Celui qi est souvent comparé à ibn taïmiya dit dans un autre passage concernant spécialement le hukm bi ghaïr mâ anzala Allah : « … la sunna est venue pour expliquer que l’obéissance doit se faire dans les limites du convenable ; ces limites correspondent aux actes obligatoires et recommandés qu’Allah a imposé et agréé pour Ses serviteurs. Il est cependant interdit de se référer à des jugements qui puisent leur source dans une législation illégitime, et qui va à l’encontre du Coran et de la sunna, comme les lois grecques, franques, tatares ; tous ces codes qui proviennent de leur propre réflexion et penchants. Nous pouvons en dire autant des coutumes et des traditions bédouines en usage. Quiconque les autorise moralement (istahalla) dans les affaires de sang ou autre est un mécréant. Allah (I) révèle à ce sujet : [Ceux qui n’appliquent pas les Lois d’Allah sont eux les mécréants]. Certains exégètes expliquent au sujet de ce Verset qu’il s’agit ici du kufr dûn el kufr el akbar. Ils en comprennent en effet qu’il englobe également celui qui n’applique pas les lois d’Allah, sans toutefois l’autoriser moralement.
Néanmoins, ils ne contestent pas que son sens général concerne celui qui l’autorise moralement, et qu’il sort ainsi de la religion. »[1]
Ibn Taïmiya lui-même avait, des siècles plus tôt, un discours qui allait dans ce sens : « Nul doute que quiconque n’est pas convaincu qu’il incombe d’appliquer les Lois qu’Allah a révélées à Son Messager est un mécréant. Quiconque autorise moralement (istahalla) de régner sur les hommes selon ce qu’il croit être juste, sans se conformer aux Lois d’Allah est un mécréant.
Toute nation en effet aspire à faire régner la justice qui peut être appréciée, dans certaines éthiques, par l’élite. Bon nombre de communautés affiliées à l’Islam se permettent elles-mêmes de se référer à leurs coutumes qui n’ont aucun lien avec la Révélation, comme les coutumes bédouines ou celles qui sont sous l’autorité d’un chef ; celles-ci pensent qu’il convient de suivre ces conventions aux dépens du Coran et de la sunna. La mécréance correspond exactement à cela. Beaucoup de gens qui se convertissent à l’Islam ne se soumettent pourtant qu’à leurs traditions en usage.
Dans la mesure où ces derniers savent pertinemment qu’il n’est pas permis de mettre de côté les Lois d’Allah, s’ils n’y adhèrent pas (iltazama), ou si au contraire ils appliquent des lois contraires, ils sont de vulgaires mécréants, ou sinon, de simples ignorants. »[2]
Il explique ailleurs : « À partir du moment où quelqu’un autorise une loi qui est licite à l’unanimité des savants, ou bien une autre qui est illicite à l’unanimité des savants, ou encore qui remplace une loi qui est frappée également d’un consensus est un mécréant apostat à l’unanimité des légistes. C’est pour ce cas que, selon l’une des opinions, le Verset fut révélé : [Ceux qui n’appliquent pas les Lois d’Allah sont eux les mécréants]. Cela, étant donné qu’il autorise moralement (istahalla) de ne pas appliquer les lois d’Allah. »[3]
Les trois grandes références contemporaines ont un discours qui va également dans ce sens. Prenons l’exemple de Sheïkh el ‘Uthaïmîn, qui commenta les paroles de Sheïkh el Albânî – que rapporte l’ancienne revue el Muslimûn – en ces termes : « … ainsi, selon l’interprétation que nous avons faites du Verset en question, nous estimons que le hukm bi ghaïr ma anzala Allah ne fait pas sortir de l’Islam, mais qu’il relève du kufr el ‘amalî. Un tel gouverneur sort en effet du droit chemin. Il n’y a pas de différence en cela, entre celui qui s’inspire des lois instaurées par d’autres et qu’il applique à son pays, et celui qui invente une législation. »
Ailleurs, il précise : « Il est possible que l’une des motivations qui poussent à appliquer des législations qui s’opposent à la religion, la menace de certains gens plus puissants font régner sur lui. Il cherche ainsi à se les concilier. C’est pourquoi, nous disons, qu’il n’est pas différent ainsi des autre pécheurs qui sont motivés par les mêmes raisons… »
Nous disions également dans un article précédent :
D’un point de vue terminologique, il faut savoir que le kufr correspond pour certains savants à tout ce qui s’oppose à la foi ou pour la plupart, à renier n’importe quel enseignement du Prophète (r) ; cela concerne aussi bien les masâil el ‘ilmiya (ou usûl pour certains) que les masâil el ‘amaliya (ou furû’ pour certains). notons qu’il s’agit dans cette définition du kufr akbar (majeur). C’est d’ailleurs de cette façon qu’il est utilisé dans les textes, sauf si le contexte spécifie qu’il s’agit du kufr asghar (mineur).
Ainsi, les textes font plus souvent allusion aux kufr akbar, bien qu’il puisse s’agir du kufr asghar ou, comme le formulent les savants, du kufr dûn kufr. C’est le cas pour la question du hukm bi ghaïri mâ inzala Allah, dans la mesure où son auteur ne l’autorise pas moralement (c’est la question de l’istihlâl), comme le souligne ibn Taïmiya et Sheïkh ibn Bâz.[4] Il peut s’agir également du kufr e-ni’ma (l’ingratitude). Dans ces deux cas, on parle de kâfir de façon relative, non de façon absolue.
Le kufr est également nommé dans les textes, shirk (association), zhulm (injustice), et fisq (perversité). Il y a donc un shirk dûn shirk, du zhulm dûn zhulm et du fisq dûn fisq, comme il y a un shirk akbar, un zhulm akbar et un fisq akbar. En tenant compte de ces notions, on s’éloigne des deux tendances extrêmes : el hijrâ wa e-takfîr et des murjites.[5]
Remarque :
En fonction des membres avec lequel il se matérialise, le kufr se divise en trois catégories :
• El kufr el qalbî : qui concerne les éléments de la croyance qui touchent au kufr akbar (comme le reniement, le scepticisme, l’association dans les trois domaines du tawhîd : Rububiya, Ulûliya, el Asmâ wa e-Sifât).
• El kufr el qawlî : qui concerne les paroles et touche aussi bien le kufr akbar que le kufr asghar. Il faut savoir ici que les paroles traduisent la croyance. Celui qui apostasie avec la langue, apostasie immanquablement avec le cœur, contrairement aux jahmites pour qui les paroles extériorisent la croyance, sans relever du kufr en elles-mêmes ; c’est le dalîl zhâhir. Ainsi, peu importe que celui qui prononce le kufr soit convaincu par ses paroles ou non, étant donné qu’il les a dites en toute âme et conscience (tatâbuq e-zhâhir bi el bâtin). Seul le mukra (qui les prononce sous la contrainte) est excusable.
• El kufr ‘amalî : qui concerne les actes et qui se subdivise en
- en mukhrij min el milla qui correspond aux actes s’opposant littéralement à la foi (blasphémer, se prosterner devant une idole, uriner sur le Coran),
- et ghaïri mukhrij min el milla comme le hukm bi ghaïri mâ inzala Allah et târik e-sâlat comme le souligne ibn el Qaïyim.
Ainsi, il est plus précis de classer le kufr de cette façon que de le classer en ‘amalî pour parler du kufr asghar et i’tiqâdî pour parler du kufr akbar étant donné que certains actes du domaine du kufr ‘amalî relèvent du kufr akbar.[6]
Wa Allah a’lam !
Par : Karim Zentici