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10 avril 2018 2 10 /04 /avril /2018 12:29

 

Plusieurs morceaux du puzzle de la foi

(Partie 2)

Là où nous voulons en venir ici, c’est que le vocable « imân » désigne une information particulière. Celui-ci est construit sur la racine « amnun » qui signifie « paix », de la même manière que son synonyme « iqrâr » (adhésion) provient de « qarrun » qui exprime notamment le repos, la fixation, et la sérénité. Le croyant est serein, résolu, et porteur d’un témoignage par lequel il adhère à la divinité absolue. Son adhésion repose sur l’information à laquelle il donne foi (parole du cœur) et qui va provoquer en lui un certain nombre de sentiments, d’états (actes du cœur). Dès que la prophétie de Mohammed (r) est portée à sa connaissance, il est envahi par les sentiments d’amour et d’encensement, et, par cette adhésion, il devient croyant. En revanche, si cette connaissance suscite en lui, la haine, la jalousie et, dans un élan d’orgueil, le refus de se soumettre à sa loi, il est un mécréant.

 

La rébellion d’Iblis, de Pharaon, et des Juifs, qui le connaissent aussi bien que leurs propres fils, est de ce type. Satan n’a jamais remis en doute ni la crédibilité du message ni celle de son auteur, mais il refusa pourtant d’obéir à l’ordre que venait de lui émettre Son Seigneur. Le Coran relate la façon dont Pharaon et son peuple accueillir les signes du Tout-Puissant : [Ils les renièrent, non qu’ils ne fussent intimement convaincus de leur véracité, mais, leur orgueil alimenta leur rébellion inique][1] ; Moïse le savait : [Tu sais très bien, rétorqua Mûsâ, que Seul le Seigneur des cieux et de la terre est à même de fournir des signes aussi éclatants][2] ; et pour les Juifs : [Ceux à qui Nous avons révélé l’Écriture le connaissent aussi bien que leurs propres fils].[3] 

 

Acquérir une connaissance (parole du cœur) ne garantit pas la foi sans fournir les sentiments qui en résultent (actes du cœur), comme l’amour et la soumission. D’ailleurs, le Jour de la résurrection, le pire des châtiments sera réservé à l’érudit au savoir infructueux ou qui ne le mettait pas en pratique. Le Prophète (r) appréhendait cette tare comme en témoigne son invocation : « Ô Allah, garde-moi d’un savoir infructueux, d’une âme insatiable, d’une prière non exaucée, et d’un cœur non soumis ! »[4]

 

On récolte ce que l’on sème

 

Or, les jahmites pensent à tort que la foi est confinée dans le savoir et la parole du cœur. À leurs yeux, il suffit de donner du crédit (tasdîq) à l’information pour prétendre au statut de croyant. Quand les textes mettent au compte de la mécréance tel ou tel acte, c’est uniquement dans la mesure où le cœur de leur auteur est vide de connaissance. Bien sûr, ils commettent une grossière erreur qu’il est facile de détecter grâce aux outils de la raison et de la loi coranique. Ils mettent implicitement le croyant et le mécréant sur le même pied d’égalité. Cette insanité leur value l’exclusion sans appel de la religion par les grandes références musulmanes, à l’image de Waqî’ ibn Jarrâh, d’Ahmed ibn Hanbal, etc. Il est indéniable qu’on peut à la fois connaitre la vérité et la détester pour une raison quelconque. Quand on refuse de l’accepter, on n’est pas forcément motivé par l’ignorance. Nous avons vu que la parole (le savoir) et les actes du cœur (les sentiments qui en résultent) étaient les deux soubassements de la foi, d’où cette définition proposée par les anciens : la foi est la somme de la parole et des actes.

 

En outre, le cœur imprégné d’un savoir et d’un amour parfaits (ou essentiels, nécessaires ndt.) va, sous l’impulsion de la volonté intrinsèque, engendrer les actes extérieurs. La volonté parfaite, conjuguée à la capacité parfaite, se concrétise systématiquement. Quand les actes ne suivent pas, c’est qu’il y a un souci soit au niveau de la volonté soit au niveau de la capacité. En d’autres termes, c’est le signe que l’une ou l’autre ne fonctionne pas normalement. Sinon, tout acte volontaire est le fruit de leur association.

 

La reconnaissance parfaite que Mohammed (r) est le Messager d’Allah va faire naitre un sentiment d’amour parfait qui va pousser l’individu en pleine possession de ses moyens à prononcer l’attestation de foi – je ne parle pas de la situation où il est muet, sous la contrainte ou autre.

 

Abû Tâlib ne remettait pas en doute la sincérité de son neveu qu’il portait dans son cœur, sauf qu’il ne l’aimait pas en Dieu, mais en raison des liens familiaux qui les unissaient. Il voyait d’un bon œil le succès de la religion naissante grâce à laquelle son clan bénéficierait d’un plus grand prestige au sein des habitants de la Péninsule. Cet amour intéressé ne le quitta pas au moment de vérité, quand, agonissant, il ne daigna renoncer au paganisme que le fils de son frère demanda d’adjurer ; ce qui constituait un affront terrible à la mémoire de ses ancêtres. En cela, il était différent d’Abû Bakr qui, lui, éprouvait, à l’égard de son ami, un amour authentique auquel le Coran rend hommage : [Seul le vertueux sera sauvé, à coup sûr, de ses flammes •  Lui qui purifie sa fortune grâce à ses dons • Sans ne rien briguer en retour • Autre que le Visage de Son Seigneur le Très Haut • qui saura le combler aisément].[5] Tous les Compagnons, à l’image d’Omar, ‘Uthmân, ‘Alî, etc., étaient, à des degrés différents, sur la même longueur d’onde.

 

Abû Tâlib donc, rendit l’âme à l’état de mécréance, malgré les sacrifices qu’il consentit pour sauver son neveu, et, par voie de conséquence, la confession qu’il enseignait. Toute œuvre qui n’est pas vouée au Visage d’Allah est sans valeur, et le père d’Alî l’apprit à ses dépens. Sa faute fut d’aimer avec Dieu, non pour Lui ou en Lui.

 

Pour les hérétiques en tout genre, la foi est une et indivisible

 

Voir : majmû’ el fatâwâ (12/466-501).

 

La première hérésie qui contamina les rangs des musulmans vint du côté des kharijites qui sortaient les musulmans de la religion à cause des péchés. Ils se sont intéressés au statut du « pervers » affilié à l’Islam. D’un côté, les kharijites et les mu’tazilites s’imaginent que les grands péchés – voire les petits péchés chez certains – sont incompatibles avec la foi. À leurs yeux, ils infectent la foi aussi radicalement que la boisson et la nourriture infectent le jeûne. Ils partent du principe que la foi est la somme des obligations et des interdictions, et que, indivisible, elle n’existe plus en perdant certaines parties à l’instar de n’importe quel élément composé.

 

Pour les kharijites, l’équation est très simple : on est soit un musulman soit un mécréant, et le pécheur entre forcément dans le premier ensemble. Ils appliquèrent ce principe binaire à des Compagnons tels que ‘Uthmân et ‘Alî qui auraient désobéit à Dieu. Conclusion sans appel de ces deux prémisses aléatoires : ces deux khalifes, mais aussi la grande majorité de la communauté, n’ont plus aucun lien avec la religion.  Les mu’tazilites, pour leur part, coupe la poire en deux, et considèrent que le désobéissant se situe dans un état intermédiaire entre la foi et la mécréance. De leur point de vue, il est sorti de la foi, mais sans n’entrer dans le kufr.

 

De l’autre côté, nous avons les murjites et les jahmites et leurs émules au sein des ash’arites et des karrâmites qui, pour sortir de ce dilemme, ont sorti les actes obligatoires de la définition de la foi. Selon eux, manquer à ses devoirs religieux ou commettre des péchés est sans incidence sur la foi, qui, indivisible, n’accepte aucune variation que ce soit par le haut ou par le bas. Par rapport à cela, les croyants ont tous le même degré de foi, en partant des anges, et des prophètes, en passant par les élus et les modérés, et en arrivant à ceux qui se sont fait du tort à eux-mêmes.

 

Pour les légistes-murjites, la foi est composée de la croyance du cœur et de la parole, tandis que la grande majorité des théologiens du kalâm la confinent dans la croyance du cœur, voire chez certains dans la croyance verbale. Ceux-ci partent du principe qu’inclure les obligations rituelles, cela reviendrait à exclure de la religion, à la manière des kharijites, tous ceux qui les négligent.

 

Les deux camps imaginent une foi une et indivisible ; en en perdant une partie, elle disparait entièrement.

 

Les traditionalistes, eux, que composent tous les Compagnons sans exception, leurs successeurs, les grandes références orthodoxes, et l’ensemble des légistes et des soufis, à l’image de Mâlik, el Awzâ’î, Hammâd ibn Zaïd, Shâfi’î, Ahmed ibn Hanbal, etc. auxquels il faut ajouter de grands spécialistes du kalâm, tous s’accordent à dire que la foi est composée de la parole et des actes ; les termes de cette définition reviennent aux anciens avec les Compagnons en tête. Or, dans certains contextes, les bonnes actions juxtaposent éventuellement la foi, mais cela n’enlève rien au fait qu’elles en font partie intégrante. Ainsi, les paroles et les actes font allusion à la parole intérieure et verbale, et les actes du cœur et extérieurs.

 

Les fondements et les branches de la foi

 

Les commentateurs du crédo traditionaliste expliquent que la foi contient des fondements et des branches ayant différents statuts : les piliers, les obligations rituelles qui ne relèvent pas des piliers, et une partie bénévole et recommandée, les surérogations.

 

On retrouve ce même fonctionnement au sein des rites tels que le pèlerinage, la prière, etc. Par exemple, le hadj comprend certaines lois qui imposent ou interdisent certains actes, comme la sacralisation, les interdits de l’ihrâm, la station à Arafa, à Muzdalifa, à Mina, les tours rituels autour de la Kaaba, le circuit entre les monts Safâ et Marwâ qui jouxtent le Sanctuaire sacré.

 

Certaines lois du pèlerinage relèvent des piliers sans lesquels il s’annule aussitôt, à l’image de la station à Arafa, ou des interdits de l’ihrâm qui, non respectés l’annulent tout autant, ex. : les rapports sexuels. D’autres sont à mettre au compte des obligations/interdictions,  qui, non respectées en tout âme et conscience, valent un péché ; tout réfractaire à ces commandements qui bénéficient de circonstances atténuantes ou autre, devra expier sa faute en immolant une offrande.

 

Ex. d’obligations : entrer en ihrâm au lieu de sacralisation (mîqât), regrouper les prières du jour et du soir à ‘Arafa, jet de cailloux à Mina, etc.

Ex. d’interdictions : vêtements civils, parfum, chasse, etc.

 

D’autres lois, enfin, appartiennent à l’ensemble des recommandations et des non-recommandations qui accordent au hadj la valeur maximale, mais qui, en cas de défection, n’encourent aucun péché ni aucune expiation. Ex. : répéter la formule liturgique du pèlerinage (talbiya) avec une voix élevée et le plus de fois possible, voyagé avec son offrande, réserver des invocations et des évocations au cours des tours rituels (tawâf), et de la station à ‘Arafa, éviter de parler en dehors des sermons et de la morale. Qui observe à la lettre les obligations et qui s’écartent des interdits aura accompli son petit et/ou grand pèlerinage, et comptera parmi les modérés pour ce rite en particulier.

 

Or, il est plus méritoire de fournir les recommandations qui accordent le statut de « précurseur » et de « privilégié ». Le pèlerin qui néglige les obligations et qui enfreint les interdits s’acquitte malgré tout de son devoir tant qu’il honore les piliers et qu’il évite les annulations du pèlerinage, bien que sa récompense soit proportionnelle à son scrupule, et qu’il encourt des péchés pour sa négligence. S’il vient à omettre un pilier ou commettre une annulation, il sera toujours redevable du cinquième pilier de l’Islam qu’il devra renouveler l’année suivante. Reste à savoir s’il mérite une récompense pour les œuvres accomplis au cours de ce rite raté, la réponse est oui selon l’opinion la plus vraisemblable sur la question.

 

À suivre…

                     

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

 

[1] La vache ; 177

[2] L’ascension nocturne ; 102

[3] La vache ; 146

[4] Rapporté par Tirmidhî (n° 3482), et Nasâî (n° 5442), selon ‘Abd Allah ibn ‘Amr (t), et authentifié par el Albânî dans sahîh el jâmi’ (n° 2177).

[5] La nuit ; 17-21

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