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17 septembre 2019 2 17 /09 /septembre /2019 17:15

La coupable fatwa

2/2

 

Nous voyons donc que l’argument mis en avant par ibn Qudâma qui identifie la visite du Prophète (r) à Quba à un voyage spirituel n’est pas solide. Celui-ci ne justifie pas l’idée qu’il incombe de s’acquitter du vœu portant sur un voyage spirituel à Quba. L’autre élément de son argumentation n’est pas plus pertinent, lorsqu’il assimile : « Ne réservez de voyage spirituel pour nulle part… » à une simple recommandation. Il est possible de répondre à cette objection en deux temps :

 

Primo : en supposant que le voyage en question n’ait pas le statut d’acte d’adoration qui mérite une récompense prévue par le Législateur, il n’en demeure pas moins que la croyance accordant au voyage vers les tombes des hommes de Dieu le statut d’acte d’adoration va à l’encontre du consensus de la communauté. Par conséquent, il est interdit à l’unanimité de voyager vers ces lieux avec la conviction de se rapprocher du Seigneur Tout-Puissant par un acte d’adoration, en sachant que c’est la seule motivation qui pousse, en principe, à une telle initiative. Nous ne parlons pas bien sûr de s’acquitter du vœu de voyager vers ces endroits pour des raisons profanes, non religieuses. Le cas échéant, il devient pertinent de respecter son engagement, sauf que là n’est pas notre sujet puisque ce point relève d’un autre chapitre.

 

Secundo : le hadîth en question est à la forme impérative qui exprime l’interdiction, alors que tous les autres textes utilisés pour le contrebalancer sur la visite de la tombe du Bien-aimé (r) sont apocryphes à l’unanimité des spécialistes en la matière. Ceux-ci ne sont pas seulement faibles, mais ils sont purement et simplement inventés si l’on sait qu’ils n’apparaissent dans aucun recueil de référence. L’Imâm Mâlik, la référence incontestable des médinois dont on connait l’érudition sur la question, n’appréciait pas des expressions du genre : « J’ai rendu visite à la tombe du Prophète (r). » Si celle-ci avait eu la moindre légitimité grâce notamment à une parole imputée à la bouche de l’Élu (r), voire, tout simplement, la moindre notoriété au sein de la Ville sainte, l’Imam éponyme de l’école canonique n’aurait jamais osé émettre une réserve sur sa pertinence.

 

En outre, l’Imâm Ahmed, le plus grand expert à son époque en matière de tradition prophétique, ne s’est servi que d’un seul texte pour appuyer sa réponse à une question qui lui fut soulevée sur ce thème. Il s’agit d’une narration qu’utilise Abû Dâwûd dans son recueil e-sunna, avec à la fin de la chaine de transmission Abû Huraïra selon lequel le Prophète  (r) a dit : « À chaque fois que quelqu’un me fait le salut, Allah me rend mon âme afin que je lui rende. »[1] Le muatta de l’Imâm Malik enregistre également cette narration.

 

Dans ce registre, on raconte qu’ibn ‘Omar prononçait la formule à l’intérieur de la mosquée : e-salâm ‘alaïka yâ rasûl Allah ! Pour le Prophète (r), e-salâm ‘alaïka yâ Abâ Bakr ! Pour le premier Khalife, et e-salâm ‘alaïka yâ abatâh ! Pour son père. Puis, il se retirait.[2] Abû Dâwûd rapporte également l’énoncé : « Ne faites pas de ma tombe un lieu de cérémonie, mais, consacrez-moi plutôt des prières qui me parviennent d’où que vous soyez. »[3]

 

D’après Sa’îd ibn Mansûr dans son recueil e-sunan, le petit-fils du Khalife ‘Ali, ‘Abd Allah ibn Hassan réprimanda un homme qui n’arrêtait pas de faire des va-et-vient à la tombe de l’Ami de Dieu (r). En guise de sermon, il lui rappela le hadîth précédemment cité avant de conclure : « Il n’y a pas de différence en cela entre toi et quelqu’un qui se trouve au fin font de l’Andalousie. »[4]

 

D’après el Bukhârî et Muslim, en plein agonie, le Prophète mit en garde sa communauté contre les agissements des judéo-chrétiens : « Allah maudit les Juifs et les chrétiens qui érigèrent des lieux de culte sur les sépulcres de leurs prophètes, s’exclama-t-il. »[5] ‘Âisha, l’auteur de cette narration, raconte ensuite : « Pour éviter cela, on prit soin de ne pas surélever sa tombe de crainte qu’elle ne devienne un lieu de culte. »

 

Par mesure de précaution, le noble défunt fut enterré à l’intérieur de l’appartement de sa plus jeune épouse, au lieu de, comme il était d’usage, lui creuser un trou à l’air libre. De la sorte, il devint impossible de se recueillir en prière devant sa tombe. À l’époque des Compagnons, et de leurs successeurs directs, l’appartement d’Âisha resta séparé de la mosquée. Il fallut attendre l’ère d’el Walîd ibn ‘Abd el Malik de la dynastie omeyade pour qu’il soit intégré aux travaux d’agrandissement. Toutefois, personne n’était autorisé d’y entrer ni pour y réserver une prière verbale ou rituelle ni pour y toucher la tombe ; les actes liturgique étant réservé exclusivement à la mosquée. Par ailleurs, lorsque les croyants des deux premières générations venaient saluer le Prophète, et qu’ils voulaient ensuite invoquer Dieu, ils se tournaient du côté de la Qibla, non de la tombe.

 

La visite du Prophète

 

Lors de la visite du Prophète, il incombe, aux yeux de la grande majorité des grandes références, de le saluer en se tenant en direction de la tombe, et cela vaut uniquement pour le salut. Abû Hanîfa, pour sa part, préfère que le visiteur s’oriente du côté de la qibla, même pour le salut. Toutefois, aucun imam n’a jamais soutenu l’idée qu’il faille se tourner vers la tombe au moment des invocations. Ce n’est pas cette narration mensongèrement imputée à Mâlik qui viendra contrebalancer cet état de fait, surtout que la tendance de l’Imam va diamétralement à l’opposée. Il règne un autre consensus disant qu’il n’est pas d’usage de passer la main sur la tombe du Bien-aimé ni de l’embrasser.

 

Le but de toutes ces précautions est de préserver la pureté du monothéisme, si l’on sait que le paganisme doit son essor à la construction de lieux de culte sur la tombe des vertueux, nous dit en substance bon nombre d’anciens en exégèse au Verset : (Ils insufflèrent aux leurs : ne renoncez jamais à vos divinités ; n’abandonnez surtout pas Wadd, ni Suwâ’, ni Yaghûth, ni Ya’ûq ni Nasr • par ces mots, ils égarèrent un grand nombre d’hommes).[6] Une narration d’ibn ‘Abbâs, sous l’autorité de Bukhârî corrobore cet exégèse : « Il s’agit des noms d’homme vertueux que le peuple de Noé représenta en image pour les introduire dans leurs assemblées. Avec le temps, ils furent pris pour objet d’adoration. »[7] Plus d’un exégète, à l’image de Tabarî, impute cette histoire à plusieurs anciens. Wathîma, notamment, répertorie plusieurs de ses voies narratives dans qisas el anbiyâ.

 

Ailleurs, nous avons établi en détail les grands principes qui ressortent de ce thème.[8] Sachons que la première vague hérétique à avoir introduit des faux hadîth pour justifier le culte des tombes provient notamment des shiites duodécimains qui troquent la fréquentation des mosquées avec celles des mausolées. Ils délaissent les lieux de culte dans lesquels Allah ordonne de sanctifier Son Nom, de L’adorer Seul et sans partage au profit des temples où règnent l’idolâtrie, le mensonge, et l’hérésie infondée. Les textes scripturaires de l’Islam ne font mention que des mosquées, non des mausolées ; à titre d’exemples : (Dis-leur : Mon Seigneur ordonne la justice, alors tournez vos visages vers Lui Seul dans chacune des mosquées édifiées à cet effet, et rendez-Lui le culte exclusif en Lui réservant vos prières)[9] ; (Seuls ceux qui croient en Dieu et au jugement dernier sont dignes de fréquenter Ses mosquées, ceux-là même qui observent la prière, s’acquittent de l’aumône légale, et qui ne redoutent personne d’autre que Lui ; ceux-là sont en bonne voie de gagner le salut)[10] ; (et ne commercez pas avec vos femme tout le temps passé, à votre retraite, à l’intérieur des mosquées)[11] ; (Et que les mosquées sont consacrées à Dieu, alors ne réservez vos invocations à nul autre que Lui)[12] ; (Y a-t-il pire injustice que d’empêcher que le Nom d’Allah retentisse dans Ses mosquées et d’œuvrer à les détruire ? Ce sont plutôt les coupables d’une telle iniquité qui devraient fouler leur sol avec la peur au ventre).[13]

 

Un hadîth authentique confirme cette mention : « Les peuples avant vous érigeaient des mosquées sur leurs tombes, alors, ne vous avisez pas à faire de même, car je vous l’interdis. »[14]

 

Ibn ‘Abd el Hâdî poursuit :

 

Voici les derniers mots de la fatwa du Sheïkh el Islâm, mais Dieu le Très-Haut seul le sait !

 

Comme il le souligne lui-même, il a abordé ce thème à maintes reprises. À Damas, ses détracteurs exultaient en pensant l’avoir confondu, ou, tout au moins, aux yeux du monde. Ils entamèrent leur procédure de bannissement en reproduisant la fatwa par écrit, puis, ils firent transmettre la copie aux autorités compétentes égyptiennes. Pour enfoncer le clou, le cadi shaféite y alla de son commentaire en exergue : « Nous avons comparée cette copie avec l’originale écrite des mains d’ibn Taïmiya, et il s’avère qu’elle est authentique. […] L’infâme a osé interdire la visite des tombes de prophètes en commençant par celle de l’Élu en prétextant sans ambages qu’il existe un consensus condamnant une telle initiative. » Malheureusement, il a complètement déformé les propos d’ibn Taïmiya. Il n’est absolument pas question dans sa fatwa de la visite des lieux où des prophètes et des vertueux furent mis en tombe, mais d’exposer les deux opinions existantes sur l’opportunité de consacrer un voyage à cet effet. Son inquisiteur a donc amalgamé deux questions complètement différentes. Il va sans dire que Sheïkh el Islâm n’a rien contre cette visite, bien au contraire. Lui-même la loue et la recommande. Il a simplement émis la condition de ne pas lui réserver spécialement un voyage. Ses multiples ouvrages sont là pour le démontrer, notamment sur les lois du pèlerinage.

 

En l’occurrence, sa fatwa n’aborde absolument pas le thème de la visite légale, ni pour dire qu’elle est illégitime et encore moins que l’unanimité des savants la condamnent, mais rien n’échappe à Dieu, pas même la plus subtile des injustices !

 

À peine la missive du cadi arrivée à destination, l’affaire enfla considérablement et des troubles étaient à craindre. On sollicita l’intervention des juges qui convoquèrent une séance illico presto. Certains intervenants suggérèrent de mettre l’intéressé sous les verrous. Nous l’avons vu, un décret sultanesque vint contenter leur ambition…

 

                           

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

[1] Hadîth rapporté par Abû Dâwûd (n° 2041), Ahmed (2/527), et Mâlik (1/66).

[2] Voir : e-Tirmidhî (n° 320), e-Nasâî (n° 2043), Abû Dâwûd (n° 3236) et Ahmed (1/337).

[3] Hadîth rapporté par Abû Dâwûd (n° 2041) avec « ma tombe » au lieu de « ma demeure » qui est une autre version rapportée par Tabarânî dans el awsat (n° 8026).

[4] Narration rapportée par Ismâ’îl ibn Ishâq el Qâdhî dans fadhl e-salât ‘alâ e-nabî.

[5] Hadîth rapporté par el Bukhârî (n° 1330), et Muslim (n° 529), selon ‘Âisha.

[6]h ; 23, 24

[7] Narration rapportée par el Bukhârî (n° 4636).

[8] Notamment dans el istighâtha wa e-radd ‘alâ el Bakrî, e-radd ‘alâ el Akhnâî, qâ’ida fî e-tawassul wa el wasîla, iqtidhâ e-sirât el mustaqîm, el jawâb el bâhir fî zuwwâr el maqâbir, etc.

[9] Les remparts ; 29

[10] Le repentir ; 18

[11] La vache ; 187

[12] Les djinns ; 18

[13] La vache ; 114

[14] Hadîth rapporté par Muslim (n° 532), selon Jundub ibn ‘Abd Allah el Bajalî (t).

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16 septembre 2019 1 16 /09 /septembre /2019 16:48

 

La coupable fatwa

1/2

 

En parlant de la visite hérétique des cimetières et des mausolées, ibn Taïmiya prévient : « Quant à nous, nous ne jetons l’anathème sur aucun musulman pour une erreur commise touchant à cette question et à n’importe autre domaine de la religion. »

Ibn Taïmiya, majmû’ el fatâwâ (27/337).

 

Voici la fatwa à l’origine de la dernière cabale de Sheïkh el Islâm qui le mènera injustement en prison en 726 h. Cette injustice lui sera fatale, car il n’en ressortira plus de son vivant :

 

Question : quelle est l’opinion des grands maitres et sommités de la religion au sujet d’un homme qui désire rendre visite à la tombe des prophètes et des vertueux, à l’image de l’Élu (r) ? Lui est-il permis au cours de son voyage de raccourcir la prière ? Déjà, quelle est la légitimité de ces voyages spirituels ? Il existerait plusieurs textes scripturaires en la matière, notamment : « Me visiter après ma mort revient à me visiter de mon vivant. » ; « Entreprendre le pèlerinage sans me visiter revient à s’éloigner de moi. » ; « Ne réservez de voyage spirituel pour nulle part en dehors des trois mosquées consacrées : Le saint Sanctuaire, le Temple d’el Aqsâ, et ma mosquée où nous sommes. »[1] Si vous pouviez nous éclairer, que Dieu vous récompense !

 

En réponse : louange à Dieu, Seigneur des mondes ! Pour ce qui est de raccourcir la prière au cours d’un voyage consacré à la visite des tombes des prophètes et des vertueux, il existe deux opinions notoires sur la question.

 

La première provient des savants des siècles passés qui n’accordent aucune « permission » au pécheur qui entreprend de longues distances en vue d’enfreindre des interdits. Son voyage n’a aucune légitimité, et par conséquent il ne peut jouir des prérogatives conférées par le Législateur en faveur du voyageur bien-intentionné. Dans ce camp, nous trouvons des références telles qu’Abû ‘Abd Allah ibn Batta, Abû el Wafâ ibn ‘Aqîl, et un grand nombre de savants des générations passées toute tendance confondue. Cette opinion est imputée à des prédécesseurs illustres à l’instar de Mâlik, de Shâfi’î, et d’Ahmed.

La seconde autorise à profiter des « permissions légales » dans toutes les situations, même au cours d’un voyage illégitime. Cet avis, qui est à mettre au compte d’Abû Hanîfa, fut repris par plusieurs modernes d’obédience shaféite et hanbalite. Ces derniers dans les rangs desquels on compte Abû Hâmid el Ghazâlî, Abû el Hassan ibn ‘Abdûs el Harrânî, et Abû Mohammed ibn Qudâma el Maqdisî, accorde un caractère légal aux voyages spirituels. Ceux-ci se fient au sens général dénoté dans le propos prophétique : « Visitez les cimetières, ils vous rappelleront l’au-delà. »[2]

 

Or, plusieurs auteurs, qui n’ont aucune compétence en matière de hadîth, s’inspirent éventuellement de textes apocryphes comme celui rapporté par Dâraqutnî dont voici l’énoncé : « Me visiter après ma mort revient à me visiter de mon vivant. » En revanche, l’autre citation utilisée par certains conteurs ou autre ne se trouve chez aucun spécialiste : « Entreprendre le pèlerinage sans me visiter revient à s’éloigner de moi. »

 

Même constat pour la diction suivante qui n’a aucune origine narrative : « Qui dans une même année nous rend visite à mon père Ibrahim et à moi, je lui accorde la garantie qu’Allah le fera entrer au Paradis. »[3] Les savants sont unanimes à juger ces narrations apocryphes. Aucun d’entre eux ne s’est aventuré à les utiliser comme argument pour valider leur thèse, en dehors, peut-être de la narration relatée par Dâraqutnî.

 

Ibn Qudâma el Maqdisî met, tout au plus, en avant l’idée que le Prophète (r) visitait régulièrement la mosquée de Quba. À ses yeux, contre toute-attente : « Ne réservez de voyage spirituel pour nulle part… » ne va pas dans le sens des « anti voyage spirituelle », puisqu’il ne s’agit pas d’une interdiction absolue, mais, selon lui, d’une simple recommandation.

 

En revanche, les tenants de la première opinion utilisent cette narration en leur faveur. Celle-ci fut validée par les deux recueils authentiques, et il existe un consensus sur son authenticité et sa mise en vigueur.

 

Les grandes références de la religion s’entendent sur un point. Autrement dit, dans les cas de figure suivants, l’auteur d’un vœu n’est pas tenu de le respecter : faire le vœu de prier dans telle mosquée (en dehors des trois grands lieux de l’Islam), tel mausolée, ou d’y consacrer une retraite, une visite spirituelle. Néanmoins, dans la situation où son vœu porte sur le grand ou le petit pèlerinage, le cas échéant, il est dans l’obligation de s’y astreindre à l’unanimité des savants. Or, il y a un cas de figure qui ne fait pas l’unanimité. Il s’agit du vœu de se rendre à Médine ou à Jérusalem en vue d’y consacrer une prière ou une retraite spirituelle à l’intérieur des lieux consacrés. Pour Mâlik, Shâfi’î, selon l’une de ses deux opinions sur la question, et Ahmed, il incombe de respecter ce vœu. À contrario, Abû Hanîfa n’impose pas la concrétisation d’un vœu noué pour les actes qui ne relèvent pas de l’obligation légale (ex. d’obligation légale, le hadj et la ‘omra). Donc, la majorité des savants optent pour le caractère obligatoire d’un vœu qui porte sur n’importe quel acte d’adoration, même surérogatoire.

 

Un texte vient corroborer cette dernière opinion. D’après el Bukhârî, en effet, selon ‘Âisha – qu’Allah l’agrée – le Messager (r) préconise : « Qui fait le vœu d’obéir à Allah doit s’en acquitter, mais qu’il y renonce dans la situation où son vœu porte sur un acte de désobéissance. »[4] Par conséquent, il devient obligatoire de s’acquitter d’un vœu qui porte sur le voyage spirituel en direction de Médine et de Jérusalem. Cette astreinte de s’acquitter d’un voyage, qui est née à la suite d’un vœu, ne concerne que les trois grands lieux de l’Islam. Aucun savant n’impose de s’acquitter d’un vœu qui porte sur n’importe quel autre endroit, pas même sur la mosquée de Quba, comme le stipule noir sur blanc les écrits des spécialistes, bien qu’une fois à l’intérieur de la Ville sainte, il soit recommandé de s’y rendre par dévotion envers Dieu, conformément à la prescription prophétique : « Qui procède à ses ablutions chez lui pour se rendre ensuite à la mosquée de Quba dans l’intention d’y accomplir une prière, aura la récompense d’une ‘umra. »[5] Il est interdit, toutefois, de consacrer un voyage spécialement pour la visite du premier lieu de culte construit à l’ère islamique.

 

Les savants expliquent que toute pérégrination spirituelle en direction des tombes des Prophètes et des pieux est une hérésie dans la religion dans la mesure où aucun prédécesseur parmi les Compagnons et leurs successeurs directs ne se sont jamais adonnés à une telle pratique. Le Messager d’Allah (r) ne l’a jamais enjoint, et aucun Imam ne l’a jamais recommandé. Qui contrevient à cet état de fait en accordant une valeur cultuelle à une telle initiative s’inscrit à contre-courant de la tradition prophétique et du consensus des grandes références musulmanes. Dans el ibâna e-sughrâ, Abû ‘Abd Allah ibn Batta se charge d’enregistrer ce crédo.

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

[1] Hadîth rapporté el Bukhârî (n° 1189), Muslim (n° 1397), e-Nasâî (n° 700), Abû Dâwûd (n° 2033), ibn Mâja (n° 1409), Ahmed (2/278), et e-Dârimî (n° 1421).

[2] Hadîth rapporté par Muslim (n° 976) et ibn Mâja (n° 1569).

[3] Après avoir cité la plupart de ces versions dans son ouvrage e-talkhîs, ibn Hajar fait le commentaire suivant : «  Les voies de ces hadîth sont toutes aussi faibles les unes que les autres. »

Voir : talkhîs el habîr fî ahâdîth e-râfi’î el kabîr (2/267).

Le hâfizh el ‘Uqaïlî affirme pour sa part : « Aucun hadîth dans ce domaine n’est authentique. »

E-dhu’afâ el kabîr (4/170).

Ibn Taïmiya renchérit en soulignant que tous ces hadîth sont inventés.

Voir : el fatâwâ el kubrâ (3/42, 5/146).

[4] Hadîth rapporté par el Bukhârî (n° 6696, 6700).

[5] Hadîth rapporté par ibn Mâjah (n° 1412).

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6 septembre 2019 5 06 /09 /septembre /2019 19:56

 

Bribes biographiques d’ibn Taïmiya 5/5

 

La campagne de calomnies

 

Ibn ‘Abd el Hâdî explique :

 

Comme il le souligne lui-même, il a abordé ce thème à maintes reprises. À Damas, ses détracteurs exultaient en pensant l’avoir confondu, ou, tout au moins, aux yeux du monde. Ils entamèrent leur procédure de bannissement en reproduisant la fatwa par écrit, puis, ils firent transmettre la copie aux autorités compétentes égyptiennes. Pour enfoncer le clou, le cadi shaféite y alla de son commentaire en exergue : « Nous avons comparée cette copie avec l’originale écrite des mains d’ibn Taïmiya, et il s’avère qu’elle est authentique. […] L’infâme a osé interdire la visite des tombes de prophètes en commençant par celle de l’Élu en prétextant sans ambages qu’il existe un consensus condamnant une telle initiative. » Malheureusement, il a complètement déformé les propos d’ibn Taïmiya. Il n’est absolument pas question dans sa fatwa de la visite des lieux où des prophètes et des vertueux furent mis en tombe, mais d’exposer les deux opinions existantes sur l’opportunité de consacrer un voyage à cet effet. Son inquisiteur a donc amalgamé deux questions complètement différentes. Il va sans dire que Sheïkh el Islâm n’a rien contre cette visite, bien au contraire. Lui-même la loue et la recommande. Il a simplement émis la condition de ne pas lui réserver spécialement un voyage. Ses multiples ouvrages sont là pour le démontrer, notamment sur les lois du pèlerinage.

 

En l’occurrence, sa fatwa n’aborde absolument pas le thème de la visite légale, ni pour dire qu’elle est illégitime et encore moins que l’unanimité des savants la condamnent, mais rien n’échappe à Dieu, pas même la plus subtile des injustices !

 

À peine la missive du cadi arrivée à destination, l’affaire enfla considérablement et des troubles étaient à craindre. On sollicita l’intervention des juges qui convoquèrent une séance illico presto. Certains intervenants suggérèrent de mettre l’intéressé sous les verrous. Nous l’avons vu, un décret sultanesque vint contenter leur ambition…

 

 

La fin du calvaire

 

Ibn Taïmiya (m. 728/1358) prédisait que si les Juifs parviennent à fonder un empire en Iraq ou ailleurs, les rafidhites seront parmi leurs plus grands alliés. Ces derniers s’allient constamment avec les mécréants parmi les païens, les Juifs, et les chrétiens pour combattre les musulmans, et ils leur viennent toujours en aide.[1]

 

Ibn ‘Abd el Hâdî (m. 744 h.) nous offre un contre-rendu des derniers mois que son maitre passa en prison : pendant tout son calvaire, le Sheïkh Taqî e-Dîn fut l’objet d’un grand encensement de la part notamment du surveillant-chef de la Citadelle, et de son intendant. Ces derniers affichaient, en guise de soutien et à la limite de l’affectation, une grande disposition à servir notre doyen afin que sa détention se déroule dans les meilleures conditions. Il bénéficiait d’un traitement de faveur. Il avait notamment à sa disposition de quoi écrire, et, telle une flèche aiguisée, sa plume qui était, entre autre, adressée à ses partisans, sortait librement à l’extérieur de la Citadelle pour finir en bon état dans les mains du destinataire à qui elle était adressée. Longtemps après sa mort, les correspondances et les ouvrages qu’il entreprit de sa prison connaitront un succès inimaginable.

 

Mais, si son verbe ne constituait plus un obstacle pour ses détracteurs, ses écrits dérangeaient non moins terriblement. Ils étaient aussi cuisants que les griffes acerbes d’un aigle. Il fut décidé par décret royal de le priver de ses outils d’écriture, la prunelle de ses yeux. La nouvelle sonna comme un coup de grâce, mais il ne se dépita pas pour autant, et sa détermination face à ses malheureux bourreaux était inébranlable. Dorénavant, il composait ses courriers avec des morceaux de charbon en guise d’encre et de plume. Voici en exclusivité l’une de ses lettres qui nous fut conservée :

 

Au Nom d’Allah, le Très-Miséricordieux, le Tout-Miséricordieux !

 

Salâm ‘aleïkom wa rahmat Allah wa barakâtuhû (que le salut d’Allah soit sur vous ainsi que Sa Miséricorde et Sa Bénédiction) ! Nous exprimons notre reconnaissance envers Dieu que Nous louons pour avoir déversé sur nous Sa Grâce à profusion ; Sa Grâce qu’Il nous gratifie jour après jour et à chaque fois avec une intensité plus grande. À travers celle-ci, Il met tous les moyens en œuvre pour assurer le triomphe de Sa religion. Ce bienfait, à lui tout seul, est sans limite : [Il est Celui qui envoya Son Messager porteur, à la lumière d’une voie éclatante, de la religion de vérité afin qu’Il la fasse triompher sur les fausses religions, et Lui-même suffit pour en témoigner].[2]  Satan employa ses suppôts à la corruption de la Révélation pour laquelle les prophètes furent envoyés sur terre porteurs des Livres sacrés pour appuyer leur ministère.

 

C’est par une loi universelle que pour la défense de Sa Loi, Dieu met sur son chemin des opposants pour mieux faire reluire Ses Paroles qui font éclater la vérité s’insurgeant contre le faux qu’elle fustige, car il était voué à disparaitre. Le parti de Satan ne s’évertue pas simplement à contrer la législation mohammadienne, mais il s’attaque impétueusement à la toute la prophétie ayant pour défenseurs des personnages illustres tels qu’Ibrahim, Moussa, le Messie, et Mohammed le sceau qui vient la clore, que Dieu prie sur eux tous !

 

Ces mystificateurs nourrissaient l’espoir d’endiguer toute production intellectuelle au service du Parti de Dieu et de Son Messager. La réponse à el Akhnâî leur resta en travers de la gorge. Ils se mirent alors à gigoter dans tous les sens pour la mettre en lumière. Le Très-Haut faisait d’eux des instruments au service de la vérité, malgré tous les stratagèmes inimaginables qu’ils mettaient en place pour l’éteindre. Ils se mirent à le scruter avec un soin méticuleux en vue d’y déceler une faille qui intercéderait en leur faveur, sauf que, penauds, ils ne trouvèrent rien d’autre que des éléments qui, en définitive, se retournaient contre eux. Leur tentative désespérée trahissait leur ignorance, leur malhonnêteté, mais surtout leur incompétence. Ils devinrent ainsi les meilleurs ambassadeurs de nos idées qui se répandirent à travers tout l’Empire à une vitesse prodigieuse. Ils montraient ainsi la Toute-puissance du Seigneur des cieux et de la terre, dont la ruse n’a pas d’équivalent, et sans l’aide de qui une telle opportunité ne se serait jamais présentée.

 

Ces affabulateurs ne réussirent à dégotter aucune entorse aux enseignements des textes scripturaires. La seule chose qu’ils se mirent sous la dent, c’est que nos idées contrevenaient à un décret rédigé par des êtres humains, qui, qui qu’ils soient, ne jouissent pas de la prérogative d’imposer, ou ne serait-ce que de suggérer à titre indicatif d’aller à l’encontre des lois divines, et cela, à l’unanimité des musulmans.

 

Aux yeux d’un de mes inquisiteurs, mon crime est de propager l’hérésie, mais tout homme sensé remarque facilement l’inconsistance d’une telle accusation. Nos contempteurs ne font qu’inverser les rôles, puisque, jusqu’à preuve du contraire, l’hérésie nait soit d’un manque de connaissance de la tradition prophétique soit d’une volonté de défendre ses passions, quitte à aller à son encontre. Là, il se moque de la charité, puisque c’est lui l’ignare et c’est lui qui est mue par les passions infondées : [Y a-t-il plus grand égarement que de laisser libre court à ses passions sans s’appuyer sur la moindre preuve venant de Dieu ?][3] Ce type d’individus est sans commune mesure avec quelqu’un d’expert en matière de tradition prophétique, et qui, intègre, ne cède pas à ses passions ni à ses intérêts personnels : [Puis, Nous t’avons prescrit une loi qui procède de Notre Ordre, alors applique-toi à la suivre, et tiens-toi éloigner des passions de ceux qui ne savent pas • Car ils ne te seront d’aucun secours contre Dieu, et si les injustes sont alliés les uns les autres, Dieu est l’allié des croyants craignant Dieu].[4]

 

Cette affaire gravissime est d’une importance capitale, et vous aurez bien le temps de l’apprendre. Fin de citation.

 

Malheureusement, certains passages de cette lettre, qui ont été effacés par la vicissitude du temps, sont illisibles. On y comprend en partie, malgré tout, que ses inquisiteurs réclamèrent de fournir au tribunal un exemplaire entier d’el akhnâya, alors qu’ils avaient sous la main des ouvrages de l’accusé bien plus édifiants, bien plus instructifs, bien plus à même de démolir leur credo, et de mettre à mal leurs intérêts tels qu’el zamalkaniya. Ce dernier écrit établit en cinquante points que le décret inique dont le Sheïkh fut l’objet va à l’encontre du consensus des musulmans. Si seulement ses inquisiteurs avaient conscience des implications de leurs discours, et s’ils allaient en tout âme et conscience en contre-courant des enseignements divins, alors ils seraient jugés apostats. Néanmoins, de part leur ignorance, note le Sheïkh en substance, ils se sont aventurés dans un domaine qui les dépasse si tant est qu’ils imaginaient mal que le Sultan prenne une position différente de la-leur, et croyez-moi, les dessous de cette affaire sont bien plus obscurs que vous ne le pensez. Quand à nous, que Dieu soit loué, nous vouons un combat extraordinaire sur le sentier de la vérité.

 

Un peu plus loin, le Sheïkh conclut :

 

Notre djihad aujourd’hui est de même envergure que celui entreprit contre les armées turco-mongoles commandées par Kâzân, que l’expédition contre le repaire alaouite, et les réfutations à l’encontre des hérétiques en tout genre, comme les jahmites, les monistes-panthéistes, etc. Je suis comblé par Dieu qui répand sur moi et sur toutes Ses créatures Ses bienfaits incommensurables, sauf que la plupart des hommes ont un voile sur les yeux !

 

Voici un autre courrier émanant du Sheïkh :

 

Nous exprimons notre reconnaissance envers Dieu que Nous louons pour avoir déversé sur nous Sa Grâce à profusion ; Sa Grâce qu’Il nous gratifie jour après jour et à chaque fois davantage. Je le loue notamment pour la divulgation de mes ouvrages qui constitue un bienfait incommensurable. Cela me tenait vraiment à cœur qu’ils soient disponibles, ne serait-ce qu’en partie, afin que vous les ayez à votre disposition. Mes inquisiteurs furent très contrariés par la mise en circulation d’el akhnâya (écrit derrière les barreaux, ndt.). Allah les a utilisés comme instrument afin que tous mes livres soient accessibles, même chez mes détracteurs qui, devant le fait accompli, n’avaient d’autres choix que de les feuilleter, ne serait-ce que pour y trouver une faille. Ils eurent sous les yeux, les véritables enseignements prophétiques qui, à la lumière d’une voie éclatante, véhiculent la religion de vérité révélée par Dieu à Son Messager.

 

Nombreux sont les musulmans qui n’avaient pas accès à ces enseignements, et l’occasion inespérée se présenta pour les exposer au grand jour de manière à ce que l’homme sincère soit guidé vers la vérité. Quand à l’homme malintentionné, il n’aura plus aucune excuse devant Dieu puisque la vérité lui fut montrée sous les yeux, et dans ces conditions, il ne peut être que vouer à l’opprobre et à l’avilissement.

 

Mes écrits sur ce thème n’échappent à plus personne, pas même à mes ennemis, et les feuilles qui contenaient les réponses qui vous étaient adressées furent lavées (sic), tandis que moi, je restais optimiste. Mes yeux furent contentés comme ils ne l’avaient jamais été auparavant. Je remercie Dieu pour les bienfaits innombrables qu’Il me prodigue à chaque instant, et je le loue pour ces largesses immenses, si pures et si bénies !

 

Puis, le Sheïkh poursuit en disant, entre autres :

 

Tout destin qu’Allah prescrit revêt un grand bien et une grande miséricorde couplée d’une grande sagesse : [Allah étend Sa bienveillance sur les créatures de Son choix, car Il est un Dieu Sage et Omniscient].[5] Il est un Dieu Fort et Tout-Puissant. Tout individu ne doit le mal qui l’atteint qu’à ses péchés : [Le bien dont tu es comblé procède d’Allah, mais le mal qui te frappe procède de toi].[6]

 

Il ne reste à l’individu qu’à remercier Dieu et le louer quoi qu’il arrive, et surtout, il doit faire pénitence de ses péchés. La reconnaissance envers le Très-Haut est porteuse de la grâce, et la pénitence éloigne le malheur, en sachant que tout destin prescrit par Dieu au croyant est un bien : « La vie du croyant est vraiment étonnante ; quoi qu’il puisse lui arriver, c’est un bien pour lui, et personne d’autre que lui ne jouit de ce privilège. Dans la joie, il est reconnaissant, et c’est un bien pour lui, et dans la peine, il est patient, et c’est un bien pour lui. »[7]

 

Notre doyen composa ce courrier au cours de shawwâl, trois mois après l’acte de confiscation de ses ouvrages. Quarante-cinq jours plus tard environ, il rendra l’âme, soit le 20/11/728 h. Cette dernière détention dura deux années entières et quatre mois, soit vingt-huit mois en tout. Ce fut l’occasion pour lui de se concentrer sur le Coran. Ce dernier récitait six hisb par jour, et, par conséquent, il achevait sa lecture en dix jours. Il le clôtura quatre-vingt fois, et le temps lui manqua pour finir la suivante où il s’arrêta à la fin de la sourate La lune qui conclut, comme par prémonition, sur ce passage : [Les croyants craignant Dieu se complairont dans des jardins au milieu des ruisseaux • Où ils siègeront dans une ambiance saine sous l’égide d’un Roi ayant l’emprise sur toute chose].[8]

 

Symboliquement, le titre de la sourate suivante est le Très-Miséricordieux !

 

Tout le monde connait la suite…

 

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

[1] Manhâj e-Sunna (3/378).

[2] La grande conquête ; 28

[3] Les récits ; 50

[4] La nation agenouillée ; 18-19

[5] Joseph ; 100

[6] Les femmes ; 79

[7] Hadîth rapporté par Muslim (n° 2999).

[8] La lune ; 54-55

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5 septembre 2019 4 05 /09 /septembre /2019 17:14

Bribes biographiques d’ibn Taïmiya 4/5

 

Le retour à Damas

 

Harrân était la ville natale d’ibn Taïmiya. À l’âge de six ans, il prit la route de Damas au sein de sa famille pour échapper aux invasions mongoles. Il est intéressant de comparer cet événement avec l’annonce prophétique disant : « Il y aura émigration après émigration, et les hommes (dans une version : les meilleurs hommes) vont se réfugier sur la terre d’émigration d’Ibrahim. »[1] Le Patriarche a dû fuir l’Iraq pour se réfugier sur les terres du Shâm. Les mauvais événements sont souvent précurseurs à des évènements heureux. Est-ce une bonne nouvelle à une époque où bon nombre d’Irakiens se sont installés en Syrie en vue d’échapper aux invasions… anglo-saxonnes ?

 

Le grand érudit ibn ‘Abd el Hâdî ibn Qudâma a dit : après son retour au pays, ibn Taïmiya – Dieu ait son âme – se consacra à son activité favorite, l’enseignement, l’écriture, la vulgarisation du savoir religieux, la fatwa sous forme de longs développement à l’oral ou par écrit. De nouveau installé à Damas, il ne changea pas ses habitudes de philanthrope au service de la prédication et du droit musulman. Il pouvait aussi bien adopter un avis en accord avec les quatre écoles canoniques, comme il pouvait se distinguer de celles-ci ou des opinions officielles de leurs fondateurs éponymes dans la mesure où, de son point de vue, la preuve légale soutenait la sienne. 

 

Voici plusieurs exemples de ses « choix » factuels pour lesquels il se distinguait de ses ainés :

  1. La prière raccourcie pour tout déplacement qui porte le nom de « voyage », peu importe que la distance soit courte ou non en accord avec l’école littéraliste s’inspirant de plusieurs Compagnons ;
  2. Le délai de viduité ne concerne pas la femme vierge, même âgée en accord avec la décision d’ibn ‘Omar que corrobore Bukhârî, l’auteur de l’Authentique, le recueil de hadîth ;
  3. La prosternation de récitation ne réclame pas obligatoirement les ablutions conformément à la vision d’ibn ‘Omar qu’entérine également Bukhârî ;
  4. La rupture involontaire du jeûne obligatoire avant l’heure prescrite ne réclame aucune réparation aux yeux du Khalife ‘Omar (t) qui sera imité par plusieurs successeurs directs et légistes par la suite ;
  5. L’abandon volontaire du jeûne ou de la prière obligatoires ne réclame aucune compensation aux yeux d’un certain nombre de littéralistes, et probablement du grand légiste et petit fils de l’Imam Shâfi’î. Une narration rapportée par Abû Huraïra sous l’autorité de Bukhârî valide cette thèse : « Un seul jour du mois de ramadhan rompu sans excuse valable telle que la maladie est irrécupérable, quand bien même on ne cesserait de jeûner jusqu’à la mort. » Ibn Mas’ûr adopta cet avis, contrairement à Sa’îd ibn el Musaïyib, Sha’bî, ibn Jubaïr, Ibrâhîm Nakhâ’î, Qatâda, et Hammâd qui prônent en compensation la récupération d’un jour de jeûne pour chaque jour manqué ;
  6. La formule tamattu’ réclame un seul parcours entre Safâ et Marwa au même titre que les deux autres formules (qirân, ifrâd), pour ibn ‘Abbâs (t), et l’Imâm Ahmed comme le rapporte son fils ‘Abd Allah par le biais d’une narration que de nombreux hanbalites ignorent ;
  7. Les compétitions de chevaux ou de chameaux sont autorisées avec la récompense décerné au vainqueur qui remporte la mise des deux participants sans la condition qu’un troisième concurrent intègre la course sans mise ;
  8. La répudiation moyennant indemnisation au mari, ou les rapports sexuels autorisés sous l’effet d’un acte vicié ou commis par erreur, ou le divorce définitif réclament un délai de viduité d’un mois ;
  9. L’autorisation d’avoir des rapports sexuels avec des esclaves païennes ;
  10. L’autorisation d’attacher le haut de la tenue de sacralisation du pèlerin sans expiation ;
  11. L’autorisation pour la femme d’effectuer le circuit autour de la Kaaba pendant ses périodes de menstrues sans obligation d’expiation en cas de force majeure ;
  12. L’autorisation de faire le troc d’un produit contre son dérivé, comme l’échange d’olive contre son huile ou des graines de sésame contre de l’huile de sésame ;
  13. L’autorisation d’échanger des fabrications en métal d’argent telles que les bijoux contre de l’argent à l’état pur ;
  14. Les liquides mélangés à des impuretés ne deviennent pas impurs à condition qu’ils ne subissent aucune altération au niveau du goût, de l’odeur, et de la couleur, peu importe qu’il y en ait en petite ou en grande quantité ;
  15. L’autorisation d’avoir recours aux ablutions sèches quand on est prit par le temps juste avant certaines prières (la prière mortuaire, de l’aïd, du vendredi, et l’office) ;
  16. L’autorisation de regrouper les prières en cas d’intempérie, de maladie, d’empêchements multiples, etc. ;
  17. Il semblerait qu’à la fin de sa vie, il penchait vers l’avis qui permet au musulman d’hériter d’un non-musulman soumis au tribut. Il consacra à cette question une longue étude ;
  18. La question marginale la plus connue qu’il adopta, et qui lui valut une terrible cabale, fut l’expiation d’un serment qui porte sur le divorce ou la prononciation du divorce à trois reprises consécutives qui, à ses yeux, ne compte qu’une seule fois ; il opta également pour l’avis selon lequel le divorce illicite n’a aucune valeur juridique ;

 

Notre Sheïkh coucha par écrit de nombreux ouvrages et des réponses en tout genre sur ce thème, dont la longue étude, comptant quarante cahiers, ayant pour titre tahqîq el furqân baïna e-tatlîq wa el aïmân ; une autre étude de moitié moins épaisse porte le nom d’el farq el mubîn baïna e-talâq wa el yamîn ; et un volume de petit format sur l’étude juridique des serments musulmans qui font tous l’objet, sans exception, d’une expiation ; et enfin, une étude qui démontre qu’une menace de divorce appuyer par un serment est une forme factuelle (et donc non imagée, ndt.) de sermon, etc.

 

En outre, il composa une longue réponse à une objection qui lui fut soulevée d’Égypte à propos de son livre controversé el hamawiya, et qui compte trois volumes de moitié moins épais que les formats classiques (traduction approximative, ndt.).

 

Le Sheïkh se réunit un jeudi à la mi rabî’ el awwal 718 h. avec le grand juge hanbalite Shams e-Dîn ibn Muslim qui lui suggéra de façon tout à fait informelle de mettre de côté sa position sur la non-validité du divorce conditionnée par un serment, qui s’inscrivait à l’encontre de l’avis courant depuis des siècles à travers les diverses contrées. Ibn Taïmiya comprit son message qu’il accepta à cœur ouvert, car il y voyait la volonté bienveillante d’éteindre dans l’œuf tout litige qui menacerait l’ordre public ; et notre Sheïkh le traduisit dans les actes en renonçant à cette fatwa.

 

Le samedi 1er de jumâdî el ûlâ de la même année, un décret sultanesque arrivé par courrier à Damas promulgua l’interdiction, à titre législatif, d’émettre cette fatwa controversée. Celui-ci stipulait de convoquer une réunion extraordinaire en vue de statuer définitivement sur cette question juridique. Cette assemblée, qui se tint le lundi suivant, entérina cette décision sultanesque. Le lendemain, les hérauts se chargèrent de divulguer ses conclusions dans toutes les rues de la Capitale du Levant.

 

Cette décision coercitive força le Sheïkh à sortir du silence : « Je n’ai pas le droit de garder la vérité cachée, justifia-t-il. » Le lundi 19 ramadhan 719 h. magistrats et légistes se rejoignirent à dâr e-sa’âda, le palais officiel de l’intendant du Sultan qui ordonna la lecture du décret fraichement estampillé. Une clause était réservée au Sheïkh qui, en réalité, fut à l’origine, de cet imbroglio juridique. Il fut d’ailleurs convoqué pour lui signifier son infraction aux injonctions royales, et que toute récidive serait passible d’une sanction.

 

Il n’en fallut pas plus pour aiguiser la détermination du polémiste qui, s’était pourtant résigné à certaines concessions au nom de l’intérêt supérieur des musulmans, mais pas aux dépens de la religion, et encore moins sous la menace de l’autorité. Au bout de longs mois, une nouvelle séance fut tenue au palais de l’Intendant qui s’était entouré des juges et d’un groupe de muftis à la date du 2 rajab 720 h. Il s’agissait, en présence du concerné, de réitérer la volonté ferme des autorités de sanctionner sévèrement tout contrevenant à la Loi susceptible de mettre à péril l’ordre public.

 

D’ailleurs, la résolution de ce tribunal de circonstance ne se fit pas attendre puisqu’il ordonna d’écrouer sur le champ l’accusé qui fut mis sous les verrous de la sinistre Citadelle où il fut cloîtré cinq mois et dix-huit jours. Il fut libéré par un acte officiel le jour d’Ashûrâ, qui tomba un lundi, de l’année 721 h. Il rentra chez lui, et reprit ses activités d’enseignements dans diverses disciplines.

 

La citadelle de la mort

 

L’historiographie nous enseigne qu’une nouvelle polémique éclata en 726 h. Il s’agissait, cette fois-ci de discuter de la légitimité des voyages rituels en direction des tombeaux des prophètes et des saints. Les détracteurs du Sheïkh avaient déversé leur fiel sur une vieille fatwa qu’ils tordirent dans tous les sens pour lui faire dire ce qu’il n’avait pas dit en vue de jeter définitivement le discrédit sur lui. Cette nouvelle affaire enfla terriblement. Celle-ci prit des proportions énormes, et, bientôt, elle transpira bien au-delà des murs de la ville syrienne. Son onde de choc ébranla toute l’Égypte. Les conspirateurs locaux, de mèche avec des mains cachées au-delà du Nil, avaient tellement avivé le feu de la discorde qu’on ne donna pas cher de la vie d’ibn Taïmiya. L’heure était grave. La tension monta crescendo. Ses défenseurs les plus zélés, notamment du côté des notables, étaient tétanisés de peur. Lui, resta impassible, sûr du bon déroulement que lui réservait Son Seigneur en qui il avait abandonné tous ses espoirs. 

 

Ses contempteurs au sein des notables damascènes se concertèrent sur le sort à lui réserver. L’un proposa de l’exiler hors de la ville, plus tard, il connut lui-même le chemin de l’exil, un autre émit l’idée de lui couper la langue, alors que lui vécut ce lugubre destin ; un troisième avança la supposition de le livrer au fouet du bourreau, mais, justice immanente, ce fut son dos qui, bientôt, fut rouer de coups ; un dernier se contenta de le vouer à la prison, sort auquel il n’échappa pas lui-même. Ce fut l’un des témoins de cette réunion secrète à laquelle il fut convié bien malgré lui qui rapporta tous les détails de cette cynique conversation.

Les ennemis du Nil n’étaient pas en reste. De concert avec leurs complices syriens, ils allèrent susurrer à l’oreille du Sultan la nécessité de se débarrasser physiquement de ce renégat encombrant. Heureusement, le Chef suprême ne céda pas à la tentation, mais, fin diplomate, il ne voulait pas qu’ils repartent bredouilles ; et il proposa, pour lot de consolation, de le priver longuement de liberté. Le lundi 6 sha’bân de cette année-là, sa volonté fut mise à exécution par le biais d’un arrêté émanant de la plus haute instance jetant ibn Taïmiya, victime d’un sale complot, derrière les murs épais de la sombre et tristement célèbre Citadelle de Damas.

 

Une monture fut mise à disposition de Sheïkh el Islam afin qu’il rejoigne sa nouvelle demeure. Il avait l’air plutôt de bonne humeur : « Je m’y attendais, confessa-t-il, et cette épreuve promet de grands biens ! » Il fut assigné à résistance dans un spacieux appartement où l’eau fut mise à sa disposition. Son frère, Zaïn e-Dîn, avait reçu la permission du Sultan en personne de rester à ses côtés pour se mettre à son service. Ce fut cette détention qui inspira la célèbre citation du brave détenu qu’immortalise ibn el Qaïyim : « Qu’est-ce que mes ennemis peuvent attenter à ma personne ? Les jardins de mon paradis bercent mon cœur où que j’aille sans jamais me quitter ; les murs de ma prison m’isole du monde pour m’enfermer dans une retraite spirituelle ; mon assassinat libère mon âme pour lui faire gagner le martyre, et mon exil m’offre une pérégrination initiatique (siyâha). »[2]

 

Il disait : « … Si je devais offrir à mes bourreaux le pesant de cette citadelle en or, je n’aurais pas remboursé à Dieu les bienfaits immenses qui envahissent mon cœur à l’intérieur de ses murs ; je ne leur serais jamais suffisamment reconnaissant ! » …  Une fois, il me fit la confidence : « Le prisonnier est celui dont le cœur est fermé à Dieu, et qui porte les lourdes chaines de ses passions. » Quand il vit planter devant lui la haute muraille de pierres qui transpirait le froid humide de la solitude, il s’adressa à elle en ces termes : [Devant eux, se dressera un rempart garni d’une porte qui renfermera la bonne odeur de la miséricorde, mais qui donnera sur l’Enfer des supplices][3] »[4]

 

Le coup de grâce fut prononcé symboliquement le vendredi suivant à la grande mosquée de Damas où, à la faveur d’un décret royal, on chercha éperdument à faire tomber notre doyen en disgrâce en lui privant, purement et simplement, comme pour remuer le couteau dans la plaie, du droit d’émettre la fatwa. Désormais, notre doyen inscrivait son nom en lettre d’or au panthéon des grands hommes ayant, à travers l’Histoire, fait l’objet d’une cabale inique, à l’image d’Ahmed et d’Abû Hanîfa, et dont l’aveuglement des bourreaux est illustré par le Coran : [Ce ne sont pas leurs yeux qui se trouvent atteints de cécité, mais plutôt leurs cœurs enserrés dans leur poitrine][5] 

 

Le mercredi suivant, le cadi Shâfi’î fit procéder à une rafle des partisans du Sheïkh déchu qui furent incarcérés à la grande prison attenante au tribunal. Plusieurs de ceux qui n’étaient pas sur sa liste furent malmenés, d’autres entrèrent dans la clandestinité, et les plus mal lotis subirent une punition corporelle en place publique où leur nom fut décrié. Quand le calme refit surface, les détenus emprisonnés arbitrairement furent relâchés, à part Shams e-Dîn ibn el Qaïyim el Jawziya qui subit le même sort que son maitre à l’intérieur des murs de la Citadelle.

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

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[1] Rapporté par Ahmed (1/83, 198, 199).

[2] Voir : El ‘uqûd e-duriya p. 377

[3] Le fer ; 13

[4] Voir : el wâbil e-saïyib  p. 53 et dhaïl tabaqât el hanâbila d’ibn Rajab (2/402).

[5] Le pèlerinage ; 46

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4 septembre 2019 3 04 /09 /septembre /2019 15:37

 

Bribes biographiques d’ibn Taïmiya 3/5

 

Par ailleurs, en partance de Damas via la ville jordanienne de Kerak, le Sultan mamelouk Nâsîr marcha sur l’Égypte pour récupérer son trône, en l’an 709 h. L’une des premières initiatives qui marqua son retour fut le transfert du Sheïkh el Islâm vers la Capitale égyptienne à la date du 8 shawwâl. Une grande foule s’était formée afin d’accompagner son départ, et pour lui souhaiter avec un grand enthousiasme de le revoir bientôt, par la Volonté de Dieu, sur les côtes d’Alexandrie. Dix jours plus tard, le voila au Caire, et le vendredi suivant, le 24 du même mois, il se retrouva en face du nouveau souverain qui l’honora à l’occasion d’une réception ayant réuni le gratin de la magistrature et de la législature de son royaume couvrant l’Égypte et la Syrie.

 

Ce fut l’occasion de réconcilier les antagonismes. L’érudit ibn ‘Abd el Hâdî ibn Qudâma el Maqdisî enregistre le témoignage d’un de ses confrères hanbalites venu, un soir, vérifier la rumeur propagée par les incultes et les détracteurs hétérodoxes d’ibn Taïmiya, auprès du grand juge Jamâl e-Dîn ibn el Qalânis, chef de juridiction de la ville-garnison el Mansoura. La rumeur disait en effet que des gardiens allaient bientôt sortir ibn Taïmiya des sous-sols de la Citadelle de Damas pour le livrer, en place publique, à une peine corporelle, à la suite de la prononciation de sa condamnation : « Ce ne sont que des ragots, assura le magistrat, le Sultan ne permettra jamais une chose pareille, car connaissant parfaitement l’intéressé, il a conscience de son érudition étendue, et de sa piété. »

« Je vais te raconter une anecdote surprenante, poursuit le juge, qui se produisit entre le Sultan et le Sheïkh ibn Taïmiya. Le jour où le Sultan reprit son pouvoir en Égypte, il fit voyager avec lui les dignitaires syriens, avec l’administrateur Jamâl e-Dîn el Afram à leur tête. À la suite de la réédition de Baybars II qui prit la fuite en compagnie du gouverneur Saïf e-Dîn Sallâr, le Sultan Nâsîr s’installa au commande du pays. Un jour, il convoqua sa cour dans la salle du palais royal où s’étaient réuni l’élite politique du Shâm et du pays des Pharaons. Les juges égyptiens se tenaient à sa droite, et les syriens à sa gauche. »

Après m’avoir expliqué en détails la position des uns et des autres en fonction de leur rang, il enchaina : « Parmi les dignitaires religieux, nous retrouvions ibn Sasrî à la droite du Sultan, et juste en dessous de lui se tenait Sadr ‘Alî, le grand juge hanafite. Il y avait derrière ce dernier el Khatîb Jalâl e-Dîn, et juste après lui ibn e-Zamalkânî. »

« Moi, j’étais disposé à côté de Zamalkânî, et le public était assis derrière lui. Le Sultan était installé sur un Trône surélevé. Il se leva précipitamment. Le public l’imita. Le Sultan fit quelques pas et descendit de son estrade à la grande stupeur des membres de l’assemblée. Le Sheïkh Taqî e-Dîn venait de passer la porte de la grande salle, et le Sultan s’était déplacé pour l’accueillir. Il quitta l’iwan qui surplombait son trône, et se dirigea vers son hôte sous les yeux abasourdis des dignitaires de la cour qui restaient là plantés debout. Après une poignée de mains chaleureuse, les deux protagonistes se dirigèrent vers un auvent qui donnait sur un jardin intérieur par une grande baie. Ils restèrent assis à discuter un long moment à l’abri des curieux. Quand ils revinrent main dans la main dans la grande salle du palais, les dignitaires se levèrent à nouveau.

Pendant le congé du Sultan, je fus interpellé par le vizir Fakhr e-Dîn ibn el Khalîl qui me fit avancer à côté de lui à la gauche du Trône juste au-dessus d’ibn Sasrî. L’hériter Qala’ûn reprit sa place où il s’assit en tailleur. Il entama à l’adresse des émirs un long éloge dithyrambique de son hôte comme personne ne l’avait jamais fait auparavant. L’assistance, avec son lot d’émirs et de juges, acquiesçait ses propos au grand damne des détracteurs du doyen à l’honneur que le Sultan avait réussi à mettre mal à l’aise. La scène fut incroyable.

Les plus fervents admirateurs d’ibn Taïmiya n’auraient jamais osé dresser un portrait aussi élogieux, et aussi zélé.

 

Puis, le grand vizir prit la parole. Il renseigna le Sultan sur l’impôt annuel versé par les dhimmis pour renflouer les caisses de l’État en plus du tribut légal dont ils étaient redevables, en échange de l’abrogation des restrictions dont ils furent frappés sous Baybars II qui leur imposait le port du turban de couleur ; et de restituer, au même titre que les citoyens, le droit au port de la couleur blanche dont ils jouissaient avant l’intervalle du prince bahrite.

 

Le premier homme du pays consulta alors les dignitaires religieux présents pour sonder leur avis : « Qu’en pensez-vous ? » Un silence gênant monta jusqu’aux voûtes qui agrémentaient la grande salle. Lorsque le Sheïkh Taqî e-Dîn s’aperçût que l’élite religieuse rechignait à prendre ses responsabilités, il bondit sur ses genoux et prit la parole avec autorité. Il se lança dans une virulente diatribe en réaction aux propos du vizir. Surpris, le Sultan chercha en vain à calmer son ardeur avec une délicatesse extrême. Le doyen n’en démordait pas moins, et épingla avec véhémence les tenants de ce projet de loi, et jeta sur leur eux la vindicte, comme personne n’aurait jamais osé le faire ni de près ni de loin. Il réussit à convaincre le Sultan à renoncer à cette disposition inique, et à entériner la coutume en vigueur sous l’ère de son prédécesseur.

 

On peut mettre cet épisode à l’actif d’ibn Taïmiya, qu’Allah aie son âme ! »

 

« J’ai entendu le Sheïkh Taqî e-Dîn expliqué les raisons ayant poussé le Sultan à s’isoler avec son hôte dans la « véranda ». C’était pour lui montrer les procès verbaux émanant de sommités présentes dans la grande salle, et préconisant, par fatwa, sa mise à mort. « Le Sultan, confia l’intéressé, cherchait mon assentiment afin de se débarrasser d’eux physiquement. Il ne me fut pas difficile de deviner ses attentions. Il voulait tirer vengeance de ces « traitres » ayant posé leur aval à son éviction, en vue d’offrir leur allégeance à Jâshankîr, le sultan nouvellement déchu.

 

Pour atténuer son rancœur, je fis une description élogieuse des concernés en mettant en avant les efforts qu’ils entreprennent pour la réforme des citoyens. Je lui faisais remarquer qu’il manquerait d’érudits de leur calibre au cas où il prendrait la décision de mettre fin à leurs jours. Quant à moi, je ne leur tiens pas rigueur des actions qu’ils ont attenté à mon encontre, et je les libère devant Dieu de leur injustice. Le Sultan calma aussitôt son ardeur. »

 

« Le dhî Zaïn e-Dîn ibn Makhlûf le doyen des malékites, reprit le Sheïkh Jamâl e-Dîn, dira par la suite : « Nous n’avons jamais vu un homme aussi pieux qu’ibn Taïmiya. Malgré nos incessantes machinations ourdies contre sa personne, il nous le pardonna le jour où il prit le dessus sur nous ! »

 

Après cette rencontre, ibn Taïmiya retourna au Caire où il prit résidence non loin du mausolée de Husaïn.

 

Dhahabi précise qu’il n’était pas du genre à côtoyer les hautes instances du Royaume. Il n’aimait pas les protocoles mondains qui entouraient ces rencontres. Ce fut la dernière entrevue publique qu’il eut avec le Sultan. Il retourna à son activité de prédilection, l’enseignement et la propagation du savoir religieux. Une grande attraction s’anima autour de lui. Il émettait également des fatwas à l’oral et à l’écrit, comme il recevait régulièrement les émirs et les dignitaires de tout horizon. Certains d’entre eux étaient vraiment navrés pour les revers dont il fut victime. « Je pardonne à tous ceux qui m’ont causé des ennuis, rassurait-il, et pour tout ce qu’il s’est passé. »

 

Il reprit ses bonnes habitudes, et dépensait tous ses efforts au service de la bonne cause.

 

Le mois de rajab 711 h. fut marqué par un grave incident qui absorba toutes les discussions. Le polémiste hanbalite fut violemment pris à parti par une bande d’excités qui faillirent le lyncher. Selon le Sheïkh ‘Ilm e-Dîn el Barzâlî, plusieurs de ses détracteurs attendirent le moment propice où il se retrouva seul pour lui sauter dessus et le rouer de coups en l’accablant d’invectives. Une foule immense à laquelle s’étaient joint de nombreux de soldats, s’était attroupée autour de la victime en vue de lui voler au secours. Elle était prête à en découdre avec ses agresseurs, mais le concerné calma leur ardeur : « Je ne venge jamais ma personne, tempéra-t-il. »

 

L’écho de cet incident retentit jusqu’en Syrie. L’un de nos confrères hanbalites se rendit sur place pour prendre la température. Ce dernier nous livre son contre-rendu : « Je voyageai en Égypte où je trouvai, entre autre, un grand nombre de Husaïnites, qui s’étaient déplacés à pied ou à dos de monture pour voler au secours du Sheïkh. Je me mêlais à la troupe qui cherchait sa localisation. Sa piste mena à une mosquée plantée au bord de la mer. Elle appartenait au scribe mamelouk dénommé Fakhr. Sur place, il y avait déjà un attroupement venu s’enquérir de son état de santé, et le va et vient des visiteurs était incessant. Le Sheïkh fut mit au courant qu’un groupe de défenseur s’était déplacé pour tirer vengeance de ses ennemis. « Maitre, suggéra une voix au milieu du public, il y a dehors un groupe de Husaïnites qui attendent ton ordre pour mettre toute l’Égypte sens dessus dessous.

  • Pourquoi faire, s’étonna-t-il ?
  • Pour ta défense !
  • Mais, la religion l’interdit…
  • Nous voulons simplement, s’exclama un représentant Husaïnite de circonstance, procéder à une expédition punitive à l’encontre de ces criminels qui ont perturbé l’ordre et qui ont installé l’insécurité. Pour leur crime, nous mettrons leur quartier à feu et à sang !
  • La religion vous l’interdit, insista le doyen damascène pour calmer les esprits.
  • Et eux, est-ce qu’ils se sont demandé s’ils étaient dans leur droit ? Il est inadmissible d’intenté à l’intégrité physique d’une sommité, et nous avons le devoir de les corriger. »  

 

Tout au long des échanges, ibn Taïmiya tenta de les dissuader de leur entreprise, et de les convaincre de son illégitimité. Malgré ses sermons, ses interlocuteurs n’en démordaient pas moins. Alors, il usa d’un autre procédé : « Il s’agit soit de mon droit, les interpella-t-il, soit du votre, sinon de celui d’Allah ! Quant au mien, hé bien, je ne leur ai tient pas grief, mais si c’est le votre qui est concerné, alors faites ce qui bon vous semblent, vous n’avez pas besoin de me demander mon avis, dans la mesure où vous n’en faites qu’à votre tête ; et si c’est le droit de Dieu qui est en jeu, alors vous n’avez aucun souci à vous faire puisqu’Il se charge Lui-même de le récupérer à Sa guise, et de la manière dont Il a envie. » »

 

Notre doyen resta un certain temps sur les terres de Misr avant de reprendre le chemin du retour, profitant du déplacement des armées égyptiennes en partance vers de nouvelles expéditions. Parvenu à la ville-forteresse ‘Asqalân (Ascalon), il continua, accompagné des siens jusqu’à Damas, via Jérusalem en empruntant la route d‘Ajlûn. Le groupe, composé du Sheïkh, de ses deux frères cadets, et de plusieurs partisans, arriva à destination le 1er dhû el qi’da 712 h.

 

Un vaste comité d’accueil improvisé était venu à sa rencontre pour le féliciter de ce joyeux retour et pour remercier Dieu de le retrouver sain et sauf au bout de sept longues années et sept semaines d’absence.

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

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3 septembre 2019 2 03 /09 /septembre /2019 07:51

 

Bribes biographiques d’ibn Taïmiya 2/5

 

Au mois de dhû el hijja de la même année, alors que l’amer souvenir de la précédente tentative hantait encore les esprits, on passa par les frères du Sheïkh qui partageaient sa cellule. Ces derniers furent assignés à comparaitre devant le vice Sultan, Saïf e-Dîn Sallâ. Une joute verbale déclencha entre l’incontournable dhî ibn Makhlûf et les deux détenus qui regagnèrent leur cellule une fois les longs échanges terminés. Sharaf e-Dîn, qui avait de la réparti, prit les débats en main. Il accula dans ses derniers retranchements le juge malékite qui manifestement manquait d’arguments face à l’élève du grand encyclopédiste.

 

Le jour suivant, on se contenta de Sharaf e-Dîn ayant dévoilé au grand jour ses dons de polémiste, sauf que cette fois, on lui réserva un adversaire de taille, ibn ‘Idlân, qui, au bout d’une acerbe querelle, dépité, déposa les armes au même titre que son prédécesseur. Le doute commença à entamer le moral de la doxa qui n’en démordait pas moins. Celle-ci dégota un vis-à-vis de haute envergure censé lutter à armes égales avec Taqï e-Dîn, ce génie embarrassant. On alla trouver l’illustre Badr e-Dîn ibn Jamâ’a au mois de safar de l’année 707 h. Un vendredi de bon matin, une rencontre fut organisée dans l’un des bâtiments de la Citadelle, au siège des shaféites, Dâr el Awhadî.

 

Des discussions interminables furent abrégées peu avant le zénith afin de permettre aux protagonistes de se préparer pour le sermon hebdomadaire. En rabi’ el awwal, les sous-sols de la Citadelle reçurent, en ce matin du vendredi, la visite inopinée de l’émir Husâm e-Dîn Muhanna ibn ‘Issâ qui s’était déplacé en personne pour inviter le Sheïkh Taqï e-Dîn à se rendre en sa compagnie dans la grande salle de réception du vice-Sultan où plusieurs légistes l’attendaient pour lui donner le change. Cette fois encore, le temps fut trop court pour départager les antagonistes qui avaient discouru sur maints sujets.

 

On décida de reporter après la prière du maghreb la séance qui fut tout aussi stérile que les précédentes. Un décret sultanesque avait ajourné un nouveau rendez-vous pour le dimanche. Il y avait là plein de nouveaux visages de légistes tels que Najm e-Dîn ibn e-Rif’a, ‘Alâ e-Dîn el Bâjî, fakhr e-Dîn ibn bint Abî Sa’d, ‘Izz e-Dîn e-Timrâoui, en plus d’un habitué Shams e-Dîn ibn ‘Idlân. Dans les rangs des détracteurs, on ne comptait plus aucun des juges qui, exaspérés par cet intrépide, avaient fait défection en avançant les excuses les plus diverses. Pourtant, l’entretien avait débouché sur des avancées significatives, et le climat délétère s’estompa quelque peu. Le Sheïkh passa la nuit dans les appartements du vice-Sultan qui dédaigna le renvoyer dans son cachot. Le lundi matin, celui-ci fit transmettre une missive en direction de Damas l’informant qu’aucune accusation ne fut retenue contre son érudit, mais qu’il allait retarder son séjour au Caire sous la demande pressente de l’émir Muhanna qui l’avait pris en amitié. Ce fut de manière tout à fait officiel que les habitants du Nil découvrirent cette encyclopédie vivante au contact duquel ils emmagasinèrent maints enseignements.

 

Cette aubaine ne fut pas sans périples, car il fallut attendre dix-huit mois au cours desquels le Sheïkh croupissait entre d’énormes blocs de pierres humides pour bénéficier de ses oraisons édifiantes. L’euphorie gagna les rues du Caire, malgré les voix discordantes qui raisonnaient ici et là.

 

En l’honneur de la libération d’ibn Taïmiya, Najm e-Dîn Sulaïmân ibn ‘Abd el Qawî e-Tûfî consacra des vers qui immortalisèrent son séjour sur les rives de la Méditerranée. Plus tard, il rédigea un autre poème qui le couvraient d’éloges, et qui vitupéraient ses détracteurs.

 

 

Le vendredi suivant, le Sheïkh Taqï e-Dîn assista dans la grande mosquée d’el Hâkim à l’office hebdomadaire à la suite duquel une grande foule s’entassa autour de lui pour écouter l’exhortation qu’on lui convia de donner. Son choix s’arrêta sur l’exégèse du Verset : [C’est Toi que nous adorons, et c’est Ton aide que nous sollicitons]. Il entama ses propos par la formule de protection contre Satan, puis, il récita la sourate de L’ouverture qui lui donna l’occasion de définir l’adoration et la « demande d’aide ». Son cours s’étendit jusqu’à la prière de l’après-midi.

 

Il était un puits de connaissance d’où les égyptiens s’abreuvaient au quotidien en puisant ses fatwas, ses allocutions, et ses prêches qui invitaient à s’accrocher à la corde du Créateur des cieux et de la terre. Après la prière du vendredi, il se consacrait, entre autre, à l’exégèse du saint Coran du haut de la chair des grandes mosquées qu’il investissait jusqu’à la prochaine prière. Sa notoriété grandissante commençait à exaspérer ses opposants de tout bord dont il dénonçait l’hérésie sans ambages et à qui, donc, il faisait terriblement de l’ombre.

 

Il profita de son séjour en Égypte, nous explique l’historiographe Dhahabî, pour enseigner le savoir qui attira un vaste auditoire jusqu’au jour où il prit à partie les monistes qui assimile Dieu à la création à l’instar d’ibn Sib’în, ibn ‘Arabi, el Qûnawî, etc., ce qui fit réagir les zaouïas et les couvents soufis, ascètes, mystiques, qui, d’une seule voix, se dressèrent énergiquement contre lui. une cohue en liesse avait décidé de manifester son mécontentement en se rendant à la Citadelle dont elle investit les marches et s’éparpilla sur les bords de part et d’autre de l’édifice en scandant, dans un tumulte énorme, des slogans stigmatisant le Sheïkh. Le vacarme grimpa jusque dans les appartements du Sultan qui, abasourdi, s’enquit aussitôt des nouvelles auprès de ses valets. On lui apprit alors que l’incorrigible ibn Taïmiya osait bafouer en public la mémoire des walis. Les brailleurs en appelaient à l’autorité du Sultan pour déchoir l’intrus de sa grâce et l’intimer, sur le champ, à cesser ses exactions. Ils firent le tour des émirs pour les gagner à leur cause.

 

Dans l’urgence, le Sultan traduisit l’agitateur devant les tribunaux, et planifia une audience au Palais de justice le mardi 13 shawwal el awwal 707 h. L’assemblée fut subjuguée par ce puits de savoir qui se répandait sous leurs yeux avec une telle bravoure, une telle confiance en Dieu, et une telle aisance dans l’étalage de ses arguments qu’il serait impossible de décrire. Au milieu de la foule immense, il y avait de nombreux détracteurs abasourdis par le spectacle incroyable qui se livrait devant eux : « D’où te vient toute cette science, osait-on par ici ? Où l’as-tu apprise osait-on par là ? »

 

Le doyen ‘Ilm e-Dîn el Barzâlî, et d’autres chroniqueurs, rapporte qu’au mois de shawwal 707 h. les plaintes du Maitre de la confrérie soufie du Caire Karim e-Dîn el Imlî adressées aux autorités concernant la personne de Taqi e-Dîn (….) ayant tenu des critique à l’encontre de grandes sommités à l’image d’ibn ‘Arabi. L’émir de la ville offrit au concerné le choix de rester au Caire ou de rentrer à Damas. Mais, cette liberté avait un prix ; c’était la liberté physique contre la liberté de parole. Le polémiste préféra la prison. Une délégation composée de ses partisans vint le visiter pour le convaincre d’accepter ce compromis en échange de son retour en Syrie. Il accepta pour ne pas contrarier ses amis. Ils le firent voyager sur un cheval de la « poste », la nuit du 18 shawwal.

Un autre coursier le rejoignit le lendemain à l’étape au-delà de la frontière égyptienne pour le ramener devant un tribunal du pays. Les autorités avaient, entre temps, changé d’avis pour ne pas prendre de risque. L’inculpé comparut devant le grand juge en présence d’un parterre de légistes. L’un d’entre eux prit la parole : « LÉtat a jugé que l’incarcération était la seule option valable.

  • Il y va de l’intérêt du prisonnier, précisa le Président du tribunal. »

 

 Puis, ce dernier chargea au légiste malékite Shams e-Dîn e-Tanûsî  de prononcer la peine de prison. Ce dernier refusa sous prétexte qu’aucun chef d’inculpation ne fut retenu contre l’accusé. Le grand juge se tourna alors vers un autre légiste malékite du nom de Nûr e-Dîn e-Ziwâwî qui resta confus devant une telle responsabilité.

« Je prononce la peine de prison, se résolut le juge, en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, pour des raisons d’intérêts communs.

  • Nous avons qu’à l’assigner à résidence, conformément à la procédure pour une personne de son rang, suggéra le doyen Nûr e-Dîn
  • LÉtat n’admet rien d’autre que la détention en prison, rappela-t-on dans la salle.»

 

 De toute façon, le concerné était d’accord avec ce verdict, puisqu’il relevait de l’intérêt commun. Celui-ci fut emmené à la prison de droit commun située dans le quartier bourgeois de Daïlam. Les lieux étaient plus confortables que les geôles sultanesques. Le prisonnier eut droit à la cellule où fut écrouer le fameux dhî Taqî e-Dîn fils de Bint el A’azz. Il bénéficiait de la présence d’une personne de son entourage affectée à son service.

 

Toutes ses mesures furent envisagées par le Sheïkh Nasr el Manbajî qui jouissait d’une aura auprès des autorités. Pour tuer le temps, les codétenus du doyen damascène se livraient à toutes sortes de vices, telles que les échecs, les dés, etc. L’assiduité à la prière était le cadet de leurs soucis. Ibn Taïmiya les sermonna, et leur convia vivement d’observer scrupuleusement l’office, et de se tourner vers Dieu en Lui adressant les louanges, les prières, les formules de repentance, et les divers actes de piété. Il leur enseigna les éléments de la tradition dont ils avaient besoin pour l’exercice du culte, et il les incita à multiplier les bonnes œuvres. La prison se transforma bientôt en une vaste école où des cours étaient dispensés au quotidien avec une éthique et un enseignement bien meilleurs que ceux proposés dans les plus grandes institutions de l’époque telles que les zaouïas, les ribats, les couvents mystiques, et les universités. Certains prisonniers libérables allèrent jusqu’à renoncer à leur libération pour prolonger leur séjour auprès de cet homme hors du commun. Les visiteurs se bousculaient pour le rencontrer à tel point que la prison devint trop petite pour accueillir tout ce va-et-vient. Au milieu de tous ces émules qui venaient chercher leur fatwa, il y avait les émissaires des émirs et des dignitaires de la ville qui se présentaient pour lui exposer des affaires complexes à résoudre. Ses détracteurs voyaient d’un mauvais œil ces allées et venues qui leur faisaient du tort. Ils insistèrent auprès des autorités pour faire transférer l’incarcéré devenue gênant à Alexandrie avec la poste qui, pour le coup, fut escorté par un émir en personne. Cette-fois, il ne fut pas autorisé à ses partisans de l’accompagner.

 

Le prisonnier fut installé dans une tour. La rumeur courut bientôt qu’il fut tué par noyade. Au bout de dix jours, celle-ci, qui fut démentie à plusieurs reprises, parvint jusqu’aux murs de Damas. La consternation s’abattit au cœur de la cité syrienne, et maintes prières montèrent au ciel afin d’obtenir pour son âme la grâce d’Allah. Le séjour du Sheïkh au sein de la ville-frontière d’Alexandrie dura huit mois. En guise de prison, il fut placé en résidence surveillé dans un spacieux appartement flanquée de deux grandes portes-fenêtres, dont l’une, donnant sur la mer, accueillait les visites qui étaient autorisées sans restriction. Les notables et les courtisans de la cour venaient aiguiser leur curiosité et s’enquérir du savoir religieux. Les légistes venaient échanger avec lui, et compléter leur recherche auprès de lui, en lui faisant la lecture de certains ouvrages qu’il agrémentait de judicieuses remarques.

 

L’émir de Sabta, à la pointe du Maghreb, dépêcha une délégation auprès du Sheïkh pour obtenir une ijâza en matière de hadîth.

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

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2 septembre 2019 1 02 /09 /septembre /2019 14:51

Au Nom d’Allah, le Très Miséricordieux, le Tout Miséricordieux

 

Bribes biographiques d’ibn Taïmiya 1/5

 

Ibn Muraï, un élève d’ibn Taïmiya en parlant de l’œuvre de son maitre : « Par Allah, à l’avenir, in shâ Allah, le Seigneur donnera le triomphe à cette œuvre, entre les mains d’hommes qui vont la retranscrire, la propager, l’expliquer, mettre en lumière ses sens profonds, et éclaircir ses passages obscurs ; des hommes qui, aujourd’hui, ne sont pas encore dans le ventre de leurs mères. »[1]

 

Ibn Taïmiya fut éprouvé à partir du moment où il mit son zèle au service de la religion, en dénonçant les hérétiques et les croyances néfastes. Il jeta notamment sa vindicte sur les duodécimains de Kesrouan, les ésotéristes druzes, et ismaéliens alaouites qu’il exhorta à passer au fil de l’épée  dans le cadre d’une expédition punitive dont il intégra les rangs. Il assista au siège de leur place forte qui tomba entre les mains des musulmans. Leur reddition fut soumise à un certain nombre de mesures cachetées d’un décret sultanesque : éradication de leurs gourous qui font la propagande de leurs idées corrompues, l’obligation d’observer les rites islamiques, la lecture des narrations prophétiques, la propagation de la tradition prophétique sur tout leur territoire, comme nous l’avons souligné auparavant. Leur éradication eut lieu au mois de moharram de l’an 705 de l’hégire.

 

Le 9 jumâdâ el ûlâ de la même année, le doyen fustigea avec véhémence la secte des « miséreux » ahmadites, dite rifâ’ite qui avaient outrepassé les limites de la loi musulmane. Une séance fut tenue en présence de l’Attendant du Sultan à qui furent soulevées plusieurs plaintes à l’encontre du doyen accusé de les harceler outre mesure. Il lui fut réclamé de les laisser tranquille et de renoncer aux réfutations dont ils étaient l’objet. On sollicita sa présence sous leur demande pressente. Une fois sur place, celui-ci entama un long réquisitoire dont voici la teneur : « Il est à mettre au crédit de ces gens-là leur appartenance à l’Islam, et leur ordre qui prône la pauvreté et la vertu. Nombre d’entre eux sont enclins à la réelle dévotion, l’amour de Dieu, l’extase spirituel, l’ascétisme, la pauvreté, l’humilité, à la douceur et l’affabilité dans leur relation avec autrui, à l’inspiration soufie et aux bonnes mœurs. Néanmoins, il y en a d’autres qui s’adonnent à des rites païens, hérétiques, et blasphématoires. Ils tournent le dos à une partie non négligeable des enseignements prophétiques ; ils pratiquent le mensonge, la fourberie, et le charlatanisme en exhibant de faux miracles au cours desquels ils se livrent au spectacle du feu, des serpents, du sang, et à des potions composées de plantes médicinales, de safran, d’eau de rose, des eaux employées aux ablutions posthumes, etc.

 

L’imposture de ces tours de magie est notoire. Pour l’épreuve du feu, ils s’enduisent le corps d’huile de crapaud, épluchures de bigaradier (espèce d’oranger ndt.), de pierres de talc, etc. »

 

Notre Sheïkh leur lança un défi sous les yeux de l’Attendant du Sultan : « Je les défis d’entrer dans le feu, et j’en ferais de même, à condition de se laver au préalable au vinaigre et à l’eau chaude du hammam, et là nous verrons lequel d’entre eux se brûle ; alors invoquons la malédiction divine contre celui qui se brûle. » Il démasqua donc leur supercherie, [bien qu’il fût déterminé à relever le défi tant il reposait une totale confiance en Dieu, ndt.]

« De toute façon, nuança-t-il, quand bien même, vous ne seriez pas blessé, que vous voliez dans les airs, ou que vous marchiez sur l’eau, cela ne prouverait absolument rien à partir du moment où vous n’êtes pas fidèles à la Loi divine. Le grand Imposteur, l’Antéchrist va bien ordonner au ciel de faire tomber la pluie, et à la terre de donner ses fruits, et aux ruines de sortir ses trésors. Il va couper un homme en deux. Et pourtant, maudit soit-il, il est le roi des menteurs et des damnés. Personne, je dis bien personne n’est dispensé de la loi scripturaire qui incarne le Coran et la sunna. » Pour étayer ses propos, il mentionna la fameuse citation d’Abû Yazîd el Bustâmî que voici : « Si vous voyez un homme voler dans les airs ou marcher sur l’eau, ne soyez pas impressionnés avant d’avoir vérifié comment il se comporte vis-à-vis des commandements divins. » L’Imâm Laïth Abû Sa’d entérine ce principe : « Si vous voyez un hérétique marcher sur l’eau, prévient-il, ne soyez pas impressionnés. » Son confrère Shâfi’î renchérit : « Notre ami Laïth est trop gentil, moi j’aurais ajouté, et même si vous voyez un hérétique voler dans les airs, ne soyez pas impressionnés… »

 

Puis, il continua sa longue démonstration dont je ne me souviens plus des termes, mais, en substance, il avisa les autorités qu’il incombait d’infliger la peine de mort à tous ceux parmi les leurs qui seraient coupables d’outrepasser les enseignements des textes scripturaires.

 

Par la suite, Sheïkh ibn Taïmiya fut confronté au doyen Nasr el Manbajî dont la popularité commençait à enfler en Égypte. On apprit au Sheïkh que ce dernier fut confondu de  monisme. Le doyen damascène lui adressa une lettre de trois cents lignes dans lesquels il condamna son crédo. Vexé, el Manbajî monta les esprits dans les milieux savants et judiciaires contre ibn Taïmiya sous prétexte qu’il serait un hérétique, et farouche détracteur des ascètes et autre. Son affaire fut soulevée au Sultan sous l’initiative des juges et des érudits. Un décret sultanesque fut expédié aux autorités de Damas leur enjoignant d’entreprendre une enquête sur le crédo du Sheïkh. Celui-ci fut convoqué à la date du 8 rajab 705 h. lors d’une audience qui réunissait le gotha des érudits et des magistrats, comme nous l’avons vu plus haut.

 

Il y a tout lieu de penser que les shiites duodécimains aient soudoyé certains milieux pour obtenir sa condamnation [autre traduction possible : soient derrière cette campagne de diffamation, ndt.]. El Manbajî ne se laissa pas convaincre par la « plaidoirie » d’ibn Taïmiya. Il convoqua une assemblée qui rassembla plusieurs savants locaux autour du gouverneur d’Égypte l’émir mamlouk Jâshinkir. El Manbajî persuada ce dernier qu’ibn Taïmiya avait des idées séditieuses contre sa dynastie au profit d’un autre prétendant au trône. Pour enfoncer le clou, il le peignit sous les traits d’un hérétique. Il n’en fallut pas plus pour qu’un décret sultanesque estampillé à la date du 9 ramadhan de l’an 705 h. ordonne à Damas de faire comparaitre l’accusé sur les bords du Nil. 

 

Le gouverneur de Syrie, qui vit cette décision d’un mauvais œil, refusa de livrer l’intéressé sous prétexte que celui-ci avait fait l’objet en sa présence de deux interrogatoires sous la conduite des juges et des légistes. L’émissaire égyptien le dissuada de prendre une telle décision, car la rumeur courrait que Sheïkh el Islâm conspirait à son profit en vue de destituer l’autorité en place. De nombreux rebelles lui auraient déjà accordé leur allégeance. Pris de panique, l’émir damascène prit en urgence les dispositions pour conduire au Caire l’accusé sous escorte dans les plus brefs délais.

 

L’aventure égyptienne

 

Le départ, qui eut lieu le lundi 12 ramadhan 705 h., attira un large public qui, curieusement s’était agglutiné autour du domicile du doyen pour lui adresser leur au revoir. Comme pour afficher leur solidarité, deux files s’étaient constituées de part et d’autre du chemin tout le long de l’itinéraire qui mena de son domicile pratiquement à Joussoura à la sortie de la ville, non loin de la bourgade Koussoua, la première étape en direction du Sud. Les pleurs montaient au ciel, et la stupeur et le désarroi se lisaient sur les visages. Cette procession avait ameuté une multitude hétéroclite partant de simples badauds, des curieux, et allant jusqu’aux admirateurs les plus fervents du Sheïkh.

 

Aux premières lueurs du samedi, Le cortège foula le sol de la première ville de Misr où notre doyen donna un cours magistral devant une immense assemblée s’étant réuni à la grande mosquée de la ville. Le jeudi suivant qui correspondait au 22 ramadhan, le Sheïkh arriva au Caire accompagné du dhî Najm ibn Sasrî. Le lendemain, juste après l’office hebdomadaire, une grande réunion eut lieu en l’honneur du Sheïkh dans la Citadelle où s’était retrouvée l’élite du Royaume. On ne lui donna malheureusement pas l’occasion de s’exprimer et de se lancer dans ces fameuses harangues dont il avait le secret. Shumâs ibn ‘Adlân, qui fut assigné au ministère public, exposa les chefs d’inculpation au juge malékite ibn Makhlûf : « L’accusé ici présent, vociféra-t-il, souscrit à l’idée qu’Allah est réellement au-dessus de Son Trône, qu’Il parle à l’aide de lettres et de sons [l’érudit Dhahabî ajoute : et qu’on peut indiquer matériellement Sa direction]. Je réclame donc sa condamnation.

  • Qu’as-tu à répondre, accusé, pesta le juge ?

 

Notre doyen entama un sermon par la formule consacrée qui glorifie et vante les louanges du Tout-Puissant.

  • Réponds à la question, s’agaça le premier magistrat de la Cour l’ayant coupé dans son élan, tu n’es pas là pour bavasser !
  • Et qui donc s’est fait mon juge, rétorqua notre doyen impassible ?
  • Le Qâdhî malékite, lui rappela-t-on.
  • Comment peut-il à la fois être mon juge et mon adversaire idéologique ? »

 

Son inquisiteur entra dans une colère indescriptible, et, après avoir mis fin à la séance,  signa une sentence qui plaça provisoirement en détention notre doyen dans la grande tour de la Citadelle.

Plus tard, il fut conduit dans les sinistres geôles cairotes, baptisées jubb où, la veille de l’aïd, il fut emprisonné avec ses frères Sharaf e-Dîn ‘Abd Allah et Zaïn e-Dîn ‘Abd e-Rahmân. Après un an d’oubli jour pour jour, l’Attendant du Sultan, Saïf e-Dîn Sallâ, convoqua, la veille de la fête annuelle de la rupture du jeûne de l’an 706 h., trois juges qu’il désigna au sein des légistes de trois des quatre écoles canoniques que sont el Bâjî d’obédience malékite, el Jazarî de l’école hanafite, et venu spécialement du Shâm pour représenter les shaféites, j’ai nommé Nimrâoui.

 

Cette réunion extraordinaire avait pour thème la libération de notre doyen qui fut votée sous certaines conditions : il devait notamment renoncer à certains articles de son crédo. On alla le chercher dans son obscur cachot qui suintait la mort glaciale. L’émissaire revint penaud, car le Sheïkh avait refusé de se présenter, malgré les mauvaises conditions de détention qui n’allaient pas infléchir sa décision. Des pourparlers furent entamés par l’entremise de cet émissaire qui se déplaça à six reprises s’étant soldées à chaque fois par un refus catégorique. On avait cherché à l’amadouer dans l’espoir que la mauvaise fortune qui le poursuivait depuis de longs mois ainsi que les alléchantes propositions qu’on lui faisait miroiter allaient exercer sur lui une quelconque pression, mais il resta inflexible. Les notables d’en haut abdiquèrent et se séparèrent sans n’avoir obtenu la moindre concession de la part de cet homme aussi opiniâtre que déconcertant.

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

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[1] Voir : el jâmi’ li sîra Sheïkh el Islâm (p. 156).

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16 octobre 2011 7 16 /10 /octobre /2011 15:45

 Hydrangeas

Le prophète Shu’aïb

 

Sheïkh el Islam ibn Taïmiya a dit (voir : Jâmi’ e-Rasâil (1/61-66) :

 

Au nom d’Allah, le Très-Miséricordieux, le Tout-Miséricordieux, c’est de Lui dont nous recherchons l’aide ! Ensuite : Allah (I) évoque l’histoire du prophète Shu’aïb (r) dans plusieurs passages de Son Livre. Ce dernier fut envoyé au peuple de Madian. Le Coran nous apprend notamment : (Les gens du « fourré » ont démenti les messagers).[1] Selon la plupart des exégètes, il s’agirait des habitants de Madian bien que d’autres estiment que le Coran relate en fait deux histoires différentes. Or, le Verset suivant nous présente l’un des épisodes de l’histoire de Mûsâ en ces termes : (Et lorsqu’il atteignit les sources de Madian, il y trouva un groupe de gens qui y puisait de l’eau. Il y trouva également deux femmes à l’écart qui retenaient leurs moutons. Il leur demanda : « Que vous arrive-t-il ? », etc.).[2] Moïse s’en tint au plus long des deux termes qui lui furent proposés, mais rien n’indique dans ce passage que le vieillard en question était Shu’aïb (u) ou encore un prophète. Les anciennes écritures juives et chrétiennes ne précisent pas que cet homme était un prophète et il ne nous est rapporté d’aucun Compagnon –que ce soit ibn ‘Abbâs ou un autre – que le beau-père de Mûsâ était le prophète Shu’aïb. Les annales provenant de ces derniers affirment plutôt que Shu’aïb et le vieillard de Madian étaient deux personnes différentes.

 

Dans son exégèse, Sunaïd ibn Dâwûd, l’un des Sheïkh d’el Bukhârî, rapporte selon ibn ‘Abbâs que l’homme dans l’histoire de Moïse s’appelait Yathrâ. El Hajjâj et d’autres spécialistes l’épèlent ainsi : Yathrûn. Shu’aïb el Jubbâî affirme dans ce registre : « Les deux jeunes filles se prénommaient Laïyâ et Saghûra.[3] Musâ s’est marié à Saghûra fille de Yathrûn, le prêtre de Madian ; un prêtre était le titre désigné au savant. D’après une certaine version, selon ibn ‘Abbâs, ce dernier s’appelait Yathrûn ou Yathrâ. » Pour ibn Jarîr (e-Tabarî), l’une des deux filles se prénommait Laïya ou peut-être Sharfâ, et l’autre portait le nom de Saghûra. Quant à leur père, il règne une certaine divergence sur son identité. Certains avancent qu’il s’appelait Yathrûn. Yathrûn était le nom du vieillard qui a loué les services du fils adoptif de Pharaon ; il était le cousin de Shu’aïb. Abû ‘Ubaïda affirme que Yathrûn était le cousin du Prophète Shu’aïb (r). D’autres exégètes, tel qu’il est rapporté notamment par ibn ‘Abbâs, le dénommaient Yathrâ.

 

El Hasan fait le commentaire suivant : « Certains savants présument qu’il s’agit du prophète Shu’aïb, mais en réalité il fut simplement le seigneur du puits à cet époque. » Pour ibn Jarîr, il n’est pas possible d’accéder à une telle information si ce n’est pas l’intermédiaire de la révélation et dans le cas présent, il n’y a aucune information à ce sujet. Ainsi, les différents ouvrages de Tafsîr (exégèses) rapportent par le biais de chaînes narratives, le savoir venant du Prophète (r) et des Successeurs ; aucun d’entre eux n’informe que l’homme dont il est fait mention dans l’histoire de Mûsû serait le Prophète Shu’aïb (r). Par contre, ils nous offrent par le biais d’un certain nombre de chaînes narratives certifiées, les paroles d’el Hasan el Basrî précédemment citées. Elles répondent en fait à ceux qui penseraient le contraire. E-Tha’labî certes assume effectivement le contraire, mais il ne faut pas tenir compte de ses dires car ce dernier recense tout et n’importe quoi. Ainsi, prétendre qu’il s’agit de Shu’aïb, c’est parler de ce dont on ignore et de ce dont on n’y a aucune information sur le sujet provenant du Prophète (r), des Compagnons, ou des savants musulmans de référence. En outre, une telle allégation va à l’encontre des annales certifiées qui remontent à ibn ‘Abbâs et à el Hasan el Basrî. Sans compter qu’elles vont à l’encontre des détails sur la question fournis par les « gens du Livre », qui démentent à l’unanimité qu’il puisse s’agir de Shu’aïb. La Thora et l’Évangile parlent d’un certain Yathrûn qui ne correspond pas au prophète de Madian évoqué dans les anciennes écritures.

 

Plus d’un savant mentionne que Shu’aïb était d’origine arabe. Il existe même sur la question un certain Hadith qui remonte au Messager d’Allah (r). D’après Abû Hâtim et d’autres compilateurs en effet, Shu’aïb était un arabe tout comme Hûd et Sâlih, tandis que Moïse était hébreu ; ils ne parlaient donc pas la même langue. Le Texte du Coran formule pourtant que le prophète hébreu s’est adressé aux deux jeunes filles et à leur père sans l’intervention d’un traducteur. S’il a pu régner un amalgame, c’est en raison de la présence à Madian de deux personnes différentes dans le Coran ; Shu’aïb et le beau-père de Mûsâ en l’occurrence. Le Coran nous enseigne notamment qu’Allah a décimé le peuple de Shu’aïb, par un châtiment du ciel.  Dès lors, il n’y avait plus d’habitants à Madian. Shu’aïb ne pouvait rester seul dans un endroit désert. Certains savants avancent qu’une fois leurs peuples décimés, les prophètes venaient finir leurs jours à la Mecque. shu’aïb, Hûd, et bien d’autres auraient leur tombe dans les Lieux Saints.

 

Or, à l’époque de Mûsa, Madian était habité par son futur beau-père. Il ne s’agissait pas des habitants des lieux dont le Coran fait mention dans l’histoire de Shu’aïb. Même selon l’hypothèse que Shu’aïb était simplement le cousin du gendre de Moïse, il n’existe aucune annale certifié pour l’appuyer. Il n’est pas possible d’opposer ce genre d’hypothèses aux paroles certifiées d’ibn ‘Abbâs sur la question. toutes les annales qui présument que Shu’aïb, le vieil homme, ou encore Jibrîl auraient offert le fameux bâton de Mûsâ, n’ont aucune origine textuelle. Abû Bakr –je pense qu’il s’agit d’el Hadhalî – est l’auteur des paroles suivantes : « J’ai interrogé ‘Ikrima au sujet du bâton de Mûsâ, il m’a répondu qu’Âdam l’avait dans les mains lorsqu’il fut chassé du Paradis. Jibrîl l’aurait pris par la suite pour le remettre à Moïse, lors d’une rencontre au cours d’une certaine nuit. » E-Suddî relate pour sa part, dans son fameux Tafsîr, que le vieillard de Madian ordonna à ses filles de demander à Mûsâ de ramener un bâton. Un ange ayant pris forme humaine lui en aurait confié un, etc. il aurait eu une dispute avec son beau-père et les deux hommes auraient demandé à un tiers d’arbitrer en eux ; Mûsa contrairement à son beau-père, en aurait supporté le jugement (ou aurait été capable de porter le bâton ndt.) et qu’il était plus à même de respecter ses engagements.

 

Si Shu’aïb avait été cet homme, il ne serait pas entré en conflit avec Moïse, il n’aurait pas regretté de lui avoir donné…, et il n’aurait pas cherché un arbitre entre eux. Par ailleurs, avant son avènement, Mûsâ ne pouvait pas être plus loyal qu’un prophète car si Shu’aïb était prophète, cela n’était pas encore le cas pour lui. Il ne pouvait être meilleur qu’un prophète avant de recevoir lui-même la révélation. Zaïd souligne certes qu’il était déjà connu que Mûsâ serait un prophète, mais dans l’hypothèse ou ses paroles soient fondées, cela ne prouve rien. Les prêtres et les moines en effet avaient à leur savoir certains signes précurseurs à la prophétie. Ils étaient capables d’annoncer l’avènement éventuel d’un prophète avant sa venue effective, mais certes Allah A’lam !

 

Il est répandu certes chez bon nombre de gens auxquels il échappe les subtilités du savoir et les moyens textuels et rationnels de fonder des preuves, que Moïse était le gendre de Shu’aïb. Cependant, il serait irraisonnable de se fier à ce genre de jugement. Cette opinion est toute au plus rapporté par certains savants, mais le fait est que d’autres savants s’y opposent ; en cela, elle ne fait pas plus autorité que la leur. Il incombe dont de soumettre cette divergence aux preuves (tant textuelles que rationnelles). Dans cet ordre, certains gens assument que les deux messagers évoqués dans la Surate Yâsîn comptent parmi les apôtres du Messie (u). Habîb le charpentier aurait cru en eux, mais l’élite des savants musulmans ou même les « gens du Livre » considèrent ces fables comme complètement aberrantes. Allah nous enseigne en effet que les habitants de cette cité où ces messagers se sont rendus ont goûté à la Colère céleste, dans le Verset suivant : (Il y a eu un seul cri et ils se retrouvèrent raides morts).[4]

Antioche est la première cité après l’élévation du Messie dont les habitants se sont convertis à la religion chrétienne, suite au prêche de deux des Apôtres. Après cette période, aucun châtiment ne s’est abattu sur eux, à l’unanimité des musulmans et des « gens du Livre ». Comment est-il permis d’avancer dès lors que les deux messagers auxquels fait allusion le Coran étaient les messagers du Christ !

 

Par ailleurs, au début de l’ère chrétienne deux apôtres se sont bien rendus à Antioche, comme le reconnaissent les chrétiens eux-mêmes. Or, à cette époque Habîb le charpentier était déjà mort. Les deux messagers en question dans le Coran vécurent avant l’époque de Jésus. La cité dont certains disent que c’était Antioche, et où ils se trouvaient a été anéantie par le châtiment. Quant à Habîb, il a cru à ces deux fameux messagers. Antioche fut construite (ou reconstruite) par la suite. C’est dans cette ville où les deux Apôtres de Jésus se sont rendu pour faire leur prêche. Il faut savoir que les Apôtres ne sont pas des messagers d’Allah pour les musulmans. Ils étaient les messagers du Christ comme les Compagnons étaient les messagers du Prophète (r). Dire que ces deux messagers étaient des apôtres, c’est offrir un argument aux chrétiens auquel il serait difficile (à l’auteur d’une telle parole) de répondre convenablement. Nous avons développé dans notre réfutation aux chrétiens que les Apôtres n’étaient pas des messagers contrairement aux chrétiens qui les considèrent comme des messagers au même titre, voir ayant plus de valeur, qu’Ibrahim et Mûsâ ; ce qui pour les musulmans est une impiété. Nous avons ainsi exposé les idées égarées des chrétiens.

 

Enfin, les louanges reviennent à Allah uniquement ! Que les Prières et les Salutations d’Allah soient sur notre Maître Mohammed ainsi que sur sa famille et ses compagnons !

 

Traduit pour Islam.house par :

Karim ZENTICI

 

 

 

           



[1] Les poètes ; 176

[2] Les récits ; 23

[3] Dans les Tafsîr d’E-Tabarî et d’ibn Kathîr, elle s’appelle Sâfûrâ.

[4] Yâsîn ; 29

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