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19 décembre 2016 1 19 /12 /décembre /2016 09:18

Dialogue sur le ‘udhr bi el jahl dans le shirk akbar V

(Partie 2)

 

• Par ailleurs, quand ibn Taïmiya démontre qu’il est interdit de ressembler aux polythéistes, dans un ouvrage qui fut consacré à ce sujet, rappelons-le, il ne parle pas du degré de cette interdiction ; est-ce que celle-ci relève du kufr dûn kufr (péché), du shirk asghar ou du shirk akbar ? Le propos n’est pas là ! Il faut donc aller chercher ailleurs pour deviner sa position sur le sujet.[1] Et nous disons cela par condescendance, car, en réalité, le passage dont se sert notre ami a visiblement subi une mauvaise manipulation des scribes, ce qui, bien qu’involontaire, déforme ses propos.

 

Grâce à Dieu, ‘Abd Allah, le fils de l’Imâm a fidèlement enregistré cette citation, ce qui donne : « Le Prophète a reproché à ses hommes le simple point de ressemblance avec les païens en désignant un arbre pour suspendre leurs armes. Qu’aurait-il pensé d’un acte bien plus grave que cela, et qui n’est autre que l’association elle-même ? »[2]

 

Nous avons succinctement vu, dans les premières parties de cette série d’articles, que la gravité de la ressemblance varie en fonction de la nature de l’acte en question, et qui part du simple péché, voire de l’autorisé, à la grande association.

 

• Ce même ibn Taïmiya distingue, ce qui, à mon sens, est révolutionnaire, entre les païens d’origine et les musulmans coupables de shirk dans des propos dont voici la teneur : « … Ce genre de pratiques est beaucoup répandu chez les païens purs et durs et chez les adeptes de cette communauté coupable d’association. »[3]

 

Ailleurs, il signe : « C’est la raison pour laquelle, tout fautif auteur d’une mauvaise interprétation (ta-wîl) ou d’un acte pervers (fisq), bien que, contrairement au premier, il jouisse d’une croyance saine, soit, d’un côté, louable et blâmable, d’un autre côté, mais dans les deux cas, il se distingue des mécréants (païens et gens du Livre). »[4]

 

D’ailleurs, c’est parce que notre ami ne fait pas cette distinction qu’il m’a accusé de tronquer les textes ; il me voit donc sous le prisme de ses propres idées, sans n’avoir le recul suffisant pour sortir de sa condition…

 

• Ensuite, quand bien même, le hadîth de dhât el anwât n’allait pas dans le sens du ‘udhr bi el jahl, alors que notre ami nous explique sur quel texte se basent les savants pour établir que le bédouin et le nouveau converti sont excusables, en sachant qu’il règne, sur la chose, un consensus des grandes références de la religion, comme nous l’avons vu précédemment !

 

À maintes reprises, ibn TaÏmiya met en lumière ce principe à travers divers passages que nous reproduisons en partie ici :

 

« Celui qui invoque un autre qu’Allah ou qui fait le pèlerinage pour un autre qu’Allah est un mushrik (païen) et son acte est du kufr (mécréance). Néanmoins, il est possible qu’il ne sache pas qu’il relève du shirk interdit. Comme c’est le cas de beaucoup de ceux qui ont embrassé l’Islam à l’exemple notamment des tatares. Ces derniers avaient des idoles qu’ils encensaient et vers lesquels ils se tournaient, mais ils ne savaient pas que cela était interdit dans la religion musulmane. Ils vouaient également le culte au feu, mais ils ne savaient pas que cela tout autant était interdit. La connaissance de nombreuses formes de shirk peut échapper à de nouveaux convertis, qui ne savent pas que c’est du shirk. Ces égarés sont coupables d’un acte de shirk n’ayant pas la moindre légitimité. Néanmoins, ils ne méritent pas le châtiment, pas avant que la preuve céleste ne soit appliquée contre eux… »[5]

 

« Bon nombre de gens vivent dans des endroits ou des époques où s’estompe une grande partie du savoir prophétique, de sorte qu’il n’y a personne pour transmettre les enseignements du Coran et de la sagesse qu’Allah a ordonné à Son Messager de transmettre aux hommes. De nombreux enseignements sont alors ignorés, d’autant plus qu’il n’y a personne pour les transmettre. Ce genre d’individus ne devient pas mécréant. C’est pourquoi, les grandes références sont unanimes à dire que si le Bédouin vivant loin des villes [et des savants], et, en outre, étant un nouveau converti, renie les lois évidentes et communément transmises, on ne peut le juger mécréant avant de le mettre au courant de ces enseignements prophétiques, comme en témoigne le fameux hadîth : « Il viendra une époque où personne ne connaitra ni prière ni jeûne ni pèlerinage ni ‘umra en dehors du vieil homme et de la vieille femme qui diront : « À l’époque de nos parents, les gens disaient : la ilâh illa Allah ! » On demanda à Hudhaïfa ibn e-Nu’mân (t) : « Cela pourra-t-il leur servir ?

  • Cela va les sauver de l’Enfer, répondit-il. »[6] »[7]

 

« Le  takfîr entre dans le domaine de la menace divine. Il est possible qu’une parole consiste à démentir les enseignements du Messager (r). Cependant, il est possible également qu’elle provienne d’un nouveau converti ou d’un Bédouin vivant loin des villes. Dans ce cas, il ne devient pas mécréant pour avoir renié un enseignement de la religion, pas tant que la preuve céleste ne soit établie contre lui. Il est possible qu’un individu n’ait jamais entendu parler de ces textes, ou que, bien qu’ils en aient entendu parler, il remette en question leur sens ou leur authenticité, ou qu’il soit sujet à n’importe quel autre empêchement l’ayant forcé à les interpréter, indépendamment du fait qu’il se soit trompé dans sa conclusion. Je prends depuis toujours l’exemple, pour appuyer ce point, du hadîth rapporté par el Bukhârî et Muslim sur l’homme ayant recommandé à sa famille avant de mourir. « Après ma mort, brûlez ma dépouille. Puis, dispersez-en une partie dans la mer et l’autre partie sur la terre ferme. Par Allah ! S’Il venait à me reprendre, Il m’infligerait un châtiment comme Il ne l’a jamais infligé à personne dans l’Humanité entière. » [Après sa mort, ses vœux furent exaucés, mais Allah ordonna à la terre ferme et à la mer de rassembler ses cendres. Puis,] Il le questionna : « Qu’est-ce qui t’a poussé à faire cela ?

  • C’est la peur de subir ton courroux, Mon Seigneur ! » C’est alors qu’Il lui pardonna. »[8]

   

Cet homme mettait en doute le Pouvoir d’Allah, soit qu’Il puisse rassembler ces cendres qu’il recommanda d’éparpiller. Pire, il pensait qu’il ne serait pas ressuscité. Or, cette croyance est une forme de mécréance à l’unanimité des savants. Cependant, il était ignorant et ne connaissait pas ce point. Et, en même temps, il était croyant et craignait ardemment qu’Allah le châtie. C’est ce qui lui fit gagner Son Pardon. À fortiori, les savants ayant la compétence pour faire des efforts d’interprétation, tout en veillant à suivre le Messager (r) mérite encore plus d’être pardonnés. »[9]

 

« Le fait qu’une question soit connue de façon élémentaire par tous les musulmans est, somme toute, relatif. Le nouveau converti et le Bédouin vivant loin des villes peuvent n’en avoir aucune connaissance, avant de pouvoir parler de connaissance élémentaire. Bon nombre de savants savent de façon élémentaire que le Prophète (r) a fait la prosternation de l’oubli, qu’il a jugé que le prix de sang devait être versé par le clan du meurtrier, qu’il a jugé que l’enfant naturel était affilié au lit, etc. Certes, les spécialistes connaissent ces points de façon élémentaires, mais, au même moment, la plupart des gens n’en ont jamais entendu parler. »[10]

 

« Certaines opinions relèvent de l’apostasie (renier l’aspect obligatoire de la prière, de l’aumône légale, du jeûne, du pèlerinage, autoriser moralement l’alcool, les jeux de hasard, le mariage à des femmes légalement interdites). Néanmoins, leur auteur peut être excusable dans la situation où les preuves célestes ne lui sont pas parvenues. Le cas échéant, il ne devient pas apostat ; le nouveau converti ou le bédouin vivant loin des villes, et n’ayant pas accès aux lois détaillées de la religion ne sont pas assimilés à des apostats quand ils en renient une sans le savoir. »[11]

 

« C’est pourquoi, si un homme qui se convertit ne sait pas que la prière est obligatoire, ou que le vin est interdit, il ne devient pas mécréant en croyant le contraire, et, mieux, il ne mérite aucun châtiment, pas avant que la preuve prophétique ne lui soit parvenue. »[12]

 

• Ainsi, quand bien même le hadîth de dhât el anwât ne représentait pas un argument en faveur du ‘udhr bi el jahl, il en existe beaucoup d’autres pour le conforter. Il y a une dizaine d’années, j’ai traduit un passage de e-takfîr wa dhawâbituhu de Sheïkh Ibrahim e-Ruhaïlî qui en reproduisait quelques-uns, et que je cite ici pour l’occasion :

 

Allah révèle : [Nous n’allions châtier personne avant d’envoyer un messager].[13] [Des messagers avertisseurs et annonciateurs afin que les hommes ne puisse opposer à Allah aucun argument après leur venue].[14] [Ton Seigneur n’allait pas faire périr les cités avant d’envoyer à leur cité mère un messager qui leur récite Nos versets].[15] [Peu s’en faut qu’elle n’explose de rage ; toutes les fois qu’un groupe y est jeté, ses gardiens leur lancent : un avertisseur ne vous est-il pas venu ? • Si, répondent-il, un avertisseur nous est bien venu, mais nous l’avons démenti et avons prétendu qu’Allah n’a rien révélé].[16]

 

Ces Versets démontrent qu’Allah ne châtie jamais celui à qui Son Message n’est pas parvenu. Le châtiment ne concerne pas celui qui n’en a jamais eu connaissance. Quant à celui qui n’en reçoit qu’une partie, il ne lui sera fait grief que des enseignements qu’il conteste après en avoir eu connaissance et qui constituent désormais une preuve contre lui.[17]

 

[1] Voir notamment dans le même ouvrage : iqtidhâ e-sirât el mustaqîm (1/234, 235, 237).

[2] Voir : el kalimat el nâfi’a fi el mukaffarât el wâqi’a (p. 24).

Voici le passage en arabe :

فأنكر النبي - صلَّى اللهُ عَليهِ وعَلى آلِهِ وسَلَّمَ- مجرَّدَ مُشابهتهم في اتخاذ شجرة يعكفون عليها معلِّقين سلاحهم، فكيف بما هو أطم من ذلك من الشِّرك بعينه!

[3] Voir : minhâj e-sunna (2/396).

[4] Voir : jâmi’ e-rasâil (1/244-245).

[5] Voir la recension d’e-radd ‘alâ el Akhnâî (p. 206).

[6] Rapporté par ibn Mâja (n° 4049) ; Sheïkh el Albânî l’a authentifié dans silsilat el ahâdîth e-sahîha (n° 87), et sahîh el jâmi’ (6/339).

[7] Majmû’ el fatâwa (11/407-408).

[8] Cette histoire est rapportée par el Bukhârî (n° 7505) et Muslim (n° 2757).

[9] Majmû’ el fatâwâ (3/231).

[10] Majmû’ el fatâwâ (13/118).

[11] Majmû’ el fatâwâ (3/354-355).

[12] Majmû’ el fatâwâ (11/407).

[13] Le voyage nocturne ; 15 voir les tafsîr d’e-Tabarî et d’ibn Kathîr.

[14] Les femmes ; 165 voir les tafsîr d’el Baghawî et de Shanqîtî.

[15] Les récits ; 59

[16] La royauté ; 8-9

[17] Majmû’ el fatâwa d’ibn Taïmiya (12/393).

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