Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 février 2018 1 12 /02 /février /2018 13:20

 

Ibn Taïmiya, encore et encore…

 

El Ghazâlî met en garde : « Il incombe de prendre le plus de précautions possibles dans le domaine du takfîr, car autoriser moralement le sang et les biens des fidèles affiliés à l’Islam, qui adhèrent ouvertement à l’attestation de foi est une grossière erreur, en sachant qu’il vaut mieux laisser en vie mille mécréants par erreur, que de verser le sang d’un seul musulman par erreur.. »[1]

Ailleurs, il renchérit, comme le rapporte ibn Taïmiya : « Le takfîr est une disposition légale qui débouche sur la mise à mort, la réquisition des biens, et l’enfer éternel. Au même titre que n’importe quel statut dans la religion, celle-ci oscille entre la certitude et la forte probabilité, quand elle ne suscite pas l’hésitation. Dans ce dernier cas, il est plus sain de s’abstenir, en sachant que le takfîr à la hâte est souvent le lot d’individus empreints d’ignorance. »[2]

 

À vouloir démontrer l’évidence, on ne fait que la rendre floue. C’est d’ailleurs tout l’intérêt des thèses farfelues qui revisite l’Histoire à des fins pas toujours catholiques ! À quoi bon vouloir prouver par un sophisme éhonté que le soleil pointe au zénith, si ce n’est que la poussière lancée dans sa direction n’entamera jamais sa lumière. On cherche à tout prix à noyer tout ce qui bouge sur la berge de ses phobies ! Humble, tout chercheur digne de ce nom, fait profil bas. On ne construit pas de théorie loufoque sur des bribes d’informations, ne serait-ce qu’au minimum, sans parler d’honnêteté intellectuelle – ne soyons pas trop exigeant –, pour échapper au ridicule. « Je sais que je ne sais pas » disait le sage, et le savoir est une mer sans rivage, alors que la culture, c’est comme la confiture…

 

L’historiographe Dhahabî nous dépeint la méthodologie d’ibn Taïmiya dans le domaine épineux de l’anathémisation des membres affiliés à l’Islam : « Il était enclin à trouver des circonstances atténuantes aux hommes, précise-t-il. Il ne taxait personne de mécréant sans n’avoir en mains les preuves légales justifiant sa position. Il se contentait de juger qu’une telle opinion relevait de la mécréance et de l’égarement, mais qu’elle provenait d’un individu coupable d’ignorance à la suite d’un effort d’interprétation. Son ignorance joue en sa faveur dans la mesure où la preuve céleste n’est pas établie contre lui. Il est possible qu’il ait revu ses positions ou qu’il s’en soit tout simplement repenti. Il avait pour principe de dire qu’on ne retire pas une foi avérée avec certitude en se basant sur autre chose que la certitude. Bien sûr, son discours ne s’adresse pas à celui qui renie et qui se détourne de la vérité qu’il a assimilée. Ce dernier est un vulgaire mécréant à l’image de Satan le maudit. Sinon, en règle générale, personne n’est à l’abri de l’erreur aussi bien dans les fondements que les branches subsidiaires de la religion. »[3]

 

Ainsi, comme l’établit ibn Taïmiya, lorsque la foi est avérée chez un individu avec certitude, on ne peut la lui retirer sur une simple suspicion. La seule chose qui permet de le faire, c’est d’établir toutes les preuves contre lui et de dissiper de son esprit toute ambigüité (iqâmat el hujja wa izâlat e-shubha).[4] À ses yeux, je cite : « Le takfîr ne peut s’avérer pour des choses où plusieurs hypothèses sont possibles. »[5]

 

D’après el Baïhaqî, j’ai entendu dire Abû Hâzim el ‘Abdawî, j’ai entendu dire Zâhir ibn Ahmed e-Sarkhasî : peu avant de rendre l’âme, Abû el Hasan el Ash’arî que j’avais hébergé sous mon toit, m’a appelé à son chevet pour me témoigner : «  Je témoigne que je ne kaffar aucun adepte de la qibla, car, bien qu’ils ont des mots différents pour le décrire, tous adhèrent au même Dieu. »

 

Dhahabî a cautionné ses propos qu’il a enregistrés dans son encyclopédie avant de conclure : « Je partage la même conviction. À la fin de sa vie, ibn Taïmiya, notre maitre disait : « Je ne kaffar aucun membre de la communauté, conformément aux propos prophétiques : « Seul le croyant préserve les ablutions. » Ainsi, en étant assidu à la prière qu’on fait précéder des ablutions, on est un musulman. » »[6]

 

L’élève d’ibn Taïmiya suggère donc que son maitre aurait revu à la baisse certaines positions intransigeantes qui touchent au takfîr, bien qu’en réalité, ce point mérite des recherches plus approfondies.

 

Quoi qu’il en soit, dans le cadre d’une fatwâ sur la formule de repentir qui sauva Jonas du ventre de la baleine, ibn Taïmiya établit[7] : La première chose qui vient à l’esprit chez beaucoup de gens qui prennent de nouvelles résolutions, est de se remémorer les travers qui sautent au nez (la turpitude et ses prémices, la diffamation, l’agression morale ou physique, etc.). Souvent, ils occultent des infractions dont les conséquences, en regard de la religion, sont bien plus graves. Le meilleur exemple est le manquement à ses devoirs religieux, ces branches de la foi qui s’expriment au niveau des sentiments, des paroles, et des actes, et qui élèvent le fidèle au rang de véritable croyant.

 

Les péchés d’ordre profane sont insignifiants comparés à ceux qui gâtent l’amour parfait d’Allah et de Son Messager. Sous le ciel de Médine, la capitale naissante, un homme connu sous le nom de Himâr fut reconnu coupable de consommation de boisson enivrante. La peine prévue pour pareil crime lui fut infligée à plusieurs reprises. Un jour qu’il récidiva encore, comme à l’accoutumée, l’Élu (r) le condamna au « fouet », sauf qu’exaspérée, une voix zélée s’éleva dans l’assistance pour l’invectiver : « Maudit soit-il, il n’arrêtera donc jamais !

  • Ne le maudis pas, rectifia l’Élu (r), car il aime Allah et Son Messager. »[8]   

                                                                                                               

Le Législateur (r) interdit de maudire un buveur d’alcool multirécidiviste qui renfermait dans sa poitrine un amour considérable pour Allah et Son Messager. Pourtant, ce même Législateur frappa de malédiction le vin et les catégories d’individus qui ont un lien, de près ou de loin, avec cette boisson maudite : « Maudit soit le vin, celui qui le presse, qui réclame son pressage, qui le boit, qui le sert, qui le transporte, qui le réceptionne, qui le vend, qui l’achète, ou qui profite de sa vente. »[9]

 

Cela prouve qu’il distingue entre la malédiction dans l’absolu et son application à un cas particulier qui bénéficie, éventuellement de circonstances atténuantes. Nous retrouvons ce principe dans le domaine de l’anathémisation (takfîr) et de la menace divine qui, dans les textes du Coran et de la sunna, sont valables dans l’absolu. Dans la pratique, il incombe, pour les appliquer à un cas particulier, de réunir un certain nombre de conditions et d’exclure, en parallèle, les restrictions qui feraient éventuellement obstacle à leur concrétisation. À l’unanimité des musulmans, par exemple, le repenti n’est pas concerné par leur statut absolu. Il existe d’autres restrictions qui intercèdent en faveur d’un fautif éventuel, concédant à son actif des œuvres considérables dans lesquelles se noient ses mauvais penchants, l’intercession promise aux croyants, le pardon céleste, etc.

 

En effet, les crimes des pécheurs passibles de l’Enfer perdent leurs effets sous l’impulsion d’un certain nombre de facteurs qui s’élèvent à dix :

 

  1. Le repentir sincère efface le péché comme s’il n’avait jamais existé ;
  2. La demande de pardon ;
  3. Les bonnes actions effacent également les mauvaises actions : [car les bonnes actions chassent les mauvaises][10] ;
  4. Les invocations et l’intercession des croyants en faveur du pécheur, avant et après sa mort ;
  5. Les bonnes œuvres qu’ils lui dédient afin de les mettre à son actif ;
  6. L’intercession prophétique ;
  7. Les épreuves qu’il subit sur ce qu’il y a de plus cher à ses yeux (sa personne, ses biens, sa famille, etc.), et par lesquelles il paye, sur terre, sa mauvaise conduite ;
  8. Les épreuves de la tombe dans l’entre-monde (barzakh) où il sera interrogé par les anges, juste après qu’il subira une compression de la terre tellement forte que ses côtes vont s’entremêler ;
  9. Les tourments du Jour de la résurrection ;
  10. La Miséricorde du plus grand des Miséricordieux ;

Dès lors, seuls les péchés dont il se repent seront sans effets, et à même d’atténuer un malheur qui l’a frappé, mais sans le faire disparaitre totalement à cause des autres mauvais agissements qui entachent sa conscience. Il aurait fallu qu’il entreprenne un repentir général pour bénéficier de sa pleine action.

Malheureusement, la plupart des hommes ne reviennent pas totalement à Dieu, bien que, paradoxalement, ils ratent la seule voie du salut plénier. La pénitence est un devoir individuel et à chaque instant. Nous avons tous besoin de nous remémorer en permanence nos entorses et nos manquements, et de, constamment, nous confesser par la puissance de la repentance, mais Dieu seul sait !

 

Par : Karim Zentici

http://mizab.over-blog.com/

 

[1] El iqtisâd fî el i’tiqâd (p. 269) ; fath el Bârî (12/300).

[2] Ibn Taïmiya reprend à son compte cette dernière phrase dans e-sab’îniya p. 345. Pour la citation entière, voir : el jâmi’ li sîrat ibn Taïmiya de ‘Azîr e-Shams et ‘Alî el ‘Imrân (p. 544).

[3] Voir : takmila el jâmi’ li sîrat ibn Taïmiya de ‘Alî ‘Imrân (p. 49).

[4] Majmû’ el fatâwâ (12/393).

[5] Voir : e-sârim el maslûl (3/963).

[6] Voir : siar a’lâm e-nubalâ (15/88).

[7] Voir : majmû’ el fatâwâ (10/236-336).

[8] Rapporté par Bukhârî (n° 6780), selon ‘Omar ibn el Khattâb (t).

[9] Rapporté par Abû Dâwûd (n° 3674) et ibn Mâjah (n° 3380), selon ibn ‘Omar (t), et authentifié par el Albânî dans irwâ el ghalîl (n° 2385).

[10] Hûd ; 114

Partager cet article
Repost0

commentaires