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6 novembre 2019 3 06 /11 /novembre /2019 12:37

 

Focus sur la problématique du mal attribué à Dieu 1/2

 

Au Nom d’Allah, le Très Miséricordieux, le Tout Miséricordieux

 

Louange à Allah, que Nous Louons, Lui à qui nous demandons secours, et implorons le pardon. Nous cherchons refuge auprès de Lui contre le mal de nos âmes, et nos mauvaises actions. Celui que Dieu guide, nul ne peut l'égarer, et celui qu'il égare, nul ne peut le guider !

J'atteste qu'il n'y a d'autre dieu digne d’être adoré en dehors d'Allah, et que Mohammed est Son Serviteur et Son Messager ! Qu’Allah lui accorde Son Salut et ses Prières, ainsi qu'à ses proches, et tous ses Compagnons !

 

Voici la retranscription d’un cours magistral que le Pr D. Sâlih ibn ‘Abd el ‘Azîz e-Sîndî a donné dans le cadre du commentaire de l’ouvrage classique ‘aqîda e-salaf wa ashâb el hadîth de l’érudit Sâbûnî. Il s’agit plus précisément d’un extrait de la leçon n° 23 en date du 9 safar 1441 h qui démêle la problématique sur l’existence du mal attribué à Dieu. Le Sheïkh – que Dieu le garde – nous dit donc :

 

… Ce thème nous entraine vers l’étude d’un autre sujet non moins important. Il incombe, selon moi, à tous les étudiants en sciences religieuses et les prédicateurs de s’y pencher sérieusement, car il soulève une problématique que les détracteurs de la religion brandissent dans le but de déstabiliser les croyants. Baptisée sous le nom de « problème du mal », il est plus raisonnable, à mes yeux, de percer l’abcès en mettant à nu ne serait-ce que ses grandes lignes. J’ai conscience, en effet, qu’il déstabilise de façon récurrente nombre d’étudiants qui appréhendent mal ses enjeux. Ce chapitre ô combien sensible les rend perplexes. Nous ne devons pas prendre la chose à la légère, car de fil en aiguille, nous nous retrouvons avec une multitude d’individus qui, hantés par le doute, vacillent, voire abjurent leur foi, qu’Allah nous préserve ! Un examen exhaustif des arguments des athées nous amène au constat sans appel qu’ils misent constamment sur cette carte dans leurs débats qui les opposent aux croyants. Ils tiennent là une arme redoutable qui leur accorde souvent un ascendant face à des ignorants. D’aucun en conclut qu’ils en font même leur cheval de bataille à même d’ébranler des âmes faibles dans la mesure où, souvent, celles-ci n’ont pas le bagage scientifique pour les immuniser contre ces frappes chirurgicales. L’étudiant à donc le devoir de renforcer ses défenses afin de repousser avec triomphe ces incursions incessantes.

 

Les athéistes cherchent, en un mot, à démontrer que Dieu (I) n’existe pas à cause de la présence du mal. Ils partent du principe que le « mal » s’oppose avec la conception d’un Dieu Omniscient, Omnipotent, et Bon. Grossièrement, ce dernier serait, selon ce point de vue, dans l’incapacité d’empêcher le mal. Ils en concluent qu’il est logiquement impossible que Dieu et le mal coexistent.

En réponse à cette problématique, nous disons que celle-ci mériterait de longs développements desquels découle une variété de sous-thèmes. Il faudrait plusieurs séances pour tous les élucider, mais nous nous contenterons ici de mettre le doigt sur les grandes lignes qui les sous-tendent afin d’en extraire des principes qui serviront de réfutation aux athéistes. J’ai l’espoir, par la Grâce de Dieu, que cette modeste contribution ramène à la raison ces jeunes insouciants qui ont été mis en danger par leur propre curiosité et qui ont, malheureusement, exposé leur foi à des périls, éventuellement, incurables, qu’Allah nous préserve ! nous disons donc :

 

1°) Nous sommes d’accord avec l’idée que le mal existe, mais nous ne concédons pas qu’il soit nuisible en tout point. Les malheurs en tout genre qui touchent les hommes revêtent des biens considérables. En cela, il ne faut pas envisager le mal en lui-même, mais sous l’angle des intérêts innombrables qui en résultent. Le Très-Haut crée effectivement le mal, mais non pour lui-même, mais pour les avantages qu’il rapporte. Le cas échéant, ce n’est plus un mal absolu, mais, en toute logique, un mal pour un bien. Certes, le mal existe, sauf qu’en regard des bienfaits qu’il engendre, ce n’est plus un mal. Par exemple, l’eau, qui provoque des tempêtes et des intempéries, sert, entre autres, à la navigation des navires et à l’hydratation du corps. Les biens offerts par l’eau sont, et de loin, prépondérants au mal qu’il occasionne éventuellement. Les services incommensurables que le feu rend aux êtres humains font oublier, comparativement, le danger terrible qu’il fait planer sur eux. Ainsi, on tire bien plus profit de ces éléments qui contiennent une part de mal. Par rapport à cela, leur place dans la création est justifiée, et, à fortiori, elle n’est pas incompatible avec l’existence du Tout-Puissant.

 

2°) Le mal n’est qu’une composante de l’existence qui s’inscrit dans un ensemble plus vaste. Il est mal approprié de l’envisager à travers une vision étroite et biaisée. Il convient plutôt de l’appréhender sous un prisme plus étendu. Le regard s’attarde éventuellement sur le défaut d’un tableau d’une grande beauté, alors qu’il est plus pertinent, pour se forger une opinion, d’avoir une vue d’ensemble. Il en est de même pour le mal qui gâche en apparence le tableau de la création et qu’il incombe de relativiser en le replaçant dans un contexte plus large. C’est grâce à la maladie, la pauvreté et au labeur éprouvant qu’on apprécie respectivement la santé, la richesse et la réussite. Sans cet antagonisme, plus rien n’aurait aucune saveur, et la vie serait monotone et ennuyeuse. Le contraste entre deux choses opposées met en lumière leur valeur respective. On reconnait la préciosité d’un trait droit en ayant à l’esprit les traits mal dessinés, sinon, il passerait complètement inaperçu. Bref, pour reprendre les termes de certains savants, les épreuves qui traversent la vie d’un homme sont nécessaires pour lui faire ressentir la beauté du monde. Les plus beaux palais renferment des toilettes aux odeurs nauséabondes, et si elles venaient à manquer à leur architecture, on considérerait cela comme un défaut de fabrication. Les malheurs ont la même fonction dans le décor de l’univers. Il incombe donc de les replacer dans un contexte plus large afin de mieux comprendre leur utilité. 

 

3°) Le mal n’aurait aucune utilité dans l’ordre des choses, ou, pour reprendre une expression chère aux athéistes, il serait gratuit dans le sens où il ne concéderait aucun intérêt palpable. Ces mêmes athéistes admettent aisément que de nombreux maux sont bénéfiques à l’existence, sauf que cela ne change en rien à leur raisonnement qui attribue à certaines calamités un caractère purement gratuit.

En réponse, nous disons qu’ils ne font qu’exposer là le point de vue humain qui, par définition, est parcellaire, et par conséquent, n’a pas tous les éléments en mains pour prétendre à une vision objective et globale. De ce fait, il est prétention d’avancer qu’il y aurait des maux gratuits dans la mesure où il manque à notre connaissance certains paramètres dans cette équation qui touchent au présent, mais aussi à l’avenir. Ces paramètres, de notre point de vue, sont donc invisibles, puisqu’il est impossible, matériellement, d’acquérir la science infuse. À défaut d’englober tous les tenants et les aboutissants dont nous avons besoin pour déchiffrer tous les mécanismes en action dans l’Univers, notre vision sera forcément lacunaire.

 

Par exemple, si des témoins assistent à la même scène où deux hommes munis d’une scie s’en prennent à un enfant pour lui couper un membre. Est-il légitime d’en conclure formellement d’un premier abord que ces deux derniers sont malintentionnés ou bien vaut-il mieux attendre d’avoir en mains plus d’éclaircissement avant de prononcer un jugement sur cette affaire pour éviter de se tromper ? Il pourrait aussi bien s’agir d’un médecin et d’un père ayant le souci de mettre fin à la gangrène dont l’enfant en question aurait été touché. En l’occurrence, la véritable pitié réclame-t-elle de couper le membre malade ou bien de le laisser pourrir et d’affecter par-là même le reste du corps ?

 

Ainsi, pour porter un jugement objectif sur la place du mal dans l’ordre des choses, il incombe d’avoir en main tous les éléments appropriés, ce qui fait cruellement défaut tant aux athéistes qu’à nous autres croyants. En tout état de cause, prétendre qu’il puisse y avoir un mal gratuit est une pure allégation gratuite !

 

4°) Nous posons la question à celui qui utilise le « problème du mal » pour remettre en question l’existence de Dieu : est-il concevable qu’un bien découle du mal ? S’il répond oui sauf que sa connaissance nous échappe, nous répondons que l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence. Et là, son argument s’écroule à la base, car toute preuve qui admet plusieurs hypothèses devient aléatoire, et perd donc, sa qualité de « preuve », dans la mesure où, sans indice probant, certaines de ses hypothèses n’ont pas plus d’autorité que les autres. Celles-ci se neutralisent logiquement.

 

En revanche, s’il répond qu’il est inconcevable qu’un bien découle du mal, nous lui répondons qu’il est de mauvaise foi, car ni lui ni personne n’est en mesure de démontrer rationnellement que ce cas de figure est inconcevable. Nos adversaires idéologiques se retrouvent ainsi dans une impasse.

 

5°) Admettons que le mal soit incompatible avec l’existence de Dieu, alors qu’en est-il du bien ? N’est-il pas la preuve de son existence (puisque le mal serait la preuve de son inexistence) ? Or, lequel des deux est-il prépondérant ? Nous sommes d’accord vous et nous que le bien représente la normalité, et que le mal est accidentel. Sans concéder ce point, il ne sert à rien d’aller plus loin dans le débat, étant donné que ce serait de la pure mauvaise foi. Dites-moi simplement qui entre la santé et la maladie prédomine ? Bien sûr, vous répondrez la santé. Hé bien, si la maladie témoigne de l’inexistence de Dieu, alors que dire de la santé qui témoigne de son existence, et, qui plus est, représente la normalité ! Un même malade ne se plaint pas de symptômes dans tout le corps, qui, rappelons-le, est composé de milliards de cellules. Il y a forcément des parties saines qui, dans une harmonie parfaite, continue à veiller à la vitalité du corps, ce qui en soit est un bien. Bien que tous les éléments de l’organisme soient liés, les troubles de la vue, par exemple, n’empêchent nullement les autres organes tels que le cœur, les intestins, le foie, les reins, les poumons, etc. de fonctionner normalement ou suffisamment pour maintenir la santé. Les membres, également, tels que les mains et les pieds ne souffrent d’aucune anomalie handicapante. En termes de pourcentage, il est sûr que la balance penche du côté du bien. Les athées sont confrontés à une problématique insoluble. Eux, qui, au départ, cherchaient à embarrasser les croyants avec le « problème du mal », se tirent une balle dans le pied, étant donné qu’ils doivent se coltiner désormais « le problème du bien » qui constitue un obstacle bien plus ardu. Hé pourtant, nous leur concédons aisément leur postulat de départ à des fins purement polémiques.

 

6°) En réalité, le « problème du mal » s’intéresse au chapitre des Noms et Attributs divins, non à l’existence de Dieu (U). Les athées remettent en cause son existence à cause de la présence du mal, et notre posture consiste à les réfuter par condescendance, en leur présentant des arguments purement polémiques, non que nous adhérions à leur postulat de départ. Nos concessions sont tactiques. Celles-ci ont pour vocation de placer l’adversaire face à ses contradictions et de lui faire admettre la vérité. Admettons, donc, que le mal soit incompatible avec l’existence de Dieu, selon leur point de vue, alors pourquoi ne pas inverser la problématique ? La présence du bien témoigne tout autant de la présence d’un Dieu qui ne désire pas enlever le mal pour des raisons qui siéent à Sa Volonté. On pourrait rétorquer que cette hypothèse s’oppose avec l’idée d’un Dieu bon. Ce à quoi nous répondons : hé bien, soit qu’il en soit ainsi ! Supposons que nous ayons à faire à un Dieu injuste, l’essentiel est avant tout de reconnaitre Son Existence, et seulement ensuite, nous discuterons éventuellement de ce point. Bien sûr, de notre point de vue, Dieu est Juste, et Il est exalté, du haut de Sa Magnificence, de toute injustice !

 

Par conséquent, le « problème du mal » s’intéresse au chapitre des Noms et Attributs divins, non à l’existence du Seigneur des cieux et de la terre. Le tout est de savoir si cet Être suprême est Juste ou non, en sachant que ce point relève du chapitre des Noms et Attributs divins. D’accord, selon cette théorie, Dieu est injuste ; l’essentiel est de reconnaitre son existence. Ce simple aveu clôt le débat. Une fois que l’adversaire reconnait l’existence de Dieu, on peut discuter de la pertinence de son argument assimilant le mal à de l’injustice. Nous lui répondons qu’au contraire, l’existence du mal signe la preuve de la justice divine revêtant une sagesse immense. Nous sommes loin de ce stéréotype qui associe le mal à de l’injustice.

 

À suivre…

                     

Traduit par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

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14 septembre 2019 6 14 /09 /septembre /2019 18:15

Le tawassul ou l’intercession indirecte

 3/3

 

[Les mesures préventives contre le paganisme]

 

Et ils ont raison. D’après el Bukhârî et Muslim, en effet, le Prophète (r) a dit : « Ne jurez que par Dieu. »[1] ; « Qui veut jurer, qu’il le fasse par Dieu ou qu’il se taise. »[2]

 

Nous trouvons également dans les recueils e-sunan : « Qui jure par un autre qu’Allah est coupable d’association. »[3] Ibn Mas’ûd et ibn ‘Abbâs sont les auteurs de cette maxime éloquente : « Je préfère mieux jurer par Dieu pour appuyer un mensonge que de jurer par un autre pour appuyer la vérité ! »[4] Il vaut mieux commettre un péché, aussi grand soit-il, tel que le mensonge que d’être coupable d’association. Cet adage va dans le sens de l’avis le plus vraisemblable des légistes selon lequel l’injonction prophétique défendant de jurer par un autre qu’Allah a valeur d’interdiction passible d’un péché. Autrement dit, le Prophète ne s’est pas contenté de déconseiller de le faire par scrupule religieux. La plupart des érudits sont d’accord avec cette idée, et les scribes relèvent les deux avis chez Ahmed et Shafi’î.

 

Ainsi, une interdiction qui atteint un tel niveau de gravité englobe sans distinction toutes les créatures, sans faire exception aux hommes de la Révélation. Il est improbable qu’on puisse les associer à Dieu d’une manière ou d’une autre : [Allah ne vous demande pas non plus d’ériger les anges et les prophètes au rang de seigneurs vénérés, car, pensez-vous qu’Il vous ramène à l’impiété une fois que vous ayez humblement goûté à la foi ?][5] ; [Dis-leur : invoquez ceux à qui vous adressez le culte en dehors d’Allah, ces faux dieux incapables de vous débarrasser du malheur ou de vous en écarter • Vous leur réservez des prières, alors qu’eux-mêmes rivalisent d’ardeurs par dévotion envers Leur Seigneur en quête de Sa Miséricorde, le plus loin possible de Son châtiment que vous feriez bien de redouter].[6]

 

En exégèse à ce dernier Verset, plus d’un ancien signale qu’Allah fit cette révélation en réfutation à un groupe d’individus qui invoquaient les anges et les prophètes. Alors que ceux-là même qui font l’objet de leur culte sont en quête du moyen les rapprochant le plus de Leur Seigneur le cœur vacillant entre la crainte et l’espoir. Une telle pratique est donc interdite.

 

Un jour, le Prophète (r) entendit de la bouche de quelqu’un : « S’il plait à Dieu, et s’il plait à toi !

  • M’aurais-tu érigé au rang d’égal à Dieu, rétorqua-t-il aussitôt ? Contentes-toi de dire : s’il plait à Dieu ! »[7]

Une autre fois, il fit la déclaration à ses Compagnons dont les propos l’importunaient à répétition : « Ne dites plus : qu’il plaise à Dieu, et qu’il plaise à Mohammed, mais dites désormais : qu’il plaise à Dieu, puis qu’il plaise à Mohammed ! »[8]

 

Il répugna avec intransigeance qu’on associe son nom à Dieu dans une simple phrase, alors à fortiori pour quelque chose de plus grave. Il n’allait surtout pas contrevenir à l’injonction coranique : [Vous les gens du Livre, venez et mettons-nous d’accord sur une juste parole qui est commune à tous ; à savoir de n’adorer qu’Allah seul sans rien Lui associer, et de ne pas nous prendre parmi les uns et les autres des seigneurs vénérés à la place d’Allah. Et s’ils s’y refusent, dites-leur : alors, soyez témoins que nous Lui sommes entièrement soumis].[9] 

 

Une autre fois, il réprimanda un bédouin qui avait prononcé à l’occasion d’un sermon en parlant d’Allah et de Son Messager : « Leur désobéissance voue au dévoiement.

  • Quel mauvais sermonneur fais-tu là, s’exaspéra-t-il, contente-toi de dire : la désobéissance à Allah et à Son Messager voue au dévoiement. »[10]

Pourtant, il aurait lui-même usé de l’expression : « Leur désobéissance… » Il ne voyait pas d’inconvénient dans l’absolu à ce qu’on associe son obéissance à celle d’Allah en tant que Messager et serviteur de ce dernier, mais il tenait simplement à lever l’amalgame qui pourrait en découler et qui viserait à l’assimiler à un rival du Tout-Puissant, ou à le mettre sur le même pied d’égalité, comme le laisse entendre l’expression : « qu’il plaise à Dieu, et qu’il plaise à Mohammed »

 

Par ailleurs, un hadîth dévoile qu’il empêcha à Mu’âdh de se prosterner à ses pieds : « Le ferais-tu devant ma tombe qui se trouverait sur ton chemin, justifia-t-il ?

  • Non.
  • Alors, ne le fais pas devant moi, car seul Allah est digne que l’on se prosterne devant Lui. »[11]

 

Un autre texte authentique nous apprend qu’il condamna un cérémonial en vogue chez les romains, le jour où, affaibli par la maladie, il fut amené à présider la prière assis alors que les fidèles se tenaient debout derrière lui : « Ne m’honorez pas à outrance à la manière des étrangers qui obéissent à leur civilité. »[12] Alors que cette position intégrait la prière rituelle, ils n’avaient pas le droit de rester debout juste pour éviter d’imiter les impies. 

 

Dans ce registre, nous avons sa supplication : « Ô Allah, que ma tombe ne serve jamais de mausolée sur lequel le culte est rendu. »[13] D’après el Bukhârî et Muslim, un autre hadîth nous enseigne : « Allah maudit les Juifs et les chrétiens qui érigèrent des lieux de culte sur les sépulcres de leurs prophètes. »[14] En commentaire à cette narration, ‘Âisha explique : « Pour éviter cela, on prit soin de ne pas surélever sa tombe de crainte qu’elle ne devienne un lieu de culte. »

 

L’Élu préconise également : « Ne faites pas de ma demeure un lieu de cérémonie, mais, consacrez-moi plutôt des prières qui me parviennent d’où que vous soyez. »[15]

Mais encore : « Ne m’encensez pas à outrance à la manière des chrétiens envers Jésus fils de Marie. Je ne suis qu’un serviteur, alors considérez-moi comme tel, soit comme le serviteur et le Messager d’Allah. »[16]

 

Cet échantillon de textes, que nous avons sélectionnés au milieu de tant d’autres, met en lumière la ferme volonté du Prophète d’éradiquer le paganisme, et tout encensement excessif dont il ferait éventuellement l’objet, à travers des mesures de prévention telles que l’interdiction de transformer sa tombe en mosquée. Cette campagne de sensibilisation vise également à corriger le langage de ses Compagnons qui n’ont désormais plus le droit d’associer sa volonté à celle de Dieu. La décision de l’enterrer à l’intérieur de sa maison, et d’aplanir sa tombe nait de cette précaution. Il devient clair que jurer au nom d’une créature relève de l’association condamnable, et Mohammed ne fait pas exception à la règle. La grande majorité des savants prohibent une telle pratique, et, par rapport à cela, invalident les serments et ses effets (l’expiation).

 

Consacrer des prières au Prophète au moment d’immoler une bête

 

Les savants ne sont pas unanimes sur la légitimité de consacrer des prières au Prophète à l’occasion de l’immolation. Mâlik, Ahmed, et autre, le désapprouvent pour éviter d’associer un autre nom à celui d’Allah lors de ce rite, et, de ce fait, de vouer son offrande, ne serait-ce que dans la forme, à un être créé. Shâfi’î, pour sa part, mais aussi Ishâq ibn Shâqilâ de l’école hanbalite n’y voient pas d’inconvénient étant donné que les prières consacrées au Prophète sont un acte de foi. Celles-ci se distinguent ainsi du serment noué en son nom qui ne relève pas de ce domaine. Par ailleurs, le sermon noué au nom de n’importe quelle autre créature est assimilé à de l’association qui, sous une forme ou sous une autre, est sévèrement interdite en Islam.

 

Il est inadmissible de partager avec un simple mortel qui qu’il soit les actes de culte décernés, en principe, exclusivement à l’Éternel, à l’exemple des rituels, des vœux, des aumônes, de la confiance, de la peur, de la crainte révérencielle, de la dévotion, des espoirs, des attentes, du secours, etc. Ainsi, tout serment noué au nom du Prophète est nul et non avenu, au même titre que ses effets, en raison de son caractère prohibé. Or, il est plus grave de jurer en son nom, ou au nom de n’importe qui d’autre, en vue de gagner les faveurs du Très-Haut, et, à fortiori, de procéder au tawassul en s’appuyant sur la personne des anges, des prophètes, des vertueux, etc.

 

En outre, Mohammed (r) constitue le plus grand moyen dans l’absolu d’accéder aux Grâces divines. Il suffit de croire à sa prophétie qui s’élève au premier rang des moyens d’intercession à même de gagner ces fameuses Grâces. Il s’agit de croire aux informations émanant de la Révélation qu’il a reçue du ciel, de se soumettre à ses Lois, d’aimer ses élus, d’haïr ses ennemis, d’adhérer à ses Commandements, de bannir Ses interdits, d’éprouver à son égard amour et contentement avec plus de zèle qu’envers sa propre famille et sa richesse. Elle est là la véritable médiation qui nous fut dictée par Dieu à travers Sa Parole : [Vous qui avez embrassé la foi, craignez Dieu, en déployant tous les moyens d’accéder à Son Contentement, investissez-vous dans Son sentier, et vous gagnerez la félicité].[17] 

 

Les « moyens » en  question représentent un intermédiaire, une intercession indirecte en vue d’atteindre un but, le contentement d’Allah. Ils se matérialisent par un acte de foi à l’adresse du Messager en croyant en ses informations, et en obéissant à ses commandements. C’est le seul moyen légal à même de solliciter l’attention d’Allah. En même temps, il n’est pas interdit de bénéficier des invocations éventuelles de l’Élu et de son intercession. C’est le seul cas de figure où le tawassul faisant intervenir le Prophète est admissible.

 

L’intercession prophétique n’a aucun effet sans concrétiser l’un des deux éléments cité ci-dessus : la fidélité à ses enseignements ou ses invocations effectives. Il y a donc une action venant soit de l’intéressé soit du Prophète. En dehors de cela, la personne du Prophète n’est d’aucune utilité pour l’individu, malgré le statut incommensurable dont il jouit auprès du Seigneur de l’Univers. Il est tout simplement, par la Grâce d’Allah, la meilleure créature n’ayant jamais existé. Il n’y a d’autre façon de tirer profit de cette faveur accordée par le Tout-Puissant que de croire en lui ou de profiter de ses prières.

 

Rien ne sert donc de l’invoquer directement ou de jurer par son nom. Déjà, l’invocation s’érige aux premiers rangs des œuvres pies.[18] De plus, il n’existe aucun texte prophétique prescrivant l’autorisation de jurer par un prophète ou un vertueux en vue d’obtenir les Faveurs d’Allah. Qui prétend le contraire en accordant un caractère obligatoire ou recommandé à une telle pratique, ne s’appuie malheureusement sur aucune preuve textuelle. Ses conjectures n’ont aucune autorité en regard de la Loi divine.

 

Dans ses conditions, l’auteur d’une telle pratique se trompe forcément. Il est possible d’accorder des circonstances atténuantes à son erreur, à condition qu’elle soit mue par un effort d’interprétation (ijtihad) ou un suivisme légal (taqlîd) qui le dédouane de toute responsabilité devant Dieu.

                           

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

[1] Rapporté sous cet énoncé par Abû Dâwûd (n° 3248) ; voici l’énoncé d’el Bukhârî (n° 3624), et Muslim (n° 1646) : « Qui veut jurer, qu’il le fasse par Dieu. »

[2] Rapporté par el Bukhârî (n° 2533), et Muslim (n° 1646).

[3] Rapporté par Abû Dâwûd (n° 3251), et Tirmidhî (n° 1535).

[4] Rapporté par ‘Abd e-Razzâq dans el musannif (n° 15929), selon ibn Mas’ûd.

[5] La famille d’Imrân ; 80

[6] L’ascension nocturne ; 56-57

[7] Rapporté par Ahmed dans el musnad (1/213, 224, 283, et 347).

[8] Rapporté par Ahmed dans el musnad (5/393).

[9] La famille d’Imrân ; 64

[10] Rapporté par Muslim (n° 870).

[11] Rapporté par Abû Dâwûd (n° 2140).

[12] Rapporté par Abû Dâwûd avec des termes voisins (n° 602, 5230), mais aussi Ahmed dans el musnad (2/253-256).

[13] Rapporté par Ahmed dans el musnad (2/246).

[14] Rapporté par el Bukhârî (n° 1330), et Muslim (n° 529), selon ‘Âisha.

[15] Rapporté par Abû Dâwûd (n° 2041) avec « ma tombe » au lieu de « ma demeure » qui est une autre version rapportée par Tabarânî dans el awsat (n° 8026).

[16] Rapporté par el Bukhârî (n° 3261).

[17] Le repas céleste ; 35

[18] Selon un hadîth controversé, le Prophète (r) aurait dit : « L’invocation est l’essence de l’adoration. » Selon une autre version qui elle est authentique : « L’adoration se résume dans l’invocation. »

[Rapporté par Abû Dâwûd (n° 1479), e-Tirmidhî (2969), ibn Mâja (n° 3828), selon e-Nu’mân ibn Bashîr (t) ; après l’avoir cité, e-Tirmidhî a fait le commentaire suivant : « Ce hadîth est bon et authentique. »]

Les termes du’â et da’wa (prière, invocation) renvoient dans le Coran à deux situations : l’invocation indirecte qui se traduit par les actes d’adoration (du’â el ‘ibâda), et l’invocation directe qui consiste à demander directement à Dieu (du’â el mas-ala).

Voir : majmû’ el fatâwâ (10/236-336).

 

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13 septembre 2019 5 13 /09 /septembre /2019 16:56

Le tawassul ou l’intercession indirecte

 2/3

 

Ainsi, à l’époque de la Révélation, il ne s’agissait pas de jurer par le Prophète pour influencer la décision d’Allah ou de justifier son intercession par sa simple personne sans passer par ses invocations. Sinon, il aurait été inutile de solliciter les prières de son oncle après sa mort. Il aurait suffit de continuer le procédé consistant à approcher le Très-Haut grâce à la simple évocation de son nom. C’est la preuve si l’en est que l’intercession indirecte (tawassul) s’acquiert grâce aux invocations d’un tiers. Nous avons vu précédemment que les textes scripturaires recensés par les recueils de hadîth authentiques corroborent ce procédé.

 

D’après le recueil d’el Bukhârî, ibn ‘Omar confie que le visage du Bien-aimé implorant la pluie lui inspirait le vers imputé à Abû Tâlib :

 

Cette candeur généreuse qui provoque la pluie

Prend soin de l’orphelin et protège la veuve[1]

 

Aucun musulman n’a jamais dit que pour gagner les faveurs d’Allah, les Compagnons juraient par le Prophète de son vivant ou qu’ils évoquaient sa personne en guise d’intercession.

 

Nous avons démontré ailleurs que même le hadîth de l’aveugle (qui fut rapporté par Ahmed, Nasâî, ibn Mâjah, Tirmidhî, et autre), ayant été décortiqué mot à mot par nos soins, démontre explicitement que l’individu en question sollicita les prières du Messager (r).

 

Selon ‘Uthmân ibn Hanîf, un aveugle se présenta auprès du Prophète pour lui exposer sa requête : « Implore Dieu pour moi afin qu'il me rende la vue !

  • Si tu le désires, suggéra-t-il avec grande commisération, j’adresserai des prières en ta faveur, mais il vaut mieux pour toi que je les reporte (ou selon une version : il vaut mieux pour toi de prendre ton mal en patience, ndt.).
  • Je préfère que tu implores pour moi. »

 

Il lui prescrivit de se purifier avec soin pour ensuite accomplir une prière bipartite au cours de laquelle il prononcerait la formule : « Ô Allah, Je t’implore et m'oriente vers Toi, par l'intermédiaire de Ton serviteur, le Prophète de la miséricorde ! Toi Mohamed, Je m'oriente vers le Seigneur par ton entremise afin qu'Il exhausse mes vœux ! Ô Allah, fais-le intercéder en ma faveur (et selon une version chez Ahmed et el Baïhaqî : et fais-moi intercéder en la sienne) ! » Il observa ces prescriptions à la lettre, et fut guéri.[2]

 

Le début du texte souligne que cet homme atteint de cécité pria l’Élu d’implorer Allah de lui rendre la vue. Sa demande d’invocation fut donc directement adressée au Prophète qui lui recommanda en retour de faire ses ablutions et deux unités de prière dans laquelle il emploierait la formule ci-dessus. Celle-ci fut renforcée par l’invocation du Prophète (r) qui se plia à la volonté de son interlocuteur, qui doit donc sa guérison à cette double action.

 

Dans ce registre, nous avons l’histoire de Rabî’a ibn Ka’b el Aslamî qui raconte : j’ai passé la nuit avec le Messager d’Allah (r) au service de qui je me suis mis en lui apportant notamment son récipient pour ses ablutions : « Demande-moi ce que tu veux, s’exclama-t-il pour me récompenser ! 

  • Fais juste en sorte que je sois en ta compagnie au Paradis, m’empressai-je de répondre en y voyant là une occasion inespérée.
  • Est-ce réellement ce que tu veux ?
  • Je ne désire rien d’autre.
  • Alors, facilite-moi la tâche en veillant à te prosterner le plus souvent possible. »[3]

 

Ainsi, l’intercession du Messager d’Allah (r) en faveur d’un tiers est éventuellement soumise à des conditions, comme elle peut être parasité par un empêchement quelconque (ex. : ses prières en faveur des hypocrites décédés). Rien n’est plus efficace ou presque, pour arriver à ses fins, que de passer par les invocations prophétiques, qui, malgré tout, comme tout moyen, sont potentiellement tributaires de conditions à remplir et d’empêchements à évacuer.  

 

Par exemple, Ibrâhîm n’obtint pas satisfaction le jour où il pria en faveur de son défunt père. De plus, le saint Coran prévint le Prophète (r) qu’il était vain d’intercéder en faveur des hypocrites ayant rejoint l’autre monde : [Tu as beau implorer le pardon en faveur de ces gens-là, Allah ne le leur accordera jamais, car, sur le droit chemin, Il n’allait surtout pas guider les pervers][4] ; [Tu as beau implorer le pardon en faveur de ces gens-là, Allah ne le leur accordera jamais, quand bien même tu t’y emploierais à soixante dix reprises, car, ces gens-là ont renié Dieu et Son Messager, et sur le droit chemin, Allah n’allait surtout pas guider les pervers][5] ; [Ne t’avise pas de célébrer la prière mortuaire sur la dépouille de l’un d’entre eux, et ne te recueille pas devant sa tombe, car ces gens-là ont renié Dieu et Son Messager, et sont demeurés pervers jusqu’à leur dernier souffle].[6] 

 

Les Amis d’Allah, Mohammed et Ibrâhîm, les deux meilleurs êtres que n’a jamais contenu la terre, concède une place énorme auprès de Leur Seigneur qui accorde à leurs prières une attention particulière. Le Très-Haut ne les a pas exaucées pour autant, étant donné que celles-ci ont été confrontées à un obstacle de taille ; l’état de mécréance de ceux à qui elles étaient destinées : [Allah ne transige pas avec l’association, mais, en dehors de cela, Il pardonne à qui Il veut].[7]  Les portes du Paradis sont fermées à jamais pour les hypocrites et les infidèles, et l’intercession de ces deux hommes ne peut rien y changer, aussi honorables soient-ils. Ce refus catégorique ne remet nullement en question le haut rang qu’ils bénéficient.

 

Dans ce registre, nous avons le propos authentique selon lequel l’Élu confie : « Mon Seigneur m’a refusé la permission d’implorer Son pardon en faveur de ma défunte mère, mais il m’a donné l’autorisation, à la suite de ma demande, de visiter sa tombe. »[8]

 

Une injonction coranique est formelle sur l’interdiction de prier en faveur de la dépouille d’un mécréant : [Il n’appartient ni au Prophète ni aux croyants d’implorer le pardon en faveur des païens, fussent-ils leurs proches, une fois qu’ils aient acquis la certitude que ceux-ci seront jeté au milieu des damnés des abîmes infernales].[9] Le Patriarche, lui, il avait une excuse pour le faire : [Ibrahim implora certes le pardon pour son père, il lui en avait fait la promesse, mais dès qu’il acquit la certitude qu’il s’érigea pour toujours en ennemi juré de Dieu, il prit ses distances avec lui, car, bien que magnanime, il était profondément dévoué à Son Seigneur].[10]

 

Nous venons de voir que le Messager (r) recommanda à  Rabî’a, qui avait levé la barre très haute, d’apporter sa contribution afin de réaliser son vœu en multipliant les actes d’adoration, les prosternations en l’occurrence. Le pouvoir de la prière rituelle seule étant insuffisant ici. C’est exactement ce qu’il a fait avec l’aveugle en lui demandant d’associer deux unités de prière à son invocation dans laquelle il solliciterait la faveur du Seigneur en s’appuyant sur l’intercession et la prière de Son bien-aimé. La fin du hadîth est très révélatrice à ce propos : « Ô Allah, fais-le intercéder en ma faveur, s’exclama-t-il. » Autrement dit, fais-le intercéder en ma faveur grâce à son action, non simplement grâce à sa personne ou à son rang.

 

Ainsi, le tawassul légal nous est dévoilé par l’usage des Compagnons qui sollicitaient les faveurs du Très-Haut par l’entremise de Son Prophète, dans le sens où il y avait son intervention en proposant ses invocations et son intercession. Malheureusement, cette subtilité échappa à certains qui pensèrent à tord que l’entremise du Prophète à l’occasion du sermon ou du tawassul faisait allusion à sa simple personne, non à son invocation. C’est réellement se méprendre sur l’usage des Compagnons.

 

Qu’en est-il de l’avis des savants ?

 

L’auteur de la question s’inspire de plusieurs citations imputées notamment à Abû Hanîfa et à son élève Abû Yûsaf stipulant l’interdiction de procéder au tawassul par le biais des personnes. Ibn ‘Abd e-Salâm – qu’Allah ait son âme – s’accorde en substance sur ce principe, sauf qu’il fait exception au Messager en s’appuyant sur l’histoire de l’aveugle sous caution qu’elle soit authentique.[11] Non seulement elle l’est effectivement, mais, apparemment, il ne l’avait pas à l’esprit dans son intégralité au moment d’émettre son avis. Sinon, il aurait vu, qu’en réalité, celle-ci ne va pas à l’encontre de la première partie de sa fatwa, comme elle ne corrobore pas la problématique qui lui fut soulevée dans la question. Alors oui, le propos prophétique n’est pas apocryphe, mais non, il ne touche pas à la question problématique qui nous intéresse ici.

 

Enfin, l’auteur de la question cite un passage d’el Qushaïrî qui, je l’ai démontré ailleurs, ne tranche pas formellement sur la chose. Dans son fameux ouvrage mansak el Imâm Ahmed, el Marrûzî retranscrit l’avis de son maitre, ibn Hanbal, selon lequel les salutations destinées au Prophète (r) à l’occasion d’une invocation expriment un tawassul opéré par le biais de sa personne. Or, ce même Marrûzî cite des grandes sommités, à l’exemple d’Abû Hanîfa, qui disent le contraire. Il rapporte également une narration de ‘Uthmân ibn Hanîf selon laquelle il recommanda à un homme, à une époque où l’Élu ne faisait plus partie de ce monde, de réciter la formule de l’aveugle, à l’exception du passage : « Ô Allah, fais-le intercéder en ma faveur ».

 

J’ai, par le passé, proposé une enquête détaillée sur l’authenticité de cet ajout en procédant à l’analyse technique de sa chaine narrative.[12] J’ai démontré que même dans l’hypothèse où elle n’était pas viciée, elle s’inscrit à contre-courant de la pratique du second Khalife qui eut lieu en présence d’un grand nombre de Compagnons. Au mieux, ce point est sujet à divergence, et, auquel cas, seuls les textes du Coran et de la sunna font autorité pour trancher. En outre, el Marrûzî ramène une fatwa imputée à l’Imâm Ahmed – qu’Allah accepte son œuvre – qui tolère le serment prononcé au nom du Messager (r). C’est pourquoi, il impose une expiation en cas de parjure, au même titre que n’importe quel serment. Il est donc, selon ce raisonnement, aussi légitime de jurer par Mohammed pour gagner les faveurs d’Allah que d’évoquer sa personne en guise d’intercession. Or, cette opinion est contestée par la plupart des grandes références de la religion qui retiennent l’autre avis du fondateur éponyme de l’école hanbalite, interdisant formellement de jurer par n’importe laquelle des créatures, même le Prophète. Ainsi, partant du principe que ce serment est illégitime, aucune expiation n’est prévue en cas de parjure.

Cette fatwa marginale, qui s’inscrit à contre courant de l’avis majoritaire, fut adoptée par un camp au sein de l’école hanbalite, à l’instar du Qâdhî Abû Ya’lâ, Abû Ja’far, le doyen hachémite de la branche iraquienne, ibn ‘Aqîl, etc. La plupart de ces derniers émettent toutefois la restriction que cette loi est spécifique à l’Apôtre de Dieu sur lequel repose le second pilier de l’attestation de foi. Loin de leur concéder ce point, ibn ‘Aqîl autorise indistinctement à jurer par n’importe lequel des envoyés, dans le sens où le serment est valide. Or, la grande majorité des savants, tant anciens que modernes, rejoignent l’autre position d’ibn Hanbal prohibant une telle pratique sans n’accorder aucune dérogation pour le moindre envoyé. À leurs yeux, le sermon est auquel cas nul et non avenu. Les autres représentant des écoles canoniques, Mâlik, Shâfi’î, et Abû Hanîfa, mais aussi une partie des hanbalites corroborent cette dernière tendance.

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

[1] Rapporté par el Bukhârî (n° 963).

[2] Voir :  Sahîh el jâmi’ e-saghîr  de Sheïkh Albani (n° 1279).

[3] Rapporté par Muslim (n° 489).

[4] Les hypocrites ; 6

[5] Le repentir ; 84

[6] Le repentir ; 84

[7] Les femmes ; 48, 116

[8] Rapporté par Muslim (n° 976).

[9] Le repentir ; 113

[10] Le repentir ; 114

[11] Dans son fameux recueil de fatwa, ‘Izz e-Dîn ibn ‘Abd e-Salâm émet l’avis que, je cite : « Il est interdit de procéder dans ses prières à l’intercession indirecte d’une créature quelconque à l’instar des prophètes et des vertueux, à l’exception du Messager d’Allah si l’on s’en tient à l’authenticité du texte de l’aveugle cautionnant celle-ci. »

[12] Voir : majmû’ el fatâwâ (1/268-278). Ibn Taïmiya conclut que sa chaine narrative est suspecte à plus d’un titre : elle contredit notamment d’autres narrations qui, elles, sont indiscutables. Et quand bien même elle serait authentique, selon la règle, on retient ce que le Compagnon rapporte du Prophète, non ce qu’il en comprend.

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12 septembre 2019 4 12 /09 /septembre /2019 12:43

Le tawassul ou l’intercession indirecte

 1/3

 

 Sheïkh Abû el Husaïn el Quddûrî d’obédience hanafite dans son encyclopédie du droit canonique ayant pour titre sharh el Karkhî, au chapitre des pratiques désapprouvées affirme : D’après Bishr ibn el Walîd, selon Abû Yûsaf, Abû Hanîfa – qu’Allah agrée son âme – a dit : « Allah est le seul être par lequel on appuie ses prières. Je désapprouve qu’on invoque le Seigneur par le biais des liens majestueux qui soutiennent le Trône ou par celui des créatures avec des expressions du genre : Ô Allah, je T’invoque au nom du droit qu’untel parmi les pieux, les messagers et les prophètes, concède auprès de Toi, au nom du rang élevé de la Kaaba ou des sites sacrés ! » Cette opinion fut entérinée par Abû Yûsaf qui précise malgré tout : « Le lien majestueux qui soutient le Trône n’est autre qu’Allah, donc, je ne vois aucun mal dans cette expression. »

El Quddûrî émet le commentaire suivant : « Il est donc interdit de réserver des prières par le biais de la création qui ne concède aucun droit sur le Créateur. »

 

Dans son livre ayant pour titre e-tahbîr fî ‘ilm e-tadhkîr qui porte sur l’exégèse des Noms divins,[1] Sheïkh Abû el Qâsim el Qushaïrî établit : « Le Dieu de la vérité (I) fait savoir dans le saint Coran qu’Il ne confère à la simple créature aucun nom illustre : [À Allah revient les plus beaux Noms].[2] En outre, il vaut mieux invoquer Dieu par Ses Noms que par les nôtres, sur lesquels, éphémères, nous ne pouvons reposer ; et cela, contrairement à l’Éternel qui nous a sorti du néant, et dont le soutien est beaucoup plus sûr. Donc, ne comparons pas l’incomparable.

« Qui connait réellement le Nom de Son Seigneur, oublie le sien ; qui, dans son cheminement, reste fidèle à Celui du Seigneur, se sentira familier avec lui avant même de rejoindre les jardins du Paradis, et cette puissante connaissance élève l’heureux élu dans les échelons aussi bien sur terre que dans l’autre monde. »

 

Voir : qâ’ida fî el wasîla d’ibn Taïmiya.

 

Les grandes références de la religion condamnent, à l’unanimité, à l’erreur et à l’égarement quiconque s’imagine qu’il vaut mieux consacrer une prière ou une invocation dans les mosquées érigées sur les tombes des prophètes et des vertueux que les édifices traditionnels qui rendent gloire à Dieu seul. Aux yeux de nombreux incultes, les mausolées ont pour vocation de rendre hommage à ces nobles personnages.

 

Il existe également un consensus, notamment des fondateurs éponymes des quatre écoles canoniques, qu’aucun endroit au monde n’est digne d’être embrassé ou touché, en dehors de la Pierre noire et du coin yéménite (pour ce qui est de le toucher ndt.). Il n’est pas fait exception aux tombeaux des apôtres de Dieu et des vertueux ni au Rocher du saint Temple de Jérusalem, pas plus qu’aux stations des hommes de la prophétie, à l’exemple de celle du Patriarche qui se trouve à La Mecque, etc.

 

Contrairement aux pratiques en vogue dans les rangs d’un grand nombre d’ignorants qui, à leur façon, rendent hommage à ces « symboles », à l’unanimité de la communauté, il n’existe aucun rite de ce genre que ce soit à caractère obligatoire ou simplement recommandé. Celui qui y voit un acte de piété n’est qu’un égaré hérétique marchant sur les pas des chrétiens.

 

Un autre consensus stipule que rien en regard de la Loi divine ne justifie d’invoquer un mort, voire un absent. Il n’est pas légiféré de lui soulever ses affaires, ses plaintes, de solliciter son aide contre un ennemi, d’accorder le triomphe de la religion, etc. à la manière des chrétiens qui façonnent les images de leurs saints en vue d’acquérir leur secours, de leur transmettre leurs requêtes, et de gagner leur intercession auprès de Dieu. À l’unanimité des musulmans, ces pratiques ne sont ni obligatoires ni recommandées, et quiconque croit le contraire n’est qu’un égaré hérétique.

 

En revanche, il est toléré de solliciter les prières et l’intercession du Prophète (r) de son vivant, et des pieux en général à condition qu’ils soient encore en vie, comme le voulait l’usage à l’époque des Compagnons. D’après el Bukhârî, en effet, dans son recueil e-sahîh, les années d’aridité, à l’occasion de la prière de la pluie, le Khalife ‘Omar consacrait la formule suivante : « Ô Allah, par le passé, nous sollicitions Ta Grâce par le biais des prières de Notre Prophète, et Tu nous exauçais en faisant venir la pluie ! Aujourd’hui, nous nous tournons vers son oncle afin que, par Ta Grâce, Tu nous délivres de cette calamité. »[3] Dès lors, la délivrance ne se faisait pas attendre.

 

D’après el Bukhârî et Muslim également, selon Anas ibn Malek (y), alors que la sécheresse faisait rage et que le Prophète (r) était monté sur sa chaire à l’occasion du sermon du vendredi, entré par la porte située en face de la chaire, un bédouin nomade qui s’était rapproché de l'estrade en bois, interrompit son discours : « Messager d’Allah, s’écria-t-il, nous sommes touchés par le désastre, entre nos biens qui sont ruinés, nos enfants affamés, nos bestiaux perdus, et les voies d’accès coupées et interrompues ! Alors, implore Dieu de nous donner la pluie et, par Sa Miséricorde, de nous délivrer de la sécheresse. » Aussitôt, l’Élu leva au ciel les mains si hautes que j'ai pu entrevoir ses aisselles, nota Anas, en suppliant : « Ô Allah, Délivre-nous ! Ô Allah, Délivre-nous ! Ô Allah, Délivre-nous ! » Tous les fidèles présents se mirent à lever les mains pour invoquer avec lui.

 

Par Allah, s’enthousiasma notre narrateur, ce jour-là il n’y avait pas le moindre nuage dans le ciel qui était limpide comme une vitre. Je me souviens qu’il n’y avait aucun habitat entre la Mosquée où nous étions et le monticule de Sal' situé non loin de là, et d’où se forma un nuage qui, bientôt devint aussi rond qu’un bouclier. Petit à petit, il envahit le ciel pour laisser tomber quelques gouttes. Je jure par Celui qui détient mon âme entre Ses Mains qu’il ne fallut pas longtemps avant qu’il ne pleuve des cordes de cette nuée aussi immense qu’une montagne ! À peine le Messager était-il descendu de sa chaire, que l'eau dégoulinait de sa barbe.

Certaines versions précisent qu’un vent se leva pour former d’énormes nuages d’où les eaux se déversèrent aussi abondamment qu’une outre. Une fois le sermon et la prière terminés, nous quittions les lieux avec grande peine pour rejoindre nos maisons sous une pluie battante. Les rues, devenues impraticables, s’étaient transformées en boue. L’eau coulait à flot dans les oueds, les rigoles, et les artères de la ville.

 

De lourdes trombes s’abattirent sur le sol tout le reste de la journée. Le lendemain et le surlendemain offrirent le même spectacle qui perdura jusqu’au prochain vendredi. Par Allah, le soleil resta caché toute la semaine !

 

À l’heure du sermon hebdomadaire, un bédouin, probablement le même, se leva, dans des circonstances identiques à la semaine précédente, et protesta : « Messager d’Allah, nous sommes touchés par le désastre, entre Les maisons qui sont détruites, les voies coupées, les bestiaux perdus, les voyageurs bloqués, et les biens inondés ! Alors, implore Allah de faire cesser la pluie. »

Plein de compassion, le meilleur des Hommes accueillit cette réclamation avec un large sourire. Puis, dans un élan d'humilité, il leva ses mains, et implora : « Ô Allah, envoie la pluie aux alentours, non sur nous ! Ô Allah, envoie-la sur les sommets des montagnes, les buttes, les plateaux, les gorges, les oueds, et la steppe ! » À peine fit-il signe en direction des nuages, qu'ils se dispersèrent, et s’entrouvrirent pour former un cercle en laissant un vide au milieu à la manière d’une fosse profonde. 

Dans une version, Anas précisa : J'ai vu les nuages se dissiper de part et d’autre, et se déchirer comme un vêtement pour constituer une espèce de couronne autour de Médine. La pluie se déversait désormais sur les alentours de la ville sans qu’aucun goûte ne vienne mouiller son sol. Nous sortîmes en plein soleil, émerveillés par ce miracle par lequel le Très-Haut honora son Prophète en réponse à ses invocations. Le courant alimenta l’oued de Qanat un mois durant. Chaque habitant de la région qui rendait visite à la Ville Sainte y allait de son témoignage vantant les vertus de ces précipitations abondantes.[4]

 

En outre, le Jour de la résurrection, sous la demande pressente des croyants l’Élu intercédera auprès de Son Seigneur afin de soulager la longue attente qui pèsera sur la place du rassemblement, et d’activer l’heure du grand jugement.[5] Il interviendra ensuite en faveur des grands pécheurs affiliés à sa nation, et implorera Allah de sauver de l’Enfer tout être qui décèlera dans son cœur la foi la plus infime, ne serait-ce que le poids d’une graine de blé.[6] De nombreux textes authentiques corroborent ce principe.

 

Après la mort de l’Élu (r), les Compagnons se tournèrent vers son oncle el ‘Abbâs pour obtenir de lui qu’il prie en faveur de ses concitoyens. Personne à Médine n’eut l’idée d’interpeller directement le neveu d’el ‘Abbâs une fois qu’il fut mis en tombe. Il était d’usage de solliciter son intercession tant qu’il était vivant. À compter du jour où il rejoignit l’autre monde, elle n’avait plus lieu d’être.

 

Damas, la nouvelle Capitale de l’Empire ne dérogea pas à cette usage sous l’ère de Mu’âwiya. Dans la volonté de mettre un terme au desséchement qui s’était abattu dans la région, le Khalife organisa un rassemblement des fidèles à l’extérieur de la ville. Là, il grimpa sur sa chaire qui lui fut installé pour la circonstance et demanda avec empressement : « Où est Yazîd ibn el Aswed el Jurashî ? » Quand le concerné se leva au milieu de la foule, le fils d’Abou Sofiane l’invita à se rapprocher. Après quelques enjambées entre les fidèles, il rejoignit le Commandeur des croyants qui le fit asseoir en bas de son estrade avant d’implorer : « Ô Allah, nous demandons solennellement au meilleur d'entre nous d'intercéder auprès de Toi, l'élite des vertueux, j’ai nommé Yazîd ibn el Aswed. Yazid ! Lève tes mains, et invoque Ton Seigneur. »

 

L’homme s’exécuta. La ferveur gagna la foule qui l’imita dans ses prières. Dès lors, un énorme nuage en forme de bouclier fut poussé en direction de la cité omeyade par un vent d’Ouest. Des cordes tombées du ciel se déversèrent sur la terre lézardée avec une telle abondance que les fidèles peinèrent à rejoindre leurs demeures.[7]

 

La chronique raconte également qu’un jour, Dhahhak ibn Qaïs présida la prière de la pluie devant une multitude dévorée par le remord et la contrition. Son regard se tourna vers Yazîd ibn el Aswed qu’il interpella : « Lève-toi, s’écria-t-il, toi, humble pleureur, chez qui le souvenir du Seigneur rend les yeux si fébriles ! » Ce dernier invoqua Dieu en réitérant sa formule à trois reprises. Le ciel se mit aussitôt à lâcher ses eaux en trombes, et les inondations recouvrirent bientôt une terre abimée par des mois de sécheresse.[8]

 

Les légistes établissent qu’il est recommandé de choisir, pour solliciter la pluie, un homme pieux et religieux, de la lignée hachémite de préférence, par respect envers l’usage du Calife Omar qui eut recours, pour l’occasion, à l’oncle du Prophète (r).

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

[1] Celui-ci fut publié sous le nom de : sharh Asmâ Allah el husna.

[2] Les remparts : 180

[3] Rapporté par el Bukhârî (n° 964).

[4] Rapporté par el Bukhârî (n° 967), et Muslim (n° 897).

[5] Voir notamment Bukhârî (n° 3194), et Muslim (n° 2751).

[6] Voir notamment el Bukhârî (n° 6560), et Muslim (n° 184), selon Abû Sa’îd el Khudrî (t).

[7] Rapporté par ibn ‘Asâkir dans târîkh Dimashq (18/120).

[8] Idem.

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7 juillet 2019 7 07 /07 /juillet /2019 10:59

Initiation à la science de la canonisation du Coran 3/3

 

Quand à la question : Pour quelles raisons l’écriture du codex final a-t-il suscité des divergences de lectures entre les grands spécialistes ?

 

Nous disons en réponse que les divergences en question proviennent de deux grands facteurs grâce auxquels le Législateur a fait preuve de souplesse en matière de lecture : la preuve scripturaire et la langue Arabe. Les avis personnels n’ont pas leur place dans cette équation, étant donné que les règles de la lecture obéissent à une tradition en vigueur. La règle de base sur laquelle tout le monde s’entend est l’obligation de se conformer à la vulgate officielle. Et, les différences de points diacritiques faisant passer de la lettre «  » à « tâ » entre dans la panoplie de lectures offerte par le codex ‘othmanien.

 

Pour mieux comprendre ce point, il faut savoir qu’à certains endroits, le «  » ou le « tâ » s’impose selon l’avis unanime, alors qu’ailleurs, le codex supporte les deux éventualités. Nous avons un parfait exemple avec le Verset : [wa mâ Allah bi ghâfilin ‘ammâ ya’malûn] [La vache ; 74]. Il y a deux passages où les deux lectures sont possibles, contre un seul passage qui n’admet qu’une seule lecture. Nous avons vu que deux possibilités de récitation sont comparables à deux Versets. Plus le nombre de lectures augmente plus, logiquement, le nombre de Versets augmente. Néanmoins, dans la mesure où l’écriture permet plusieurs possibilités de lectures, nous économisons le format du texte.

 

[La transmission du Coran par voie orale]

 

La transmission du Coran repose sur la mémorisation des poitrines, non sur les manuscrits disponibles, nous dit un hadîth authentique : « Mon Seigneur m’a ordonné, déclare l’Élu (r) : « Lève-toi, et avertis Quraïsh, ton peuple !

  • Seigneur, s’exclama-t-il, alors ils me fracasseront la tête !
  • Je vais t’éprouver, et éprouver les hommes par ton intermédiaire en te révélant un livre que l’eau ne peut effacer. Tu le liras à l’état de sommeil ou d’éveil, envoie tes armées, Je te fournirais le double en renfort, fais la guerre à ceux qui de désobéissent avec pour soldats ceux qui t’obéissent, et dépenses sur Mon sentier, et je t’enrichirais ! »[1]

 

Ce texte démontre clairement que le Prophète (r) lit le Coran dans n’importe quelle situation, et qu’il n’y a pas besoin pour le conserver de manuscrit que l’on pourrait effacer à l’eau, puisque ce rôle revient aux poitrines. Les Juifs et les chrétiens s’appuient sur leurs écritures pour transmettre leurs lois aux générations futures, et pour la lecture, car ils sont incapables de les réciter par cœur en entier, alors que les membres de la nation mohammadienne : « contiennent leurs évangiles dans leur poitrine. », nous relatent les annales. Une narration authentique relaté dans le recueil de Bukhârî nous enseigne que le Coran fut « regroupé » en entier dans les cœurs par plusieurs Compagnons du vivant du Bien-aimé (r). Nous comptons parmi eux les quatre « mémorisateurs » du clan médinois que sont : Ubaï ibn Ka’b, Mu’âdh ibn Jabal, Zaïd ibn Thâbit et Abû Zaïd,[2] mais aussi ‘Abd Allah ibn ‘Amr.[3]

 

Nous venons de démontrer que les « sept lectures » imputées à Nâfi’ et ‘Âsim ne correspondent pas aux « sept lettres », et cela à l’unanimité des anciens et des modernes. De la même façon que les « sept lectures » ne constituent pas une compilation d’une seule « lettre » à l’unanimité des savants de référence. Les autres lectures, qui sont véhiculées de façon certifiée par les grands lecteurs à l’instar d’el A’mash, Ya’qûb, Khalf, Abû Ja’far, Yazîd ibn el Qa’qâ’, Shaïba ibn Nassâh, etc. ont la même légitimité que les sept « canoniques » pour ceux qui, nous l’avons vu, constatent leur authenticité. Ce dernier point est également frappé d’un consensus des grands Imam au sein notamment des légistes et des lecteurs.

 

Il faut donc plutôt chercher la divergence du côté des modernes. Alors que la vulgate d’Othmân reçut l’aval d’un commun accord des Compagnons, de leurs fidèles successeurs, et des grandes références de la religion qui les ont suivis, les modernes se sont posés la question de savoir si les sept, voire les dix lectures ou autre incorporent les « sept lettres » dont parle la Révélation. Autrement dit, s’agit-il d’une seule « lettre » ou bien des sept à la fois ? Deux grandes tendances se partagent sur la question. Il y a d’un côté les grands Imams des premières générations et les savants en général, et d’un autre côté, nous avons une frange des lecteurs et des adeptes de la théologie spéculative. Dans tous les cas, tout le monde est d’accord pour dire qu’aucune contradiction de sens n’a été enregistrée entre les variantes issues des « sept lettres ». Ces variantes sont homogènes au même titre que les Versets du Coran, dans le sens où elles se confirment les unes les autres.

 

La pluralité des variantes supportées par le squelette consonantique du codex est mue par la volonté du Législateur d’offrir une panoplie de choix, sur la base, bien sûr, des textes scripturaires, non des impressions des uns et des autres. Et, selon l’opinion que ces variantes correspondent aux « sept lectures », cela ne pose aucun problème de compréhension, et à fortiori, s’il s’agit d’une seule « lettre ». Effectivement, le Législateur offre un panel suffisant de « sept lectures » adaptées aux besoins des adeptes de la religion naissante, malgré des différences matérielles sur le support écrit. Alors, à fortiori, cette opportunité est plus patente lorsque le support écrit est homogène et qu’il supporte des variantes consonantiques. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les premiers exemplaires du Coran ne comportaient pas de signes diacritiques ni de vocalisation afin de laisser le choix au lecteur. On n’y distinguait pas le «  » du «  », et les voyelles brèves n’étaient pas mentionnées en vu d’élargir les possibilités de récitation. Le « squelette » écrit proposait pour une même forme plusieurs variations phonétiques.

Ainsi, de la même manière qu’une même forme écrite renvoie à plusieurs opportunités phonétiques, un même vocable renvoie à deux significations différentes (de type complémentaire, non d’opposition, ndt.). Les Compagnons ont reçut leur instruction du Coran par l’intermédiaire du Prophète (r) chargé de leur transmettre son esprit et sa lettre. C’est ce que nous dit en substance Abû ‘Abd e-Rahmân e-Sulamî. D’ailleurs, ce dernier est celui qui rapporte le hadîth qui lui a été transmis par ‘Othmân (t) : « Le meilleur d’entre vous est celui qui s’instruit du Coran avant de l’enseigner. »[4] Lui-même a enseigné le Livre sacré durant quarante ans. Hé bien ce fameux Abû ‘Abd e-Rahmân e-Sulamî raconte : les maitres qui nous ont enseigné le Coran, à l’image d’Othmân et d’Abd Allah ibn Mas’ûd, nous ont appris qu’à leur époque, ils mémorisaient dix Versets qu’ils recevaient de l’enseignement direct du Prophète (r), et ils ne passaient pas aux dix Versets suivants avant de les avoir assimilés et mis en pratique. Ces derniers nous confièrent : « Nous avons à la fois appris le Coran et étudié ses enseignements que nous avons mis en pratique. »

 

Nous comprenons mieux désormais le hadith : « Le meilleur d’entre vous est celui qui s’instruit du Coran avant de l’enseigner. » Il fait allusion à l’instruction à la fois de la lettre et de l’esprit. Je dirais même que l’ambition qui se cache derrière l’instruction de la lettre est la compréhension du sens. Et c’est là que vient une montée de foi. Jundub ibn ‘Abd Allah tout comme, entre autre, ‘Abd Allah ibn ‘Omar nous font profiter de leur expérience : « Nous nous sommes instruit de la foi avant de nous instruire du Coran, et c’est à ce moment-là que nous avons connu une montée de foi. Alors que vous autres, vous vous instruisez du Coran avant de vous instruire de la foi. »

 

D’après Bukhârî et Muslim également, selon Hudhaïfa, le Messager d’Allah (r) nous a rapporté deux propos dont un auquel j’ai déjà assisté, et j’attends encore d’assister au second. Il nous a dit en effet : « La loyauté fut inspirée du ciel dans le cœur des hommes, tout comme le Coran leur fut révélé… »[5]  

Quoi qu’il en soit, il serait trop long ici de développer ce point. Retenons juste que le Prophète a assuré la transmission du Coran aux hommes par la lettre et par le sens. Après lui, ses Compagnons ont véhiculé aux générations futures la foi et les deux dimensions que recouvre le Livre sacré, la lettre et l’esprit qui relèvent ensemble de la Révélation insufflé à Mohammed (r), comme nous l’informe le Seigneur Tout-Puissant : [C’est ainsi que Nous t’avons révélé un Esprit émanant de Notre Ordre, alors que tu ne connaissais ni l’Écriture ni la foi, mais nous en avons fait une lumière par laquelle nous guidons sur le droit chemin les serviteurs de Notre choix ; et toi, tu conduis sans conteste sur une voie droite].[6]  

 

Pour conclure, il est autorisé de réciter lors et en dehors de la prière les diverses lectures qui sont supportés par le codex de base, et dont la transmission fut certifiée au même titre que les lectures canoniques. Le cas échéant, elles ne sont pas considéré comme « singulières », wa Allah a’lam !

 

Conclusion

 

Voir : El jawâb e-sahîh li man baddala din el Masîh (3/10-26).

 

Tous les enseignements de l’Islam qui font l’objet d’un consensus auprès de ses adeptes émanent du Prophète par le biais de chaines narratives communément transmis (mutawâtir) qui les érigent au rang d’éléments élémentaires de la religion, tels que les cinq piliers de l’Islam, la condamnation du polythéisme, de l’injustice, des jeux de hasard, de l’usure, du vin, de l’adultère, etc. Ces informations sont aussi solides que les termes du Coran d’où elles procèdent et qui ont également été véhiculés par l’intermédiaire de chaines narratives communément transmises. Les musulmans jouissent de trois sources scripturaires qui sont parvenus jusqu’à nous grâce à une succession de narrateurs dont il est impossible en temps normal qu’ils aient d’un commun accord menti délibérément. Ce sont : les termes du Coran, son sens pour les points sur lesquels règnent un consensus, et la tradition prophétique communément transmise.

 

Par ailleurs, les musulmans gardent  le Coran dans leurs poitrines avec une telle garantie qu’ils n’ont pas besoin d’exemplaires existants pour assurer sa conservation. C’est ce que nous promet le hadîth divin cité ci-dessus, et dont voici un extrait : « Je vais t’éprouver, et éprouver les hommes par ton intermédiaire en te révélant un livre que l’eau ne peut effacer. Tu le liras à l’état de sommeil ou d’éveil… »[7] Il nous dit en substance que l’eau peut effacer l’ancre des écrits, non les paroles mémorisées dans les cœurs, contrairement aux anciennes Écritures. Si les juifs et les chrétiens venaient à les perdre, ils ne pourraient plus les reconstituer grâce à un nombre de « mémorisateurs » suffisant afin de les valider. Une sommité juive ou chrétienne est tout à fait capable de falsifier des copies de l’AT et du NT sans que ses coreligionnaires les plus érudits ne s’en rendent compte. Ceux-ci seraient obligés de les confronter à leurs exemplaires existants. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit dans les faits. Il est possible que des rabbins ou des prêtres mémorisent leur livre par cœur, sauf que leur nombre, trop limité, n’atteindra jamais le degré de « communément transmis ». On ne pourrait se fier à leur seule mémorisation aussi honnêtes soient-ils, en sachant que nous disons cela par condescendance si l’on sait que la transmission continue de la Bible par voie orale fut très tôt interrompue. C’est la raison pour laquelle, ils n’adoptent pas la science de la narration à leurs écrits, à la manière des musulmans qui ont développé cette discipline comme aucune autre civilisation ne l’avait jamais fait dans l’histoire de l’Humanité.

À l’inverse, il existe suffisamment de musulmans qui connaissent le Coran par cœur pour en assurer sa conservation. Il est impossible aujourd’hui d’y insérer le moindre changement. Il suffirait d’exposer ces manipulations à des madrassa pour enfants pour dévoiler leur supercherie, sans prendre la peine de se référer aux originaux. Il est matériellement impossible de falsifier le Coran grâce à ce double paramètre : sa conservation dans les poitrines et sa transmission communément admise. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas des erreurs éventuelles introduites dans certaines copies, mais les lecteurs les détectent sans s’aider des exemplaires intacts. Cela veut dire en revanche qu’en supposant que tous les exemplaires du Coran soit éradiqués de la surface de la terre, ce serait sans conséquences sur sa conservation.

Ainsi, le Coran fut transmis par le sens et par la lettre. À partir du moment où certains éléments de l’esprit du Coran fassent consensus, leur conservation est aussi bien assuré que celle de la lettre. C’est la preuve que la falsification du Coran n’a eu lieu ni au niveau de l’esprit ni au niveau de la lettre.

 

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

[1] Hadîth rapporté par Muslim (n° 2865).

[2] Hadîth rapporté par Bukhârî (n° 5005) et Muslim (n° 2465).

Ailleurs, ibn Taïmiya note que plusieurs Compagnons connaissaient le Coran par cœur du vivant du Prophète, et que de toute façon, les uns avaient acquis ce que d’autres ignoraient, et que donc les uns compensaient ce qu’il n’y avait pas chez les autres ; sa compilation et sa conservation furent effective grâce à ces chaines narratives communément transmise.

Voir : El jawâb e-sahîh li man baddala din el Masîh (3/21).

[3] Hadîth rapporté par Ahmed (2/163).

[4] Rapporté par el Bukhârî (n° 5027).

[5] Hadîth rapporté par Bukhârî (n° 6497) et Muslim (n° 143).

[6] La concertation ; 52

[7] Hadîth rapporté par Muslim (n° 2865).

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6 juillet 2019 6 06 /07 /juillet /2019 12:18

Initiation à la science de la canonisation du Coran 2/3

 

Or, l’anecdote d’ibn Shanbûdh relatée par el Qâdhî ‘Iyâdh (qui accepterait l’idée marginale que le Coran fut transmis par le sens, ndt.), que les auteurs après lui ont intégré dans leurs ouvrages, explique que les savants de l’époque s’étaient farouchement opposés à ses lectures jugés singulières. Ibn Shanbûdh, qui vécut au quatrième siècle de l’Hégire, ne se gênait pas pour les psalmodier au cours de ses prières. Celles-ci, en effet, étaient singulières, comme nous allons le démontrer, et furent donc écartées de la vulgate canonique. Ibn Shanbûdh fut l’objet d’une cabale, qui est notoire, à cause de ses récitations non-canoniques qu’ils diffusaient dans les rangs du commun des mortels.

 

Cela dit, aucun savant n’a jamais affiché son mécontentement à l’encontre des « dix lectures ». En revanche, il est possible d’ignorer l’existence de certaines d’entre elles, ou, tout au moins, d’ignorer leur autorité, à l’exemple des habitants du Maghreb qui vivent loin des berceaux scientifiques d’où s’est répandue la discipline des qiraât. Le cas échéant, il n’y a aucun mal qu’un individu mette de côté ce qui, de son point de vue, n’a aucune légitimité historique. Cette légitimité qui, selon les termes du scribe du Prophète Zaïd ibn Thâbit, se transmet par voie orale. C’est cette même méthodologie que les musulmans ont adoptée vis-à-vis des éléments de la tradition qui leur sont parvenus (formules d’introduction à la prière, formules d’appel à la prière externe et interne, description de la prière de la peur, etc.). Ces derniers ne mettent en pratique que ceux sont dont ils connaissent l’autorité, non le reste. En même temps, ils n’ont pas le droit de remettre en question ni d’afficher leur opposition contre les traditions qui ne sont pas en vigueur chez eux dans la mesure où celles-ci concèdent une origine scripturaire dont ils n’ont pas connaissance. L’Élu (r) préconise d’éviter toute source de division à travers le hadîth : « Ne vous livrez pas à la dispute qui a causé la perte des civilisations anciennes. »[1]

 

[Les variantes singulières des Compagnons]

 

Il existe des variantes singulières non répertoriées par le codex du Khalife ‘Othmân, à l’exemple du Verset dont la transmission est imputée à ibn Mas’ûd et Abû Dardâ dont voici les termes : [Wa e-laïl idhâ yaghshâ • Wa e-nahâr idhâ tajallâ • wa e-dhakari wa el unthâ]. Celui-ci fut consignée par les deux recueils de référence Bukhârî et Muslim.[2] Ibn Mas’ûd rapporte d’autres Versets non retenus, à l’exemple de : [Wa siyâmu thalâthati ayyâmi mutatâbi’ât] ; [in kânat illâ zaqiyatan wâhida]. A-t-on le droit de réciter au cours de la prière ces lectures qui sont formellement imputées à des Compagnons ? Les savants sont partagés sur la question en deux avis qui sont, tous les deux attribuées de façon notoire à l’Imâm Ahmed, mais aussi à l’Imâm Mâlik.

 

Le premier avis l’autorise étant donné que cet usage était répandu chez les Compagnons, et leurs successeurs directs. Le second, qui est adopté par la majorité des savants, interdit d’avoir recours à des lectures dont la narration remontant jusqu’au Messager (r) n’est pas communément transmise (mutawâtir). Et, quand bien même elles le seraient, elles perdraient toute légitimité à compter de la « dernière révision » effectuée par l’Ange Gabriel qui signe l’abrogation de toutes celles qui n’ont pas été validées ce jour-là.

 

D’après Bukhârî, selon ‘Âisha et ibn ‘Abbâs (t) : « Jibrîl (u) faisait réviser le Coran une fois par an au Prophète (r), sauf la dernière année peu avant sa mort où il effectua une double révision. »[3] Ce fut cette touche finale qui servit de base à la lecture des Compagnons comme Zaïd ibn Thâbit, et à la compilation du Coran par écrit sous l’autorité des quatre Khalifes Abû Bakr, ‘Omar, ‘Othmân, et ‘Alî. À l’époque du premier, le texte sacré fut rassemblé sur des feuillets (suhuf) par le scribe du Prophète sous l’autorité du Commandeur des croyants et du vice-Khalife. Il fallut attendre le Khalifat d’Othmân pour voir les premiers exemplaires du Coran (masâhif) qui furent envoyés aux quatre coins de l’Empire. Cette « recension » reçut l’aval de tous les Compagnons sans exception y compris ‘Ali.

 

Pour bien comprendre la problématique posée par l’auteur de la question au sujet de l’origine des « sept lectures » qui correspondrait ou non à l’une des « sept lettres » du Coran, il faut garder à l’esprit le point suivant. Autrement dit, aux yeux de la grande majorité des savants dans les rangs des anciens et des grands Imâms, les « sept lectures » correspondrait effectivement à l’une des « sept lettres ». Ces derniers vont jusqu’à affirmer que le codex d’Othmân n’est rien d’autre que cette « lettre » en question ayant eu pour modèle la dernière révision avec l’Archange. Cette position est corroborée par l’ensemble des hadîth et des narrations transmis par un nombre non négligeable de narrateurs et ayant atteint une grande notoriété dans les milieux savants. À l’opposé, nous avons un certain nombre de légistes, lecteurs, et théologiens spéculatifs qui pensent que le Coran actuel contient les fameuses « sept lettres ».

 

Ce postulat fut défendu par une frange des théologiens du Kalâm, dont le dhî Abû Bakr el Baqillânî est l’un des plus fervents représentants. Ils partent du principe qu’il est impensable que la transmission des « sept lettres » fut perdue en cours de route. En effet, la recension ‘othmanienne, qui fut validée à l’unanimité de la Nation, impliqua de renoncer à certaines lectures jugées non canoniques. À l’ère du troisième Khalife, un comité fut formé sous la direction de Zaïd avec la mission de regrouper dans un même livre tous les écrits recensés à l’initiative des deux premiers successeurs de l’Ami de Dieu (r). Après la consultation des Compagnons autour de lui encore vivants, ‘Othmân fit porter des copies dans les différentes cités musulmanes pour leur signifier la norme adoptée. Ses ambassadeurs avaient pour ordre d’annoncer l’abandon de toute récitation qui n’était pas fidèle à cette norme.

 

Aux yeux d’el Baqillânî et de ceux qui soutiennent la même tendance, il est inconcevable que cette disposition khalifienne interdise la lecture d’éléments incorporant les « sept lettres ». Les tenants de l’autre opinion objectent souvent en s’inspirant de l’argument évoqué par Mohammed ibn Jarîr Tabarî, entre autre, et qui maintient que la lecture des « sept lettres » n’était pas imposée à la communauté entière. Il s’agissait d’une simple permission qui avait vocation de faciliter la lecture en accordant à ses membres le choix d’opter pour la « lettre » qui leur convient. En outre, l’ordre des chapitres du Coran ne fut pas imposé par un Commandement du ciel, mais fut laissé à l’initiative des musulmans. C’est ce qui explique la différence d’agencement constatée notamment entre la version d’ibn Mas’ûd et celle de Zaïd.

 

En revanche, l’ordre des Versets relève de la Révélation. Le comité de recension ne jouissait pas de la prérogative d’intervertir les Versets à leur guise, contrairement à ce qui fut le cas avec les sourates. Par rapport à cela, selon le raisonnement de Tabarî, le choix d’écarter « six lettres » pour n’en garder qu’une relève de ce légitime effort d’interprétation qui consista d’un accord commun à unifier la lecture en vue d’éviter toute prochaine division dans les rangs. Si l’on sait que les musulmans sont immunisés de sombrer dans l’erreur collective, nous concevons parfaitement que cette initiative n’allait en aucun cas enfreindre un devoir ou violer un interdit.

 

Plus d’un tenant de cette dernière tendance avance l’argument que l’usage, dans un premier temps, des « sept lettres » fut toléré au cours de la phase d’adaptation. Au terme de cette phase, les musulmans habitués au style coranique étaient désormais en mesure de supporter une lecture uniforme qu’ils adoptèrent d’une seule voix. Si dans un premier temps, la pluralité des « lettres » avait pour fonction de faciliter la lecture, désormais l’uniformisation des « lettres » – calquée sur la « dernière révision » érigée en norme venant abroger, selon cet avis, les « lectures » écartées – a vocation de simplifier la vulgarisation du Coran.

 

Aux dires des défenseurs de cet avis, les versions personnelles des Compagnons comme Ubaï ibn Ka’b et ibn Mas’ûd qui ne respectent pas cette nouvelle norme, sont jugés invalides. Or, on attribue à tort au dernier cité d’autoriser une récitation basée sur l’esprit du Coran, et pas forcément sur la lettre. Pourtant, ibn Mas’ûd, qui nous révèle le fond de sa pensée, est très clair. Il nous apprend en substance que, je cite : « J’ai observé les différents lecteurs, et je me suis rendu compte que les diverses récitations qu’ils utilisaient se rejoignaient sensiblement. Cela revient à dire « viens », « avance », ou « approche » pour exprimer la même chose ! Alors, vous n’avez qu’à réciter de la façon dont on vous l’a apprise.  »[4]

 

Par ailleurs, ceux qui autorisent l’utilisation des lectures abrogées, à condition qu’elle soit imputée à l’un des Compagnons de façon formelle, partent du postulat qu’elles font partie intégrantes des « sept lettres » d’où elles puisent leur légitimité. Leurs adversaires dans ce débat émettent quatre objections courantes. Soit ils avancent que ces lectures invalides n’intègrent pas le corpus des « sept lettres » ; soit ils soutiennent qu’elles l’intègrent, mais qu’elles sont abrogées ; soit ils mettent en avant qu’un consensus des Compagnons se dégagea pour les abandonner ; soit ils prétextent qu’aucune narration répondant aux critères en norme ne vient valider leur affiliation au Coran. De là, nous constatons une différence d’approche entre les anciens et les modernes.

 

C’est ce qui nous ramène vers une troisième vision sur la question. Celle-ci, qui est notamment soutenu par mon grand-père le doyen Abû el Barakât, préconise l’interdiction, dans la mesure du possible, de réciter la fatiha selon une lecture abrogée. Auquel cas, la prière est invalide, étant donné qu’on n’est pas en mesure de vérifier de façon formelle l’affiliation de cette lecture au Coran, alors que la récitation de la fatiha constitue l’un des piliers de validité de la prière. Pour la récitation facultative de la prière, il est toléré d’usiter une lecture abrogée, car rien n’indique formellement non plus que celle-ci ne soit pas issue des « sept lectures ». Ce compromis part du principe que l’impossibilité de vérifier qu’une lecture abrogée intègre les « sept lectures » ne signifie pas forcément qu’elle en est exclue. Cette démarche, qui a gagné les faveurs de la grande majorité des savants, suppose qu’il est impossible d’affirmer ou d’infirmer de façon formelle l’affiliation au Coran d’une lecture abrogée, étant donné que cela ne relève pas de notre ressort.

 

Cette vision est contestée par certains théologiens du Kalâm, à l’image de Baqillânî, qui refusent formellement d’attribuer au Coran une lecture abrogée. Ce même Baqillânî va jusqu’à protester contre l’allégation de Shâfi’î et autre, selon laquelle la basmala qui introduit chaque sourate du Coran est considérée comme un Verset (le problème ne se pose pas avec la sourate la fourmi qui contient en son sein la formule : bismi Allah e-Rahmân e-Rahîm). Selon lui, cette allégation relève de l’effort d’interprétation. Il incombe donc, le cas échéant, de l’exclure formellement du corpus coranique.

 

Bien sûr, Baqillânî se trompe, étant donné que la basmala entre sans équivoque dans le texte coranique pour y avoir été introduit par la plume des Compagnons qui avaient pour principe de ne retranscrire rien d’autre que la Révélation. Leurs écrits étaient dépourvus des mentions telles que le nom des sourates, la subdivision de la lecture en dix ou cinq parties. Au même moment, cela ne justifie pas d’avancer que la basmala soit un élément constitutif de la sourate précédente ou de la sourate suivante. Elle constitue donc un Verset autonome qui fut révélée par Dieu en introduction à chaque chapitre du Coran, mais sans n’en faire partie. Voici sur la question l’opinion la plus juste.

 

De toute façon, dans tous les cas, les avis avancés sur la question relèvent du pur effort d’interprétation qui n’implique aucune condamnation à la grande ou à la petite hérésie. On pourrait, au mieux, invoquer la solution envisagée par plusieurs savants qui coupent la poire en deux. Ces derniers ne donnent tort ni aux uns ni autres si l’on considère que la basmala est un Verset selon certaines lectures qui s’en servent pour partager les sourates ; mais si l’on considère aussi qu’elle n’est pas un Verset selon d’autres lectures qui ne l’utilisent pas pour partager les sourates qu’elles enchainent sans marqueur les distinguant.

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

[1] Hadîth rapporté par Ahmed (n° 3624), et Bukhârî (3/158).

[2] Voir : Bukhârî (n° 4943), et Muslim (n° 824).

[3] Voir : Bukhârî (n° 4998).

[4] Narration rapportée par Sa’îd ibn Mansûr (n° 34), et Abû ‘Ubaïd dans fadhâil el Qur-ân (n° 752), etc. avec une chaine narrative authentique.

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5 juillet 2019 5 05 /07 /juillet /2019 14:09

Initiation à la science de la canonisation du Coran 1/3

 

[C’est Nous qui avons révélé ce Rappel, et à c’est à Nous à qui il revient de le préserver].[1]

 

Cet article réfute le chercheur islamologue Hassan Chahdi et son Sheïkh François Déroche, le premier pour avoir prétendu que seul l’esprit du Coran fut entièrement conservé, ou pour être plus juste, qu’éventuellement seul l’esprit du Coran soit retenu pour sa transmission, et le second pour avoir jeté le discrédit sur le grand traditionniste Zuhri qui aurait inventé le hadîth sur les « sept lettres » du Coran.

 

Voir : majmû’ el fatâwâ (13/389-403).

 

On posa la question à Sheïkh el Islâm ibn Taïmiya au sujet du propos prophétique : « Le Coran fut révélé de sept manières. »[2] Que signifient les « sept manières » (sab’a ahruf) dont il est question ? Est-ce que les « sept lectures », imputées aux spécialistes (Nâfi’, ‘Âsim, etc.) correspondent à ce hadîth, ne serai-ce que l’une d’entre elles ? Pour quelles raisons l’écriture du codex final a-t-il suscité des divergences de lectures entre les grands spécialistes ? Est-il permis d’utiliser des lectures singulières qui sont rapportées notamment par el A’mash et ibn Muhsin ? Si oui, est-il permis de les utiliser au cours de la prière ? Si vous voulez bien nous répondre, que Dieu vous récompense !

 

En réponse : c’est une question pointue qui a intéressé les spécialistes des disciplines diverses tels que les légistes, les traditionnistes, les exégètes, les théologiens spéculatifs, les linguistes, etc. Des ouvrages spécialisés lui furent consacrés, dont le Sheïkh Abû Mohammed ‘Abd e-Rahmân ibn Ismâ’îl ibn Ibrahim d’obédience shaféite et l’un de ses plus récents auteurs. Plus connu sous le nom d’Abû Shâma, il coucha par écrit sharh e-shâtibya. Il faudrait recenser les opinions des spécialistes, et analyser en détail leurs arguments pour y dégager les plus pertinents. Une étude exhaustive des textes prophétiques liés à cette problématique serait aussi indispensable pour l’éluder, sans n’oublier les autres types de preuves légales. Malheureusement, faute de temps, un long développement ne serait pas approprié ici pour ce genre de réponse. Je me contenterais toutefois d’offrir une synthèse sur le sujet pour mieux se représenter ses enjeux.

 

Nous disons donc qu’à l’unanimité des savants de références, les  sab’a ahruf dont font mention le hadîth au sujet de la révélation du Coran ne correspondent pas aux fameuses « sept lectures ». L’Imâm Abû Bakr ibn Mujâhid est l’instigateur de la première compilation des différentes récitations à l’orée du troisième siècle de l’Hégire (8, 9ième siècle Apr. J.-C., ndt.). Originaire de Bagdad, il prit l’initiative de rassembler les lectures en vogue dans les cinq grands pôles scientifiques : Bassora et Koufa pour l’Irak, la Syrie, et les deux Lieux saints Médine et la Mecque. Il s’agit des centres névralgiques de la diffusion de la prophétie (Coran, sunna) et des matières religieuses qui l’étudient comme l’exégèse, le hadîth, le fiqh, le culte, les mœurs, etc.  

Il regroupa donc les lectures de sept spécialistes notoires parmi les plus grandes références en la matière en vue de concorder leur nombre avec les  « sept lettres » qui caractérisent le Saint Coran. Jamais il n’a prétendu, ni d’ailleurs aucun autre savant, que cela désignait la même chose ; tout comme il n’a jamais avancé qu’il était interdit d’avoir recours à une récitation non répertoriée par ses soins.

 

D’ailleurs, une grande référence en qiraât déplora qu’ibn Mujâhid préféra Hamza à Ya’qûb el Hadhramî, le doyen de la grande mosquée de Bassora, et le maitre des grands « récitateurs » de la ville au début du second siècle du calendrier hégirien. À sa place, il les aurait intervertis. Les musulmans sont également d’accord pour dire qu’il n’existe aucune contradiction notoire entre les différentes variantes. Au contraire, il s’agit de synonymes ou des mots ayant des sens très proches. ‘Abd Allah ibn Mas’ûd nous en donne une illustration : « Cela revient à dire « viens », « avance », ou « approche » pour exprimer la même chose ! »[3]

 

Les termes employés ne sont pas nécessairement équivalent en tout point, mais tous, en tout cas, sont aussi vrais et aussi pertinents les uns que les autres. La pluralité des vocables choisis exprime un enrichissement, non un antagonisme (il s’agit d’une divergence de pluralité, non d’opposition).

 

Un hadîth qui remonte au Prophète (r) illustre parfaitement cette règle : « Le Coran fut révélé de sept manières, nous enseigne-t-il, peu importe que tu achèves un Verset par [Allah est Absoluteur et Tout-Miséricordieux] ou [Allah est Puissant et Sage], puisqu’Il n’est pas autrement ; à condition de ne pas employer des Noms exprimant la Miséricorde divine dans un contexte de châtiment, et inversement. »[4]

 

Voici plusieurs exemples de variantes reconnues : [rabbannâ bâ’id] et [bâ’id] [Saba ; 19] ; [illâ an yakhâfâ an lâ yuqîmâ] et [ illâ an yukhâfâ an lâ yuqîmâ ] [La vache ; 229] ; [wa in kâna makruhum li tazûla] et [li yazûla minhu el jibâl] [Ibrâhîm ; 46] ; [bel ‘ajibta] et [ bel ‘ajibtu] [Les rangées d’anges ; 12], etc.

Certaines variantes, qui globalement ont le même sens, détectent certaines nuances, comme : [yakhda’ûn] et [ yukhâdi’ûn ] [La vache ; 9] ; [yakdhibûn] et [yukadhdhibûn] [Ibrâhîm ; 46] ; [lamastum] et [ lâmastum] [Les femmes ; 43] ; [ hattâ yathurna] et [wa yathurna] [La vache ; 222], etc. 

Ces variantes qui émettent des nuances au niveau du sens sont toutes aussi vraies les unes que les autres. Celles-ci ont la même valeur sacrée que n’importe quel Verset du Coran comparé à d’autres Versets. Nous y donnons foi, et nous adhérons à leurs enseignements que nous traduisons dans la pratique. Il est inadmissible de favoriser une lecture aux dépens de sa variante sous prétexte qu’elles seraient contradictoires, car : « Qui renie une seule lettre du Coran, prévient ‘Abd Allah ibn Mas’ûd, le renie en entier. »

 

Au demeurant, la plupart des variantes n’offrent aucune distinction conséquente au niveau de la signification et de leur construction syntaxique. Celles-ci intègrent les lectures dites « principales » qui s’intéressent à la différence de prononciation entre les variantes rencontrées lors de la récitation : vocalisation de la hamza, accents toniques, inflexions et variations vocaliques (syllabes longues/brèves, synérèses), inclinaisons, et signes diacritiques interchangeables, la prononciation de la lettre «  » avec ou sans emphase. Celles-ci ne constituent aucune problématique, contrairement à celles qui dénotent une variété de morphèmes ayant une influence sur la signification d’un passage donné.

 

Or, que nous ayons affaire à une divergence de forme exclusive ou à une divergence de fond et de forme, dans les deux cas, nous ne repérons aucun changement significatif de la phrase. Ces variations de formes s’arrêtent donc sur la différence de prononciation d’un seul et même vocable. Elles sont encore différentes des variantes de forme qui constatent des mots différents pour exprimer la même chose. On parle alors de synonymes dont la fonction est de fournir des compléments d’information n’ayant aucune incidence sur l’idée générale de la phrase. Les variations de forme intègrent logiquement une même « lettre » parmi les sept révélées par le Seigneur de l’Univers. Leur place au sein d’une même « lettre » est plus justifiable que celle des variantes de forme ou de fond dont l’écriture est conforme à la vulgate othmanienne prévue pour les diverses options de vocalisation et de points diacritiques.

 

C’est pourquoi, il y a consensus chez les savants musulmans parmi les anciens et les grandes références soulignant l’interdiction d’imposer à grande échelle la récitation des « sept lectures ». Il est tout à fait possible d’utiliser la lecture d’el A’mash, le maitre de Hamza ou de Ishâq ibn Ya’qûb à condition qu’elle soit certifiée chez l’utilisateur en question, au même titre que les variantes de Hamza et de Kisâî. Sur ce point règne un consensus chez les savants de référence. La plupart des Imâms qui connurent la lecture de Hamza, à l’instar de Sofiane ibn ‘Uyaïna, Ahmed ibn Hanbal, Bishr ibn el Hârith, optèrent pour les versions des deux maitres médinois Abû Ja’far ibn el Qi’qâ’, et Shaïba ibn Nassâh, mais aussi celles des doyens  bassoriens tels que les maitres de Ya’qûb ibn Ishâq, aux dépens des variantes de Hamza et de Kisâî.

 

Les déclarations des spécialistes sur ce thème n’échappent pas aux connaisseurs. Nous remarquons notamment que les grandes sommités d’Iraq ont recensé dans leurs écrits dix ou onze lectures ayant autant de traces historiques que les sept lectures classiques. Ils récitaient ces « versions concurrentes » lors et en dehors de l’office rituel, ce qu’aucun érudit ne leur a jamais contesté. Il y a donc un consensus sur ce point.

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

[1] El Hijr ; 9

[2] Le chercheur ‘Abd el ‘Azî Qârî a mené une étude exhaustive de ce hadîth tant au niveau de sa chaine narrative que de sa signification dans les milieux spécialistes. Hadîth el ahruf e-sab’, qui est le titre de cette étude, nous apprend en substance qu’il règne encore aujourd’hui une énorme énigme sur l’interprétation des « sept lecture ». Mohammed Amîn Shanqîtî, l’un des plus grands exégèses des temps modernes fera l’aveu qu’il n’est jamais parvenu à la déchiffrer. C’est d’ailleurs paradoxalement la clef qui met à mal la thèse orientaliste, car pour jeter le discrédit sur ces « sept lecture », il faut déjà savoir à quoi celles-ci correspondent. Ce qui en soi est un miracle. Pourtant, les islamologues nous ont habitués à inverser les rôles, là où le Coran montre sa splendeur, ils y voient des failles. Une chose est sûre est qu’ils sont passés maitres dans l’art de la suspicion et des insufflations fallacieuses en vue de déstabiliser les musulmans les plus crédules qu’ils savent incultes en la matière. L’autre volet de cette recherche porte sur l’analyse technique du texte en question. Il en ressort, mais est-ce étonnant, qu’il soit communément transmis et admis par les spécialistes. Celui-ci est répertorié par pratiquement tous les recueils de hadîth. Il fut rapporté, en effet, par Bukhârî, Muslim, Tirmidhî, Nasâî dans son sunan, mais aussi dans ‘amal el yawm wa el laïla, Abû Dâwûd, Mâlik, ibn Hibbân, el Qâsim ibn Sallâm, Abû Dâwûd e-Tiyâlisî, Ahmed, Abû Ya’lâ, Abd e-Razzâq, ibn Abî Shaïba, Tabarânî, Tahâwî avec de nombreuses versions dans mushkirat el âthâr, Tabarî, el Baïhaqî, et el Hâkim.

En outre, dans fadhâil el Qur-ân, ibn Kathîr a enregistré ses différentes voies narratives, et ibn Hajar s’est chargé d’en faire l’explication, tout comme ibn Qutaïba, et Daïnûrî.

Il fut également l’objet d’une analyse approfondie de la par de ‘Ijlî, Abû Shâma, comme nous allons le voir ici, et ibn el Jazarî.

Dans sa chaîne narrative, nous trouvons en amont des Compagnons illustres tels que trois des Califes ‘Omar, ‘Uthmân, ‘Alî, Ubaï ibn Ka’b, ‘Abd Allah ibn Mas’ûd, Abû Huraïra, Mu’adh ibn Jabal, Hishâm ibn Hakîm ibn Hizâm, ibn ‘Abbâs, el ‘Amr ibn el ‘Âs, Hudhaïfa ibn el Yamân, ‘Ubâda ibn Sâmit, Sulaïmân ibn Sard el Khuzâ’î, Abû Bakra el Ansârî, Abû Talha el Ansârî, Anas ibn Mâlik comme le rapporte Ubaï, Samura ibn Jundub, Abû Juhaïb el Ansârî, ‘Abd e-Rahmân ibn ‘Awf, et même une femme Ayyûb.

Il fut rapporté également par l’intermédiaire d’Abd e-Rahmân ibn ‘Abd el Qârî, el Muswar ibn Makhrama (si on s’en tient à l’hypothèse qu’il compte parmi les Compagnons).

Nombreux sont les successeurs de la première génération et les grandes références de la religion qui ont narré ce hadîth grâce à une multitude de voies et de chaines narratives.

La seule histoire qui opposa Omar à Hishâm nous est parvenue grâce à trois voies narratives (ce point à lui tout seul démonte la thèse du spécialiste numéro un mondial de la canonisation du Coran) ; l’une venant de l’Imâm Mohammed ibn Shihâb Zuhrî sur lequel François Déroche a jeté son dévolu, qui l’a entendu de ‘Urwa ibn Zubaïr, qui l’a lui-même entendu d’Abd e-Rahmân ibn ‘Abd el Qârî. Il est rapporté également d’après ibn Shihâb, selon l’Imâm Mâlik, selon ‘Uqaïr ibn Khâlid, selon Ma’mar ibn Râshid el Azdî, selon Yûnas ibn Yazîd, le captif de Mu’âwiya, ‘Abd e-Rahmân ibn ‘Abd el ‘Azîz el Ansârî, Fulaïh ibn Sulaïmân el Khuzâ’î, et Shu’ab ibn Abî Hamza.

La seconde voie passe par Ishâq ibn ‘Abd Allah ibn Abî Talha, selon son père, selon son grand-père, selon ‘Omar ibn el Khattâb.

La dernière voie, qui elle est faible, part de ‘Ubaïd Allah ibn ‘Omar, selon Nâfi’, selon ibn ‘Omar, selon son père ‘Omar.

El Bukhârî le fait remonter à Abd e-Rahmân ibn ‘Abd el Qârî et el Muswar ibn Makhrama, pour lequel nous l’avons vu son affiliation aux Compagnons est controversée, qui le rapportent directement d’Omar.

[3] Narration rapportée par Sa’îd ibn Mansûr (n° 34), et Abû ‘Ubaïd dans fadhâil el Qur-ân (n° 752), etc. avec une chaine narrative authentique.

[4] Hadîth authentique rapporté selon Ubaï ibn Ka’b par Ahmed (5/124), et Abû Dâwûd (n° 1477).

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30 juin 2019 7 30 /06 /juin /2019 14:35

 

 

Le grand spécialiste du Coran Ihâb Fikri répond au chercheur orientaliste Hassan Chahdi

 

Nous avons eu l’honneur hier de recevoir le Sheïkh polymathe Ihâb Fikri, l’une des trois plus grandes références mondiales en matière de Qiraât. Enseignant actuellement à la mosquée du Prophète, il nous a réservé un peu de son temps précieux. Après sa formation en médecine, il se spécialisa dans la science des lectures du Coran au bout de maintes aventures. De passage à Riad où il profita de son séjour pour assister aux assises d’ibn Bâz, il fut forcé de le prolonger à cause d’un malheureux évènement. L’assassinat du Président égyptien Anouar el-Sadate fut l’occasion d’une chasse aux sorcières à l’encontre de toute manifestation du phénomène religieux de l’autre côté du Nil, sa terre natale.

 

Ce fut un mal pour un bien, car, par la force des choses, le jeune Ihâb resta aux côtés de l’ancien Mufti d’Arabie Saoudite pour une période de 15 ans. Il entra également en contact avec le Sheïkh el ‘Uthaïmîn chez qui il suivra plusieurs cours. À 33 ans, à la suite d’une anecdote que notre polymathe couche par écrit en introduction à son ouvrage takhrîj qiraât fath el Qadîr, il se spécialise dans le domaine des qiraât en prenant des cours auprès des plus grandes références contemporaines encore vivantes, dont l’érudit e-Ziyyât. Il obtint plusieurs ijâzat (attestation de compétence) le faisant entrer dans le cercle restreint et privilégié de la chaine narrative de lecteurs de Coran remontant jusqu’au Prophète. Ce surdoué multidisciplinaire touchera à toutes les sciences, dont des matières outils telles que usûl el fiqh et mustalah el hadîth. Il atteindra aussi un niveau non négligeable en matière de critique de rapporteurs. Il contestera des appréciations de l’Albani, le grand spécialiste contemporain en la matière pour qui il vouait une admiration sans limites.

 

Il peaufinera ses compétences en s’initiant à la lecture de manuscrits anciens. Cette nouvelle corde à son arc lui assurera une certaine maitrise dans cette discipline. Il évalue notamment la valeur historique des manuscrits utilisés par les orientalistes, une preuve purement matérielle, pour reconstruire l’histoire de la formation du Coran. Il en déduit que cette approche est biaisée, étant donné que le support principale de la diffusion du Livre saint des musulmans est incontestablement par voie orale. Cette mémorisation dans les poitrines du texte sacré qui fut communément transmise, ou, pour le moins, communément admise ne peut être confrontée à des manuscrits dont non seulement les auteurs sont anonymes, mais qui n’émanent pas forcément de scribes spécialistes en qiraât. Il est donc méthodologiquement erroné de jeter le discrédit sur une preuve, certes immatérielle, mais dont les effets sont palpables et indéniables, sous prétexte de s’en tenir à des preuves aléatoires, outre le fait qu’elles ne constituent en aucun cas le support principale de la transmission du Coran.

 

La raison de cette rencontre fructueuse nait de la gravité du sujet qui lui fut exposé et pour lequel il accorde modestement un intérêt particulier. Il s’agit de la soutenance de Hassan Chahdi, qui soit dit en passant cite notre doyen dans son exposé, présentée au Collège de France sur la transmission du Coran, mettant à mal la méthodologie de l’islam traditionnel pour définir l’historicité du Coran. Le Sheïkh, humble, répondit à toutes nos questions, qui du point de vue des profanes que nous sommes posent une problématique. Et force est de constater qu’il y est parvenu avec brio. Ce dernier est même prêt à consacrer un livre en réfutation aux thèses du chercheur franco-marocain (pour le peu qu’on en connait à l’heure actuelle), à condition qu’on lui en fasse un exposé par écrit….

 

Voici des vidéos du spécialiste dont nous venons d’exposer une brève biographie :

 

https://www.youtube.com/watch?v=AcEX9qDo6ic

https://www.youtube.com/watch?v=oRNayDt7f2c

 

Et voici le livre dont nous avons parlé plus haut :

https://vb.tafsir.net/tafsir22233/#.XRgEfT8zbIU

 

 

Par : Karim Zentici

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5 juin 2019 3 05 /06 /juin /2019 12:39

Le mythe de la race supérieure

 

Nous sommes habitués aujourd'hui à juger les Arabes d'après les tristes échantillons que nous offrent les habitants de la Syrie, de l'Égypte et de l'Algérie, avilis par tous les mélanges et toutes les servitudes ; mais c'est évidemment au berceau même du peuple arabe qu'il faut aller les étudier pour en avoir une idée bien nette. L'auteur que je citais à l'instant (Palgrave), et qui a vécu longtemps parmi eux, les considère comme une des plus nobles races de la terre, et ajoute :

« J'ai dit « une des plus nobles races de la terre » ; les Arabes des villes méritent en effet cet éloge. J'ai beaucoup voyagé, j'ai eu des relations fréquentes avec des peuples bien divers, Africains, Asiatiques, Européens, et très peu me semblent dignes d'être placés au-dessus des habitants de l'Arabie centrale. Ces derniers pourtant parlent la même langue que les nomades du désert, le même sang coule dans leurs veines ; mais quelle distance les sépare ! »

Gustave Le Bon

 

 

La hiérarchie des races est devenue un sujet épineux depuis la mauvaise expérience du nazisme qui tire son origine dans la philosophie matérialiste post-Révolution française sur fond de darwinisme. Sa formulation extrême est exprimée dans l’eugénisme qui n’est qu’un avatar du darwinisme. Ainsi, les Occidentaux incarneraient la race supérieure à même de mener les peuples du monde vers la plénitude et l’excellence humaine. Depuis Nuremberg, la chose est présentée autrement. L’ère du mondialisme change de fusil d’épaule. On ne purge plus les faibles de leurs richesses au nom de la suprématie de la race blanche, mais, plus romantique et sans cynisme, au nom des valeurs communes et universelles que partagent les hommes, ou quand l’Humanisme part en croisade !

 

  • Grand-mère, que vous avez de grandes dents ?
  • C’est pour mieux te couver ma fille.

 

Bien sûr, pour se dédouaner de son incartade, l’Occident matérialiste ne se contente pas de jeter la pierre sur le nazisme allemand ou le fascisme italien, voire espagnol, ces dernier  bastions résistants à la vague briseuse des verrous des Nations. Non, tout en gardant un œil sur ces dangers qui le guettent, il jette désormais son dévolu sur les religions résiduelles, avec en tête, l’Islam et son corollaire arabe, le panarabisme, cet outil de dé-islamisation du pourtour méditerranéen. Les exactions hitlériennes furent le prétexte approprié pour restituer au peuple Élu la terre où coulent le lait et le miel, grâce à cette Alliance éternelle qui fut garantie par la générosité des scribes ayant rajouté à leur sombre carquois l’adjectif « éternelle », n’en déplaise à Karim Hanifi.

 

En Islam, contrairement aux idées reçues, il n’y a pas de notion de race supérieure ni d’Alliance éternelle qui serait liée à la promesse d’une terre offerte à une race favorite, mais d’une alliance, tout comme le précise d’ailleurs la Bible, qui est conditionnée à la fidélité à la Loi de l’Éternel. Une menace terrible pèse, comme un leitmotiv, sur tous les contrevenants trahissant ce pacte scellé entre Dieu et les croyants. Le privilège que reçurent les Arabes fut d’incarner la culture référentielle de la Révélation universelle en gestation. Ils eurent le mérite de véhiculer l’ultime alliance au reste du monde. En outre, les éléments de la race arabe originelle furent les porteurs de la religion naissante pendant deux cents ans tout au plus, période qui correspond à l’âge d’or musulman. Par la suite, pour des raisons naturelles d’expansion, la notion même « d’arabe » a évoluée. Au contact des autres civilisations, elle ne se basait plus désormais sur le seul critère du sang, mais sur celui de la Langue et de la culture. Après avoir mené leur mission à bien, les Arabes, sortis de la scène, ne jouissent plus d’aucun privilège en particulier, en dehors de ceux que leur a concédé les textes scripturaires de l’Islam, tel que l’entretien de l’Enceinte sacrée, le Khalifat suprême qui est actuellement absent, et le cinquième du butin aux hachémites, ce qui, actuellement, n’est pas en vigueur.

 

Ainsi, en Islam, il n’est pas question de race supérieure aux privilèges illimités, aux dépens et sur le dos des autres nations, mais de mérites qui sont ponctuels et circonscrits à leurs dignes auteurs. L’hégémonie musulmane fut motivée par des raisons religieuses, non raciales, bien que ses représentants fussent majoritairement, du moins pour un temps, des Arabes. Si ces deux choses indissociables qui les lient forment un privilège, il demeure circonstanciel et conditionné à la fidélité de la Loi de l’Éternel, non dans l’absolu. Nous sommes loin du mythe de l’Alliance éternelle et inconditionnelle basée sur des critères raciaux et territoriaux, bien que l’amalgame soit de taille !

 

 

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

Annexe

 

De même que les autres Arabes dont nous avons parlé jusqu'ici, ceux de l'Afrique se divisent en nomades et en sédentaires ; mais les nomades et surtout les sédentaires représentent aujourd'hui le produit des mélanges bien complexes. Dans les villes du littoral, les populations que nous qualifions d'arabes sont le produit du mélange de tous les peuples : Carthaginois, Romains, Vandales, Grecs, Berbères, Arabes, Turcs, Européens, Nègres, qui depuis des siècles se sont rencontrés sur ce littoral et dans ces régions. J'ai trouvé sur le littoral de l'Afrique septentrionale tous les types qu'on pourrait imaginer entre le Nègre du Soudan et l'Apollon du Belvédère. Aussi faut-il renoncer à rattacher les Arabes de l'Algérie à un seul type ou même à une demi-douzaine de types comme l'a fait récemment une anthropologiste qui les avait examinés d'une manière fort superficielle.

 

L'Arabe de l'Algérie n'est en réalité qu'un véritable métis[1], et nous devons nous attendre à trouver en lui toutes les qualités inférieures des métis. Les habitants sédentaires des villes sont les produits du mélange de tous les peuples cités plus haut, produits dégénérés par toutes les dominations qui ont pesé sur eux. Moins mélangés, et partant bien moins dégénérés, les nomades se rapprochent des véritables Arabes nomades des autres contrées et comme eux sont réfractaires à toute civilisation.

 

Sédentaires ou nomades, toutes ces populations ont un sentiment commun : une haine profonde, pas toujours sans fondement, des Européens qui les dominent. L'indigène, que nous décrivons comme indolent, contemplatif, peu industrieux, vivant au jour le jour, humble ou arrogant suivant les circonstances, sacrifiera tout ce qu'il possède et compromettra sa vie dans chaque insurrection pour tâcher de se débarrasser de ses envahisseurs. On arrivera peut-être à détruire méthodiquement l'Arabe de l'Algérie par des moyens analogues à ceux employés par les Américains pour exterminer les Peaux-Rouges ; mais, ce qui me semble absolument certain, c'est que l'Européen ne réussira jamais à se l'assimiler. Deux races aussi dissemblables ne pourront jamais vivre en paix sur le même sol. C'est là une opinion que l'on évite habituellement de consigner dans les livres, mais que j'ai entendu professer en Algérie par tous les observateurs consciencieux. Je la partage moi-même entièrement.

Gustave Le Bon

 

 

[1]             Suivant MM. Carthez, sur les deux millions cinq cent mille musulmans d'Algérie (Arabes, Turcs, Berbères), il n'y aurait que deux cent mille Arabes purs. La race la plus nombreuse est constituée par les Berbères ou Kabyles, qui sont au nombre de un million quatre cent mille environ.

 

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23 novembre 2018 5 23 /11 /novembre /2018 16:22

 

Le Dieu personnel et universel de l’Ancien Testament

 

Dieu est le point de départ des débats d’idées qui ont émaillé l’Histoire de l’Humanité, et qui ont des conséquences profondes sur les orientations que prennent les civilisations. Partant du postulat que le monothéisme précède chronologiquement au polythéisme et à l’athéisme, nous constatons que dans les sociétés où matérialisme et spiritualité se juxtaposent de façon équilibrée, le Dieu monothéiste personnel et universel prend le dessus ; le polythéisme et l’anthropomorphisme n’en sont que les dérives. Quand ces sociétés basculent du côté du matérialisme, elles emportent avec elles dans les abymes de la déchéance leur lot d’athéisme qu’on cherche à masquer dans un premier temps, par peur des représailles là où le zèle monothéiste est encore très prégnant, sous le couvert d’un Dieu impersonnel qu’on enrobe d’élucubrations pittoresques, c’est la « gnose » ou la « gnostique » sur laquelle nous reviendrons. Le grand Architecte serait, selon cette conception, plus ou moins passif, immobile, simple, et indivisible. Si on ajoute à cela son caractère invisible et « incorporel », nous avons là tous les ingrédients pour décrire l’abstrait, le néant, si on enlève toutes les fioritures folkloriques qui entourent ce mythe. De ce Dieu matérialiste impersonnel dérive le monisme panthéiste. Notons que le polythéisme se développe également dans les sociétés athéistes pour se substituer au Dieu vacant, la nature à horreur du vide.

 

Dans son succulent ouvrage, La cité d’Isis, histoire vraie des Arabes, Pierre Rossi démontre avec brio, que les civilisations orientales du pourtour méditerranéen ont abreuvé les Grecs et les romans de leur culture millénaire. De leurs cendres naitra la civilisation occidentale dans laquelle nous baignons actuellement. À eux seuls, deux hommes vont se détacher pour opérer des transformations irréversibles sur la conception du Dieu personnel qu’ils vont mixer avec le dieu impersonnel. L’un, Platon, qui est plutôt un HPi dans la réflexion dessinera pour toujours les contours du Dieu impersonnel ayant pour dérive, gardons-le à l’esprit, le panthéisme ; celui-ci aura plus ou moins de succès en fonction du thermomètre anthropologique qui va jauger la santé des peuples en évaluant leur degré de religiosité et de matérialisme. Le panthéisme est donc un symptôme anthropologique qui marque un déséquilibre aigu entre matérialisme en quête de spiritualité et spiritualité. L’autre, Aristote, l’élève du premier, qui est plutôt un HPe dans l’action chercha à réajuster la conception purement virtuelle concoctée par son maitre du Dieu impersonnel dont il est l’instigateur ou le rénovateur.

 

Dès l’avènement du Christ, l’aristotélisme péripatéticien connu également sous le nom de néo-platonicien va infiltrer la chrétienté par le biais de l’école d’Alexandrie où exerçait Philon, le premier juif ayant introduit une lecture parabolique de l’Ancien Testament. Cet héritage passera très vite dans les rangs chrétiens séduits par cette conception en phase avec l’air du temps. Nous assistons là aux balbutiements du Dieu semi-personnel qui est un mixage, à une époque à forte prégnance monothéisme et où la gnostique est sévèrement condamnée par les monothéistes de tout bord, du Dieu personnel et impersonnel. Origène, l'un des premiers Pères de l'Église, est à l'origine de la Lectio divina grâce à laquelle il va peaufiner cette notion de lecture allégorique des textes sous le couvert fallacieux de conjuguer la lettre et l’esprit, ce qui règlera plus tard le conflit raison/religion, afin de mieux faire passer le concept du Dieu semi-personnel, ce symptôme de l’époque. Cette réforme révolutionnaire passera par un algérien, Augustin qui apportera sa pierre à l’édifice, sous l’influence de Plotin (un HPe) dont la vision purement matérialiste du Dieu impersonnel accouchera du panthéisme moderne. Il va sans dire que le Dieu personnel de l’Ancien Testament n’avait pas sa place dans ce scénario. Pour s’en débarrasser et jeter au pilori ses défenseurs, on joua très tôt sur la corde de l’anthropomorphisme qui assimilera toute tentative de restituer une lecture fidèle des textes scripturaires à du littéralisme outrancier et blasphémateur. Notons que l’anthropomorphisme est tout autant une dérive du Dieu impersonnel que du Dieu personnel dans le sens où ces vrais défenseurs passent par les mêmes démonstrations philosophiques que les tenants du Dieu semi-personnel.

 

Ce Dieu semi-personnel, qui fait tranquillement son bonhomme de chemin, contaminera bientôt l’orthodoxie musulmane, tiraillée par trois grands fronts : l’élément juif qui, au contact des musulmans, distillera son héritage du dieu semi-personne, au même titre que les chrétiens installés dans les hautes sphères de l’Empire, à l’image de Jean de Damascène, un fervent promoteur du néo-platonisme, et la 5ième colonne perse, cette agnostique nostalgique de la puissance sassanide, fera la propagande secrète du dieu impersonnel ; celle-ci engendrera l’ésotérisme qarmate, et son bras armé composé de la secte des assassins, et de la Dynastie fatimide.

La doxa hérétique utilisera les mêmes ingrédients inquisiteurs que les Pères de l'Église ; on ne change pas une équipe qui gagne : lecture imagée du Coran, anathème prononcée à l’encontre des traditionnalistes, qui, fidèles au Dieu personnel, seront taxés d’anthropomorphistes, avec à leur tête l’Imam Ahmed dont la cabale illustre à merveille le climat de l’époque.

 

Les musulmans, les nouveaux porteurs du flambeau de la civilisation, rendront à Platon ses lettres de noblesse au sein d’une Église en perte de vitesse. Ce second souffle inopiné, sous l’impulsion des écrits d’Averroès en Occident et d’Avicenne en Orient, donnera naissance à la scolastique qui, à l’image d’un Thomas d’Aquin, justifiera définitivement la Trinité grâce à l’outil de la logique grecque initié par Platon, le sauveur du catholicisme en détresse. Les liens tissés entre le néo-platonisme et l’Église furent si forts que tout réfracteur sera voué aux gémonies par le Saint-Siège à coups d’anathème aveugle. Les enjeux étaient trop grands, sauf que l’avènement de la science expérimentale va mettre à mal, sinon cette idylle, du moins la crédibilité de la Chrétienté en tant que garante de la science profane, et donc de la Parole de Dieu.

 

Nous entrons de plein fouet dans l’ère du matérialisme. L’Humanité a connu son apogée avec cet épisode de la grotte plantée au milieu d’une terre aride où la prophétie entra en contact avec Mohammed par l’intermédiaire de l’Archange Gabriel. Cette apogée, qui maintiendra un équilibre parfait entre le corps et l’esprit durant au moins deux siècles, entamera lentement sa chute. La matière prenait progressivement le pas sur le spirituel. Cette décadence sera masquée dans un premier temps par l’essor scientifique qui fleurira dans toute sa splendeur de Bagdad, la Capitale abbasside, à l’Andalousie lumineuse. Le progrès technique n’est pas une tare en soi, mais il incarne le symptôme qui extériorise un dysfonctionnement de la double dimension de l’homme qui lui assure à la fois un bien-être mental et matériel. À mesure qu’il perd son âme, il cherche à combler ce vide dans son épanouissement temporel. Un leurre fatal !

 

L’Occident récupérera ce cadeau empoisonné des mains de l’Orient qui s’enfoncera dans des crises schizophréniques d’identité en quête de son passé. On récolte ce que l’on sème. L’immobilisme catholique, qui s’était enchainé lui-même dans les carcans de l’aristotélisme, constituera un sérieux frein à cet élan. Des voix contestataires s’élevèrent un peu partout en Europe, avec l’aide de kabbalistes juifs, ces ardents promoteurs du dieu impersonnel qui prendra pied dans les mouvements réformistes humanistes et francs-maçons à l’origine de la Révolution française, le véritable marqueur de la séparation de l’âme et de son corps. Le Protestantisme trouvera un terreau fertile en Grande-Bretagne qui, fort de son paganisme nordique, revivifiera son vieux contentieux culturel avec le continent.

 

Il faut dire que les catholiques leur ont généreusement donné le bâton en ayant introduit l’idéal platonicien pour démontrer par la raison l’existence de Dieu et la pertinence de la Trinité. Le nominalisme, qui inspirera les philosophes empiristes et utilitaristes modernes, tels que David Hume et John Stuart Mill, ébranla à la base ce concept érigé au rang de dogme immuable. L’Église ne s’en remettra jamais. Guillaume d’Ockham, son fer de lance, fut contemporain à ibn Taïmiya. Ce dernier fustigea les deux pôles successifs ayant sonné le glas de l’âge d’or musulman : la philosophie qui plaidait en faveur d’un dieu impersonnel, et le kalam qui défendait un dieu semi-personnel. Force est de constater que les trois grandes religions monothéistes ont littéralement été absorbé par le plus grand fléau qui ne s’est jamais abattu sur la planète : le néo-platonisme. Deux d’entre elles seront irréversiblement affectées, et la dernière, l’islam, ne doit son salut qu’à la promesse nouée par l’Être suprême de préserver le sceau de la prophétie de l’altération ayant décimé ses ainés.

 

Ibn Taïmiya fut, par la grâce du Seigneur, l’un de ses sauveurs, à une époque où l’orthodoxie avait quasiment perdu son Créateur dans les méandres de la théologie spéculative. Le doyen damascène rétablit in extrémis la place du Dieu personnel dans le monothéisme pure quasiment tombé en désuétude. Les mécanismes de la perdition furent les mêmes dans les trois substrats : un dieu semi-personnel qui s’impose à la suite d’un conflit entre le Dieu personnel et le dieu impersonnel, et la dérive qui en découle, le panthéisme ; l’anthropomorphisme étant très vite marginalisé, car assimilé au Dieu personnel. Ces mécanismes qui portent en eux les germes de leur autodestruction serviront de pont entre la théologie spéculative (scolastique, kalam) soutenue par Maïmonide, Thomas D’Aquin, et Ghazali (qui étaient probablement des HPi), et, par le biais de la philosophie déiste, le panthéisme (ou monisme) ayant séduit Spinoza, David de Dinant, et ibn ‘Arabi (qui étaient probablement des HPe). Rappelons qu’il est possible de passer directement de la philosophie déiste au panthéisme sans n’avoir recours à la théologie spéculative.

 

Nous ne savons pas dans quelle mesure ibn Taïmiya influença la culture occidentale dans sa mutation vers le matérialisme rationaliste, mais une chose est sûre est que des auteurs médiévaux comme Ghazali (dont le parcours a associé soufisme et kalam, faisant plutôt de lui un HPie) occupèrent une place non négligeable chez les penseurs de la Renaissance, à l’instar de Pascal Blaise, en sachant que la recherche anglo-saxonne à une longueur d’avance sur la nôtre.[1]

 

Par ailleurs, ibn Taïmiya (un HPie) n’est pas un littéraliste (compris souvent, à tort ou à raison, dans le sens péjoratif du terme), contrairement à nombre de ses coreligionnaires traditionalistes, sauf qu’il règne une énorme confusion sémantique sur la notion de « Raison », nourrissant les amalgames les plus aléatoires. Chacun voit midi à sa porte et prêche à sa paroisse. En fonction de leur camp idéologique, les uns et les autres ne lui n’accordent pas la même définition qui, en tout état de cause, ne sera jamais objective ; chacun s’efforçant de l’adapter à ses convictions. Les philosophes déistes lui donneront une acception différente des théologiens du kalam, bien qu’ils aient une source helléniste commune.

 

Or, il existe bien une raison naturelle, cartésienne, objective, qui, couplé à la saine nature, est en harmonie totale avec les textes scripturaires des trois grandes religions monothéistes n’ayant subi aucune altération. Ainsi, la distinction entre la lettre et l’esprit ne consiste en aucun cas à tordre les textes pour les faire correspondre à une vision biaisée et orientée. Non, il s’agit déjà de se soumettre pleinement aux textes, ce qui est un acte de foi, et de faire son autocritique lorsqu’on est confronté à des passages dérangeant une raison ô combien limitée. Cette soumission résultante de la confiance aveugle que le croyant leur voue, n’empêche nullement de réfléchir dessus, de les analyser, de les expliquer, mais sans jamais travestir les « intentions » de leur auteur. Sinon, on s’inscrit plus dans la rébellion, même inconsciente, que dans l’émancipation intellectuelle. Il ne faut pas y voir un manque d’intelligence, bien au contraire ! On le voit bien avec ibn Taïmiya, ce surdoué qui, non seulement s’invite à la table des plus grands penseurs, mais qui surnage largement au-dessus de la mêlée…

 

Conclusion

 

Le matérialisme à outrance arrive en phase terminale. Il est né du déséquilibre entre le spirituel et le matériel qui, au Moyen-âge, a pris des proportions indécentes à la suite d’une double incompréhension : 1°) on a imputé la faille béante qui démolissait la logique grecque à la religion qui s’en était servi pour assoir sa conception d’un dieu semi-personnel, et, pour la chrétienté, de la Trinité ; 2°) on s’est imaginé que la religion s’opposait fermement au progrès technique, alors qu’elle était simplement réticente à l’idée que l’obsolescence de la logique grecque remette en cause sa crédibilité. Or, quand bien même, la religion aurait constitué un frein à l’épanouissement de la science, cela concernerait uniquement le catholicisme qui cherchait à protéger contre vents et marées le dogme trinitaire…

 

Ainsi, les mouvements modernes, réformistes pour les musulmans, et traditionnalistes et réactionnaires pour les catholiques sont enfermés dans ce paradoxe inextricable : ils reprennent à leur compte les idées matérialistes qui sont à l’origine de leur déclin, tout en faisant la promotion de l’aristotélisme qui est la cause de l’essor du matérialisme. Ces derniers siècles ont été le théâtre de l’échec du dieu semi-personnel et du triomphe du dieu impersonnel au service du matérialisme. Finalement, loin d’être parfaits, les traditionalistes musulmans représentent sur terre, le seul bastion moral, qui, dans les pas d’ibn Taïmiya, rendent gloire au Dieu personnel et qui, élus fidèles, perpétuent son culte exclusif. Ainsi, le véritable thermomètre pour juger de la santé d’une société est, avant tout, théologique et dogmatique ; et les idéologies matérialistes qui émergent dans les sociétés modernes ne sont que les symptômes apparents d’un dysfonctionnement ayant lieu plus en amont. Le Théo a disparu, en apparence, du devant de la scène et des priorités, mais il reste, dans les faits, au cœur des débats…

 

Par : Karim Zentici

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[1] Voir : Karen Armstrong, A History of God, Ballantine Books New York, 1993 pp. 460.

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