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1 décembre 2016 4 01 /12 /décembre /2016 18:22

 

 

Ibrahim Ruhaïlî et la définition de la foi

(Partie 5)

 

• La divergence sur l’abandon de la prière

 

Le Qâdhî Abû Ya’lâ établit en parlant du désobéissant musulman : « Il s’agit de quelqu’un ayant fourni la croyance du cœur, et la parole, mais ayant délaissé les actes de dévotion – excepté la prière – et ayant commis des actes de débauche ; prend-il le nom de croyant ? » Ensuite, il enchaine : « L’Imâm Ahmed – qu’Allah lui fasse miséricorde – semble lui accorder le nom de croyant ayant certes une foi faible, mais sans lui enlever complètement ce statut. »[1]   

 

Après ce passage, l’auteur de la recension du livre, Su’ûd el Khalaf, qui est enseignant à l’Université de Médine fait le commentaire suivant : « S’il est fait ici exception à la prière, c’est en raison de la divergence qui existe sur la question entre savants. L’Imâm Ahmed a deux opinions concernant celui qui la délaisse sciemment, mais sans renier son aspect obligatoire. L’une le voue à la mécréance… et l’autre, dans laquelle il rejoint les Imâms Mâlik et Shâfi’î, le considère musulman. »

 

Plusieurs savants, à l’instar d’ibn Taïmiya et d’ibn Rajab, font mention de la tendance d’Ahmed selon laquelle il ne kaffar pas l’abandon des quatre piliers, avec la prière à leur tête, tout en reconnaissant leur aspect obligatoire.[2]

 

Ibn Rajab explique notamment, en commentaire au hadith « L’Islam est fondé sur cinq piliers… » : « En faisant disparaitre ces cinq piliers, l’édifice s’écroule, ou ne serait-ce que son pilier le plus grand, les deux attestations de foi ; toute annulation de l’Islam les remet littéralement en cause. Il règne la divergence entre savants sur la disparation des quatre autres piliers (prière, aumône, jeûne, pèlerinage) ; garde-t-on ou non le nom de croyant en les perdant tous ou ne serait-ce que l’un d’entre eux ? Doit-on distinguer entre la prière et les autres piliers, en disant que sans la prière, on perd également la foi ? Doit-on ajouter plus particulièrement l’aumône à la prière pour considérer l’absence totale de la foi ? Il existe une divergence notoire sur la chose entre savants, et toutes ces opinions sont imputées à l’Imâm Ahmed »[3]

 

Plus loin, il ajoute : « Quant aux autres éléments de l’Islam et de la foi (en dehors des quatre piliers ndt.), ils ne font pas sortir de l’Islam pour les traditionalistes, contrairement aux innovateurs comme les kharijites. »[4]

  

De grands commentateurs hanbalites reconnaissent la divergence sur l’abandon de la prière au sein de l’école. Ces derniers vont jusqu’à reprendre à leur compte la tendance selon laquelle celui qui délaisse la prière est passible de la peine de mort, mais sans devenir apostat. Nous avons pour ne citer qu’eux, Shams e-Dîn Abû el Faraj ibn Qudâma, le cousin et l’élève d’el Muwaffaq ibn Qudâma, qui impute cette opinion à ibn Batta et à la plupart des légistes dont Mâlik, Shâfi’î et Abû Hanîfa.[5] El Mardâwî, pour sa part, impute cette opinion à ibn ‘Abdûs, el Majd, ibn Razîn, etc.[6] El Muwaffaq lui-même la reprend à son compte dans el mughnî (2/442).

 

L’érudit Saksâkî qui est d’obédience hanbalite souligne : « Quand on délaisse la prière sans renier son aspect obligatoire, on est musulman, selon l’opinion la plus juste de l’Imâm Ahmed. La secte mansûriya, qui s’oppose à cette tendance, taxe les traditionalistes de murjites, car cela implique de dire, à leurs yeux, que la foi est composée de la parole sans les actes. »[7]

 

Il y a également une annale, selon laquelle Ahmed fut interrogé par son fils Sâlih : « J’ai interrogé mon père au sujet du crédo selon lequel la foi monte et descend, sur les éléments qui la font monter et descendre ?

  • Elle monte grâce aux actes et descend en délaissant les actes comme la prière, le pèlerinage, et les obligations religieuses. »[8]

 

Sheïkh ibn Bâz l’avait bien compris et faisait preuve d’une précision extraordinaire en distinguant entre les actes qui relèvent du shart sihha comme la prière (en sachant qu’il existe une divergence sur la question), et ceux qui touchent à la foi parfaite imposée, comme les autres actes.[9] Quand on lui posa la question : « Selon certains savants, celui qui délaisse (tark) les actes extérieurs, tout en fournissant l’attestation de foi, et l’essence de la foi émanant du cœur (asl el imân el qalbî) reste musulman. Est-ce qu’ils sont des murjites ? »

Voici quelle fut sa réponse : « Non, ce sont des traditionalistes ! Selon l’opinion la plus juste qui est imputée à certains savants, l’abandon du jeûne, de l’aumône et du pèlerinage est un péché énorme, mais qui ne fait pas sortir de la religion. Pour d’autres, il relève de la grande mécréance. Pour la prière, celui qui la délaisse sciemment, est un mécréant, selon l’opinion la plus juste, mais pour les autres piliers, il commet une mécréance qui ne fait pas sortir de la religion, soit un grand péché… »[10]

 

On lui posa juste après la question suivante : « Sheïkh ! Par rapport à la réponse précédente, certains en ont compris qu’en prononçant l’attestation de foi sans faire d’actes, on a une foi faible. Est-ce que cette compréhension est bonne ? »

 

En réponse : « Oui. En vouant l’unicité sincère et exclusive à Allah, et en donnant foi au Messager d’Allah (r), mais sans verser l’aumône, ni faire le jeûne ni le pèlerinage dans la mesure du possible, on est un désobéissant ayant commis un grand péché et passible d’entrer en Enfer. On ne devient pas pour autant un mécréant, selon l’opinion la plus juste des savants. En revanche, celui qui délaisse sciemment la prière est un mécréant, selon l’opinion la plus juste. »[11]

 

Dans une autre fatwa, le Sheïkh associe sa voix à la lajna dâima (fatwa n° 1727) à laquelle on posa la question suivante : « Le cas de quelqu’un qui dit : lâ ilâh illâ Allah Mohammed Rasûl Allah, mais sans procurer les quatre piliers (la prière, l’aumône, le jeûne, et le pèlerinage) ni les autres actes réclamés par la religion musulmane ; est-ce qu’il aura droit à l’intercession du Prophète (r) le Jour de la résurrection, de façon à ce qu’il échappe à l’Enfer, ne serait-ce qu’une période limitée ? »

 

Voici qu’elle fut la réponse : «  Celui qui dit : lâ ilâh illâ Allah Mohammed Rasûl Allah, mais qui délaisse les quatre piliers (la prière, l’aumône, le jeûne, et le pèlerinage) en reniant l’aspect obligatoire ne serait-ce que de l’un d’entre eux est un apostat – après avoir été prévenu – à qui on somme de se repentir. S’il s’y soumet, son repentir sera accepté, et il aura droit à l’intercession le Jour de la résurrection, à condition qu’il meure musulman.

 

Néanmoins, s’il s’entête à les renier, il sera mis à mort par les pouvoirs publics pour apostasie, et il n’aura pas le droit, dans ce cas, à l’intercession du Prophète (r) ni de personne d’autre. L’abandon de la prière à lui tout seul, même mu par la fainéantise et la négligence, relève de la grande mécréance qui fait sortir de la religion, selon l’opinion la plus juste des savants. Que dire alors si on associe à cela, l’abandon des autres piliers ? On sera, à fortiori, privé de toute intercession, en restant ainsi jusqu’à la mort.

 

Pour certains savants, l’abandon de ses piliers relève de la mécréance mineure (kufr ‘amali) qui ne fait pas sortir du cercle des musulmans. ces derniers estiment que le fautif jouira de l’intercession, bien qu’il commet des grands péchés, à condition, bien sûr, qu’il meure musulman. »

 

Le Comité permanent de la Fatwa et de la recherche

 

Président : ‘Abd el ‘Azîz ibn Bâz

Vice-président : ‘Abd e-Razzâq ‘Afîfî

Membre : ‘Abd Allah Qu’ûd

Membre : ‘Abd Allah el Ghudayân

 

Conclusion

 

Par rapport à la divergence sur l’abandon de la prière, les savants proposent grossièrement deux définitions d’asl el îmân[12] : 1°) l’une, sans actes, est constituée de qawl el qalb, ‘amal el qalb, et qawl e-lisân, et 2°) l’autre intègre la prière dans l’essence de la foi. Par ailleurs, il incombe de distinguer entre les éléments qui font entrer dans l’Islam (el qadr el mujzî lî dukhûr fi el islâm), et ceux qui permettent de s’y maintenir ; ce que j’appelle el istimrâriya fî el îmân. Or, concevoir cette fameuse essence sans les actes ne signifie nullement que ceux-ci ne sont pas intégrés dans la foi, ou que, mieux, la foi est existante sans les actes, en regard de l’interaction qui régit leur relation. En doutant de ce point, on rejoint, sans s’en rendre compte, la pensée murjite – en plus, bien sûr, de la tendance kharijite – qui occulte cette variation et cette interrelation, alors qu’on est sensé jeté le discrédit sur les auteurs traditionalistes qui tiennent compte de ce paramètre fondamental, à même de mieux appréhender le sujet si épineux de l’imân, fa tanabbah !

 

Wa Allah a’lam, wa bi Allah e-tawfîq !

 

 

 

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

http://www.mizab.org/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Masâil el îmân (p. 313).

[2] Voir : Majmû’ el fatâwa d’ibn Taïmiya (7/610-611), et Fath el Bârî d’ibn Rajab (1/22-23).

[3] sharh kitâb el îmân d’ibn Rajab (p. 26-27).

[4] sharh kitâb el îmân d’ibn Rajab (p. 28).

[5] Sharh el kabîr (3/39).

[6] El insâf

[7] El burhân fî ma’rifa ‘aqâid ahl el adiyân d’Abû el Fadhl ‘Abbâs ibn Mansûr e-Saksakî (p. 35).

[8] Masâil el Imâm Ahmed (2/119).

[9] Voir : aqwâl dhawî el ‘irfân du D. ‘Isâm e-Sinânî (p. 146), et mukhâlafât fî fath el Bârî d’Abd el ‘Azîz e-Shibl (p. 28).

[10] Hiwâr hawl masâil e-takfîr

[11] Hiwâr hawl masâil e-takfîr

[12] Selon un chercheur, il est possible d’abandonner les quatre piliers de l’Islam, tout en gardant certains autres actes [Voir : nawâqidh el îmân el i’tiqâdiya qui est une thèse universitaire du D. Mohamed el Wuhaïbî (2/137-138).]. Il s’inspire d’un texte d’ibn Taïmiya (le même que celui de Sheïkh el Barrâk) dans lequel il explique qu’un mécréant peut être loyal, juste, et honnête, sans pour autant devenir musulman, s’il ne se soumet pas à la Législation mohammadienne. On ne peut prétendre à l’Islam sans ne fournir aucune de ses obligations. L’essentiel, ce n’est pas de faire des actes, mais c’est de les faire d’une part avec foi et d’autre part, dans le cercle de la législation musulmane. En adhérant (dans la conviction et les actes) à ces deux conditions, on obtient le jisn el ‘amal, qui n’est donc pas propre aux quatre piliers de l’Islam, wa Allah a’lam !

 

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