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20 février 2018 2 20 /02 /février /2018 10:17

 

D’après un hadîth, le Prophète (r) aurait dit : « Par Celui qui détient mon âme entre Ses Mains, nul d’entre vous ne prétendra jamais à la foi sans soumettre ses passions à mes enseignements ! »[1] Rapporté par Abû Hâtim dans son recueil e-sahîh. D’après el Bukhârî également, ‘Omar fit la confidence au bien-aimé (r) : « Messager d’Allah, je jure par Allah qu’en dehors de moi-même, tu es la personne la plus chère à mes yeux !

  • Non, ‘Omar, s’exclama-t-il, [tu ne prétendras jamais véritablement à la foi] sans que je ne sois plus cher à tes yeux que ta propre personne !
  • Hé bien, corrigea-t-il, je jure par Allah que désormais, tu es plus cher à mes yeux que ma propre personne.
  • Maintenant, ‘Omar [tu prétends véritablement à la foi]. »[2]

 

El Bukhârî rapporte également cet autre propos prophétique : « Nul d’entre vous ne prétendra jamais véritablement à la foi sans que je ne sois plus cher à ses yeux que n’importe qui sur terre, y compris son père ou son fils. »[3] [Dis : si vos pères, vos fils, vos frères, vos femmes, vos proches, les richesses que vous avez amassées, les commerces que vous craignez de perdre, et les demeures où vous vous prélassez sont plus chers à vos yeux qu’Allah, Son Messager, et la guerre sur Son sentier, alors soyez dans l’attente qu’Allah fixe Son ordre].[4]

 

L’adhésion sans réserve aux enseignements de Mohammed (r) aux détriments de ses intérêts personnels, voire au péril de sa vie, et, donc, sans laisser libre court aux passions est une condition sine qua none pour prétendre à la foi. Il incombe à fortiori de s’incliner devant les sentences sans appel qu’Allah prononce du haut de Son Trône. On peut pressentir qu’Il va lâcher Sa Colère sur un peuple insoumis, mais l’avenir dément très vite cette impression, car, sous l’impulsion de Sa Clémence infinie, Il en décide autrement. L’adorateur zélé est susceptible de mal comprendre cette décision qu’il digère à moitié, soit parce que sa volonté n’est pas en adéquation avec la Loi sage venue du ciel, soit parce que l’Omniscience du Tout-Puissant contrevient à ses pressentiments.

 

En gardant à l’esprit qu’Allah est Savant et Sage, il n’y a plus aucune raison d’éprouver de la répulsion à l’encontre de Ses décisions qui touchent à la religion ou au destin, sauf dans un seul cas de figure. Effectivement, il y a plusieurs choses qui remplissent l’existence et qu’il nous est demandé religieusement de détester, comme la mécréance, la débauche ou la désobéissance à Dieu. En revanche, nous devons nous résigner à l’idée qu’Allah pardonne à un peuple qui encourrait Sa Colère. Nous ne sommes pas autorisés à haïr ce genre de dénouement, étant donné qu’Allah aime Ses créatures qui reviennent à Lui repentantes et qui se purifient sans attendre. Contester ce choix revient à accorder un ascendant à ses envies en rivalité avec la divinité. Le seul moyen de remédier à cette incartade est de se réfugier dans la divinité qu’on régénère grâce à l’attestation de foi.

 

Nous avons le devoir, en pareil cas, de mobiliser le crédo qui requiert d’accorder nos sentiments, nos croyances, et nos réactions avec ce qu’Allah aime, agrée, ordonne ou interdit : [car Allah aime Ses serviteurs qui, sans cesse, se repentissent, et qui se purifient].[5] Nous nous résignons à Sa Volonté sans rivaliser avec celle-ci en privilégiant nos envies.

 

Quoi qu’il en soit, Jonas se rendit coupable d’un acte qui lui valut le pardon de Son Seigneur ayant fait de son péché une bonne action, et l’ayant élevé en rang dans la hiérarchie des élus. Sa rédemption fit de lui un homme meilleur : [Endure avec patience le décret de Ton Seigneur, et ne sois pas comme Jonas, qui, dans le ventre de la baleine, emporté par un profond remord, appela au secours Son Seigneur • Il fut touché par Sa grâce, sinon, il aurait été jeté par la mer sur une plage isolée avec un blâme sur la conscience • Allah le fit monter en grade dans la vertu et le cercle des élus].[6] 

 

En pleine épreuve, il ne fut pas traité avec la même considération : [Là, il fut avalé par un poisson énorme, et mérita bien son sort].[7] Son acte répréhensible le jeta dans le ventre de la baleine. Ce fut à cet instant qu’il eut un blâme sur la conscience, non quand il échoua exténué sur la plage. Ses supplications éperdues firent de lui un homme nouveau. Il faut retenir les bons dénouements non les mauvais commencements, car le dénouement est toujours révélateur. Au stade de nouveau-né, l’individu ne connait rien, et, de fil en aiguille, il se forme pour atteindre la maturité. Il ne convient pas de le juger avant qu’il n’arrive à ce degré de plénitude.

 

C’est pourquoi, les prophètes, dont Yûnas (r) est membre, atteignent toujours la perfection à la fin de leur vie. D’ailleurs, le débat sur la primauté des anges sur les hommes est parfois biaisé, car il compare des êtres parfaits par nature à des hommes vertueux au stade de leur formation. Il se base sur des évènements qui ont eu lieu au début du parcours de ces derniers, et qui montrent qu’ils étaient encore perfectibles. Pourtant, en regard de la finalité, ces hommes jouissent d’un meilleur statut aux Yeux de Dieu qui, en guise de satisfaction, les comble du bonheur éternel dans les jardins de l’Eden où ils n’auront plus aucun défaut ni aucun blâme.  Ils seront installés dans un climat de paix et de miséricorde : [Les anges accourront à toutes les portes pour les accueillir • Soyez en paix en récompense à votre patience, et bienvenue dans la Demeure des délices éternelles].[8]

 

Le débat est donc mal posé. Il est absurde de compare l’incomparable ! À ce compte-là, il faudrait intégrer sur la balance toutes les étapes de la vie d’un homme : la formation du fœtus dans le ventre de la mère avant et après que la vie ne lui soit insufflée, l’accouchement, l’allaitement, le sevrage, etc. Toutes ces phases défectibles ne peuvent servir d’indice de comparaison, car elles ne rendent pas compte de la réalité de l’élu une fois qu’il sera épanoui ou entré au Paradis. Ainsi, en regard de sa finalité et de son épanouissement, l’homme pieux mérite plus que l’ange les éloges et les compliments.

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

[1] Rapporté par ibn Abî ‘Âsim dans e-sunna (n° 15), selon Abd Allah ibn ‘Amr (t), et jugé faible par el Albânî dans zhilâl el janna (n° 15).

[2] Rapporté par Bukhârî (n° 6632).

[3] Rapporté par Bukhârî (n° 15), et Muslim (n° 44), selon Anas ibn Mâlik (t).

[4] Le repentir ; 24

[5] La vache ; 222

[6] La plume ; 48-49

[7] Les rangées d’anges ; 139-145

[8] Le tonnerre ; 23-24

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19 février 2018 1 19 /02 /février /2018 12:22

Le prophète Jonas

(Partie 1)

 

Voir : majmû’ el fatâwâ (10/236-336).

 

[Nul dieu n’est digne d’être adoré en dehors de Toi, gloire à Toi, je suis coupable d’injustice][1] 

 

« Voici l’invocation de mon frère Dhû e-Nûn : « Nul dieu n’est digne d’être adoré en dehors de Toi, gloire à Toi, je suis coupable d’injustice… » Allah soulage tout serviteur en détresse qui la formule. »[2]

D’après les deux recueils e-sahîh, l’Élu (r) met en garde : « Personne n’a le droit de dire qu’il est mieux que Jonas fils d’Amitthaï. »[3] Une version chez el Bukhârî précise : « Prétendre qu’on est mieux que Jonas fils d’Amitthaï est un mensonge. »[4]

 

Le Coran relate l’histoire de Jonas (u) qui avait quitté son peuple en colère : [Endure avec patience le décret de Ton Seigneur, et ne sois pas comme Jonas, qui, dans le ventre du poisson, emporté par un profond remord, appela au secours Son Seigneur][5] ; [Jonas fut également l’un de nos envoyés • Le jour où, dans sa fuite, il prit la mer sur un navire chargé à ras bord • En pleine tempête, il fut désigné par le sort pour être jeter par-dessus bord • Là, il fut avalé par un poisson énorme, et mérita bien son sort • Il fallut pour s’en sortir qu’il glorifie Son Seigneur • Sinon, son ventre lui aurait servi de tombeau jusqu’à la résurrection des corps • Il fut, finalement vomis, exténué, non loin du bord].[6]

 

Yûnas, qui s’était rendu coupable d’un acte répréhensible, eut la bonne idée d’entamer sa rédemption par les éloges à l’adresse du Tout-Puissant. Il concéda que nul dieu n’était digne d’être adoré en dehors de Lui, car Lui seul est absolument digne d’adoration au détriment des idoles. Il n’était pas à la remorque de ses passions pour évacuer ainsi tout parasite dans sa relation avec Son Créateur. Les passions, en effet, entament la pureté du culte. Les annales retracent le récit du fils d’Amitthaï (u) qui fut envoyé par Dieu aux habitants de Ninive. Ceux-ci refusèrent dans un premier temps son ministère. Il leur annonça alors qu’ils seront bientôt frappés par un dur châtiment du ciel, et que la promesse de Dieu était inéluctable. Finalement, ils se repentirent, et furent épargné du courroux qui planait sur leur cité. Le prophète hébreu se sentit quasiment vexé, et pour échapper à la raillerie populaire qu’il redoutait plus que jamais, dans un élan de colère, il fuit son pays.[7] 

 

Il paya son insouciance qui le mena dans la gueule d’un grand cétacé. Ce fut dans les entrailles du mammifère qu’il se remit réellement en question. Il convoqua toute son énergie pour célébrer le Dieu unique, et confirma, du plus profond de son âme, qu’il renonçait aux fausses divinités ; celles-ci doivent leur succès à la main mise sur l’individu des passions, d’un tyran, d’un gourou, etc. Il cria haut et fort que ces faux dieux n’avaient aucune emprise sur lui : [gloire à Toi, je suis coupable d’injustice].[8] Ce genre d’expressions exprime la déception à la suite d’une mauvaise impression (qui est liée au savoir) ou d’un projet mal maitrisé (qui est lié aux intentions).

 

Adam (u), quant à lui, procéda autrement. D’emblé, il reconnut sa faute : [nous nous sommes fait du tort à nous-mêmes].[9] Celui-ci n’était pas sous l’emprise d’une idole qui l’aurait mis en conflit avec les ordres de Dieu. Il ne fit que donner crédit aux allégations du Diable qu’il ne soupçonna à aucun moment de mentir tant ses propos semblaient sincères : [Croyez, je vous jure, que mes conseils sont pour vous une aubaine • Il les séduisit promptement par sa ruse].[10] Il leur avait tendu un piège qui les fit tomber dans la faute. Dès qu’ils ouvrirent les yeux, ils se plaignirent à Dieu de leur manque de vigilance : [nous nous sommes fait du tort à nous-mêmes].[11] À aucun moment, ils ne rivalisèrent avec Lui pour assouvir leurs passions ou un vil intérêt. Ils convoquèrent donc la Seigneurie divine à même d’ajuster leur savoir et leurs intentions afin qu’à l’avenir, ils soient mieux armés pour résister aux malices d’Iblis. Ils reconnurent leur faiblesse devant Leur Seigneur Créateur qui est le Seul capable de la compenser.

 

Dhû e-Nûn, pour sa part, admit qu’il manqua à ses devoirs envers la divinité en tournant le dos, énervé, à ses concitoyens dont il avait anticipé les moqueries. Sa réaction, qui interféra avec la mission qui lui fut conférée, réclamait réparation. Il se précipita donc à afficher son amour exclusif pour la divinité unique à travers l’attestation de foi qui efface les souillures du cœur menant au culte des passions « Les vils passions, nous dit un texte d’origine obscure, est, sous la voute céleste, l’idole la plus abominable qui soit aux Yeux d’Allah. »[12] L’homme au poisson (r) se rattrapa. Il arracha à la base la mauvaise graine des passions qui germe dans le cœur pour se transformer en idole et gangréner le vrai culte. Il coupa toute emprise d’une idole qui l’aurait mis en conflit avec les ordres de Dieu. Il s’orienta de toute son âme vers Celui qui ne partage Sa gloire avec rien ni personne. Il renonça à détourner son cœur vers des dieux étrangers pour appartenir sans réserve à l’Éternel Tout-Puissant. Il compta dans le cercle privilégié des élus et des plus grands esclaves d’Allah.

 

Par ailleurs, ce genre de réaction provient éventuellement de quelqu’un qui, inconsciemment, s’insurge contre les décrets et les commandements divins, le destin et la loi canonique. Car, il appréhende mal la sagesse qui se cache derrière les mystères de la création et qui met en lumière la Miséricorde céleste. Il est donc perturbé. Deux remèdes s’imposent à lui : renoncer aux mauvaises pensées et aux mauvaises pulsions. Il doit se convaincre que le destin et la loi émane de la Volonté du Tout-Puissant qui épanche sur la création Sagesse et Justice. Pour cela, il procède à une introspection et ravale son égo. Il soumet aux décrets divins ses passions qu’il dompte pour les empêcher de rivaliser avec le Créateur suprême : [Non, jure Ton Seigneur par Lui-même ! Ils ne prétendront jamais à la foi sans te soumettre leurs litiges, avec pour volonté d’accueillir ton jugement à cœur ouvert, en s’y pliant sans réserve ni le moindre ressentiment].[13]

 

[1] Les prophètes ; 87

[2] Rapporté par Tirmidhî (n° 3505), et Nasâî dans sunan el kubrâ (n° 10491, 10492), selon Sa’d ibn Abî Waqqâs (t), et authentifié par el Albânî dans silsilat el ahâdîth e-sahîha (n° 1744) et sahîh el jâmi’ (n° 2605).

[3] Rapporté par Bukhârî (n° 3416), et Muslim (n° 2376), selon Abû Huraïra (t).

[4] Rapporté par Bukhârî (n° 4604).

[5] La plume ; 48

[6] Les rangées d’anges ; 139-145

[7] Voir pour l’explication de cet épisode el bahr el muhît (6/333-335).

[8] Les prophètes ; 87

[9] Les remparts ; 23

[10] Les remparts ; 21-22

[11] Les remparts ; 23

[12] Hadîth forgé rapporté par Tabarânî dans el mu’jam kabîr (n° 7502), et ibn Abî ‘Âsim dans e-sunna (n° 3), selon Abû Umâma (t) ; voir l’analyse del Albânî dans la recension de ce dernier ouvrage zhilâl el janna (n° 3).

[13] Les femmes ; 65

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26 janvier 2018 5 26 /01 /janvier /2018 16:08

 

L’autre camp dans cette controverse se range du côté des annales de plusieurs anciens nous étant parvenues grâce à des chaines narratives qui sont d’autant plus incontestables que le Coran les conforte à la faveur du passage : [Il n’y a pas eu de prophète avant toi ni de messager envoyé par Nos soins sans que Satan n’insuffle, dans sa lecture, son venin. Mais, à chaque fois, Allah frappe de nullité ces murmures pour ratifier ses Versets, Lui le Dieu Savant et Sage Au début, Il laisse faire les tentatives sataniques pour altérer Sa Parole, afin de confondre tous ces cœurs infectés d’hypocrisie ou insensibles à la vérité ; dans leur rébellion, les méchants s’enfoncent davantage dans l’obscurité des ténèbres • Et afin que les éclairés sachent qu’ils tiennent là la vérité émanant de Ton Seigneur ; alors qu’ils se ruent dessus le cœur humilié et ouvert à la foi, car Allah guide les croyants vers le chemin droit • Alors que les impies sont toujours envahit par le doute, et ils le resteront jusqu’au jour où la fin du monde les prendra par surprise, ou qu’ils seront frappés par un châtiment funeste].[1]

 

La chronique rapporte, en exégèse à ce passage, plusieurs narrations aussi célèbres qu’irréprochables, et que consignèrent les recueils de tafsîr et de hadîth. Le saint Coran entérine l’idée qu’Allah abroge les versets forgés par Satan pour consolider la bonne parole, et séparer le bon grain de l’ivraie. Ce stratagème par lequel le Malin s’emploie à déstabiliser les cœurs durs ou atteints par les affres de l’hypocrisie, se matérialise par un murmure que tout le monde entend. Il est donc exclu qu’il s’agisse des incitations que le Maudit instille dans les pensées de sa victime. Cette méthode opérée par Dieu pour faire triompher la vérité ébranle tout autant les âmes faibles ou corrompues que l’autre forme d’abrogation en vigueur dans le Livre saint. Elle constitue même un outil plus éloquent au service de la prophétie, et elle confirme d’autant plus que Mohammed (r) n’est pas un imposteur. Ce dernier n’agit pas sous l’effet des passions, sinon il ne se ferait pas corriger par une « force extérieure » qui lui indiquerait qu’une nouvelle révélation abroge d’anciennes dispositions. Et, à fortiori, il ne ment pas quand il prétend que cette même « force supérieure » nettoie son discours des parasites susurrés par le démon à l’oreille de ses auditeurs. ‘Âisha, qui partageait son intimité, nous fit cette confidence ô combien révélatrice au sujet d’un Verset par lequel le Seigneur réprimandait sa conduite : « Si Mohammed avait tenu caché la moindre révélation, lâcha-t-elle, son choix se serait arrêté sur celle-ci : [Tu veillais à dissimiler ce que de toute façon Allah allait rendre public : tu redoutais la réaction des hommes, mais Il est plus digne de cristalliser tes craintes].[2] »[3]

 

Généralement, les narcissiques n’admettent pas quand ils ont torts, et ils défendent farouchement leurs points de vue, quitte à mentir. Le Prophète (r), lui, fit profil bas, et accueillit à bras ouvert les rectifications de Son Seigneur. Il donnait ainsi un précieux gage de son honnêteté et de sa sincérité qui est le signe distinctif de la prophétie. C’est pourquoi, le traiter de menteur est le comble de l’impiété.

 

Par : Karim Zentici

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[1] Le pèlerinage ; 52-55

[2] Les coalisés ; 37

[3] Rapporté par Bukhârî (n° 4612), et Muslim (n° 177).

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21 janvier 2018 7 21 /01 /janvier /2018 10:40

L’histoire des gharânîq

Voir : majmû’ el fatâwâ (10/236-336).

 

L’infaillibilité des envoyés de Dieu est liée à tout ce qui est en relation avec la prophétie. Un nabi (prophète) reçoit la Révélation du ciel, tandis qu’un rasûl (messager) est, en plus de cela, porteur d’un message aux hommes. Ainsi, tout messager est forcément un prophète, mais le contraire n’est pas vrai. Les musulmans s’accordent à dire que les deux sont immunisés contre l’erreur pour tout ce qui a trait à la prophétie et à une mission éventuelle.

 

Or, l’avis des érudits n’est pas aussi tranché pour la question de savoir s’il est possible que Satan insère des paroles venimeuses dans le discours d’un annonciateur de la bonne nouvelle. Certes, Allah ne livre jamais l’un de ses apôtres à lui-même sans le corriger ; Il vient toujours à sa rescousse en frappant de nullité les versets sataniques introduits sournoisement dans son sermon. Malgré toutes les précautions prises par les tenants de cette opinion pour évacuer tout amalgame, une partie des savants ne se laissent pas convaincre pour autant par la pertinence de cette hypothèse. Pourtant, celle-ci est corroborée par un texte controversé, mais aussi par plusieurs narrations imputés aux anciens et allant dans le sens du Livre sacré.

 

Un jour, nous raconte ce fameux texte, le Prophète (r) récita la sourate les étoiles en présence des païens mecquois. Arrivé à : [Voyez vos idoles e-Lât et el ‘Uzza et Manât la troisième du lot],[1] Satan insuffla dans sa récitation : « Ces sublimes déesses (gharânîq) • et leur précieuse intercession. » Ils pensèrent alors, à leur grande joie, que le Messager d’Allah (r) s’était résolu à cautionner leurs idoles, de simples intermédiaires qui faisaient monter leurs requêtes au Seigneur. Après la lecture du dernier Verset : [alors, prosternez-vous devant Allah, et adorez-Le],[2] le Prophète (r) se prosterna, et les musulmans l’imitèrent dans un premier temps avant de se faire rejoindre par les païens que fit exulter cette parole insufflée par Satan. Le sénile el Walîd ibn el Mughîra n’avait plus la force pour se prosterner avec le groupe. Il se contenta de poser une poignée de terre sur son front.

 

La nouvelle courut alors que les païens s’étaient réconciliés avec lui. Celle-ci parvint aux oreilles des musulmans émigrés d’Abyssinie qui prirent aussitôt le chemin du retour. Arrivés à La Mecque, ils déchantèrent, et déplorèrent que leurs concitoyens s’acharnaient toujours autant contre l’Élu (r). Les pressions qu’ils faisaient subir aux musulmans ne s’étaient pas atténuées. Entre temps, le Messager d’Allah (r), qui avait rétablit la vérité, irrita les païens qui redoublèrent d’animosité. Ils n’en démordirent pas moins, et il en fut très contrarié de peur que le Tout-Puissant lui en fasse endosser la responsabilité. La Révélation vint pour le soulager : [Il n’y a pas eu de prophète avant toi ni de messager sans que Satan n’insuffle, dans sa lecture, son venin].[3]

 

Plus d’un moderne jette le discrédit sur l’histoire des gharânîq en s’attaquant à sa chaine narrative.[4] Et pour ceux d’entre eux qui ne remettent pas en question son authenticité,[5] ils précisent que le Prophète (r) n’a pas prononcé ces versets forgées, mais que c’est Satan qui les a insufflés à l’oreille de son assemblée. Sauf qu’ils ne résolvent pas le problème que pose la présence de ces « insufflations » sataniques au cœur de la lecture coranique. Ces derniers ont une façon à eux d’interpréter le passage : [Il n’y a pas eu de prophète avant toi ni de messager envoyé par Nos soins sans que Satan n’insuffle, dans sa lecture, son venin].[6] Selon eux, Iblis n’a cherché qu’à influencer ses pensées.

 

[1] Les étoiles ; 19-20

Il s’agit des plus prestigieuses idoles de la péninsule arabique.

[e-Lât] : sans redoublement du « t » à la fin est le nom d’une idole qui se trouvait à Tâif. Cet espèce de gros cube sculpté dans la roche portait une maison habillée d’un tapis, pour imiter la ka’ba. Bordée d’une grande esplanade, elle était gardée par des chambellans qui lui rendait le culte. Cette idole était la fierté des habitants de Thaqîf et des tribus avoisinantes (ou sous leur tutelle ndt.). Une lecture du Verset donne : [Avez-vous vu e-Lâtt] ; avec un dédoublement du « t » qui forme le participe actif du verbe latta yaluttu. Il s’agissait d’un homme pieux qui imbibait (latta) d’huile ou du beurre fondu (saman) la semoule d’orge ou de blé (sawîq) pour confectionner des repas aux pèlerins étrangers. Après sa mort, on fit construire au-dessus de sa tombe une maison sur laquelle on fit tomber des tapis pour l’ériger en divinité.

[el ‘Uzza] : représentaient plusieurs arbres de salam, qui se trouvaient dans la vallée wâdî nakhla entre La Mecque et Tâif. Entourés d’un édifice et de tapis, ils disposaient également de gardiens. Divinisé par les Quraïshites, mais aussi plus généralement par les habitants de La Mecque et de ses environs, le site était habité par les démons qui s’adressaient aux hommes dans le but de les détourner de la voie de Dieu. Les incultes attribuaient ces voix aux arbres ou à l’édifice qui les ornait.

[Manât] : était un gros rocher dans un lieu non loin de la montagne de Qudaïd située entre La Mecque et Médine, à el Mushallil plus exactement qui se situe à une distance plus proche de Médine, et qui servait d’idole pour les tribus Khuzâ’a, el Aws et el Khazraj.

À l’avènement de l’Islam, après la conquête des Lieux saints de La Mecque, le Messager d’Allah (r) envoya el Mughîra ibn Shu’ba et Abû Sufiân ibn Harb à Tâif pour détruire e-Lât. Les deux hommes mirent son ordre à exécution. Khâlid ibn el Walîd eut, pour sa part, la mission de détruire el ‘Uzza et de couper les arbres qui l’ornaient. Il en profita pour tuer la djinniya qui hantait les lieux et qui s’adressait aux visiteurs en vue de les égarer. Il la fit disparaitre de la surface de la Terre, qu’Allah soit loué ! Alî ibn Abî Tâlib se dirigea quant à lui, vers Manât pour la détruire et la réduire à néant. [Pour plus de détails, voir : zâd el ma’âd (4/413-415).] (Sheïkh el Fawzan).

[2] Les étoiles ; 62

[3] Le pèlerinage ; 52

[4] Sheïkh el Albânî a consacré  l’analyse technique de ce hadîth dans une épitre intitulée nasb el majânîq li nasf qissat el gharânîq. Il en ressort qu’à yeux, il est apocryphe.

[5] Cette histoire est rapportée par ibn ‘Abbâs avec une chaine narrative qui remonte au Prophète (r) sans interruption (mutassil) ; elle est rapportée également par certains tâbi’îns (successeurs des Compagnons ndt.) avec des chaines narratives qui remontent au Prophète sans passer par les Compagnons, et qui sont donc interrompues (mursal). Certains savants, à l’image d’ibn Kathîr, remettent en question son origine. Ce dernier explique que ses chaines narratives sont soit mursal (interrompue au niveau des Compagnons ndt.) soit munqati’ (interrompue au niveau de n’importe quel autre élément de la chaine ndt.) et suspectes aux yeux de certains grands spécialistes. Néanmoins, le Hâfizh ibn Hajar a une autre opinion dans fath el Bârî. Pour lui, rapporté par différentes voies qui se renforcent les unes les autres grâce à des hadîth-témoins, ce récit a une origine. (Sheïkh el Fawzan).

[6] Le pèlerinage ; 52

« sa lecture » : c’est-à-dire en arabe tamannî comme ici : [Une partie d’entre eux sont des vulgaires illettrés qui ne connaissent du livre que la lecture, et qui se livrent à de viles conjectures] [La vache ; 78] ; [amânî (la lecture ou des conjectures ndt.)] ils sont plus portée par la lettre que par l’esprit des saintes Écritures. Le poète utilise tamannî dans ce sens-là pour faire les éloges de ‘Uthmân (t) à travers les vers :

Il a lu (tamannâ) le Coran au début de la nuit

Et juste avant l’aube, il rencontra le destin

Il s’agit de la nuit de son assassinat (t) qu’il consacra à la prière et à la lecture du Coran. Juste avant l’aube, les kharijites firent irruption chez lui (t) pour le tuer.

Le passage qui nous intéresse de ces vers, c’est l’expression tamannâ qui signifie dans ce contexte précis lire le Coran. Tammanî a donc le sens de « lecture ». Le Prophète lisait donc le Coran.  [sans que Satan n’insuffle, dans sa lecture (umniya), son venin] : umniya, autrement dit dans sa lecture du Coran.

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23 février 2017 4 23 /02 /février /2017 10:27

 

La base du régime alimentaire

(Partie 2)

 

‘Abd el ‘Azîz ibn Abî Rawâd : « Selon l’adage, manger peu stimule la piété. »

 

Qathm el ‘Âbid : « Selon l’adage, manger peu rend le cœur plus sensible, et la larme plus facile. »

 

‘Abd Allah ibn Marzûq : « La faim perpétuelle est le grand remède à l’orgueil.

  • Qu’est-ce que la faim perpétuelle à tes yeux, lui souleva Abû ‘Abd e-Rahmân e-Zâhid ?
  • C’est ne jamais manger à satiété.
  • Comment est-ce possible pour un habitant de ce monde ?
  • Il n’y a rien de plus facile, mon cher Abû ‘Abd e-Rahmân, quand Allah nous compte parmi Ses élus, et qu’Il nous ouvre les portes de Son obéissance ! Il suffit de ne jamais manger à sa faim. »

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Un jour, quelqu’un se plaignit à el Hasan el Basrî qui lui avait servi un plat : « J’ai trop mangé, je n’en peux plus !

  • Gloire à Allah, un musulman peut-il manger jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus, asséna el Hasan à son invité ? »

 

Abû ‘Imrân el Jûnî : « Selon l’adage, il suffit de manger peu pour avoir le cœur illuminé. »

 

‘Uthmân ibn Zâida témoigne : « Sufiân e-Thawrî me fit parvenir un courrier dans lequel il préconise : si tu veux moins dormir et avoir un corps en bonne santé, alors réduis ta nourriture. »

 

Bishr ibn el Hârith : « Je n’ai jamais mangé à ma faim depuis cinquante ans. »

 

« Il ne convient pas dans une journée de se rassasier de choses licites au risque de basculer vers l’interdit ; que dire de ceux qui se rassasient régulièrement d’infamie ? »

 

Ibrâhîm ibn Adham : « Quand on a le contrôle sur son ventre, on a le contrôle sur sa religion, et quand on maitrise sa faim, on maitrise la vertu ; si la faim éloigne du vice, la satiété s’en approche, car elle tue le cœur, et cultive les mauvais penchants : la joie excessive, l’ostentation, et le rire. »

 

Mohammed ibn e-Nadhr el Hârithî : « La faim attise la vertu de la même façon que le ventre plein attise l’ostentation. »

 

Abû Sulaïmân e-Dârânî : « La faim et la soif rendent le cœur sensible et doux, et boire et manger à satiété le rend aveugle. »

 

« La satiété est la clef d’ici-bas, et la faim est la clef de l’au-delà ; la crainte d’Allah est à l’origine de tous les biens tant sur terre que dans l’autre monde. Le Tout-Puissant étend ses largesses à ceux qu’Il aime et à ceux qu’Il n’aime pas, mais Il garde en réserve le trésor de la faim qu’Il accorde uniquement à ceux qu’Il aime. Il m’est préférable de moins manger le soir pour me réserver à la prière du début à la fin de la nuit. »

 

El Hasan ibn Yahyâ el Khashanî : « Pour avoir un cœur doux et des larmes à foison, il incombe de ne remplir qu’à moitié son ventre de boisson et de nourriture. »

 

En commentaire à ce propos, Ahmed el Hawârî déclare : « J’ai fait part de ce propos à Abû Sulaïmân qui m’a répondu : « Le hadîth parle d’un tiers pour la boisson et d’un tiers pour la nourriture. Je pense qu’après avoir fait leurs comptes, ces gens-là en ont gagné un sixième. »

 

L’Imâm Shâfi’î : « Je n’ai pas mangé à ma faim depuis seize ans, sauf une seule fois ; j’ai dû ce jour-là me vider le ventre, car la satiété alourdit le corps, dissipe la perspicacité, pousse à dormir, et rend moins prompt à la dévotion. »

 

Le sceau des Prophètes (r) nous recommande de manger peu, comme le formule le hadîth ci-dessus. Ce dernier est également l’auteur des paroles que rapportent el Bukhârî et Muslim, et dont voici les termes : « Le croyant mange dans un seul estomac, contrairement au mécréant qui a besoin de sept estomacs. »[1]

 

Autrement dit, le croyant respecte les prescriptions divines, tandis que le mécréant obéit à ses plaisirs, et mange avec avidité et voracité. En outre, la tradition prophétique préconise un moyen de tempérer ses ardeurs culinaires en partageant sa nourriture avec autrui.

 

Voici ce qu’elle propose en matière d’altruisme et de don de soi : « La nourriture pour un suffit pour deux, la nourriture pour deux suffit pour trois, et celle pour trois suffit pour quatre. »[2]

 

Attention donc à ne pas trop manger ni à trop boire, car trop se remplir le ventre d’eau perturbe la digestion et pousse à dormir. Un tiers de liquide suffit pour l’estomac afin de maintenir le corps en bonne santé.

 

Sufiân : « Mange la nourriture que tu veux, mais sans n’y ajouter de l’eau qui pousse à dormir. »

 

Un ancien disait : « Un jour, quelqu’un s’écria à des pieux israélites à la fleur de l’âge, juste au moment où ces derniers allaient rompre le jeûne : ne mangez pas trop, car vous risquez de boire trop d’eau qui va vous pousser à dormir beaucoup, et donc, à perdre beaucoup. »

 

La frugalité prédominait à l’avènement de l’Islam. Le manque de nourritures y aidant, certes, mais le Très-Haut mit son Élu (r) dans les meilleures conditions possibles pour lui faire supporter les difficultés liées à sa mission. Ibn ‘Omar l’avait bien compris, lui qui décida d’imiter les anciens quand l’abondance « sourit » aux musulmans. Il emboitait le pas à son père qui fut, à la première époque, plus d’une fois tiraillé par la faim.

D’après el Bukhârî et Muslim, selon ‘Âisha, le Prophète (r) n’a jamais offert à sa famille du pain de blé pendant trois jours d’affilé, depuis la période qui couvre ses premiers pas à Médine jusqu’à sa mise en tombe.

 

Une version de Muslim, selon la même ‘Âisha, souligne que, jusqu’à sa mort, il ne sait jamais rassasier de pain d’orge pendant deux jours de suite. Abû Huraïra, chez el Bukhârî, parle de trois jours de suite durant lesquels l’Ami d’Allah (r) ne se rassasiait d’aucune nourriture.[3] Ailleurs, il précise qu’il n’a tout simplement jamais mangé de pain d’orge à satiété. Son serviteur Anas ibn Mâlik témoigne que ni pain tendre ni agneau grillé n’ont garni ses repas jusqu’au jour où il rendit l’âme.[4] La fille d’Abû Bakr raconte également qu’il arrivait qu’aucun feu ne soit allumé pendant au moins deux mois au foyer, et que ses membres n’avaient pour seule nourriture que de l’eau et des dattes. En d’autres termes, on ne faisait pas cuir à manger pendant de longues périodes.[5] Parfois, le meilleur des hommes ne trouvait même pas des dattes de mauvaise qualité pour lui soulager la faim si tant est qu’il se tordait de douleur.[6] Il passait plusieurs nuits sans manger.[7] Pour calmer son symptôme, il se serrait le ventre avec une pierre.[8]  En revanche, les jours d’invitation, le Prophète ne se privait pas, et il n’étalait pas avec affectation un ascétisme éhonté.

 

Un jour, il lança à un homme qui avait éructé en sa présence : « Épargne-nous ce bruit ! Les plus rassasiés sur terre seront les plus affamés le jour de la résurrection. »[9]

 

Il incombe enfin de manger avec modération les aliments qui, à la base, nous sont licites, comme la viande, qui, comme l’aurait signalé le Khalife ‘Omar crée une addiction au même titre que l’alcool.[10] Ibn el Qaïyim rapporte les paroles d’Hippocrate : « Ne faites pas de vos ventres un cimetière pour animaux. »[11]

 

Wa Allah a’lam !

 

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

 

 

[1] Rapporté par Bukhârî (n° 5078) et Muslim (n° 2060).

[2] Rapporté par Bukhârî (n° 5077) et Muslim (n° 2059).

[3] Rapporté par Bukhârî (n° 5432) et Muslim (n° 2970).

[4] Rapporté par Bukhârî (n° 5385).

[5] Rapporté par Bukhârî (n° 2567) et Muslim (n° 2972).

[6] Rapporté par Muslim (n° 2978).

[7] Rapporté par Tirmidhî dans son recueil (n° 2360) et authentifié par el Albânî dans la recension de ce dernier.

[8] Rapporté par ibn el A’râbî dans el mu’jam (n° 21) et authentifié par el Albânî dans silsilat el ahâdîth e-sahîha (n° 1615).

[9] Rapporté par Tirmidhî (n° 2478) avec une chaine narrative jugée faible.

[10] Rapporté par Mâlik dans el muwatta (n° 1744).

[11] Zâd el mî’âd (4/384).

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22 février 2017 3 22 /02 /février /2017 11:32

 

 

La base du régime alimentaire

(Partie 1)

 

« Que ton aliment soit ta première médecine. »

"Primum non nocere" (d'abord, ne pas nuire).

« Cherchez la cause des causes. » (Hippocrate, 480 av. JC).

 

Louange à Allah le Seigneur de l’Univers ! Que les Prières et le Salut d’Allah soient sur notre Prophète Mohammed, ainsi que sur ses proches et tous ses Compagnons !

 

Alexis Carrel : « La mort commence dans le côlon. »

 

Voir notamment : jâmi’ el ‘ulûm wa el hikam d’ibn Rajab.

 

Le ventre est le pire récipient qu’un être humain rempli ; quelques bouchées lui suffisent pour maintenir son corps. S’il doit absolument manger plus, alors qu’il laisse un tiers pour la nourriture, un tiers pour la boisson, et un tiers pour la respiration.[1]

 

La mauvaise digestion est à la base de tous les maux.

 

El Hârith ibn Kalada, la référence arabe en médecine : « La fièvre est la mère des remèdes, et le ventre plein la mère des maux. »

 

« La surabondance de nourritures mal digérées est la cause principale de mortalité des hommes et des fauves dans la nature. »

 

Selon un expert médiéval, si on demandait aux occupants des tombes : « Qu’est-ce qui vous a amené ici ? » ; ils répondraient que ce sont les troubles digestifs.

 

Réduire la nourriture est salutaire pour la santé du corps et de l’esprit : c’est le bon moyen d’adoucir le cœur, de développer la compréhension, de tendre vers l’humilité, de freiner sa colère et ses pulsions. En revanche, se remplir le ventre engendre tout le contraire.
 

El Hasan el Basrî : « Toi, laisse un tiers de ton estomac pour la nourriture, un tiers pour l’eau, et un tiers pour la respiration et la méditation. »

 

Après la conquête de Khaïbar, les Compagnons se plaignirent de la fièvre. Ils avaient absorbé des fruits qui garnissaient ses vergers verdoyants. Voici ce que leur préconisa le meilleur des hommes (r) : « La fièvre, par laquelle Allah maintient les hommes en prison sur terre, est issue de l’Enfer, et accompagne la mort sans répits. Pour la soigner, entre les prières du maghreb et du ‘ishâ, aspergez sur vos malades de l’eau que vous aurez refroidi dans une cruche. » Ces recommandations soulagèrent les hommes de l’armée. Dès lors, le Messager expliqua (r) : « Allah n’a pas créé un récipient pire que le ventre une fois qu’il est rempli. Si on doit absolument le faire, alors qu’on laisse un tiers pour la nourriture, un tiers pour la boisson, et un tiers pour l’air. »[2]

 

Ce texte, qui est à la base des grands principes de la médecine, subjugua, ibn Mâsawaïh, un grand spécialiste en la matière. Après l’avoir lu, ce dernier déclara avec enthousiasme : « Si les gens appliquaient ces paroles à la lettre, il n’y aurait plus aucune maladie ; les hôpitaux et les pharmacies fermeraient aussitôt. »

 

D’après el Marwazî, on demanda à ibn ‘Omar : « Veux-tu que je t’apporte des jawârij (sucrerie ndt.) ?

  • Qu’est-ce que c’est ?
  • Un aliment qui sert à mieux digérer.
  • Je ne me suis pas rassasié depuis quatre mois, non que je n’en sois pas capable, mais parce que j’ai connu une époque où des hommes avaient plus souvent faim qu’ils ne se rassasiaient. »

Une version précise : « Que ferais-je de ces sucreries, alors que je ne connais pas la satiété un mois durant ? »

Quelqu’un lui fit la remarque à la fin de sa vie : « Abû ‘Abd e-Rahmân, à ton âge, il est plus difficile de digérer, et ton entourage ne t’honore pas à ta juste valeur ; quand tu rentres chez toi, tu devrais demander à ta famille de te préparer des plats doux.

  • Malheur à toi, je ne connais pas la satiété non pas depuis onze ou douze ans, mais depuis au moins quatorze ans ! Devrais-je changer aujourd’hui, moi qui suis aux portes de la mort ? »

 

Selon ‘Amr ibn el Aswad el ‘Anasî, ce dernier évitait énormément de se rassasier pour ne pas être contaminé par l’orgueil.

 

Ibn Abî e-Duniya rapporte le témoigne édifiant d’ibn ‘Omar : « Je n’ai jamais mangé à ma faim depuis que je me suis converti à l’Islam. »

 

D’après el Marwazî, l’Imâm Ahmed encensait la faim et la pauvreté, et je lui demandai un jour : « Est-ce que renoncer aux passions rapporte une récompense ?

  • Comment en serait-il autrement, me répondit-il, si l’on sait qu’Abd Allah ibn ‘Omar n’a pas mangé à sa faim quatre mois durant ?
  • Est-ce que manger à sa faim adoucit le cœur ?
  • Je ne pense pas. »

 

En commentaire au hadîth précédemment cité, ce même Ahmed explique que le premier élément de l’énumération, la nourriture, renvoie à la subsistance, la deuxième, la boisson, à la force, et le dernier, l’air, à l’âme.[3]

 

D’après ibn Abî e-Duniya, selon Mohammed ibn Wâsi’, manger peu développe l’intelligence, la clarté d’esprit, la lucidité, l’honnêteté et la douceur ; et trop de nourriture entrave bon nombre d’initiatives.

 

Abû ‘Ubaïda el Khawwâs : « La satiété conduit à la ruine et la faim conduit au succès ; quand on a le ventre plein on est enclin au sommeil qui nous met à la merci de l’ennemi ; et quand on a le ventre vide on est aux aguets. »

 

‘Amr ibn el Qaïs met en garde : « Attention, trop se remplir le ventre endurcit le cœur ! »

 

Salama ibn Sa’îd : « Dans le temps, avoir le gros ventre était aussi condamnable qu’un péché. »

 

Un savant disait : « Si tu as un gros ventre (ou un ventre plein ndt.), alors consacre du temps pour le vider (ou pour le dégonfler ndt.). »

 

Ibn el A’râbî : « Selon l’adage arabe, dormir le ventre plein entrave toute ambition. »

 

Abû Sulaïmân e-Dârânî : « Quand tu entreprends une affaire qui touche à ta vie spirituelle ou profane, garde le ventre vide le temps de l’accomplir, car la nourriture affecte la raison. »

 

Mâlik ibn Dînâr : « Le croyant ne doit pas se focaliser sur son ventre ni se laisser dominer par les passions. » Ce dernier rapporte les propos suivants d’el Hasan ibn ‘Abd e-Rahmân : « Votre père Adam fut frappé par le mal de la nourriture dont les méfaits se perpétueront sur les hommes jusqu’à la fin du monde. »

 

« Selon l’adage, quand on maitrise son ventre, on maitrise toutes les bonnes actions possibles. »

 

« Selon l’adage, la sagesse ne s’installe jamais dans un estomac plein. »

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

[1] Hadîth rapporté par Ahmed, e-Tirmidhî, et e-Nasâî.

[2] Hadîth rapporté par Abû Nu’aïm dans ma’rifa e-sahaba (13/174) avec une chaine narrative controversée.

[3] Manâqib el Imâm Ahmed de Yahyâ ibn Manda.

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10 février 2017 5 10 /02 /février /2017 16:06

 

Regard sur les revenants

(Partie 2)

 

Islamophobie contemporaine

 

Si les analyses de Fanon, enchaine notre ami Thomas, sont plus que jamais d’actualité c’est que les évolutions qu’il avait observées dans les années 1950 et à l’orée des années 1960, à commencer par la culturalisation du racisme et l’extension du domaine de la guerre, se sont poursuivies dans les décennies suivantes.

 

L’« islam » et l’encodage de la race

 

Depuis l’indépendance de l’Algérie et de la plupart des autres colonies françaises, le racisme s’est perpétué et s’est même régénéré en poursuivant sa mue formelle. De plus en plus discrédité, le discours vulgaire à caractère « biologique », quoique toujours présent, s’efface au profit de nouvelles manières de dire et de marquer la race. Et, dans ce processus de culturalisation progressive, le racisme a pris un aspect de plus en plus « religieux ». C’est notamment ce que l’on a pu observer en France au cours des années 1980, en particulier lorsque les responsables politiques et médiatiques français ont commencé à focaliser leur attention sur ceux et celles qu’ils se sont mis à qualifier d’« immigré.e.s de la deuxième génération ». Refusant de les considérer comme des « Français à part entière », et leur déniant donc l’égalité, la sphère politique et médiatique s’est mise à « islamiser » ce segment de la population : ceux que l’on qualifiait de « Nord-Africains » sont progressivement devenus des « musulmans ».

 

Ainsi se poursuit le processus d’encodage de la race déjà identifié par Fanon : l’« islam » tel que l’envisagent, le définissent et l’investissent les dominants fonctionne comme un code permettant de maintenir et de réaffirmer la ligne de démarcation entre les Blancs et les non-Blancs. Rompant avec le « racisme vulgaire » d’antan, ce racisme à référent « religieux », apparemment plus distingué, se donne un aspect plus « acceptable ». À la formule « les bougnoules à la mer ! », on préfère dorénavant des expressions apparemment plus tolérables : « Les musulmans doivent respecter les règles républicaines ! ».

 

Les mécanismes d’encodage et d’euphémisation du racisme s’accompagnent, comme l’avait très bien perçu Fanon, par des dispositifs de dénégation. On ajoutera alors quelques formules rituelles (« Je ne suis pas raciste, je suis laïque ! »). Mais, comme le soulignait à nouveau Fanon, ce n’est pas le problème du racisme qui a disparu, mais simplement l’« aspect du problème » : qu’on « biologise » la race ou qu’on l’« islamise », le processus d’infériorisation – et le déni de l’égalité qui l’accompagne – demeure.

 

Comme à l’époque de Fanon, l’islam est ainsi instrumentalisé par les secteurs dominants de la société française. Cet islam imaginaire, construit par et pour les privilégiés et imposé aux millions de personnes qui sont estampillées comme « musulmanes » sans qu’on ne leur demande jamais leur avis, permet aux premiers de maintenir les seconds dans une situation de perpétuelle domination et de dépendance (et d’agiter sous les yeux des racisé.e.s les menaces funestes qui, d’après Fanon, « existent en horizon » dans toute société raciste).

S’érigeant en juges de paix civile, les non-musulmans – c’est-à-dire, en langage décodé : les Blancs – demandent perpétuellement des comptes, des gages, des signes d’allégeance à ceux qu’ils altérisent et infériorisent et qui, à en croire les responsables politiques et les médias dominants, ne sont jamais suffisamment « intégrés » (ou dont ladite intégration, toujours « suspecte » même lorsqu’elle paraît irréprochable, est toujours révocable). En « islamisant » d’autorité une partie de la population, en actualisant les frontières de la race qui protègent leurs privilèges, les dominants ne font que revitaliser le système raciste. La « république » dont il est question dans leur bouche apparaît chaque jour davantage comme une machine à discipliner les potentiels récalcitrants.

 

Une guerre « à l’intérieur de l’islam » ?

 

Comme à l’époque coloniale, et parce qu’il s’agit moins de faire disparaître l’ennemi que de continuer l’agonie, l’« islam » fabriqué par les instances dominantes de la société – à commencer par les cercles politiques et médiatiques – prend soin de distinguer, parmi les « musulmans », les bons et les méchants. Au lieu d’affirmer de but en blanc qu’il y a une guerre à mort entre les « civilisations » occidentales et musulmanes, entre la Croix et le Croissant, on préfère parler de « guerre à l’intérieur de l’islam » (donc, a fortiori, à l’intérieur de la « communauté musulmane » de France).

 

D’après ce qu’on nous dit, les camps s’identifient aisément. Il y aurait, d’un côté, les « musulmans modérés », nos amis, qu’il faudrait défendre car ils défendent « nos valeurs » ; et, de l’autre, des « islamistes », « intégristes », « fondamentalistes », qu’il faudrait combattre sans relâche. Ces derniers sont nos ennemis, est-il expliqué, car ils veulent nous imposer leurs lois (barbares), voire nous faire purement et simplement disparaître (si ce n’est physiquement, du moins culturellement). Le danger paraît d’autant plus grand que les « musulmans » n’agissent plus seulement de l’extérieur : étant « Français », ils grignotent secrètement notre belle nation de l’intérieur.

 

Apparue dès le milieu des années 1980, cette mise en scène à la fois floue et binaire, moralisante et guerrière, est démentie par tous les travaux sérieux sur les « communautés musulmanes », qui montrent bien qu’il existe une aussi grande variété idéologique, culturelle et sociologique « dans l’islam » qu’ailleurs. Intégrée dans le système d’encodage et d’euphémisation, la fiction d’une « guerre à l’intérieur de l’islam » a une quadruple fonction :

Sous un mode paradoxal, elle permet d’abord d’unifier ladite « communauté musulmane » et de la distinguer ainsi du reste de la société : si elle est « divisée », c’est bien que cette « communauté » existe ; et si elle existe, c’est bien qu’elle ne fait pas vraiment partie de « notre » communauté (nationale/culturelle/etc.). La rhétorique de la « guerre à l’intérieur » de l’islam n’est rien d’autre que la version euphémisée de la théorie du choc des civilisations, qui distingue « nous » et « eux » (euphémisée car elle se présente simplement comme un choc des civilisations par procuration).

Cette mise en scène permet ensuite d’immuniser les metteurs en scène. Tel est le rôle assigné aux « musulmans modérés » : ce sont eux qui certifient la bonne foi de ceux qui les « valorisent » et les invitent sur les plateaux de télévision (selon la logique classique du : « je ne suis pas islamophobe, j’ai des amis musulmans ») et qui justifient l’acharnement collectif contre toute forme d’« intégrisme » (ou de déficiente « intégration »). On constatera au passage que la « modération » prêtée à un musulman est inversement proportionnelle à sa modération à l’égard de ceux qui sont présentés comme « radicaux ».

Cette fiction binaire a bien sûr pour but – c’est sa troisième fonction – de désigner à la vindicte populaire et de mobiliser, au sens fort du terme, les populations contre ceux qui, à l’intérieur de la soi-disant « communauté musulmane », osent non seulement contester l’ordre établi mais le font en mettant en avant des « valeurs » qui, décrites comme incompatibles avec les « nôtres », sont censées distinguer radicalement cette « communauté » du reste de la société.

L’idée fondamentale, derrière ce discours sur les « intégristes » et les « modérés », et c’est peut-être sa fonction principale, est de rendre les populations infériorisées responsables de la stigmatisation et de l’exclusion dont elles sont victimes. C’est-à-dire, comme disait Fanon, de les enfermer dans un « cercle de culpabilité ». Le message codé adressé aux musulmans prend la forme d’un chantage, aussi classique que destructeur : « Choisissez la soumission ou nous vous combattrons. » Pour paraphraser Fanon, parlant des Noirs américains : le musulman doit « “assumer” sa propre condamnation ». Le piège infernal se referme ainsi sur les damné.e.s de la terre.

 

La nouvelle bataille du voile

 

C’est dans le cadre de cette prétendue « guerre à l’intérieur de l’islam » que la question du « voile » est revenue à la surface à la fin des années 1980, pour ne plus jamais quitter la une de l’actualité depuis lors. La réémergence de cette « bataille grandiose », dans le cadre du colonialisme intérieur, n’est pas vraiment une surprise. Ce qui l’est plus c’est la similarité entre les observations qu’a pu faire Fanon en 1959 à propos des opérations d’action psychologique organisée par l’armée française, dans le contexte de la guerre d’Algérie, et celles que l’on peut faire par exemple en étudiant le traitement médiatique de l’affaire de Creil en 1989, dans un contexte apparemment très différent. Certes, les acteurs ne sont plus les mêmes, les rédactions de télévision ayant largement remplacé l’armée française en tant que chef de l’orchestre de la propagande, mais le propos est étonnamment similaire (la télévision allant jusqu’à organiser des émissions qui n’avaient rien à envier aux « séances de dévoilement » mises en scène quarante ans plus tôt sur les places publiques d’Alger).

 

Face à cette offensive sur le voile, les musulmanes réagissent à partir de 1989 à peu près comme le firent les Algériennes en 1959. Certaines tentent de se distancier au maximum des porteuses de foulard, et reproduisent ainsi – à leur corps parfois défendant – le discours ambiant qui décrit le foulard comme le signe incontestable d’« intégrisme » et la preuve de l’existence d’une domination masculine spécifiquement « musulmane ». D’autres, à l’inverse, tentent de réinvestir ce « signe », soit en lui donnant un sens assez proche de celui qu’imposent les médias dominants, mais en le revendiquant, soit – plus fréquemment – en réinventant sa signification pour en faire, selon les cas, un objet permettant de négocier leur identité franco-musulmane ou le symbole de leur insoumission à l’ordre (néo)colonial.

 

Le racisme affleurant en tout cas à chaque nouvelle « polémique », les musulmans paraissent particulièrement conscients des ressorts profonds de cet acharnement collectif contre « le voile » qui, progressant par capillarité, touche un nombre croissant de secteurs de la société (écoles, crèches, hôpitaux, etc.) et ne cesse d’être décliné dans d’autres registres pour toucher d’autres prétendus marqueurs de la « communauté musulmane » (viande halal, pratique du ramadan, horaires de piscine, etc.). Instrumentalisé par le discours médiatique et politique dominant, et utilisé comme arme de guerre psychologique contre la « communauté musulmane » tout entière, le voile redevient l’objet d’une « bataille grandiose » assez similaire à celle que décrivait Fanon à la fin des années 1950. « Demandez à ceux qui nous écoutent et qui sont de confession musulmane de ne pas mettre le voile à leur enfant à l’école, exigeait en 2003 Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur et des Cultes, à Tariq Ramadan sur un plateau de télévision. Si vous le demandez, alors je crois que vous voulez être un modéré. Si vous ne le demandez pas, c’est le double discours. »

 

« Guerre contre le terrorisme »

 

Depuis le début des années 1990 et, plus encore depuis 2001, l’offensive identitaire contre les musulmans s’est doublée d’une offensive sécuritaire dans le cadre de ce qui est dorénavant qualifié de « guerre contre le terrorisme » et qui n’est rien d’autre que le développement des doctrines de guerre développées dans les années 1950 et dont Fanon fut l’observateur privilégié pendant la guerre d’Algérie.

 

La logique identitaire et la logique sécuritaire ayant progressivement fusionné, les très visibles mesures d’exception prises dans le cadre de la lutte contre le « terrorisme », décrites par les commentateurs comme très populaires et absolument nécessaires, permettent de plus en plus de justifier la guerre de basse intensité contre la « communauté musulmane » tout entière. C’est dans ce cadre par exemple que le Livre blanc du gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme appelait en 2006 à une nouvelle « bataille des idées », laquelle visait, selon l’expression employée, deux « groupes-cibles » : d’une part, « la population dans son ensemble, y compris les enfants et les adolescents » et, d’autre part, « les populations dont les terroristes se prévalent », c’est-à-dire les musulmans. Ces derniers, décrits comme des subversifs potentiels, doivent donc subir un traitement à part, ayant pour but de les éloigner physiquement et psychologiquement des « milieux terroristes », à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières nationales.

 

On reconnaît ici le schéma-type de la guerre « contre-subversive » qui, prenant ses racines dans l’histoire militaire coloniale et particulièrement dans les conflits qui ont marqué la période de décolonisation, est développé depuis plusieurs décennies dans toutes les armées du monde dans le but de gagner la « bataille des cœurs et des esprits » contre un ennemi aussi global que nébuleux, à la fois identitaire et sécuritaire, intérieur et extérieur. Dans le cadre de cette « guerre globale contre la terreur »

 

Les errements de l’« homme de gauche »

 

Il est assez probable que Fanon se serait également penché sur le rôle crucial de la « gauche » dans le développement de l’islamophobie contemporaine. Car cette dernière porte une lourde responsabilité dans la régénération des mécanismes islamophobes depuis le début des années 1980. Ayant renoncé à son programme socioéconomique dès le début des années 1980, la gauche de gouvernement, toujours travaillée par ses vieux réflexes colonialistes, a cherché à se faire une virginité en réactivant la double thématique, apparemment « progressiste », de la « laïcité » et de l’« intégration ». Sous prétexte de lutter contre la montée de l’extrême droite et de libérer les femmes maghrébines des griffes des « intégristes », elle a remis au goût du jour les schémas coloniaux et joué un rôle moteur dans le réencodage islamique de la race (selon les modalités déjà identifiées par Fanon il y a soixante ans : euphémisation, dénégation, pseudo-respect, etc.).

 

Ce faisant, la gauche a falsifié les principes dont elle se réclame – la « laïcité » en premier lieu, mais également l’« égalité » ou la « liberté d’expression » – pour en faire des « valeurs civilisationnelles » susceptibles d’être mobilisées dans ce que Fanon appelait la « lutte de “la croix contre le croissant” ». Un processus dont ne peuvent que se féliciter l’extrême droite et les « ultras » de tous poils qui, abandonnant à leur tour le « racisme vulgaire » qui était leur marque de fabrique, adoptent désormais le « racisme distingué » concocté pour eux par leurs prétendus « adversaires » de gauche.

 

Nul doute que Fanon, qui n’a cessé de brocarder l’attitude de la gauche pendant la guerre d’Algérie, aurait analysé avec brio le rôle néfaste de cette gauche qu’on doit bien qualifier de blanche, incapable de se penser comme telle et donc de penser les privilèges dont elle jouit et les non-dits qui la rongent. Mais Fanon ne se serait pas contenté de dénoncer cette frange rétrograde, patriote et chauvine de la « gauche » qui, de Guy Mollet à François Hollande, en passant par François Mitterrand, n’a jamais éprouvé le moindre scrupule à faire la guerre aux colonisés et à leurs descendants. Il se serait également intéressé à cette autre gauche qui s’autoproclame « anticolonialiste » et réclame la « justice » à tout bout de champ mais qui, dans le même temps, n’abandonne rien de ses propres pratiques paternalistes et trouve toujours de bonnes raisons pour éviter de s’interroger sur ses propres schémas mentaux.

 

Voir : http://contre-attaques.org/magazine/article/frantz-fanon

 

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

 

 

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9 février 2017 4 09 /02 /février /2017 18:55

 

 

Regard sur les revenants

(Partie 1)

 

« Les femmes du monde arabe savent bien que leur combat pour l'émancipation implique à la fois la fin du pouvoir patriarcal, dont la plupart des hommes se font les complices, et l'éradication d'une religion qui en justifie la prépondérance. »

(Raoul Vaneigem / né en 1934 / De l'inhumanité de la religion / 2000)

Un internaute interpella l’auteur de ses lignes afin qu’il jette un œil sur l’ouvrage ô combien intéressant, malgré les préjugés de départ, les revenants de David Thomson. Je dis préjugés, car les phénomènes qu’il dépeint m’apparaissaient plus comme un fait de société que comme une somme théologique. Après lecture, je n’en démords pas moins, mais je peux affirmer que la thérapie a marché. Il fallait être sacrément masochiste pour aller jusqu’au bout d’un livre qui dévoile non sans amertume les vilaines tribulations d’individus qui sont mis au compte de ma communauté, ce que je ne conteste pas le moins du monde. D’ailleurs, je n’ai pas pour ambition ici d’associer ma voix à la horde en jetant en pâturage – en guise de garantie pour amadouer la populace en liesse – ces êtres victimes d’une société en mutation, en panne d’identité, qui jette dans les bras de la « religion » ses enfants qu’elle n’a pas sus ni pus gardé. Une fois cette cure de flagellation achevée, je me tourne vers le clavier pour coucher mes impressions à froid et à chaud à travers une série d’article dont voici le préambule.

 

Préambule

 

Thomas Deltombe, qui fut voué aux gémonies pour le crime assassin dont s’est targuée sa plume en proie au syndrome de Stockholm, revient à la charge pour installer le décor qui entoure le retour des revenants à la réalité. L’homme de la cinquième colonne nous dessine les contours, cinglant de la température ambiante, au détour d’une croustillante interview. L’islamophobie, se plaint-il, est à l’évidence un instrument de pouvoir. Il s’agit d’une façon relativement récente – elle date de deux ou trois décennies – de reformuler le racisme d’antan. Il s’agit, en d’autres termes, d’un encodage. Là où l’on parlait des « Arabes », on parlera des « musulmans ». Là où l’on disait vouloir défendre la « civilisation chrétienne », on privilégiera désormais les supposées « valeurs de la République française ».

 

Toute une série de grandes « valeurs », un peu trop facilement qualifiées de « françaises », sont ainsi mobilisées – au sens quasi militaire du terme – pour ériger et maintenir une barrière symbolique qui sépare « eux » et « nous » : la laïcité, la condition des femmes, la liberté d’expression, etc.

Tout ce discours, qui a émergé dans les années 1980, au moment où les élites françaises découvraient les « Français issus de l’immigration », systématiquement décrits comme des Français de seconde zone car « culturellement différents », fonctionne comme un code qui permet de dire le racisme sans le dire explicitement. Cet encodage, cette façon de dire sans dire, est la marque de fabrique de l’islamophobie : c’est cela qui a permis de régénérer le racisme dont on disait, dans la période qui a immédiatement suivi la décolonisation, qu’il était condamné à disparaître.

 

Il suffit de regarder les résultats des sondages régulièrement effectués sur le « sentiment des Français à l’égard de l’islam », notamment dans les périodes marquées par des attentats, pour comprendre que l’islamophobie est un moyen assez puissant de « rassembler les Français ». C’est aussi un moyen pour les responsables politiques de gagner des élections et, pour certains journalistes, de gagner de l’argent.[1]

 

Un Retour en arrière pour un regard plus récent

 

L’infâme fait un judicieux parallèle entre la période coloniale et la psychose frénétique qui déboucha sur la situation actuelle dans un article édifiant qui reprend pour trame de fond le constat de Fanon, un témoin oculaire du passé récent de la France. En voici de larges passages :

 

Pour utiliser les mots de Fanon, lance l’apollon en tongues, l’expression formelle du racisme « se renouvelle », « se nuance », « change de physionomie », « se camoufle » et « se farde ». Et c’est par ce mécanisme, cette adaptation, cette mise à jour, que le racisme, loin de disparaître, peut au contraire se perpétuer

 

Soulignant ainsi le phénomène de l’encodage du discours raciste, et distinguant au passage ce qu’il appelle le « racisme vulgaire » de ce que l’on pourrait appeler le « racisme distingué », Fanon indique que ce n’est évidemment pas le problème du racisme qui a disparu mais bien l’« aspect du problème » qui a été « profondément modifié ». Fanon note que, ce faisant, et pour justifier leur domination, les sociétés qui se croyaient jusque-là biologiquement supérieures mettent de plus en plus en avant leur système de valeurs. Et cite un exemple qui, quoique faisant surtout référence à la guerre d’Algérie à l’époque, ne manquera pas de nous rappeler les discours de certains responsables politiques et médiatiques contemporains : « les “valeurs occidentales” rejoignent singulièrement le déjà célèbre appel à la lutte de “la croix contre le croissant”.

 

Si les formes du racisme évoluent, le fond, lui, demeure. Plus encore : c’est même parce que l’aspect du problème évolue que le problème peut se perpétuer. C’est par ce mécanisme d’adaptation que la société française, comme toute société coloniale, est restée une société raciste. Et Fanon insiste bien sur ce point central de la mécanique raciste, qui nous aide à penser l’islamophobie contemporaine : le racisme a pour caractéristique d’être à la fois systémique et total.

 

Fanon nous met en garde contre le piège tendu par le renouvellement formel du racisme : ce n’est pas parce qu’il « se camoufle » et « se farde », ce n’est pas parce qu’il deviendra plus « acceptable », que le racisme n’a pas l’horreur en horizon.

 

Ce qu’il importe de retenir de tout cela, c’est que les formes du colonialisme, mélange singulier de racisme et de guerre, se renouvellent perpétuellement et se cachent sans cesse pour lui permettre de perdurer. Et c’est cette plasticité du colonialisme, cette capacité à muter, à se camoufler et à étendre son champ d’action, qui a permis à la France de demeurer une société coloniale – donc raciste – bien des décennies après l’indépendance formelle de ses colonies.

 

Le système colonial, note-t-il, cherche à « valoriser » la culture indigène, à « célébrer » les coutumes traditionnelles et va même jusqu’à stigmatiser les « racistes » les plus caricaturaux, les plus vulgaires, qui flétrissent trop ostensiblement la culture dominée. La conquête des esprits se poursuit donc, sur le mode sournois de la dénégation : les systèmes de domination sont toujours plus efficaces lorsqu’ils incorporent des mécanismes d’euphémisation et de dénégation.

 

Manipulée par le système raciste, la culture se transforme également en arme entre les mains des colonisés. Face à l’offensive coloniale, de plus en plus subtile, les colonisé.e.s cherchent des parades. Et, après avoir vainement cherché à « s’assimiler », c’est-à-dire à incorporer les « valeurs » promues par le conquérant, que celui-ci respecte d’autant plus rarement lui-même qu’elles ont pour fonction première d’en exclure les dominés, il se rétracte dans sa culture et l’érige en culte. Ainsi risque de se développer, chez le colonisé, ce que Fanon appelle un « esprit sectaire », et que nos contemporains ont plutôt tendance à qualifier de « fanatisme », d’« intégrisme » ou de « fondamentalisme ».

 

Tout à sa tentative de « valoriser » la culture des colonisés, pour mieux la neutraliser, le colonialisme s’immisce dans les affaires musulmanes. « On assiste, écrit Fanon, à la mise en place d’organismes archaïques, inertes, fonctionnant sous la surveillance de l’oppresseur et calqués caricaturalement sur des institutions autrefois fécondes… » Il s’agit ni plus ni moins que d’une entreprise de simulacre et de mystification

 

La « bataille » du voile

 

C’est le texte « L’Algérie se dévoile », publié en 1959, qui nous donne le plus d’éléments sur la façon dont Fanon envisage l’« islam » – au sens culturel du terme – comme un instrument d’affrontement entre le système colonial et les colonisé.e.s. Ce texte analyse la « bataille » qui, en pleine guerre d’Algérie, se joue autour du voile des Algériennes : « Ce voile, élément parmi d’autres de l’ensemble vestimentaire algérien, va devenir l’enjeu d’une bataille grandiose, à l’occasion de laquelle les forces d’occupation mobiliseront leurs ressources les plus puissantes et les plus diverses, et où le colonisé déploiera une force étonnante d’inertie. »

 

Fanon décrit comment l’administration coloniale instrumentalise, à travers la question du voile, la situation féminine dans le but de stigmatiser la société algérienne tout entière :

« L’administration dominante veut défendre solennellement la femme humiliée, mise à l’écart, cloîtrée… On décrit les possibilités immenses de la femme, malheureusement transformée par l’homme algérien en objet inerte, démonétisé, voire déshumanisé. Le comportement de l’Algérien est dénoncé très fermement et assimilé à des survivances moyenâgeuses et barbares, avec une science infinie. La mise en place d’un réquisitoire-type contre l’Algérien sadique et vampire dans son attitude avec les femmes, est entreprise et menée à bien. L’occupant amasse autour de la vie familiale de l’Algérien tout un ensemble de jugements, d’appréciations, de considérants, multiplie les anecdotes et les exemples édifiants, tentant ainsi d’enfermer l’Algérien dans un cercle de culpabilité ».

 

Cette guerre psychologique contre le voile, que Fanon compare à un viol individuel et collectif, provoque presque mécaniquement une réaction, à la fois individuelle et collective, dans la société colonisée. Se sentant humilié.e.s, les Algérien.ne.s se cramponnent à cette tradition vestimentaire. Même les femmes non voilées, que le colonialisme cherche à enrôler, réagissent : « Spontanément et sans mot d’ordre les femmes algériennes dévoilées depuis longtemps reprennent le haïk, affirmant ainsi qu’il n’est pas vrai que la femme se libère sur l’invitation de la France. » Le voile devient ainsi une arme de résistance…

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

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22 décembre 2016 4 22 /12 /décembre /2016 13:15

 

 

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15 avril 2013 1 15 /04 /avril /2013 09:55
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