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8 septembre 2013 7 08 /09 /septembre /2013 17:58

Le shirk

(Partie 7)

Le tawhîd chez les mutakallimîns murjites

En se basant sur leur définition de la foi, ils ne considèrent pas que l’Unicité de la divinité (tawhîd el ulûhiya) compte parmi les branches de l’Unicité. L’Unicité selon eux, consiste à dire qu’Allah est Unique dans Son Essence sans ne faire aucun partage, Unique dans Ses Actions sans n’avoir aucun associé, et Unique dans Ses Attributs sans avoir aucun égal.[1] Cette définition ne fait nullement mention de l’unicité de la Divinité. C’est pourquoi, il est possible de constater chez les sociétés où l’ash’arisme est répandue, qu’elles ne portent pas l’accent sur ce point primordial ; celles-ci sont contaminées par l’association et l’innovation étant donné qu’elles n’apprennent pas aux gens qu’Allah est Unique dans Son Adoration sans n’avoir aucun associé.[2] À leurs yeux, la divinité et la seigneurie sont synonymes. Le Dieu suprême se particularise par son pouvoir de création.[3]

Par rapport à leur définition du tawhîd, ils ne voient pas d’inconvénients à invoquer les morts tant qu’on a conscience qu’Allah est le véritable « faiseur ». Ils ramènent donc la chose à la croyance.[4] Selon Taqî e-Dîn Subkî, solliciter le secours des walis (istighâtha bi e-sâlihîn) n’est pas du shirk akbar, dans la mesure où ces walis n’ont pas un pouvoir autonome, mais soumis à la Volonté divine. Il disculpe ainsi les adorateurs des tombes en prétextant que, de ce côté-là, leur croyance est saine, et que leurs pratiques ne remettent nullement en question leur monothéisme.[5]

Dahlân, un farouche détracteur de la da’wâ najdite, s’imagine mal qu’un musulman peut conférer à une créature quelconque de s’ingèrer de son propre chef dans les affaires du Seigneur.[6] On peut faire tout ce qu’on veut ou presque dans le domaine de la divinité (invoquer un wali qu’il soit mort ou vivant, se prosterner devant lui ou sa tombe, lui consacrer des tawâfs, des immolations, des vœux, etc.), l’essentiel est de garder une croyance saine dans celui dans la Seigneurie.[7] Et quand ils se sentent acculer devant l’évidence, ils sortent leur « joker », la métaphore. Quand le musulman lambda impute les bonnes choses qui lui arrivent au wali untel, avancent-ils, c’est par une pure métaphore, car il est convaincu au fond de lui que tout vient de Dieu.[8]

En outre, ils ramènent l’istighâtha bi e-sâlihîn au tawassul qui lui serait synonyme.[9] C’est pourquoi, sous influence soufie, de grandes références néo-ash’arites cautionnent l’istighâtha bi e-nabî ou autre.

En voici une liste non exhaustive :

  • Ibn el Hâjj dans el madkhal (1/252),
  • Taqî e-Dîn Subkî, comme nous l’avons vu plus haut dans shifâ e-saqâm fî ziyâra khaïr al anâm (p. 293, 305-313, 315).
  • El Qastalânî dans el mawâib e-ladunniya (p2/392).
  • Ibn Hajar el Haïtamî dans el jawhar el munazhzham fî ziyâra el qabr e-sharîf e-nabawî el mu’azhzham (p. 175-176).
  • El Bakrî qu’ibn Taïmiya n’a pas kaffar, à ma connaissance.[10]
  • El Qudhâ’î qui était plus soufi, dans el barâhîn e-sâti’a (p. 298-299).

Si l’on sait que le mâturîdisme est la sœur siamoise de la secte ash’arite, il faut savoir qu’elle n’a pas été épargnée par le shirk tamthîl.[11] El Kawtharî, un moderne, prétend, sur les traces des lettres d’ikhwân e-safâ, qu’en se séparant de son corps, l’âme des élus se débarrasse des carcans des mortels, et a directement accès aux mystères de l’inconnu.[12]

La propagande hollywoodienne véhiculent ce genre de légende avec l’épisode où, sous son « froc » à capuche, Obi-Wan "Ben" Kenobi éteint son sabrolaser pour laisser l’ancien Élu déchu, en finir avec sa carapace humaine, devenue trop étroite pour la mission qu’il s’était assignée. Le coup de grâce le fait disparaitre physiquement, mais son esprit veille sur Luke tout au long de ses périples. Il accède ainsi à l'immortalité à travers la Force et voit ses pouvoirs se décupler en se séparant de son corps, le fardeau des simples mortels. Il fait de temps à autre des apparitions pour conseiller son disciple fidèle.[13]

Les détracteurs de la da’wa najdite

C’est dans ce contexte que les détracteurs de la da’wa najdite firent leur propagande pro-qubûrite. Avec à leur tête le propre frère du « chef fondateur », ils cherchaient à atténuer les méfaits de l’association. « L’essentiel de leur critique pouvait se résumer dans une idée simple : croire en l’existence d’un seul Dieu et à la prophétie de Muhammad suffit à conférer la qualité de musulman, quelques soit les péchés commis ou les innovations illégales adoptées dans l’exercice du culte. Certains considéraient même que les pratiques religieuses condamnées par Abd el Wahhab (sic) étaient en réalité le moyen d’adorer Dieu. Ceux-là estimaient que le Tout-Puissant lui-même n’avait pas accordé le même degré de qualité spirituelle, et que les « amis de Dieu » (awliya’) pouvaient légitimement intercéder auprès d’Allah au bénéfice des croyants ordinaires, dès lors que ceux-ci acceptaient l’idée selon laquelle Dieu est à l’origine de toute action dans le monde, bonne ou mauvaise, et qu’un « ami de Dieu » n’est que son délégué. »[14]

Le « certains » en question, c’est Dâwûd ibn Sulaïmân ibn Jarsîs dans sulh el ikhwân min ahl al-imam (p. 121). Ce dernier considérait que l’istighâthâ bi ghaïr Allah était du shirk asghar, non akbar, et paradoxalement, il donnait l’excuse de l’ignorance aux quburites.

Voici une liste de leurs revendications :

  • Sulaïmân ibn ‘Abd el Wahhâb considérait que l’istighâthâ bi ghaïr Allah était du shirk asghar.[15]
  • Pour reprendre les paroles d’Abd e-Rahmân ibn Hasan (le petit-fils de l’Imam), ibn Jarjîs autorisait l’istighâthâ bi ghaïr Allah (invoquer le secours à une créature),[16] ou pour reprendre celles de son fils ‘Abd e-Latîf, il considérait que cette pratique relevait du shirk asghar, pour ne pas dire qu’elle était recommandée.[17]
  • Ibn Jarjîs et ‘Uthmân ibn Mansûr, qui malheureusement reçut sa mauvaise influence, prétendaient, en s’appuyant sur des textes d’ibn Taïmiya et d’ibn el Qaïyim, que tous les ignorants sans détail étaient excusables. Or, l’ignorance n’est pas une excuse en elle-même, mais l’incapacité d’avoir accès à la vérité, à condition, bien sûr, de la rechercher.
  • Dâwûd ibn Jarjîs et ibn ‘Ajlân prétendaient aussi que l’erreur d’interprétation rapportait systématiquement une récompense en plus du fait qu’elle était excusable. Ils imputaient cette opinion à ibn Taïmiya et son élève ibn el Qaïyim comme nous l’avons vu. Ils voulaient faire passer l’idée que seul un obstiné pouvait sortir de l’Islam. Le suivisme aveugle et l’ignorance seraient, à leurs yeux, dans tous les cas excusables.
  • Dâwûd ibn Jarjîs ne pénètre pas certaines nuances. Il attribue à ibn Taïmiya et à son élève un discours erroné. Il s’imagine qu’ils ne condamnent pas ces pratiques païennes. Pire, il s’imagine que l’erreur dans ces domaines rapporte une récompense dans l’absolu à celui qui n’en a pas connaissance. Or, il incombe de distinguer entre l’acte auquel le Législateur donne le statut d’« association », de « mécréance » ou de « perversité » et la personne. Le fait qu’une personne peut être excusable, cela ne rend en aucun cas son acte louable. Il y a une différence entre le statut d’un acte et le statut de son auteur.[18]
  • ‘Abd e-Latîf reproche à ibn Jarjîs d’accorder de façon formelle l’excuse de l’ignorance aux quburites, et, par rapport à cela, de stigmatiser les savants de aimmat e-da’wa.[19]

Conclusion

De grandes références néo-ash’arites, à l’image ibn Hajar el Haïtamî, ont été fortement influencées par le soufisme qui prône l’invocation des créatures. El Haïtamî lui-même autorisait d’invoquer le Prophète, mais aussi l’istighâtha bi e-nabî comme nous l’avons vu plus haut, et l’isti’âna bi e-nabî. (Voir sur le sujet la thèse : ârâ ibn Hajar el Haïtamî el i’tiqâdiya de Mohammed Shâi’.[20] Sheïkh el Islâm ibn Taïmiya évoque le takfîr de ceux qui invoquent des créatures en dehors d’Allah, comme le Prophète ou un wali, mais sans les désigner en particulier, en sachant qu’ils sont très nombreux dans ce cas. Surtout à notre époque où les quburites se multiplient partout dans le monde, wa Allah el musta’ân ! Comment lui imputer alors qu’il parle de cas particuliers ? Je pense, wa Allah a’lam, qu’il s’agit du hukm el mutlaq de l’invocation des créatures.[21] Quant au statut d’un cas particulier (hukm el mu’ayyin), il est soumis à des conditions et restrictions, comme il l’établit dans ses nombreux ouvrages.[22]

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

[1] Voir : nihâya el aqdâm (p. 90), et el milal wa e-nihal tout deux de Shihristânî (1/42).

[2] Voir : introduction de la recension de Kitâb el ‘arsh (1/57-62) de l’Imâm e-Dhahabî (m. 746 h.) par le docteur Mohammed ibn Khalîfa e-Tamîmî.

[3] Voir : usûl e-dîn d’el Baghdâdî (p. 123).

[4] Voir : e-durar e-saniya fî e-radd ‘alâ el wahhâbiya de Dahlân (p. 35).

[5] Shifâ e-saqâm fî ziyâra khaïr al anâm (p. 175).

[6] Voir : e-durar e-saniya fî e-radd ‘alâ el wahhâbiya de Dahlân (p. 34).

[7] Shawâhid el haqq d’e-Nubhânî (p. 116).

[8] Misbâh e-zhalâm de Mohammed Tâhir (p. 5).

[9] E-sawâ’iq el ilâhiya de Sulaïmân ibn ‘Abd el Wahhâb (p. 6).

[10] Voir : el istighâtha fî e-radd ‘alâ el Bakrî (1/362, 388).

[11] Voir : el mâturîdiya de Shams el Afghân (3/284-315) qui, à l’origine, est une thèse universitaire ès Magistère.

[12] Voir : maqâlât el kawtharî (p. 383).

[13] Je ne parle pas de l’image épouvantable à laquelle renvoie l’horrible Jabba, dont l’activité favorite, lors de ses retraites dans son palais planté au milieu du désert sur la planète Tatooine, est de faire subir à ses victimes les supplices les plus vils, devant les yeux médusés de son harem et ses esclaves.

[14] Qu’est-ce que le salafisme ? (p. 28).

[15] Sulh el ikhwan min ahl al-imam (p. 121) ; voir également : e-sawâ’iq el ilâhiya de Sulaïmân ibn ‘Abd el Wahhâb (p. 6).

[16] Voir : Kashb ma alqâhu iblîs (p. 54).

[17] Voir : manhâj e-ta-sîs wa e-taqdîs (p. 268-269).

[18] Idem.

[19] Voir : manhâj e-ta-sîs wa e-taqdîs (p. 266-267).

[20] Voir la recension de kitâb mufîd el mustafîd fî kufr târik e-tawhîd du D. Hamad el ‘Aslânî (p. 169-170).

[21] Voir la recension de kitâb mufîd el mustafîd fî kufr târik e-tawhîd du D. Hamad el ‘Aslânî (p. 139).

[22] Voir la recension de kitâb mufîd el mustafîd fî kufr târik e-tawhîd du D. Hamad el ‘Aslânî (p. 120).

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commentaires

M
Wa fik baraka Allah !<br /> <br /> Je suis à ton entière disposition...<br /> <br /> Waffaqaka Allah li kulli kheir !
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W
Un très grand merci! Burika fîk! Ca fait vraiment plaisir tant de rigueur et de sérieux. Je n'ai pas encore lu l'article "éclaircissements". J'irai le lire attentivement bi idhni Llâh. En attendant, je suis en train de lire "Ibn Taïmiya et les savants d’aimmat e-da’wa". Jazâka Llâhu khayra l-jazâ'. <br /> <br /> J'aurai je pense bcp de questions à vous poser à l'avenir. Je suis en pleine quête et recherche.
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M
Wa 'aleikom salem wa rahmat Allah !<br /> <br /> Je parle de l'article éclaircissements !<br /> <br /> Sinon, je ne connais pas ce genre d'outil, mais par le passé, j'ai ramené ce texte en arabe sur un forum !<br /> <br /> Ce passage revient plusieurs fois dans les durar, des fois de la bouche de l'imam Mohammed et d'autres fois de celle de son fils 'Abd Allah, en voici un exemple :<br /> <br /> ونحن كذلك : لا نقول بكفر من صحت ديانته، وشهر صلاحه، وعلم ورعه وزهده، وحسنت سيرته، وبلغ من نصحه الأمة ، ببذل نفسه لتدريس العلوم النافعة والتأليف فيها، وإن كان مخطئاً في هذه المسألة أو غيرها، كابن حجر الهيتمي، فإنا نعرف كلامه في الدر المنظم، ولا ننك سمة علمه، ولهذا نعتني بكتبه، كشرح الأربعين، والزواجر وغيرها ؛ ونعتمد على نقله إذا نقل لأنه من جملة علماء المسلمين .
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W
As-salâmu ³alaykum. <br /> Quel article ? Sur les 22 notes infrapaginales de cet article-ci, aucune ne renvoit à "E-durar e-saniya (1/235)". Votre citation, je la reprends de votre commentaire du 9/09/13 en réponse à Shahin. (J'ai aussi lu votre article "qu'en est-il de Subkî et de Haïthamî?", très intéressant!)<br /> Enfin, je n'ai pas les moyens de vérifier l'information dans l'ouvrage directement (ad-durar as-saniyya fî l-awjiba n-najdiyya), dès lors puis-je vous demander de m'en faire un scann ou d'inscrire le passage ici jazâkumu Llâhu khayran ?
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M
Wa 'aleikom salem wa rahmat Allah !<br /> <br /> Ta demande est justifiée, en sachant que l'article ramène la référence en bas de note :<br /> <br /> E-durar e-saniya (1/235).
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