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4 décembre 2017 1 04 /12 /décembre /2017 12:17

 

La preuve légale est la somme des preuves textuelle et rationnelle

(Partie 1)

Le culte est, en réalité, une forme d’esclavage et de captivité qui place le cœur dans un état de dépendance et d’infériorité. L’esclave qui atteint le degré de contentement jouit de la liberté, et l’insatiabilité enchaine l’homme libre à ses passions.

Majmû’ el fatâwâ d’ibn Taïmiya (10/181).   

 

Cet article dénonce en partie des auteurs à l’image d’A. Soleiman al-Kaabi qui dans son livre Pourquoi Jésus doit il revenir?, 2e édition, 2013, p.87 à p.94, assimile les traditionalistes contemporains qui seraient les juifs de la Qibla, aux pharisiens littéralistes, voire aux kharijites (en s’appuyant entre autre, pour ce dernier point, sur des conclusions d’orientalistes). D’autres réfutations de ce même passage suivront peut-être…

 

Personne ne peut perdre ce qu’il n’a pas !

Fâqid e-shaï lâ yu’tîhi

 

Les différents types de connaissance

 

Le Messager (r) a bien donné raison à un Juif qui l’interpella un jour en ces termes : « Ta communauté serait parfaite si tes adeptes ne donnaient pas d’égal à Dieu ?

  • Et comment cela, interrogea-t-il ?
  • Dans leurs conversations, ils emploient la formule : si vous le voulez Dieu et toi ! »

Le Messager (r) s’adressant alors à ses Compagnons : « Cet homme me rapporte l’une de vos paroles, alors dites désormais : si Dieu le veut, puis, si toi tu le veux ! »

Selon une autre version : « Ta communauté serait parfaite si tes adeptes n’associaient personne à Dieu ?

  • Et comment cela, interrogea-t-il ?
  • Ceux-ci jurent par la vie ou le droit d’un tel ! »

Le Messager (r) s’adressa alors à ses Compagnons pour leur dire : « Ne jurez que par Dieu à l’occasion de vos serments ! » [Rapporté par e-Tabarânî dans el kabîr (n° 10468), selon ibn Mas’ûd (t).]

 

Le bien et le mal se définissent sous trois angles :

  • ‘Aqlî : qui englobe tous les êtres doués de raison, même les païens ;
  • Millî : qui concerne plus spécifiquement les religions monothéistes ayant pour source commune, la révélation divine ;
  • Shar’î : qui concerne uniquement la loi musulmane, la dernière révélation.

 

De façon plus générale, il y a une connaissance dite ‘aqlî se basant uniquement sur des arguments rationnels qui sont le fruit de la réflexion des philosophes dans des matières aussi vastes que la logique, les sciences naturelles et la théologie ; une connaissance dite millî qui prend pour outils les arguments rationnels dans le cadre de la religion musulman, mais sans forcément s’appuyer sur les textes scripturaires de l’islam : ce sont les discussions des théoriciens du kalâm sur la nature de Dieu à partir de la théologie spéculative qui empreinte nombre de ses raisonnements à la philosophie matérialiste ; et une connaissance dite shar’î qui raisonne, dans le cadre de la religion musulmane, à partir des textes.

 

Les théoriciens du kalâm sont plus avisés en matière de théologie que les philosophes matérialistes, qui, eux, sont plus portés vers les sciences naturelles. Les traditionalistes, qui constituent le troisième ensemble, se divisent en deux catégories : les littéralistes qui composent l’ensemble des traditionnistes et du commun des croyants, et l’élite des savants de la communauté qui pénètrent le sens profond des textes.

 

Chacun de ses trois ensembles a une approche qui lui est propre dans l’exercice du culte, notamment dans le domaine de la liturgie. Nous avons la liturgie ‘aqlî (rationnelle) qui suscite dans l’absolu les sentiments d’amour et de peur, d’espoir et de tristesse. La liturgie millî (confessionnelle) axe son discours sur l’amour et la crainte de Dieu, et les espoirs qu’ils font naitre chez le croyant qui repose totalement sa confiance en Lui. Le Coran incarne la liturgie shar’î (légale). Le Livre saint fait état de ses trois approches, qui, à l’origine, sont légitimes. Allah révèle : [Les vertueux parmi les croyants, les juifs, les chrétiens, et les sabéens, qui ont donné foi en Allah et au jour du jugement dernier…].[1] 

 

Les croyants, les adeptes de la nation mohammadienne, représentent la religion légale qui renferme des éléments de la religion confessionnelle et rationnelle ; les juifs et les chrétiens sont les représentants de la loi confessionnelle qui inclut des éléments de la loi légale et rationnelle ; et les sabéens[2] incarnent la religion rationnelle avec des enseignements qu’elle emprunte à la religion confessionnelle qu’elle combine avec plusieurs commandements divins.[3]

 

Les enseignements et les commandements divins

 

Les sciences de la religion se décomposent en deux grands ensembles : les enseignements (informations) et les commandements divins. Celles-ci renvoient notamment à la connaissance 1°) qu’il incombe à l’individu responsable d’acquérir ou 2°) qui fut véhiculée par le Législateur.

 

1°) La première catégorie relève des sciences légales, comme on dit « observations légales » qui composent les actes d’adoration d’ordre obligatoire, recommandé, et éventuellement toléré ou licite. Ici, interviennent les notions de jugement (bien/mal, récompense/punition, obligation/interdiction). Il s’agit du discours factuel.

2°) La seconde représente les sources scripturaires (Coran, sunna, consensus, etc.) qui émanent du Législateur, en l’occurrence le Messager d’Allah (r). Ici, on s’arrête sur les procédés qui permettent d’établir un jugement, et sur les vices de forme éventuels qui biaisent les conclusions. Il s’agit du discours fonctionnel ou formel.

 

La première s’attache au statut de telle ou telle loi (ou parle ici de ‘ilm shar’î comme on parle de ‘amal shar’î) et la seconde s’intéresse aux preuves textuelles ou rationnelles qui l’établissent (on parle ici de ‘ilm ‘aqlî et sam’î).

 

Chacune de ses catégories se décompose elle-même en deux sous-ensembles : la preuve légale touche soit aux enseignements soit aux commandements ; les enseignements sont ou non appuyés par des arguments rationnels, et les commandements répondent soit directement soit indirectement (tout moyen à même de concrétiser un acte religieux qui est d’ordre obligatoire ou recommandé) aux intentions du Législateur. Cette classification nous offre quatre sous-ensembles.

 

Sous un autre angle, nous disons qu’un commandement est appréhendé soit par la seule raison soit par la raison et la loi. Il doit son caractère légal aux textes et à la loi. Les textes ont deux vocations : transmettre la volonté du Législateur qui donne soit une information soit une indication, un indice (les signes de l’existence de Dieu et de la prophétie). Le cas échéant, la preuve légale est combinée à la preuve rationnelle. Le Législateur pousse à la réflexion qui engendre la connaissance. Celui-ci démontre d’un point de vue rationnel la plupart des grands fondements de la religion (l’existence d’Allah, Son Unicité, Son Savoir, Son Pouvoir, Sa Volonté, Sa Grandeur, la récompense céleste, la prophétie de Mohammed (r), etc.), qui sont décelables par la raison.

 

La lettre et l’esprit

 

Ces fameux grands fondements, baptisés ‘aqliyât par les théologiens du kalâm, sont établis par les textes ; pas seulement par la lettre qui, en soi, n’est pas une forme de savoir, si ce n’est que du point de vue de celui qui y donne foi, mais par l’esprit et la réflexion. Malheureusement, nombreux sont ceux qui appréhendent mal ce point au sein des différents cercles scientifiques (théologiens du kalâm, traditionnistes, légistes, etc.) et du commun des mortels. Ces derniers pensent que le croyant à pour devoir exclusif d’adhérer à la lettre, sans se soucier des orientations sous-jacentes mises en lumière par certains indices qui jonchent l’information.

 

Un enseignement est susceptible également d’être palpable par la raison, et quand ce n’est pas le cas, sa connaissance est soumise uniquement à la lettre. Est-il possible de le déceler par la raison dans la mesure où le Législateur n’a laissé échapper aucun indice prêtant à le faire ? La réponse est oui, et ce constat n’ébranle en aucun cas l’infaillibilité du Coran. Il va sans dire que nombreux sont les fidèles qui absorbent ses lois sous le seul prisme de la lettre – et ils ne font que remplir leur devoir –, mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe aucun autre moyen d’y accéder.  

 

Nombre de musulmans dans les rangs des philosophes, des théologiens du kalâm, des légistes, des soufis, et même de la masse, font ce constat. À leurs yeux, il est possible d’entériner par la raison une loi que le Législateur n’a pas jugée utile de renforcer par des preuves rationnelles.

 

Or, nous ne le concédons pas ce constat si l’on sait que les textes scripturaires, qui ont plusieurs degrés de lecture, n’occultent jamais de ramener les preuves rationnelles pour les lois où la raison a sa place. Il existe notamment un consensus qui valide l’apport de ces preuves rationnelles en renfort aux grands fondements de la religion.

 

En considérant la question sous cet angle-là, nous avons les connaissances auxquelles nous avons accès uniquement par l’intermédiaire de la loi (qui ne se cantonne pas toujours à la dernière législation révélée, mais qui s’inspire éventuellement des législations abrogées), dans le sens où leur conception dépasse la raison.

 

À l’opposé, nous avons les connaissances qui sont le fruit exclusif de la raison (certains domaines de la médecine, calcul, artisanat, etc.). Entre les deux, nous avons les connaissances qui combinent la loi et la raison. Celles-ci sont éventuellement alimentées de façon implicite par des indices rationnels (dites ‘aqliyât shar’iyât, ‘aqlî e-shâri’), que le Législateur distille avec parcimonie au non au gré de ses ambitions. Celui-ci peut tout autant se passer de ces indices rationnels, et se contenter de l’information (‘aqliya min ghaïri e-shâri’).

 

Ainsi, les preuves rationnelles proviennent soit du Législateur, comme c’est le cas pour la plupart des grands fondements de la religion, soit par un autre moyen, ce qui en soi est contestable.

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

 

[1] La vache ; 62

[2] Il existe deux sortes de sabéens : les monothéistes et les polythéistes. Les monothéistes étaient soumis aux lois de la Thora puis à l’Évangile avant leur abrogation. À la première époque, les sabéens suivaient la religion d’Ibrahim fidèle à Dieu (hanîf). Par la suite, ils innovèrent certaines formes d’associations, et ils devinrent des païens sur les pas de Nemrod et des Chaldéens.

Harrân, la ville natale d’el Ja’d, était la cité des sabéens, où Ibrahim serait né (une autre hypothèse avance qu’il serait en fait venu d’Iraq). Ils construisirent plusieurs temples en hommage à la « cause première », au « premier intellect », au soleil, à la lune, etc. La religion chrétienne s’installa à Harrân, mais le sabéisme perdura jusqu’aux conquêtes musulmanes. Il resta toujours des philosophes sabéens dans le nord de l’Iraq et à Bagdad où ils exercèrent les professions de médecins et de scribes ; nombre d’entre eux ne se convertirent jamais à l’Islam. Au quatrième siècle de l’Hégire, el Fârâbî passa cette ville où il s’imprégna de sa culture philosophique auprès de ses habitants. Le philosophe sabéen Thâbit ibn Qurra (m. 288 h.) avait déjà fait le commentaire de « la métaphysique » d’Aristote.

Voir : e-rad ‘alâ el muntiqyîn (p. 335), el hamawiya (p. 248, 250), et majmû’ el fatâwâ (5/20, 21).

[3] Voir : Majmû’ el fatâwa d’ibn Taïmiya (20/62-64).

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