19 /10 /octobre /2018 09:23

 

Une tempête sous un crâne

(Partie 4)

 

Qu’en est-il d’ibn ‘Abd el Barr ?

 

Et là, les choses se corsent. Passons pour les approximations sur ibn Muflih, ibn Taïmiya –qui, selon Nawa serait ô combien mal compris, et on ne lui fait pas dire –, voire sur Abû Hanîfa, mais…

 

En fait, à première vue, cela ne me dérangeait pas qu’un traditionaliste puisse déroger à ce fameux consensus. Le cas échéant, on parle d’erreur d’interprétation non d’égarement, comme l’a souligné ibn Taïmiya précédemment, mais ibn ‘Abd el Barr, ce grand spécialiste, l’un des derniers grands géants malékites qui en Andalousie, ont échappé, à l’influence néo-ash’arites ayant débarqué sur la péninsule ibérique par plusieurs vagues successives.[1] Je restais perplexe…. Mais, une âme bien intentionnée me fit remarquer que ce passage utilisé par Nawa était malheureusement tronqué. Après vérification, je constatai le forfait de mes yeux, et entreprit la traduction du passage en entier, non pas dédain envers celle de notre ami, qui, au passage, est très agréable à lire, mais pour uniformiser la lecture. Voici ce que cela donne :

 

« « Nous ne contestons pas le pouvoir à son détenteur » : les avis divergent sur l’interprétation de ce passage ; pour les uns, il s’agit des détenteurs probes, justes, vertueux, et pieux qui ont la force suffisante pour prendre les commandes du pouvoir. Le cas échéant, il est interdit de le leur contester, car ils en sont les dignes détenteurs, contrairement aux tyrans et aux débauchés qui ne détiennent aucune légitimité. Les tenants de cette tendance s’inspire notamment du Verset : [Je ferai de toi, lui annonça-t-il, un guide pour les hommes. Et qu’en sera-t-il de ma postérité, s’inquiéta Ibrahim ? Allah proclama : Mon alliance ne s’étend pas aux injustes].[2] 

 

Plus d’une sommité parmi les pieux prédécesseurs, adopta cette position qui fut imitée par nombre de leurs héritiers qui comptaient dans leurs rangs des notables, des lecteurs et des savants originaires de Médine et d’Irak. Ce fut le cas d’ibn e-Zubaïr qui fomenta une sédition (sic), d’el Husaïn qui s’insurgea contre Yazîd, et de grands savants parmi l’élite iraquienne qui se soulevèrent contre el Hajjâj. Les médinois furent mus par les mêmes motivations au moment d’évincer les autorités omeyades de l’ancienne capitale, et de monter contre eux une révolte qui se solda par les évènements d’el Harra. »

 

Le passage utilisé par Nawa s’arrête ici. Déjà, il n’est pas dans le tamhîd, mais dans el istidhkâr ; ce n’est pas grave, cela ne change rien à la teneur des textes, ce genre de méprises est courant. En revanche, si on se penche sur la suite, on s’aperçoit que les intentions de l’érudit sont toutes autres. Qu’on en juge :

 

« Ces expériences historiques et tant d’autres du même genre inspirèrent un groupe de mu’tazilites et l’ensemble des kharijites qui fondèrent dessus leur tendance. 

 

À l’opposé, s’inscrivent les traditionnalistes qui, inspirés par leurs grandes références, émettent l’avis qu’en principe, le gouverneur suprême doit faire preuve d’exemplarité en matière de justice, de probité, d’érudition, de générosité, et d’une force suffisante que réclame sa fonction. Dans la situation où l’imam faillit à ses devoirs, il incombe d’endurer sa tyrannie avec patience. Cette attitude est bien plus salutaire que la révolte qui engendre l’insécurité, la recrudescence de criminels, de pillages, de brigandages, et de toute sorte de désordre et de corruption, ce qui, comparativement, constitue un malheur plus grand que celui d’endurer la tyrannie avec patience.

 

D’après ‘Abd e-Rahmân ibn Mahdî, selon Sufiyân e-Thawrî, selon Mohammed ibn el Munkadir, après avoir entendu la nouvelle de l’allégeance à Yazîd ibn Mu’âwiya, ibn ‘Omar fit le commentaire : « Si c’est un bien, nous sommes satisfaits, sinon, nous sommes contraints à la patience. » Dans notre recueil e-tamhîd, nous avons répertorié de nombreuses annales qui corroborent ce point, grâce à Dieu. »[3]

 

D’ailleurs, dans le fameux tamhîd, nous trouvons un passage quasi identique, à la décharge de Nawa, sauf qu’il arrive exactement à la même conclusion. La preuve :

 

« « Nous ne contestons pas le pouvoir à son détenteur » : les avis divergent sur l’interprétation de ce passage ; pour les uns, il s’agit des détenteurs probes, justes, vertueux, et pieux. Le cas échéant, il est interdit de leur contester le pouvoir, car ils en sont les dignes détenteurs, contrairement aux tyrans et aux débauchés qui ne détiennent aucune légitimité. Le Verset suivant va dans ce sens : [Je ferai de toi lui, annonça-t-il, un guide pour les hommes. Et qu’en sera-t-il de ma postérité, s’inquiéta Ibrahim ? Allah proclama : Mon alliance ne s’étend pas aux injustes].[4] 

 

L’avis qui prône la révolte contre tout gouverneur désobéissant fut adopté par plusieurs tendances mu’tazilites et l’ensemble des kharijites

 

À l’opposé, s’inscrivent les traditionnalistes, les détenteurs de la vérité, qui établissent qu’en principe, le gouverneur suprême doit faire preuve d’exemplarité en matière de justice, de probité, et de générosité. Dans la situation où l’imam faillit à ses devoirs, il vaut mieux endurer sa tyrannie avec patience que de se soulever contre lui. Cette attitude est bien plus salutaire que la révolte qui engendre l’insécurité, la recrudescence de criminels, de pillages, de brigandages, et de toute sorte de désordre et de corruption, ce qui, comparativement, constitue un malheur plus grand que celui d’endurer la tyrannie avec patience.

Les  grands principes de l’Islam, mais aussi la raison et la religion corroborent la règle du moindre mal. Nous devons obéissance à tout émir qui honore la prière du vendredi, de l’aïd, qui brandit l’étendard du djihad contre l’ennemi, qui applique les peines corporelles contre les criminels, qui règle les litiges des citoyens, qui éteint l’ardeur des bandits, et qui assure la sécurité des routes. Cette obéissance s’étend à toutes les lois promulguées qui relèvent de l’intérêt général, voire à caractère purement facultatif. »[5]

 

Bien sûr, je n’accuse pas Nawa de tronquer les paroles des savants. Il a sûrement dû prendre ce passage par le biais d’un ouvrage dont l’auteur partage sa tendance, sans revenir à l’original. Cette pratique est également courante, quoi que contestable, moi-même, il m’arrive souvent de le faire. Le problème est qu’il s’est précipité sur cette citation au milieu de tant d’autres, car elle est en adéquation avec ses idées préconçues. D’un point de vue purement méthodologique, cette approche, qui consiste à chercher des preuves qui vont dans le sens de nos positions, est biaisée, car, toute recherche objective réclame de fonder sa croyance sur des preuves, non de chercher des preuves pour corroborer sa croyance…

 

Or, un point intercède en faveur de notre ami, soit qu’ibn el Wazîr interpréta de la même façon que lui cette citation d’ibn ‘Abd el Barr, sauf qu’il faut préciser qu’ibn el Wazîr fut imprégné de la pensée en vogue au Yémen (bien qu’il s’en détache souvent), le zaydisme qui reçut une forte emprise du… mu’tazilisme dans le domaine du crédo. Sans compter qu’il fut probablement marqué par ibn Hazm. Tout s’emboite !

 

La chute

 

Cette citation d’ibn ‘Abd el Barr, une fois réparée, corrobore notre propos disant que le consensus est éventuellement dérogé par la pensée mu’tazilite ayant prise des racines profondes dans la culture musulmane, ou bien par des avis qui reprennent des évènements pré-consensus. Je dis mu’tazilite, car il s’agit d’une prise de position purement intellectuelle et virtuelle, car, d’ailleurs, celle-ci se démarque, éventuellement, de diverses expériences kharijites contemporaines. Ces kharijites inscrivent leur démarche dans l’action et l’engagement, loin de toute théorisation intellectuelle, bien qu’ils s’en servent éventuellement et scrupuleusement pour légitimer leur combat.

 

Ainsi, ces intellectuels, à l’image de Salmân el ‘Awda, qui envoie toute une jeunesse, la force vive du pays, sur le sol algérien au casse-pipe, et qui des années plus tard, au gré d’un clip ô combien cynique, fait l’aveu pittoresque que l’expérience lui avait appris ce que les textes avaient toujours dit ; ces intellectuels ressemblent sous certains aspects aux kharijites qa’diya qui, comme leur nom l’indique, embellissaient le khurûj tout en restant assis chez eux.[6] Aux yeux d’Abd Allah Tarasûsî, ils sont même les pires des kharijites,[7] car travaillant dans l’ombre.

 

El Hasan ibn Sâlih était très exigeant envers lui-même sur les conditions que devait réunir le khurûj ; des conditions quasi impossibles à concrétiser, c'est pourquoi il ne trempa jamais dans les guerres intestines, mais cela ne l’empêcha pas d’envoyer beaucoup de ses compatriotes à la mort.[8]

 

En outre, il est possible que des modernes tiennent compte de cet avis hérétique, non pour le légitimer, mais pour souligner la divergence dans son ensemble le plus large, et qui englobe les tendances les plus marginale. C’est probablement ce qu’a voulu faire el Qurtubî. Nous invitons donc notre ami à rapporter, cette fois, le passage en entier.[9] C’est en tout cas ce qu’à fait l’Imâm Nawawî, qui, bien qu’il enregistre le consensus, n’occulte pas que certaines tendances musulmanes, qui font donc partie du patrimoine islamique, le dérogent : « À l’unanimité des musulmans, souligne-t-il, toute révolte armée contre les gouverneurs en place est interdite, peu importe qu’ils fassent régner la tyrannie, comme le dénotent nombre de hadîth. Il existe un consensus des traditionalistes stipulant que la débauche du sultan ne justifie pas sa destitution. »[10] 

 

El Ubbî d’obédience mâlikite dira plus tard dans les traces de Nawawî : « À l’unanimité des musulmans, toute révolte armée contre les tyrans en place est interdite. Ce consensus ne tient pas compte de l’avis erroné de certains savants de notre école qui proposent leur destitution. »[11]

  

À un autre endroit, Nawawî est moins formel sur ce fameux consensus en attribuant cette opinion à la grande majorité, non, nuance à l’unanimité des shâfi’ites.[12] La raison est que certains légistes, mais aussi les mu’tazilites affiliés à l’école dérogent, à tort, à ce consensus. Puis, il conclut avec une parole d’el Qâdhî dont voici les termes : « Il est dit que si divergence il y a eu, c’était au début, mais, avec le temps, un consensus se dégagea sur l’interdiction de se rebeller. »[13]

 

 

Ibn Hajar el ‘Asqalânî qui valide les propos d’ibn Battâl ayant enregistré ce consensus,[14] considère, dans un autre passage, que, dans un premier temps, les anciens voyaient l’épée, mais, s’étant rendu compte des inconvénients énormes qu’une telle initiative engendrait, notamment lors des compagnes d’el Harra, et d’ibn el Ash’ath ; en fin compte, ce qui allait devenir l’un de leurs principes, ils y renoncèrent définitivement.[15]

                           

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

 

 

[2] La vache ; 124

[4] La vache ; 124

[6] Hâdî e-sârî d’ibn Hajar (p. 483).

[7] Rapporté par Abû Dâwûd dans Masâil Ahmed (p. 271).

[8] Rapportée par el Khallâl dans e-sunna (94).

[9] Je parle de l’exégèse du v. 124 de la s. La vache dans lequel el Qurtubî reprend mot à mot le passage d’ibn ‘Abd el Barr cité plus haut. C’est probablement la preuve que les néo-malikites se véhiculaient ce crédo de générations en générations, même après l’infiltration du néo-ash’arisme, comme c’est le cas avec el Qurtubî. Ensuite, la citation que ramène notre ami en exégèse au v. 30 de la s. La vache est malheureusement tronquée également.

Voir : http://quran.ksu.edu.sa/tafseer/qortobi/sura2-aya30.html

http://quran.ksu.edu.sa/tafseer/qortobi/sura2-aya124.html

[10] Sharh Muslim (12/229).

[11] Ikmâl ikmâl el mu’lim (5/181).

[12] Sharh Muslim (12/229).

[13] Sharh Muslim (12/469).

[14] Fath el Bârî (13/7).

[15] Tahdhîb e-tahdhîb (2/288).

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18 octobre 2018 4 18 /10 /octobre /2018 11:53

 

Est-il possible que des traditionalistes aillent à l’encontre de ce consensus ?

 

D’un point de vue purement théorique, oui, il est possible de trouver des exemples de traditionalistes modernes allant à l’encontre de ce consensus. Nawa avance implicitement trois noms : ibn ‘Abd el Barr, ibn Taïmiya, et son élève ibn Muflih.

 

Déjà, il est étonnant d’attribuer, même de façon insidieuse, cette dérogation au dernier cité sous le simple prétexte qu’il enregistre les citations de deux néo-hanbalites sous influence néo-ash’arites. Ensuite, quasiment sur la même ligne, ce que ne nous dit pas notre ami, il souligne que ces deux érudits s’inscrivent à contre-courant du crédo officiel du fondateur éponyme de l’école. Effectivement, l’Imam Ahmed l’intègre dans son épitre consacrée à l’édification du crédo orthodoxe dans lequel il stipule clairement : « Il n’est permis à personne de combattre le sultan ni de se rebeller contre lui, sous peine de devenir un innovateur ayant dévié de la sunna et de la bonne voie. »[1] Son élève Abû Bakr el Athram explique que cet article du crédo, qui reçut l’aval des Compagnons et des grandes références de la religion, bannit tout contrevenant à l’orthodoxie pour le ranger du côté des harûrîtes hérétiques.[2]  Harb ibn Ismâ’îl el Karmânî valide la parole de l’Imâm qu’il intègre au consensus sans n’oublier de vouer à l’hérésie tout individu qui contrevient aux fondements qu’il énumère.[3] Ibn Batta met également en garde contre toute hérétique qui se marginalise par rapport à ces fondements.[4]

 

Enfin, ibn Muflih rappelle que son maitre Taqî e-Dîn, qui n’est autre qu’ibn Taïmiya, a détecté les deux symptômes à l’origine de la plupart des troubles ayant déchirées les sociétés musulmanes : le manque de patience et le manque de science.[5]

 

Le prophète, nous dit ibn Taïmiya, a interdit de prendre les armes contre les autorités musulmanes en place, aussi tyranniques soient-elles, en vu des inconvénients immenses qu’une telle initiative engendre. Plusieurs textes prophétiques communément transmis mettent en garde de tremper dans les guerres intestines.[6] À plusieurs reprises, Sheïkh el Islâm parle de fondement de l’édifice de la religion, non de point subsidiaire qui serait éventuellement sujet à divergence.[7] Ibn Taïmiya qui fait état de sa propre expérience valide donc le consensus sur la question qui nous intéresse.[8]

E-Dhahabî cautionnera l’allégation de son Sheïkh dans le cadre de son résumé de l’ouvrage Minhâj e-sunna, qui ne dit mot consent.[9]

 

Ibn Taïmiya établit également : « L’élite des musulmans interdisait de se rebeller et de prendre les armes en période de troubles. ‘Abd Allah ibn ‘Omar, Sa’îd ibn el Musaïb, ‘Alî ibn el Husaïn, etc. défendaient de sortir contre Yazîd, l’année d’el Harra. El Hasan el Basrî, Mujâhid, et tant d’autres défendaient de participer à la campagne (fitna) d’ibn el Ash’ath. Par la suite, un crédo se dessina chez les traditionalistes qui appelaient à ranger l’épée dans son étui en période de troubles. Ils se conformaient ainsi aux hadîth authentiques imputés de façon certifiée au Prophète. Ils prirent l’habitude de l’évoquer dans leur crédo, et incitaient à la patience face à la tyrannie des sultans, et à ne pas prendre les armes contre eux. »[10]

 

Le relativisme taïmiyen

 

Voir : http://mizab.over-blog.com/2017/10/le-pragmatisme-taimiyen-partie-1.html

 

Mais alors où est le relativisme taïmiyen dans cette affaire ? Il se trouve dans ce dogme statique prôné par les extrémistes murjites constatant une constante quasi universelle, soit que la plupart des révoltes à travers l’Histoire ont avorté.

 

Le doyen de Damas dit en effet : « C’est pourquoi, il est notoire que la tendance traditionaliste ne voit ni la rébellion ni l’épée contre les émirs en place, même s’ils répandent l’injustice. Et cela, conformément aux hadîth prophétiques authentiques et communément transmis sur le sujet. Le désordre qu’engendrent les guerres intestines et les troubles est plus grand que le mal et l’injustice venant des émirs en temps de paix. On ne provoque pas des grands maux sous prétexte d’éradiquer des maux moins graves.

 

À travers l’Histoire, les révoltes ont pratiquement toujours ramené un mal plus grand que celui qu’elles étaient sensées enlevées. Or, Allah ne nous a pas ordonné de combattre tous les tyrans et les injustices quoiqu’il arrive. Il ne nous a pas demandé non plus de combattre d’entrée les rebelles, mais Il nous enjoint d’attendre : [Lorsque deux groupes parmi les croyants se querellent, réconciliez entre eux ; mais si l’un d’eux s’acharne contre l’autre, alors combattez celui qui s’acharne jusqu’à ce qu’il se plie à l’ordre d’Allah une fois qu’il s’y plie, alors réconciliez entre eux avec équité, et soyez justes, car Allah aime les justes].[11] S’il n’a pas demandé de combattre d’entrée des rebelles, alors comment l’aurait-Il demandé pour les émirs ? »[12]

 

Ailleurs, il va plus loin en disant : « Peu furent les révoltes qui, dans l’Histoire, n’engendrèrent pas un mal plus grand que le bien escompté. Nous avons comme exemple, ceux qui s’insurgèrent contre Yazîd à Médine, ibn el Ash’ath qui se révolta contre ‘Abd el Mâlik en Iraq, ibn el Muhallib qui sonna l’insurrection contre son fils dans le Khurasân, Abû Muslim sâhib e-da’wa qui fomenta également une révolte dans le Khurasân, et ceux qui se révoltèrent contre el Mansûr à Médine et à Bassora, etc.

 

Le mieux qu’il peut leur arriver, quand ils ne sont pas vaincus, c’est de triompher, mais, tôt au tard, ils perdent le pouvoir, et jamais ils ne laissent d’héritier. ‘Abd Allah ibn ‘Alî et Abû Muslim attentèrent à la vie d’un nombre incroyable de personnes, pourtant, tous les deux finirent entre les mains d’Abû Ja’far el Mansûr. Quant aux partisans d’el Harra, d’ibn el Ash’ath, d’ibn el Muhallib, etc. ils connurent la défaite ; ils ne parvinrent ni à maintenir la religion ni à épargner le profane. Alors que le Très-Haut n’ordonne rien qui ne rapporte aucun effet ni pour la religion ni pour la vie matérielle. Il est vrai, au même moment, que les acteurs d’une telle initiative sont des pieux, des élus d’Allah promis au Paradis. »[13]

 

Ibn el Qaïyim, son fidèle élève, déplore exactement le même constat : « Dans la condition où interdire le mal engendre un mal plus grand, et plus détesté pas Allah et Son Messager, il n’est pas pertinent de l’interdire, bien qu’au même moment, Allah déteste et est courroucé contre ses instigateurs. Dans cet ordre, nous avons les rois et les gouverneurs contre qui on prend les armes, sous prétexte d’interdire le mal. Ce genre d’initiative est à la base de tous les maux de la terre jusqu’à la fin du monde. Les Compagnons demandèrent l’autorisation au Messager d’Allah de se révolter contre les émirs qui retardaient simplement l’heure de la prière : « Ne devons-nous prendre l’épée contre eux, lui demanda-t-on ?

  • Non, tant qu’ils font la prière. »[14]

Le meilleur des hommes dit également : « Quiconque voit chez son émir une chose qu’il réprouve, il doit l’endurer sans jamais contester son autorité. »

En méditant sur tous les troubles, du plus grand au plus petit, qui ont déchiré la Nation à travers l’Histoire, on se rendra compte qu’ils viennent en résultat au non-respect de ce principe, et au manque de patience face au mal. À vouloir absolument l’éradiquer, on engendre un mal encore plus grand. »[15]

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

[1] Sharh usûl el i’tiqâd d’e-Lalakâî (1/181).

[2] Nâsikh el hadîth wa mansûkhihi (p. 257).

[3] masâil el imâm Ahmed wa Ishâq ibn Râhawaïh (p. 355-357).

[4] E-sharh wa el ibâna (p. 276).

[6] El istiqâma (1/34),

[7] Voir notamment : Majmû’ el fatâwâ (1/18-19, 3/250).

[8] Minhâj e-sunna (4/529-530), et Majmû’ el fatâwâ (3/249).

[9] El muntaqâ min minhâj el i’tidâl (p. 297).

[10] Minhâj e-sunna (12/297).

[11] Les appartements ; 9

[12] minhâj e-sunna (3/391).

[13] Minhâj e-sunna (4/528).

[14] Rapporté par Muslim (1855), selon ‘Awf ibn Mâlik (t).

[15] I’lâm el mawqi’în (3/15).

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18 octobre 2018 4 18 /10 /octobre /2018 11:50

Une tempête sous un crâne

(Partie 3)

 

Ibn Abî Zaïd el Qaïrawânî : « Parmi les éléments et les coutumes de la religion qui furent marqués d’un consensus de la communauté vouant à l’hérésie et à l’égarement tout contrevenant nous avons […] Le devoir d’obéissance aux émirs musulmans, et à tout responsable intronisé à la tête des affaires musulmanes soit par consentement soit par la force, qu’il soit bon ou mauvais ; il est strictement interdit de se rebeller contre lui peu importe qu’il soit juste ou non ; nous intégrons ses rangs dans ses entreprises militaires contre l’ennemi, dans ses voyages au pèlerinage, nous lui versons l’aumône légale qu’il nous réclame éventuellement, et prions derrière lui à l’occasion de la prière du vendredi et de l’aïd […] Tous les points que nous venons d’évoquer, nous les empruntons aux traditionalistes et aux grandes références en matière de fiqh et de hadîth, comme nous l’avons évoqué. L’Imâm Mâlik reprend tous ces articles à son compte, comme en témoignent ses avis qui sont recensés par écrit ou de notoriété publique. »[1]

 

La classification ancien/moderne 

 

Déjà, d’un point de vue purement formel, il existe beaucoup de confusion sur l’époque à laquelle renvoie le phonème « ancien ». Beaucoup l’utilisent pour désigner des savants qui ne sont pas contemporains, ce qui est une grossière erreur méthodologique, même s’il est toléré de le faire par condescendance, comme nous allons le voir, sauf que le débat scientifique mérite une certaine rigueur, ne serait-ce que pour éviter de prêter son flanc à ses adversaires. Toutes les disciplines scientifiques ont recours à ce vocabulaire, même chez les non musulmans. Au 13ième siècle de l’Ère chrétienne, Thomas d’Aquin l’employait dans ses débats scolastiques.

 

Pour les musulmans, notamment les traditionalistes, il a une connotation bien spéciale.

 

D’un point de vue linguistique : salaf est le pluriel de sâlif qui signifie prédécesseur. Les salaf correspondent donc à l’ensemble des prédécesseurs comme dans le Verset : (Nous en avons fait des prédécesseurs et un exemple pour les générations suivantes).[2]

 

El Baghawî explique au sujet de son exégèse : « ... les salaf représentent les générations précédentes ; Nous les avons fait venir en premier afin que les générations suivantes tirent des leçons et prennent exemple sur eux. » Ibn el Athîr précise quant à lui : « Les salaf de quelqu’un sont les personnes qui l’ont précédé dans la mort parmi ses ancêtres et sa famille. C'est pourquoi les gens de la première époque parmi les successeurs des Compagnons furent appelés les salaf e-sâlih (les pieux Prédécesseurs). »

 

D’un point de vue terminologique :

 

Plusieurs définitions terminologiques ont été proposées pour cerner ce terme, dont les suivantes qui sont les plus sérieuses :

  1. Il correspondrait aux Compagnons exclusivement.
  2. Ou bien aux Compagnons et à leurs successeurs (tâbirûn).
  3. Ou encore aux Compagnons, à leurs successeurs, et aux successeurs des successeurs (tâbirû e-tâbi’în).
  4. Il correspondrait aussi aux générations avant le cinquième siècle (de l’Hégire). Les partisans de cette opinion prétendent que cette tendance (les salaf) est délimitée dans le temps à une période déterminée sans pouvoir la franchir. La pensée islamique aurait évolué ensuite sous la conduite de ses adeptes.

 

 Or, est-il suffisant pour comprendre le terme salaf de le définir à travers des périodes déterminées dans le temps ? Si l’on conçoit que ce terme est synonyme, d’un point de vue temporel, aux trois premières générations comme le dénotent les hadîth délimitant l’âge d’or des musulmans,[3] doit-on ainsi considérer toute personne ayant vécu dans cette période comme un modèle parmi les anciens ?

 

Nul doute que la réponse est non et que cette conception est erronée ! Bon nombre de sectes en effet ont vu le jour au cours de cette période. L’éloignement dans le temps n’est donc pas suffisant pour déterminer le concept de salaf. Il est néanmoins primordial de lier à l’élément temporel, un autre critère et non des moindres. Autrement dit, il est impératif de concorder avec les textes du Coran et de la sunna dans la réflexion. En ayant une pensée qui s’oppose au Coran et à la sunna, on ne compte pas dans le cercle des salafîs, bien qu’on ait pu vivre au sein des Compagnons ou de leurs successeurs.[4]

 

Ainsi, la présence d’un individu quelconque à cette époque ne suffit pas pour juger de son adhésion à la tendance des anciens. Il doit en plus de cela être fidèle au Coran et à la sunna dans ses paroles et ses actes, soit être conformiste non innovateur ! C’est pourquoi bon nombre de savants précisent en désignant les anciens : les salaf e-sâlih (les pieux Prédécesseurs).

 

E-Saffârînî souligne : « La tendance des anciens comprend : le chemin des nobles Compagnons (y), de l’élite parmi leurs fidèles successeurs, de leurs successeurs, et des grandes références de la religion reconnues comme telles. Ils sont connus pour la place illustre qu’ils occupent au sein des musulmans ; leurs paroles se sont propagées de génération en génération. Tous les individus coupables d’avoir innové dans la religion ne comptent pas dans leurs rangs. Ceux-là mêmes qui se distinguent par de mauvaises appellations à l’exemple des kharijites, des râfidhites, des qadarites, des murjites, des jabarites, des jahmites, des mu’tazilites, des karrâmites, etc. »[5]

 

[1] El jâmi’ (p. 139-148).

[2] L’ornement ; 56

[3] On parle de fin d’une génération quand la plupart de ses éléments sont morts. La première génération des Compagnons disparut en même temps que le Khalifat (il ne restait pratiquement plus aucun ancien combattant de la bataille de Badr). La seconde génération des tâbi’în compta ses derniers éléments avec le déclin des Compagnons benjamins, sous l’ère d’ibn e-Zubaïr et d’Abd el Mâlik. La majorité des successeurs des tâbi’în périrent avec l’avènement des Abbassides qui avaient usurpé le pouvoir aux Omeyyades en 132 h.

Voir : Majmû’ el fatâwâ (10/356).

[4] Voir : Wasatiya ahl e-sunna baïna el firaq du Docteur Mohammed Bâ karîm (p. 96-101) dont nous avons légèrement modifié l’extrait. Précisons que cet ouvrage est très intéressant.

[5] Lawâmi’ el anwâr (1/20).

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17 octobre 2018 3 17 /10 /octobre /2018 10:50

 

 

L’avènement des murjites s’inscrit en réaction à la révolte d’ibn el Ash’ath. Nous comprenons mieux désormais pourquoi Ibrâhim e-Nakha’î disait qu’ils représentaient un plus grand mal pour la communauté que les khawârij azâriqa,[1] et que ces derniers étaient plus excusables,[2] étant donné qu’ils prenaient les armes contre les autorités qu’ils assimilaient à des apostats, alors que les murjites s’arrogeaient le droit de se révolter contre des gouverneurs désobéissants. Ce même Ibrahim disait que les murjites avaient rendu la religion plus légère que l’habit de Sâbirî.[3] Ibn Jubaïr les comparait aux sabéens,[4] et e-Zuhrî considérait que leur hérésie était la plus dangereuse pour les musulmans.[5]

 

Shihristânî classe les murjites en quatre catégories :

  1. Murijya el khawârij ;
  2. Murijya el qadariya ;
  3. Murijya el jabariya ;
  4. Les murijya proprement dits.[6]

 

Mieux, l’esprit de révolte n’est pas propre aux kharijites ni aux… murjites, mais à tous les innovateurs. Abû Qilâba est l’auteur des paroles extraordinaires : « Tout groupe qui innove une innovation voit obligatoirement l’épée. »[7] Il établit également qu’aussi diverses soient-elles, les innovations aboutissent forcément à l’épée ; l’épée est donc leur point commun à toute. Ayyûb e-Sikhtiyânî le rejoint sur ce point, en précisant que les hérétiques sont tous des kharijites, bien qu’ils portent des noms différents.[8]

Les kharijites se caractérisent pour dénigrer les émirs et les savants, pour interpréter le Coran à leur façon, faire le takfîr non fondé des musulmans, à la suite de quoi, se rebeller contre les autorités en place, de verser impunément le sang des musulmans, et de violer leur honneur et leurs biens. Ainsi, une menace terrible plane sur ceux qui les imitent.[9] Shâtibî va plus loin en reprochant qu’on accole les hadîth sur les kharijites à un groupe en particulier, alors que les savants les utilisent pour condamner tous les innovateurs sans exception.[10]

 

Voir : http://mizab.over-blog.com/2016/05/murjites-vs-kharijites-partie-1.html

 

Ainsi, il n’est pas étonnant que des adeptes de l’école hanafite, à l’image du très controversé el Jassâs qui,[11] en plus d’être murjites, voient l’épée contre le gouverneur injuste, et cela, contrairement aux hanafites traditionalistes (sic) qui sont restés fidèles au loyalisme orthodoxe, à l’image de Tahâwî … contradiction quand tu nous tiens !

 

Confusion méthodologique

 

Ensuite, d’un point de vue purement méthodologique, la période qui détermine les anciens s’arrête au début du 2ième siècle de l’Hégire qui débouche sur l’ère des modernes. Il est donc maladroit d’attribuer aux anciens une tendance en utilisant des citations des modernes, sauf si c’est pour démontrer qu’elles la corroborent. On peut toutefois par condescendance attribuer aux anciens des citations d’auteurs plus anciens par rapport à notre époque contemporaine. Cependant, un sujet aussi épineux mérite une certaine rigueur scientifique, ne serait-ce que vous échapper à la vindicte de ses détracteurs, je dis donc :

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

[1] Rapporté par ‘Abd Allah ibn Ahmed dans e-sunna (n° 623)

[2] Rapporté par el Khallâl dans e-sunna (n° 963).

[3] Rapporté par Abû Sa’d dans e-tabaqât (n° 7985).

[4] Rapporté par ‘Abd Allah ibn Ahmed dans e-sunna (n° 482).

[5] Voir : e-sharî’a d’el Ajjurî (2/677).

[6] Voir : el milal wa e-nihal (1/162).

[7] Rapporté par ‘Abd e-Razzâq dans el musannif (10/151), et e-Lâlakâî dans Sharh usûl i’tiqâd ahl e-sunna (1/143).

[8] Rapporté e-Lâlakâî dans Sharh usûl i’tiqâd ahl e-sunna (1/143).

[9] El i’tisâm de Shâtibî (2/726).

[10] Idem.

[11] Ce dernier n’oublie pas au passage de lancer une pic sur l’illustre el Awzâ’î, ce qui ne semble pas déranger outre mesure notre ami ; une fois, ce dernier utilise el Awzâ’î pour appuyer sa tendance, et une autre fois, il trouve un autre auteur qui va dans son sens, peu importe qu’il dénigre sournoisement el Awzâ’î…

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17 octobre 2018 3 17 /10 /octobre /2018 10:44

Une tempête sous un crâne

(Partie 2)

 

Abî Hâtim et Abû Zur’a e-Râzî reprennent le même crédo que celui d’el Bukhârî qu’ils imputent aux savants des quatre coins de l’Empire (Hijâz, Iraq, Shâm, Yémen). Ibn Abî Hâtim témoigne : « J’ai interrogé Abû Zur’a et mon père au sujet de la tendance des traditionalistes dans les bases fondamentales (usûl) de la religion, et celle des savants qu’ils ont connus à travers toutes les contrées (le Hijâz, l’Iraq, le Shâm, et le Yémen) ; ils m’ont répondu notamment : … nous ne prônons la participation ni à la révolte contre les émirs ni aux guerres intestines, mais nous faisons obéissance au gouverneur en place sans jamais contester son pouvoir… »[1]

 

3- L’utilisation de l’avis d’ibn Hazm, le porte-parole de l’école littéraliste

 

Ibn Taïmiya accorde des circonstances atténuantes aux savants, qui, à l’image d’ibn Hazm, allaient à l’encontre de ce consensus : « Secundo : il y a ceux qui prennent les armes non pour défendre une croyance contraire au traditionalisme. Nous pouvons compter dans cette catégorie ceux qui participèrent aux batailles d’el Jumal, Siffîn, el Harra, el Jamâjim, etc. Ces derniers pensaient simplement que la guerre était la meilleure solution, bien que ce ne fût pas le cas. Ils ne voyaient pas dès lors les inconvénients énormes qu’elle allait engendrer. D’ailleurs, ils le regrettèrent après coup, et surent par l’expérience ce que les textes mettaient en garde depuis le début. »[2]

Puis, il explique qu’en résumé, nous pouvons recenser quatre raisons à travers l’Histoire ayant poussé certains savants à l’erreur dans ce domaine.

  • Certains d’entre eux n’avaient tout bonnement pas eu accès aux textes.
  • D’autres remettaient en question leur authenticité.
  • D’autres, à l’image d’ibn Hazm, pensaient qu’ils étaient abrogés.
  • D’autres les interprétaient à leur façon, comme tout mujtahid.[3]

 

Ensuite, comme l’explique ibn Taïmiya, ibn Hazm n’était pas versé en matière de crédo traditionaliste.[4] Ibn ‘Abd el Hâdî souligne qu’ibn Hazm était un jahmî dans le domaine des Noms et des Attributs divins, non dans celui de la foi. Sheïkh el Islâm nous en fait l’éloge en disant qu’il était conforme au traditionalisme dans le domaine du destin et de l’irja. Il encensait les anciens et les grandes références traditionalistes. Il prétendait être en accord avec l’Imâm Ahmed sur le caractère incréé du Coran, et bien d’autres questions, en sachant que nous lui concédons qu’en partie son allégation. El Ash’arî était bien plus fidèle au chef fondateur de l’école hanbalite que ce dernier sur la question de la nature du Coran et des autres Attributs, [mais aussi sur la question de l’obéissance au gouverneur désobéissant]. Pourtant, paradoxalement, le Sheïkh andalous était bien plus versé en hadîth ; il le portait dans son cœur bien plus que n’importe qui d’autre et vouait un réel respect pour ses techniciens. Néanmoins, il s’était imprégné de la culture philosophe et mu’tazilite qu’il mit au service de sa croyance dans le domaine des Noms et Attributs divins en se démarquant ainsi des traditionalistes à qui il avait pourtant juré fidélité. Il était à cheval sur les termes à la manière des seconds, mais il en interprétait le sens à la manière des premiers. C’est pourquoi, il lui fut souvent reproché d’être un littéraliste qui vide les mots de leur sens.[5]

 

Ainsi, il est possible qu’ibn Hazm fut doublement induit en erreur : 1°) par son utilisation des textes pré-consensus, et 2°) par son influence du mu’tazilisme. Sans compter son approximation que notre ami reproduit sans ambages dans la citation où il impute à El Hasan el Basrî d’avoir trempé dans l’insurrection menée en vue de destituer el Hajjâj. Il serait trop long ici de ramener les citations du concernée qui se compte en dizaines, et qui démontrent le contraire. Je me contenterais de n’en citer qu’une seule. Celle-ci concerne les gouverneurs tyrans : « Si, tout infatués qu’ils sont, ils font plier le cou de leurs sujets dociles, ils sont, malgré tout, marqué du sceau de l’avilissement dans leur cœur à cause de leurs péchés. Sauf que nous sommes résolus par la force du Coran à leur faire obéissance, à renoncer à la révolte, et à nous apitoyer sur notre sort à travers le repentir et la prière. Celui qui veut gagner le salut doit s’engager dans cette voie avec persévérance pour ne plus jamais en sortir. »[6]

 

4- L’utilisation de l’avis d’Abû Hanîfa

 

Ibn Taïmiya établit que l’obéissance au tyran musulman, contre lequel il est interdit de prendre les armes, intègre les articles du crédo traditionaliste en accord avec les textes scripturaires qui enjoignent de patienter face à ses abus.[7] À ses yeux, tant qu’il observe la prière, il fait partie intégrante de la communauté ; son cœur renferme l’essence de la foi qui consiste à vouer le culte exclusive au Créateur des cieux et de la terre ; ce dernier adhère pleinement au monothéisme, l’essence de la religion musulmane ; il a son actif de nombreux fastes en plus de renoncer à de nombreux péchés. Il est certes l’auteur d’injustices qu’il cherche à légitimer avec des raisons pas toujours légitimes, mais cela ne justifie en rien de prendre les armes contre lui.[8]

 

Sheïkh el Islâm s’appuie sur des citations d’anciens qui corroborent ce principe, à l’image d’Abû Hanîfa et de ses deux élèves, Abû Yûsaf et Mohammed ibn el Hasan, selon lesquels – les propos reviennent au dernier cité – la sunna interdit de prendre l’épée contre les musulmans.[9] Les adeptes de l’école inscriront ce crédo dans leurs épitres qui recensent la croyance traditionaliste. Ce fut le cas de Tahâwî, l’auteur des paroles : « Nous ne voyons pas la révolte contre les gouverneurs en place, même quand ils sont des tyrans ; ne n’invoquons pas contre eux, et nous ne contestons pas leur autorité ; nous considérons que leur obéissance, qui relève de l’obéissance d’Allah (U), est un devoir tant qu’ils n’appellent pas à désobéir à Allah ; nous invoquons le Seigneur de les réformer et de les préserver. »[10]

 

Notons que Mohammed el Khamîs est l’auteur d’une thèse universitaire dans laquelle il se sert de cette citation de Tahâwî pour justifier qu’Abû Hanîfa aurait finalement renoncé à cautionner les révoltes armées contre les gouverneurs désobéissants. Voir : usûl e-dîn ‘inda el imâm Abî Hanîfa (p. 569).

 

Sinon, il est vrai que les murjiya el fuqaha ne se distinguent pas des kharijites sur leur prise de position face aux gouverneurs en place, comme en témoignent un certain nombre d’annales.

 

Selon ibn Shâhîn, Sufiân e-Thawrî a dit : « Craignez toutes ces « passions » égarées. » Quand on lui demanda des explications, ce dernier répondit : « Les murjites disent….Puis, il évoqua certaines de leurs opinions avant d’enchaîner : Ils voient l’épée contre les adeptes de la qibla. »[11]

 

• Selon ibn Shâhîn, on demanda à ibn el Mubârak : « Est-ce que tu adhères à la pensée murjite ?

  • Comment pourrais-je être un murjite, a-t-il répondu, alors que je ne vois pas l’épée ! »[12]

 

• Selon Ibrâhîm ibn Shammâs, un jour, devant ibn el Mubârak dans l’assemblée duquel nous nous trouvions, un homme accusa Abû Hanîfa de murjite, partisan de l’épée contre le gouverneur en place, sans que cela ne fasse réagir notre érudit,[13] ce qui a valeur de consentement.

 

• Ce même ibn el Mubârak dresse certains articles du crédo officiel : « Quand on voit la prière sous la direction d’un imam qu’il soit bon ou mauvais, le djihad sous l’autorité de n’importe quel khalife, et qu’on n’adhère pas à la révolte armée contre le sultan en place à qui on réserve des invocations afin qu’Allah le réforme, on s’émancipe de la pensée kharijite de fond en comble. »[14]

 

• D’après Abû Ishâq el Fuzârî, j’ai entendu dire Sufiân et el Awzâ’î : « Le discours des murjites aboutit à l’épée ! »[15]

 

• D’après e-Sâbûnî, avec une chaîne narrative authentique qui fait dire à Ahmed ibn Sa’îd e-Ribâtî, ‘Abd Allah ibn Tâhir m’a dit : « Ahmed ! Vous, vous ne savez pas pourquoi vous détestez ces gens-là – en parlant des murjitesalors que moi, je sais pourquoi je les déteste. Je les déteste parce que ; premièrement : ils ne voient pas l’obéissance au sultan… »[16]

 

[1] Sharh usûl el i’tiqâd d’e-Lalakâî (n° 321-323).

[2] Minhâj e-sunna (4/538).

[3] Minhâj e-sunna (4/538).

[4] Darr e-ta’ârudh (7/32-37).

[5] Majmû el fatâwa (4/18-19).

[6] Voir : âdâb el Hasan el Bas  d’ibn el Jawzî (n° 102).

[7] El istiqâma (1/32).

[8] Majmû’ el fatâwâ (28/179).

[9] Majmû’ el fatâwâ (16/474).

[10] El ‘aqîda e-tahâwîya (p. 47).

[11] Voir : el kitâb e-latîf (n° 15), e-sharî’a d’el Ajurrî (n° 2062), et sharh usûl el i’tiqâd d’e-Lalakâî (n° 1834).

[12] Voir : el kitâb e-latîf (n° 17).

[13] Rapporté par ‘Abd Allah ibn Ahmed dans e-sunna (1/181, 182) avec une chaîne narrative authentique.

[14] Maqâlât el islâmiyîn d’el Ash’arî (p. 87).

[15] Rapporté par ‘Abd Allah ibn Ahmed dans e-sunna (n° 363) avec une chaîne narrative authentique.

[16] Voir : ‘aqîda e-salaf wa ashâb el hadîth (p. 109).

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16 octobre 2018 2 16 /10 /octobre /2018 18:03

Une tempête sous un crâne

(Partie 1)

 

El Bukhârî : « J’ai rencontré plus de mille personnes parmi les savants à travers les différentes contrées que sont le Hijâz, La Mecque, Médine, Koufa, Bassora, Wâsit, Bagdad, le Shâm, et l’Égypte. Je les ai rencontrés à maintes reprises, hiérarchie après hiérarchie. J’ai été contemporain à un grand nombre d’entre eux depuis maintenant quarante six ans que je parcours le monde : j’ai visité deux fois la Syrie, l’Égypte, et le Bahraïn, quatre fois Bassora sur une longue période, six fois le Hijâz, et je ne compte même plus combien de fois je suis allé à Koufa, Bagdad où je suis entré en contact avec les traditionnistes de Khurasân… »

Après avoir dressé une liste impressionnante de ces fameux savants, il enchaine : « Je me suis contenté de cette liste pour ne pas faire trop long, et aucun de ceux que j’ai cité n’a, à ma connaissance, contredit un seul des articles de foi que je vais exposer… »

Notamment : « … « Nous ne contestons pas le pouvoir à son détenteur », conformément au hadîth : « Il y a trois remèdes qui soulagent le cœur du musulman de toute rancune : la sincérité exclusive envers Allah pour toutes ses actions, le bon conseil prodigué aux musulmans, et la fidélité à leurs rangs, qui constituent un véritable rempart grâce à leurs prières (ou à leur prêche). »[1] Cette prescription est confirmée par le Verset : [Obéissez à Allah, obéissez au Messager et aux détenteurs de l’autorité parmi vous][2] ; et nous ne prônons pas l’épée contre la nation mohammadienne… »[3]

 

En attendant une tempête dans un verre d’eau, Je remercie le frère qui m’a aidé dans mes recherches…

 

Comme promis, nous nous arrêtons dans cet article au billet dont s’est fendu l’un des auteurs des excellentes Éditions Nawa, et qui remet en cause un consensus établissant l’interdiction de se révolter contre un gouverneur musulman désobéissant.[4] Pourtant, Un article précédent répertorie 15 érudits ayant fait état de ce fameux consensus.[5]

Plus récemment, un nouveau texte répertorie 30 exemples chez les anciens qui corroborent ce consensus qui s’inscrit, notons-le, plus tardivement que nombre d’entre eux.[6]

 

L’audio non préparé qui fut consacrée à ce billet divise l’argumentation de son auteur en trois grands ensembles, soit l’utilisation :

  1. De textes pré-consensus dont la justification est anachronique ;
  2. D’auteurs modernes néo-ash’arites influencés par le mu’tazilisme ;
  3. De l’avis d’ibn Hazm, le porte-parole de l’école littéraliste.

 

En réalité, il aurait fallu ajouter un ensemble, et qui est l’utilisation de l’avis d’Abû Hanîfa. En fait, l’auteur prétend répertorier les avis de savants au sein des 4 écoles canoniques auxquelles il faut ajouter l’école zhâhirite.

 

Nous allons reprendre un à un les éléments de ces 4 ensembles (selon notre classification) pour les décortiquer :

 

1- L’utilisation de textes pré-consensus dont la justification est anachronique

 

Voir : http://mizab.over-blog.com/2017/11/le-loyalisme-traditionaliste-partie-1.html

 

2- L’utilisation d’auteurs modernes néo-ash’arites influencés par le mu’tazilisme 

 

Ibn Taïmiya explique : « C’est pourquoi, l’un des principes traditionalistes invite à renoncer à prendre les armes contre les sultans, et à participer à des troubles, contrairement aux mu’tazilites, qui voient en cela, l’un des grands principes de leur crédo. »[7]

 

Ce fut le cas notamment des deux grands réformateurs de la secte ash’arite que l’auteur utilise, el Baqillânî et el Juwaïnî, dont l’orientation de plus en plus braquée vers le mu’tazlisme accoucha en partie de la pensée d’une autre grande sommité néo-ash’arite que nous ami ajoute à son carquois pour terrasser le vilain salafi négationniste dans sa chevauché fantastique au service du patrimoine islamique qu’il s’évertue d’embellir en redorant ses plus noirs chroniques ; j’ai nommé « hujja el islam » el Ghazâlî.[8] Nous avons vu dans un article précédent que l’imâm el haramaïn sera séduit par l’orientation singulière retenue par el Mâwardî qui ira, dans el ahkâm e-sultâniya, jusqu’à reprendre à son compte cette tendance ne faisant pas l’unanimité au sein de l’école, mais qui s’appuie sur ce qui serait l’ancienne opinion de Shâfi’î légitimant la destitution d’un gouverneur pervers.[9]

 

Or, ce témoignage venant d’un savant qui s’inscrit dans le temps des siècles après le fondateur de l’école canonique ne fait pas le poids devant les paroles de son fidèle élève el Muzanî qui maitrisait ses avis tranchés sur le bout des doigts. Ibn ‘Abd el Barr confirme qu’aucun savant ne pouvait rivaliser ce dernier dans ce domaine.[10] D’ailleurs, Shâfi’î dira lui-même : « Muzanî est le grand défenseur de ma tendance. »[11]

 

El Muzanî (m. 264 h.), le plus grand spécialiste des avis du fondateur éponyme de l’école shaféite avec qui il fut contemporain, dresse une liste des articles de la foi orthodoxe, et dans laquelle nous trouvons notamment : « … Nous renonçons à prendre les armes contre eux [les gouverneurs] malgré leurs exactions et leur tyrannie, absorbés que nous sommes par le poids de nos péchés en quête du pardon divin à même d’atténuer l’ardeur de nos bourreaux. »[12] Quelques pages plus loin, il estampille ses propos du consensus des Anciens : « Toutes ces citations et ces chroniques sont entérinées à l’unanimité par nos ainées des premières générations, les grandes références traditionalistes, qui furent, grâce à Dieu, imités favorablement par leurs héritiers… »[13]

 

El Baïhaqî, un autre grand spécialiste de l’école témoigne au sujet de son maitre à penser : « Celui-ci voyait le devoir d’obéissance au sultan qui s’empare du Pouvoir par la force. »[14]

 

En outre, Mohammed ibn Ahmed e-Tâî, le maitre d’el Baqillânî, corrobore le consensus dont parlons depuis le début, comme le rapporte ibn Hazm dans marâtib el ijmâ’ (p. 178), sans commentaire !

 

Nous retrouvons cette même influence du mu’tazilisme chez les deux auteurs hanbalites (qui seront imités par des références plus tardives de l’école) dont se targue l’auteur et qui ne sont autre qu’ibn ‘Aqîl et ibn el Jawzî ; je reviendrai plus loin sur ibn Muflih.

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

[1] Rapporté par Shâfi’î dans son musnad (n° 1190), el Baïhaqî dans e-dalâil (1/23), e-Tirmidhî (n° 2658), selon ibn Mas’ûd (t) ; il est rapporté par Ahmed (n° 21590), ibn Mâja (n° 230), et Dârimî (n° 229), selon Zaïd ibn Thâbit (t).

[2] Les femmes ; 58-59

[3] Sharh usûl el i’tiqâd d’e-Lalakâî (n° 320).

Le nombre des savants que Bukhârî aurait rencontré s’élèvera à mille quatre-vingts savants, comme le rapporte Dhahabî de la bouche du concerné. Voir : Siar a’lâm e-nubalâ (12/395).

[7] Majmû’ el fatâwâ (28/503).

Voice les cinq grands fondements (el usûl el khamsa) sur lesquels repose le crédo mu’tazilite :

1- L’unicité : ils entendent par là, la négation des Attributs, car les reconnaitre, selon eux, cela revient à avoir plusieurs divinités. C’est ce qui les pousse à taxer de polythéistes tous ceux qui adhèrent aux Noms et Attributs divins.

2- La justice : par laquelle ils renient la prédestination qui serait, à leurs yeux, une forme d’injustice. Comment le Très-Haut pourrait-ils, à leurs yeux, châtier un homme dont le destin aurait déjà été scellé à l’avance ?

3- La morale : ordonner le bien et interdire le mal qu’ils confinent dans la révolte contre les autorités en place qui font régner la débauche, mais sans sortir des limites de l’Islam. La morale se concrétise donc dans les coups d’État.

4- Le statut intermédiaire : (manzila baïna el manzilataïn) c’est à cause de cette question qu’ils rompirent avec Hasan el Basrî – qu’Allah lui fasse miséricorde –. Ce dernier avait été questionné sur le statut de l’auteur d’un grand péché. « C’est un croyant ayant une foi faible » établit-il. Sa réponse ne dérogea pas au crédo traditionaliste qui s’oppose à deux tendances extrêmes : les kharijites pour qui il est mécréant, et les murjites qui voient en lui un croyant ayant une foi pleine. Nous disons donc qu’il est croyant en raison de sa foi et pervers en raison de son péché. Ces sectateurs se firent connaitre par cette tendance qu’ils innovèrent.

5- L’exécution de la menace divine : à leurs yeux, quand on entre en Enfer, c’est pour y rester à jamais. Les auteurs des grands péchés n’auraient pas le droit d’en sortir, car on ne peut à la fois mériter le châtiment et la récompense divine.

[9] Ittihâf e-sâda el mutaqqîn (2/233).

[10] El intiqâ (p. 110).

[11] Tabaqât e-shâfi’iya el kubrâ de Tâj e-Dîn e-Subkî (2/94).

[12] Sharh e-sunna (p. 85).

[13] Sharh e-sunna (p. 88).

[14] Manâqib e-Shâfi’î (1/448).

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15 octobre 2018 1 15 /10 /octobre /2018 11:03

 

 

21- Ahmed ibn Hanbal questionna el Haïtham ibn Khârija au sujet de la rébellion fomentée par e-Sufiânî à Damas sous l’ère d’ibn Zubaïda qui succéda à Sulaïmân ibn Abî Ja’far. Haïtham fit de lui une description élogieuse et souligna sa volonté de se tenir à l’écart des ennuis. Lorsque lui-même fut victime d’injustice, il fut convié à maintes reprises à se joindre à la rébellion, mais à chaque fois, il refusait d’être mêler à des troubles. Khattâb ibn Wajh lui creusa un abri souterrain où des rebelles le conduisirent à la faveur de l’obscurité nocturne. Dès la première nuit, ils l’incitèrent à déclencher les affrontements, en lui faisant comprendre que le moment était venu pour lui de prendre le devant de la scène. Inflexible dans un premier temps, il attribua cette tentative de subversion à Satan. La nuit suivante, l’esprit torturé depuis la veille, il céda à la tentation et s’empara de Damas à la tête de ses troupes rebelles : « Ils l’ont fourvoyés, déplora Ahmed ! »[1]

 

22- Selon ‘Uqba ibn Ishâq, Mansûr visitait souvent Zubaïd ibn el Hârith pour lui réveiller le souvenir douloureux de la persécution menée contre les abbassides, et pour l’inciter à la vengeance à l’époque de Zaïd ibn ‘Alî : « Je n’ai pas l’intention, rétorqua Zubaïd, de défendre par la force la cause de qui que ce soit en dehors d’un prophète dont, malheureusement, je déplore aujourd’hui l’absence à ce que je sache. »[2]

 

23- Selon Yahyâ ibn Âdam, j’ai entendu dire Sufiyân e-Thawrî : « Si j’avais été à l’époque d’Ali, je n’aurais jamais pris les armes avec lui. » Yahyâ mit au courant de ses propos el Hasan ibn Sâlih qui était malheureusement enclin à la révolte : « Demande-lui, répondit el Hasan, si ce que l’on raconte à son sujet est vrai.

  • Tu n’as qu’à l’annoncer du haut des minarets, fit savoir Sufiyân à son émissaire pour donner plus de poids à ses paroles. »[3]

 

24- Selon Sufiyân ibn ‘Uyaïna, après l’assassinat d’el Walîd ibn Yazîd, un homme originaire de Koufa, mais qui vivait en Syrie, eut l’ingénieuse idée de rassembler autour d’un repas un groupe de combattants ayant trempé dans les guerres intestines qui suivirent. Le jour du rendez-vous, Sulaïmân el A’mash prit la parole : « Je ne suis rien d’autre qu’un avertisseur, proclama-t-il ! Que chacun d’entre vous entre son sabre dans son fourreau, qu’il retienne sa langue, et qu’il remédie aux maux qui affectent son cœur. »

En réaction à cette anecdote, l’Imâm Ahmed lui tarit d’éloges : « Voyez quelle lucidité dont fait preuve el A’mash, s’écria-t-il, qui est pourtant connu pour ses sauts d’humour et ses excès de colère ! »[4]

 

25- Selon Hafs ibn Ghiyâth, le jour où on proposa à el A’mash de s’investir dans l’insurrection, il rétorqua avec véhémence : « Malheur à vous ! Je n’ai jamais sacrifié mon honneur pour qui que ce soit, et vous voudriez que, bien plus précieuse à mes yeux, je sacrifie ma religion ! »[5]

 

26- Selon Abû Bakr el Marrûzî, j’ai entendu l’Imâm Ahmed condamner avec force toute effusion de sang que provoquent les révoltes. Il prit notamment à partie Sahl ibn Salama. Il raconta à ce sujet : « Hamdûn ibn Shabîb, avec qui j’avais une certaine proximité, gardait le contact avec moi par courrier, mais quand j’appris qu’il avait rejoint les rangs de Sahl, je pris mes distances avec lui. Il avait sévit dans telle région où nous nous rendions ibn Muslim et moi pour lui faire la morale : «  Qu’est-ce qui t’a pris, fulminai-je ? » Il donna aussitôt des signes de remords. »[6]

 

27- El Hasan el Basrî au sujet des gouverneurs tyrans : « Si, tout infatués qu’ils sont, ils font plier le cou de leurs sujets dociles, ils sont, malgré tout, marqué du sceau de l’avilissement dans leur cœur à cause de leurs péchés. Sauf que nous sommes résolus par la force du Coran à leur faire obéissance, à renoncer à la révolte, et à nous apitoyer sur notre sort à travers le repentir et la prière. Celui qui veut gagner le salut doit s’engager dans cette voie avec persévérance pour ne plus jamais en sortir. »[7]

 

28- Selon Shu’ba ibn el Hujjâ, j’ai entendu el Hasan el Basrî prendre violemment à partie Yazîd ibn Muhallab qui fut l’instigateur d’une sanglante révolte : «  Ce maudit Yazîd ibn Muhallab, ennemi d’Allah ! Les gens ont la mauvaise manie d’écouter, comme des moutons, le premier venu ! »

 

Selon Abû Bakr el Hudhalî, Yazîd criait haut et fort : « Mon ambition est de faire revivre les valeurs d’Omar ibn ‘Abd el ‘Azîz ! » Dès lors, el Hasan consacra un sermon pour dissuader les crédules de suivre cet imposteur : « J’implore Allah Tout-Puissant de terrasser cet homme pour en faire un exemple ! »[8]

 

29- Selon Abû Jinâb, je fus témoin des déclarations de Talha ibn Musarrif ayant confessé : « J’ai assisté à la bataille d’el Jamâjim lors de laquelle ibn el Ash’ath croisa le fer avec les armées d’el Hajjâj, sauf que je n’ai pas pris partau combat ; je ne me suis servi ni de ma lance ni de mon épée. Et pourtant, j’aurais préféré qu’on me coupe les mains plutôt que d’y avoir assisté ! »[9]

 

30- Ibn Hajar à propos de ‘Amr ibn Sa’îd ibn el ‘Âs : « ‘Amr s’est véritablement fait du tort à lui-même. »[10] Ce dernier contesta par les armes l’autorité d’Abd el Malik ibn Marwân.[11]

                           

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

[1] Voir : e-siar de Dhahabî (9/285).

[2] Voir : e-siar de Dhahabî (5/297).

[3] Voir : e-sunna d’el Khallâl (n° 99).

[4] Voir : e-sunna d’el Khallâl (n° 91, 92).

[5] Rapporté par Abû Nu’aïm dans el hiliya (5/50).

[6] Voir : e-sunna d’el Khallâl (n° 102).

[7] Voir : âdâb el Hasan el Bas  d’ibn el Jawzî (n° 102).

[8] Voir : e-siar de Dhahabî (4/506).

[9] Rapporté par Abû Nu’aïm dans el hiliya (5/17).

[10] Voir : e-taqrîb.

[11] Voir : silsilât elahâdîth e-dha’îfa de Sheïkh el Albânî (3/250).

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15 octobre 2018 1 15 /10 /octobre /2018 11:00

30 exemples de loyalisme chez les Anciens

(Partie 2)

 

Ibn ‘Abd el Barr : « À l’unanimité des savants, la tyrannie des sultans relève des grands péchés, pour ceux qui les font volontairement et en toute connaissance de cause… »[1] « Certains innovateurs parmi les kharijites et les mu’atazilites se sont égarés dans ce domaine. Ils se sont inspirés de certains Versets du Livre d’Allah qu’il ne faut pas prendre au sens littéral. Des Versets comme : [Ceux qui n’appliquent pas les Lois d’Allah sont eux les mécréants].[2] »[3]

« À défaut de pouvoir conseiller les émirs, il incombe de se retrancher dans la patience et les invocations, car les anciens interdisaient de les insulter. »[4]

 

 

11- Selon Ghîlân ibn Jarîr, je me rendis chez Abû Qilâba pour lui proposer d’aller ensemble à la Mecque. Une fois devant chez lui, je lui demandai la permission d’entrer : « Tu peux entrer, acquiesça-t-il, à condition que tu ne sois pas un harûrite (un kharijite ndt.). »[5]

 

12- ‘Uthmân ibn Abî Shaïba, j’interrogeai el Fadhl ibn Dukaïn : « Abû Nu’ïm, pourquoi refuses-tu les narrations de ces traditionnistes de Koufa ?

  • Car ils voient l’épée et la révolte contre le sultan en place. »[6]

 

13- Selon ‘Abd Allah ibn ‘Awn, personne à son époque ne valait Muslim ibn Yassar, jusqu’au jour où il intégra les rangs d’ibn el Ash’ath aux prises avec les armées d’el Hajjâj ibn Youssef. Lors d’une rencontre avec Abû Qilâba, Muslim jura que plus jamais il ne trempera dans ce genre d’initiatives : « Si Dieu le veut » répondit avec un ton compatissant son interlocuteur qui conclut par le Verset : [Seigneur… Tu t’es servi de l’épreuve du veau d’or pour égarer les uns et guider les autres selon Ton bon Vouloir…].[7] Les larmes inondèrent les yeux de Muslim complètement dépité.[8]

 

14- Qutaïba ibn Sa’îd exposant le crédo traditionnaliste : « Jamais nous ne nous soulevons contre les émirs malgré leurs pires exactions, et nous nous désolidarisons de tout individu quel qu’il soit qui prône l’épée contre les musulmans. »[9]

 

15- Ma’rûf el Karkhî croisa plusieurs membres de la bande à Zuhaïr en route pour la rébellion, et qui comptaient dans leurs rangs de très jeunes combattants : « Qu’Allah les garde, implora Ma’rûf !

  • Malheur à toi, s’offusqua quelqu’un en sa présence, comment oses-tu consacrer des prières en faveur de ces hors-la-loi ?
  • Il suffit qu’Allah les garde pour qu’ils renoncent à leur projet et qu’ils reviennent sur leurs pas. »[10]

 

16- Selon ‘Atâ el Khifâf, Salama ibn Kuhaïl alla à la rencontre de Zaïd ibn ‘Alî ibn el Husaïn pour le dissuader de monter une armée rebelle, surtout que les habitants de Koufa, très peu fiables, composaient le gros des troupes. Devant son obstination, il lui demanda la permission de quitter le pays : « Pourquoi, s’étonna-t-il ?

  • Je crains que s’il t’arrive quoi que ce soit, je ne réponde plus de mes actes (autre traduction possible : je ne sois plus en sécurité ndt.). »

Il consentit à le laisser partir. Il prit le chemin de l’exil en direction d’el Yamâma.[11]

 

17- Selon Abû Burda, un jour, sous la principauté de Ziyâd, alors que je me tenais immobile au milieu du marché, je claquai une main dans l’autre pour exprimer mon étonnement. Il y avait dans les passants, le fils d’un Compagnon ansâr (auxiliaire médinois ndt.) qui réagit aussitôt : « Quel est l’objet de ton étonnement, mon cher Abû Burda ?

  • Je m’étonne que les membres d’une communauté qui partagent la même religion, le même prophète, le même ministère, le même pèlerinage, et le même étendard en temps de guerre, puissent s’entretuer en toute âme et conscience. »[12]

 

18- Abû Bakr el Marrûzî, j’ai entendu dire Abû ‘Abd Allah – l’Imâm Ahmed – devant qui on avait évoqué ‘Abd Allah ibn Mughaffar : « Celui-ci n’a pas trempé dans les guerres intestines. » Et quand on lui souleva le cas d’un autre homme, il réagit en ces termes : « Celui-là, fut épargné de verser la moindre goutte de sang, lui qui rendit l’âme avant que les troubles n’eurent éclatés. »[13]

 

19- Dhahabî au sujet d’Abû Mohammed el Makhramî : « Ce dernier est connu par ses vertus, sa dignité et sa bonne conduite, en dehors d’un seul reproche qui le dessert : il a malheureusement rejoint les rangs de Mohammed ibn ‘Abd Allah ibn Hasan qu’il prenait pour le Mehdi. Pour sa décharge, il regretta son geste par la suite, et jura que jamais plus personne ne le bernera. »[14]

 

20- Hishâm ibn ‘Ammâr explique à El Fusawî qui l’avait sondé sur Yazîd ibn Yazîd  el Azdî : « Celui-là s’est corrompu lui-même le jour où il prit les armes aux côtés de Marwân ibn Mohammed, et contribua à l’assassinat d’el Walîd ibn Yazîd pour lequel il empocha cent milles dinars. »[15]

 

[1] E-tamhîd (5/74-75).

[2] Le repas céleste ; 44

[3] E-tamhîd (17/16).

[4] E-tamhîd d’ibn ‘Abd el Barr (21/287).

[5] Rapporté par ibn Abî Shaïba (n° 37910).

[6] Voir : Masâil mohammed ibn ‘Uthmân ibn Abî Shaïba (n° 82).

[7] Les remparts ; 155

[8] Voir : el ma’rifa wa e-târîkh d’el Fasawî (2/51).

[9] Voir : shi’ar ashâb el hadîth d’Abû Ahmed el Hâkim (p. 31).

[10] Rapporté par Abû Nu’aïm dans el hiliya (7/366).

[11] Voir la biographie de Salama ibn Kuhaïl dans tahdhîb e-tahdhîb d’ibn Hajar .

[12] Voir : silsilât elahâdîth e-sahîha de Sheïkh el Albânî (n° 959).

[13] Voir : e-sunna d’el Khallâl (n° 97).

[14] Voir : e-siar de Dhahabî (7/329).

[15] Voir : el ma’rifa wa e-târîkh d’el Fusawî (2/396).

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